A
PRÈS avoir étudié la vie et l’œuvre du
Père Éphrem Longpré, revenons sur un
épisode qui lui laissa un souvenir amer et,
surtout, qui eut de graves conséquences
pour le Canada-français : la polémique
suscitée par sa tournée de conférences
sur l’École franciscaine et, tout par-
ticulièrement, sur Duns Scot.
C’est à la fin de l’été 1927 que
le savant médiéviste franciscain
revint au pays, qu’il avait quitté
précipitamment dix ans aupara-
vant sur l’ordre de ses supérieurs,
pour se rendre à Rome. Son inten-
tion était de profiter de sa famille
et de prendre un légitime repos.
Mais ses confrères et de nom-
breux amis ne l’entendaient pas
ainsi. Ils étaient fiers de la renom-
mée qui était déjà la sienne ; l’année
précédente, sur la recommandation
pressante et argumentée d’Édouard
Montpetit, l’ACJC lui avait décerné son
prix « d’action intellectuelle en philoso-
phie ». Quant à ses frères franciscains cana-
diens, ils adhérèrent vite au renouveau scotiste dont
il fut la cheville ouvrière. Même son ancien maître des no-
vices, le Père Raymond Sifantus, qui, entre autres persécu-
tions, s’était moqué de son attrait pour la mystique, est
maintenant devenu scotiste.
De son côté, le Père Longpré n’avait rien renié de son
ardeur nationaliste. Il avait toujours suivi, même de loin, le
progrès du nationalisme canadien-français auquel les Fran-
ciscains concouraient, comme il s’intéressait aux mouve-
ments nationalistes en Europe, notamment à l’ACTION
FRANÇAISE de Charles Maurras. Il était donc convaincu de
l’importance de la doctrine de Duns Scot pour la défense de
la sociéchrétienne, tout particulièrement de la chrétien
canadienne-française, déjà attaquée par un demi-siècle de
libéralisme, mais encore bien vivante.
Aussi n’eut-on pas besoin d’insister longtemps pour
qu’il accepte le projet de donner un cycle de conférences
aux étudiants de l’Université Laval et à ceux de
l’Université de Montréal. Toutefois, les orga-
nisateurs se heurtèrent à un refus inattendu
de la part des autorités : il n’était pas
question d’enseigner dans ces établisse-
ments autre chose, en philosophie et
en théologie, que saint Thomas d’A-
quin, et surtout pas celui qui passait
pour son adversaire, le père du vo-
lontarisme et du nominalisme, qui
aurait préparé les voies à Luther !
Ils eurent beau arguer que le
Père venait de donner un cours de
philosophie scotiste dans les pre-
miers mois de cette année 1927 à
l’Université catholique de Milan,
que le pape Pie XI, alors régnant,
accordait son estime au conféren-
cier, ce fut en vain. Ils eurent beau
rappeler les propos de l’éminent
médiéviste français Étienne Gilson,
l’année précédente, à l’Institut médié-
val des Dominicains de Montréal : « Je
ne connais pas actuellement de plus grand
médiéviste que votre compatriote, le Père
Éphrem Longpré. » Ou sa déclaration à l’institut
médiéval de Toronto : « Quand Éphrem Longpré parle,
toute l’Europe écoute. » Rien n’y fit : les autorités universi-
taires furent intraitables, au point de refuser même la loca-
tion d’une salle dans leurs locaux.
Plutôt que d’abandonner leur projet, dont ils mesuraient
l’importance, les organisateurs décidèrent de louer des sal-
les publiques et d’organiser cinq conférences. La première
à Trois-Rivières, le « diocèse le plus franciscain du mon-
de » à cause de ses nombreux tertiaires, aurait pour thème
« La royauté du Christ chez les grands docteurs francis-
cains ». La deuxième à Québec évoquerait « L’École fran-
ciscaine du XIIIe siècle ». C’est à Montréal que le Père
Éphrem exposerait « La mission doctrinale de Duns Scot ».
Puis à Toronto, public anglophone oblige, il parlerait de :
« Thomas d’York, la première somme métaphysique du
moyen-âge ». Enfin, il conclurait à Montréal sur « La pen-
sée franciscaine au XIIIe siècle ».
UNE POLÉMIQUE AUX FUNESTES CONSÉQUENCES :
DUNS SCOT, INTERDIT AU CANADA-FRANÇAIS !
