clusif de saint Thomas : « Si on veut signifier “ hors saint
Thomas, point de vérité ! ” écrivit-elle, parce qu’il détien-
drait à lui seul et pour toujours le monopole des sciences
philosophiques et théologiques, nous croirions rendre un
très mauvais service à l’Église, à saint Thomas lui-même,
[…] ainsi qu’à l’avancement de la science catholique en
restreignant ainsi la scolastique médiévale. »
Son ouvrage, quoique moins
scientifique que l’œuvre du Père
Longpré, ne présenta pas moins
une intéressante synthèse de l’œu-
vre du Docteur subtil, surtout dans
le but d’en montrer l’actualité.
Elle était en effet persuadée que
« Duns Scot est appelé à combler
le vide effroyable qui sépare la
pensée chrétienne de la philoso-
phie contemporaine », tout parti-
culièrement l’existentialisme mo-
derne.
« Nous osons même affirmer
que son message, s’il avait été
entendu plus tôt, portait en soi
d’efficaces préventifs contre ces
pestes qui affligèrent si longtemps
l’Église et la société, le jansénis-
me, le gallicanisme, le rationalis-
me, le modernisme et, de nos
jours, le communisme. » Affirma-
tion qu’elle développait dans son
dernier chapitre intitulé « L’Ordre
dans l’amour ».
Mais, pas davantage que son mentor, elle ne réussit à
ébranler la forteresse thomiste au Canada. Les conséquen-
ces furent dramatiques.
En effet, si le thomisme excelle en particulier dans l’a-
nalyse, dans la clarification des questions et donc dans la
détection des erreurs, son substantialisme aristotélicien est
mal adapté à l’individualisme de la pensée moderne, même
s’il est le fondement des sciences modernes. Tout ce qui
caractérise les individus est relégué dans la catégorie des
“ accidents ”, évidemment d’un intérêt moindre que les
substances. Or, de nos jours, ce qui intéresse, c’est juste-
ment ce qui nous différencie les uns des autres, les raisons
de l’existence, de la pérennité ou au contraire de la caducité
des individus, des sociétés les unes par rapport aux autres,
ce qui fait l’histoire. Autrement dit, la pensée moderne s’in-
téresse davantage à l’explication des différences qu’à la
description des similitudes.
Le scotisme, au contraire, partant non pas du classement
des natures abstraites du réel, mais de l’intuition de l’Être
créateur et de la certitude de sa Révélation, le montre à l’o-
rigine de tout : substances et accidents, comme de notre
liberté. Il est l’Alpha et l’Oméga, la Vérité sur tout être.
Enseigné en vase clos, comme étaient nos collèges clas-
siques, nos séminaires et nos scolasticats, le thomisme pa-
raissait aux professeurs comme aux élèves délivrer toutes
les lumières nécessaires à la société catholique qu’était le
Canada-français d’avant-guerre, dans sa presque totalité.
Mais la crise économique, la guerre, puis l’après-guerre
avec son extraordinaire progrès technique et prospérité,
ainsi que l’irruption de la pensée
philosophique moderne, tout
contribua à ébranler cette certitu-
de. Pour ainsi dire, du jour au len-
demain, le jeune prêtre ou le jeune
gradué était séduit par un monde
nouveau et un questionnement
nouveau auquel ses cours de phi-
losophie ne répondaient plus.
Pour peu que ce jeune prêtre ou
ce jeune gradué soit passé par les
rangs de la JEC qui lui a appris à
« voir, juger, agir », il était vite
persuadé que ses cours de philoso-
phie et de théologie étaient dépas-
sés, qu’il fallait donc trouver un
autre système pour guider son ac-
tion afin de devenir « maîtres chez
nous ! », comme disait le slogan de
la Révolution tranquille.
S’il ne relégua pas alors aux
oubliettes le thomisme et la foi
catholique, c’est qu’il trouva une
solution dans « L’HUMANISME IN-
TÉGRAL » de Maritain. Autant le
Père Longpré et son Duns Scot avaient été considérés com-
me la peste et le choléra, autant Jacques Maritain fut ac-
cueilli au Québec à bras ouverts pendant son exil en Améri-
que du Nord durant la guerre. C’est qu’il était thomiste !
Son mauvais génie fut de parer la substance homme d’u-
ne dignité sans égale, en l’élevant au rang de personne
transcendante de par sa ressemblance avec Dieu : la société
devait être à son service et Dieu devait respecter sa liberté.
Cette conception de l’Homme permettait à l’Église de se
réconcilier avec les libéraux, de devenir un mouvement d’a-
nimation spirituelle de la Révolution tranquille ici, et de la
démocratie universelle dans le monde. C’est ce à quoi tra-
vaillèrent le pape Paul VI et le Concile Vatican II, comme
notre Père l’abbé de Nantes les en a accusés, sans contredit.
Mises à part quelques réactions isolées de prêtres et une
critique de Maritain par le professeur Charles De Koninck,
nos catholiques canadiens-français ont suivi docilement et
ont accepté que, du jour au lendemain, la liberté devienne
la règle de toute éducation comme de toute pratique reli-
gieuse, que l’épanouissement individuel en toutes choses
dès ici-bas soit le but de la vie, et que la démocratie soit
l’incontestable panacée à tous les problèmes de société.
RC nº 233 - 4
Portrait de Duns Scot