Bulletin de la Communion Phalangiste au Canada
LA RENAISSANCE CATHOLIQUE
Nº 233 Rédaction : Maison Sainte-Thérèse Décembre 2015
Chaque réunion fut soigneusement annon-
cée. Les journaux locaux leur faisaient large-
ment écho et donnaient de larges extraits de la
conférence. LE DEVOIR de Montréal, auquel
pratiquement tous les presbytères, les cou-
vents et les institutions religieuses étaient
abonnés, les publiait intégralement.
C’est la troisième conférence, donnée dans
la grande salle de la Bibliothèque Saint-
Sulpice à Montréal, qui va provoquer la polé-
mique. Mgr Piette, recteur de l’Université de
Montréal, y assistait, ainsi que tout le gratin
nationaliste montréalais, au premier rang du-
quel l’abbé Lionel Groulx, le chanoine Per-
rier, le Père Archambault.
Se sachant tout de même en terrain miné,
le Père Éphrem Longpré ne prononça pas une
seule fois le nom de saint Thomas, car il ne
voulait pas faire de polémique. Son but était de laver Duns
Scot des calomnies qui ternissaient sa réputation et fai-
saient dédaigner sa doctrine malgré son grand intérêt et son
actualité. Deux phrases résument parfaitement sa pensée :
« Duns Scot avait compris, dit-il, que la pensée médié-
vale se devait à elle-même non pas seulement de réfuter
disjointement des erreurs ou même de coudre à tous les
enseignements de l’Écriture, la philosophie d’Aristote [ce
que saint Thomas d’Aquin fit excellemment] mais surtout
d’organiser, dans la pleine lumière du Christ, par-dessus
et contre les métaphysiques du Stagirite [Aristote] et de
l’Islam [c’est le penseur musulman Averroès qui fit connaî-
tre à l’Occident les œuvres d’Aristote, au XIIIe siècle], une
synthèse intégralement chrétienne qui fît face à tous les
dangers. »
Il acheva sa conférence par ces mots : « Toute cette phi-
losophie, Messieurs, n’est peut-être pas celle qui dissèque
les essences et analyse les concepts transcendantaux ou
s’authentifie par un texte d’Aristote ou de Platon, mais elle
constitue en définitive le plus haut sommet d’une métaphy-
sique pleinement chrétienne. Réponse fière aussi, Mes-
sieurs, aux averroïstes et aux rationalistes de Paris et qu’il
ne serait pas moins opportun d’opposer aujourd’hui aux
concepts vides des philosophies laïcisées ou neutres. […]
En réclamant pour Duns Scot le champ d’action auquel il a
droit, l’idéal qui nous inspire n’est pas autre que d’ouvrir
toutes larges des voies vers l’apaisement final dans la véri-
té de la métaphysique chrétienne. Comme le prouve votre
extrême bienveillance, Messieurs, il n’en est point parmi
vous qui ne permettront au bienheureux Duns Scot de
continuer à notre époque la mission doctrinale qui fut la
raison de sa pensée et demeure la plus grande gloire de
son génie. »
Tonnerre d’applaudissements, tout particulièrement des
jeunes qui assistaient nombreux à la conférence, avant mê-
me que Mgr Piette exprimât au conférencier de chaleureux
remerciements. Cet enthousiasme, avec l’élogieuse recen-
sion du DEVOIR, complétée par la publication en feuilleton
du texte intégral de la conférence, provoqua une onde de
nouvelle ferveur scotiste qui atteignit les séminaires et les
scolasticats, au grand dam de leurs responsables attachés à
l’enseignement de saint Thomas par obéissance aux volon-
tés pontificales.
En effet, Léon XIII avait été formel dans son encyclique
AETERNI PATRIS du 4 août 1879, confirmée par sa lettre au
ministre général des Franciscains de novembre 1898 :
« S’éloigner sans réflexion et témérairement des préceptes
du docteur angélique est contraire à notre volonté et plein
de périls… Ceux qui veulent être vraiment philosophes sont
obligés d’établir les principes et les bases de leur doctrine
sur saint Thomas d’Aquin. » Saint Pie X avait rappelé cette
obligation dans l’encyclique PASCENDI contre le modernis-
me (1907), de même Pie XI dans son encyclique STUDIO-
RUM DUCEM (1923), à l’occasion du sixième centenaire de
la canonisation de saint Thomas.
Des supérieurs et des professeurs s’émurent donc, parmi
eux des jésuites, des dominicains, des prêtres séculiers,
comme le très influent et vénéré Mgr Louis-Adolphe Pa-
quet, de l’Université Laval, et même des évêques, comme
Mgr Ross, de Gaspé. LE DEVOIR subit des pressions pour
arrêter la publication des conférences, comme l’atteste une
note de la rédaction qui rappelait la valeur reconnue du
Père Longpré : « Tous les intellectuels lisent, consultent,
écoutent ce jeune franciscain [il a 37 ans]. C’est pour satis-
faire le goût de plusieurs de nos lecteurs que nous avons
publié par tranches le texte intégral de la conférence. »
Le Père Rodrigue Villeneuve, supérieur du scolasticat
des Oblats de Marie Immaculée à Ottawa, décida de réagir
publiquement. Dans le journal LE DROIT d’Ottawa, il pu-
blia une lettre ouverte le jour me de la seconde confé-
rence du Père à Montréal.
Son argumentation était simple. Il rappelait le canon
RC nº 233 - 2
Le Père Éphrem Longpré et le Père Rodrigue Villeneuve
1366 selon lequel les
professeurs doivent
traiter les études de
philosophie ration-
nelle et de théologie
et former les élèves
« tout à fait selon la
méthode, la doctrine
et les principes du
Docteur angélique,
et qu’ils s’y tiennent
saintement ». Puis,
sur un ton inquisito-
rial, il posait au sa-
vant franciscain une
série de questions
sur saint Thomas
d’Aquin, pour que
ses réponses aident
« à comprendre le sentiment du docte conférencier par rap-
port à la philosophie préconisée par les documents pontifi-
caux » qu’il énumérait.
Un laïc, Hermas Bastien, jeune docteur en philosophie
de l’Université de Montréal, emboîta le pas dans L’ACTION
FRANÇAISE, la revue dirigée par l’abbé Groulx ! À son avis,
« vu la direction disciplinaire de l’Église, il est déplacé de
prétendre que les docteurs franciscains ont dans notre siè-
cle la plus haute mission intellectuelle à remplir. »
La réplique du Père Longpré ne se fit pas attendre, et fut
publiée dans LE DROIT. Il constatait que ses contradicteurs
n’évoquaient même pas le contenu de sa conférence et se
contentaient de lui opposer des directives pontificales sur
l’enseignement de la théologie, alors qu’il n’enseignait pas
la théologie mais exposait les résultats de ses études. Il eut
beau jeu alors d’évoquer les papes qui « ont solennellement
reconnu la liberté des Écoles catholiques », reprenant le
même texte de Pie XI cité par le Père Villeneuve, mais sans
l’amputer de sa fin : « Pour favoriser l’honnête émulation
dans une juste liberté, condition du progrès dans les étu-
des, on évitera d’exiger les uns des autres plus que n’exige
de tous l’Église, mère et maîtresse; et que nul ne soit em-
pêché de suivre l’opinion qui lui paraît la plus probable là
où les Écoles catholiques, les auteurs de meilleure marque
se partagent ordinairement en avis contraires. » Autrement
dit, vous n’avez pas le droit de m’imposer saint Thomas
lorsque je défends saint François d’Assise, saint Bonaven-
ture et Duns Scot.
Dans un long texte, le Père Villeneuve protesta de sa
volonté de mettre fin à la polémique en exposant les motifs
de son attitude : il ne voulait pas que les propos du savant
franciscain viennent appuyer ceux qui pensent que l’Église
s’est abusée au sujet de saint Thomas, ceux qui prétendent
« qu’avant dix ans peut-être saint Thomas aura perdu sa
dictature doctrinale. » Il rappela aussi que Pie XI avait af-
firmé « qu’aucun docteur de l’Église n’inspire aux moder-
nistes et aux ennemis de la Foi catholique autant de terreur
et de crainte que l’Aquinate. »
Les Dominicains prirent le relais de l’attaque. Dans le
BULLETIN DE DROIT CANONIQUE, un grand article montra
l’importance normative absolue du canon 1366, donc du
caractère contraignant et obligatoire de l’adhésion à la phi-
losophie thomiste.
En mars 1928, le Père Villeneuve donna une conférence
spirituelle à l’église des Dominicains d’Ottawa sous le titre
« Saint Thomas, mystique docteur » ; évidemment, cela se
voulait une réponse à ceux qui prétendaient que saint Tho-
mas n’était pas aussi mystique que les auteurs franciscains.
Le mois suivant, Mgr Louis-Adolphe Paquet publiait
dans la REVUE DOMINICAINE un article intitulé « Saint Tho-
mas et les besoins de notre âge », pour répliquer à ceux qui
prétendaient que Duns Scot avait un système théologique
adapté aux questions contemporaines.
Une plainte fut même déposée contre le Père Longpré
au Saint-Office, à Rome. Mais, elle n’eut aucune suite.
Tout cela n’est pas étonnant si on se souvient qu’avant
même les conférences de ce dernier au Québec, le jeune
père franciscain Léonard Puech, qui n’était pas encore le
professeur de théologie recherché qu’il deviendra, avait
reçu de Mgr Bruchési, archevêque de Montréal, après la
publication d’un article il citait Duns Scot, l’ordre de se
taire ou de s’exiler.
La forteresse thomis-
te était donc bien ver-
rouillée au Canada-
français. Une seule ex-
ception : l’ouvrage inti-
tulé « JEAN DUNS SCOT,
UN DOCTEUR DES TEMPS
NOUVEAUX », de Béraud
de Saint-Maurice, paru
en 1944. Béraud de
Saint-Maurice était en
fait un pseudonyme qui
préservait l’anonymat
d’une religieuse ursuline
de Trois-Rivières, sœur Clotilde-Angèle de Jésus. Professeur
d’anglais et de musique, mais passionnée de philosophie,
correspondante du Père Éphrem Longpré, cette religieuse
dut à ses relations familiales de pouvoir oser braver l’inter-
dit. Elle était en effet la fille de Rodolphe Lemieux, une no-
tabilité du Parti libéral, et sa mère était la fille du Lieutenant-
gouverneur général Jetté. Les démarches maternelles obtin-
rent une courte lettre de préface de Mgr Maurault, sulpicien,
et l’indispensable nihil obstat du dominicain Louis-Marie
Régis.
Elle ne craignit pas de contester un propos de Mgr Ro-
drigue Villeneuve, devenu tout-puissant cardinal archevê-
que de Québec, toujours en faveur de l’enseignement ex-
RC nº 233 - 3
Le cardinal Rodrigue Villeneuve
Portrait de sœur Clotilde Lemieux dite Clotil-
de-Angèle de Jésus. Archives du Monas-
tère des Ursulines de Trois-Rivières)
clusif de saint Thomas : « Si on veut signifier “ hors saint
Thomas, point de vérité ! ” écrivit-elle, parce qu’il détien-
drait à lui seul et pour toujours le monopole des sciences
philosophiques et théologiques, nous croirions rendre un
très mauvais service à l’Église, à saint Thomas lui-même,
[…] ainsi qu’à l’avancement de la science catholique en
restreignant ainsi la scolastique médiévale. »
Son ouvrage, quoique moins
scientifique que l’œuvre du Père
Longpré, ne présenta pas moins
une intéressante synthèse de l’œu-
vre du Docteur subtil, surtout dans
le but d’en montrer l’actualité.
Elle était en effet persuadée que
« Duns Scot est appelé à combler
le vide effroyable qui sépare la
pensée chrétienne de la philoso-
phie contemporaine », tout parti-
culièrement l’existentialisme mo-
derne.
« Nous osons même affirmer
que son message, s’il avait été
entendu plus tôt, portait en soi
d’efficaces préventifs contre ces
pestes qui affligèrent si longtemps
l’Église et la société, le jansénis-
me, le gallicanisme, le rationalis-
me, le modernisme et, de nos
jours, le communisme. » Affirma-
tion qu’elle développait dans son
dernier chapitre intitulé « L’Ordre
dans l’amour ».
Mais, pas davantage que son mentor, elle ne réussit à
ébranler la forteresse thomiste au Canada. Les conséquen-
ces furent dramatiques.
En effet, si le thomisme excelle en particulier dans l’a-
nalyse, dans la clarification des questions et donc dans la
détection des erreurs, son substantialisme aristotélicien est
mal adapté à l’individualisme de la pensée moderne, même
s’il est le fondement des sciences modernes. Tout ce qui
caractérise les individus est relégué dans la catégorie des
accidents ”, évidemment d’un intérêt moindre que les
substances. Or, de nos jours, ce qui intéresse, c’est juste-
ment ce qui nous différencie les uns des autres, les raisons
de l’existence, de la pérennité ou au contraire de la caducité
des individus, des sociétés les unes par rapport aux autres,
ce qui fait l’histoire. Autrement dit, la pensée moderne s’in-
téresse davantage à l’explication des différences qu’à la
description des similitudes.
Le scotisme, au contraire, partant non pas du classement
des natures abstraites du réel, mais de l’intuition de l’Être
créateur et de la certitude de sa Révélation, le montre à l’o-
rigine de tout : substances et accidents, comme de notre
liberté. Il est l’Alpha et l’Oméga, la Vérité sur tout être.
Enseigné en vase clos, comme étaient nos collèges clas-
siques, nos séminaires et nos scolasticats, le thomisme pa-
raissait aux professeurs comme aux élèves délivrer toutes
les lumières nécessaires à la société catholique qu’était le
Canada-français d’avant-guerre, dans sa presque totalité.
Mais la crise économique, la guerre, puis l’après-guerre
avec son extraordinaire progrès technique et prospérité,
ainsi que l’irruption de la pensée
philosophique moderne, tout
contribua à ébranler cette certitu-
de. Pour ainsi dire, du jour au len-
demain, le jeune prêtre ou le jeune
gradué était séduit par un monde
nouveau et un questionnement
nouveau auquel ses cours de phi-
losophie ne répondaient plus.
Pour peu que ce jeune prêtre ou
ce jeune gradué soit passé par les
rangs de la JEC qui lui a appris à
« voir, juger, agir», il était vite
persuadé que ses cours de philoso-
phie et de théologie étaient dépas-
sés, qu’il fallait donc trouver un
autre système pour guider son ac-
tion afin de devenir « maîtres chez
nous! », comme disait le slogan de
la Révolution tranquille.
S’il ne relégua pas alors aux
oubliettes le thomisme et la foi
catholique, c’est qu’il trouva une
solution dans « L’HUMANISME IN-
TÉGRAL » de Maritain. Autant le
Père Longpré et son Duns Scot avaient été considérés com-
me la peste et le choléra, autant Jacques Maritain fut ac-
cueilli au Québec à bras ouverts pendant son exil en Améri-
que du Nord durant la guerre. C’est qu’il était thomiste !
Son mauvais génie fut de parer la substance homme d’u-
ne dignité sans égale, en l’élevant au rang de personne
transcendante de par sa ressemblance avec Dieu : la société
devait être à son service et Dieu devait respecter sa liberté.
Cette conception de l’Homme permettait à l’Église de se
réconcilier avec les libéraux, de devenir un mouvement d’a-
nimation spirituelle de la Révolution tranquille ici, et de la
démocratie universelle dans le monde. C’est ce à quoi tra-
vaillèrent le pape Paul VI et le Concile Vatican II, comme
notre Père l’abbé de Nantes les en a accusés, sans contredit.
Mises à part quelques réactions isolées de prêtres et une
critique de Maritain par le professeur Charles De Koninck,
nos catholiques canadiens-français ont suivi docilement et
ont accepté que, du jour au lendemain, la liberté devienne
la règle de toute éducation comme de toute pratique reli-
gieuse, que l’épanouissement individuel en toutes choses
dès ici-bas soit le but de la vie, et que la mocratie soit
l’incontestable panacée à tous les problèmes de société.
RC nº 233 - 4
Portrait de Duns Scot
RC nº 233 - 5
Il aurait pu en être autrement si, formés aussi à l’École
franciscaine, notre clergé et notre élite avaient compris que
la relation avec Dieu n’était pas seulement au sommet de
l’ordre naturel qui, par ailleurs, fonctionnait déjà fort bien
sans Lui, mais qu’il en était l’origine et la fin, qu’il en était
le Roi et que Lui seul donnait un sens à l’histoire comme à
l’existence de chaque être.
Donc, qu’il ne pouvait pas y
avoir de société viable sans le
Christ. « Sans moi, vous ne pou-
vez rien faire. », disait Notre-
Seigneur. C’est la Primauté du
Christ, chère à Duns Scot com-
me à saint Paul.
Après un demi-siècle de libé-
ralisme qui les a anesthésiés
pour le plus grand profit de la
Finance américaine et des sec-
tes, les Canadiens français au-
raient pu retrouver l’élan
conquérant qu’ils avaient sous
l’épiscopat de Mgr Bourget.
Une chose est à remarquer
depuis ces années 1920 : l’ab-
sence totale de grands hommes
d’Église parmi les nationalistes
canadiens-français. Mis à part peut-être Mgr Charbonneau,
le frère Marie-Victorin et le frère Théode, l’ensemble de
l’épiscopat et du clergé a été aveuglé sur l’évolution de la
société. Certains se sont réveillés dans les années 1950,
mais ce fut à la lumière des sciences sociales apprises en
Europe, faussées par le personnalisme quand ce n’était pas
par le marxisme.
En interdisant l’enseignement de Duns Scot au Canada
français, l’Église s’est donc privée d’une source doctrinale
qui lui aurait permis de réagir chrétiennement aux erreurs
modernes et d’échapper à la désorientation.
Le Père Éphrem Longpré avait raison de conclure sa
conférence à Montréal en affirmant : «Si la synthèse de
Duns Scot est une lumière et un itinéraire vers le vrai, dans
la confusion extrême des philosophies contemporaines, si
elle avive l’inquiétude métaphysique et religieuse par ses
intuitions sur l’infini, si enfin, au laïcisme contemporain
des philosophies et des systèmes politiques, elle oppose une
grandiose synthèse où le Christ est l’explication de tout le
réel et où sa royauté universelle est le but des sociétés hu-
maines et de leurs évolutions, de quel droit, Messieurs, se-
ra-t-il permis de la méconnaître et de l’ignorer? »
S’étant permis de « la méconnaître et de l’ignorer » et
même de s’y opposer, le Père Villeneuve et les autres por-
tent une part de la responsabilité du triomphe du laïcisme et
de la mort de la chrétienté canadienne-française.
Un seul théologien contemporain a ignoré Duns Scot, à
cause de sa formation thomiste, mais pour en retrouver tout
l’acquis par son propre génie,
c’est l’abbé de Nantes. Mieux
encore, réalisant la synthèse des
Écoles théologiques fondée sur
l’Écriture sainte qu’appelait de
ses vœux le Père Éphrem Long-
pré, sa métaphysique totale, sa
théologie totale, toute sa doctri-
ne complètent le “ Docteur sub-
til ”, au moins sur trois points.
Il tire toutes les conséquences
de l’Acte créateur qui nous pose
dans l’existence, comprenant
qu’il ne nous définit pas unique-
ment par le don d’une vocation,
mais que celle-ci se précise et se
réalise au sein d’un réseau de
relations, toutes créées par Lui.
Ce sont ces relations qui nous
définissent et non pas unique-
ment « la relation constituante » qui nous crée.
L’abbé de Nantes complète la Primauté du Christ par
celle de l’Immaculée Conception, la première création divi-
ne, donc préexistante à toute l’œuvre créatrice subséquente.
Il donne ainsi un fondement métaphysique à la Co-
rédemption et à la Médiation universelle de la Vierge Ma-
rie. Ainsi s’explique l’importance que Dieu accorde à la
dévotion au Cœur Immaculé, au point que son refus par
l’Église ait pu entraîner la grande apostasie et un châtiment
des nations sans précédent, comme le révéla la Sainte Vier-
ge elle-même à Fatima.
Enfin, notre Père ajoute à Duns Scot un regard histori-
que. Alors que la théologie du franciscain est très concep-
tuelle, notre Père ajoute toujours l’étude de l’histoire, ce
qui nous donne un amour vivant, incarné de l’Église, et
nous fait mieux comprendre la réalisation du dessein de
Dieu, ce qu’il nomme « l’orthodromie divine ».
Il n’y aura de renaissance et d’avenir pour nos nations
catholiques que par une adhésion à cette vérité révélée mais
aussi métaphysique, qui unit Foi et raison pour la plus gran-
de Gloire de Dieu et le triomphe du Christ par le Cœur Im-
maculé de Marie.
LA RENAISSANCE CATHOLIQUE est publiée sur notre site internet : www.crc-canada.net
Abbé Georges de Nantes, docteur mystique de la foi catholique
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