N° 233 - La Renaissance catholique au Canada

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Bulletin de la Communion Phalangiste au Canada
LA RENAISSANCE CATHOLIQUE
Nº 233
Rédaction : Maison Sainte-Thérèse
Décembre 2015
UNE POLÉMIQUE AUX FUNESTES CONSÉQUENCES :
DUNS SCOT, INTERDIT AU CANADA-FRANÇAIS !
A
PRÈS avoir étudié la vie et l’œuvre du
Père Éphrem Longpré, revenons sur un
épisode qui lui laissa un souvenir amer et,
surtout, qui eut de graves conséquences
pour le Canada-français : la polémique
suscitée par sa tournée de conférences
sur l’École franciscaine et, tout particulièrement, sur Duns Scot.
C’est à la fin de l’été 1927 que
le savant médiéviste franciscain
revint au pays, qu’il avait quitté
précipitamment dix ans auparavant sur l’ordre de ses supérieurs,
pour se rendre à Rome. Son intention était de profiter de sa famille
et de prendre un légitime repos.
Mais ses confrères et de nombreux amis ne l’entendaient pas
ainsi. Ils étaient fiers de la renommée qui était déjà la sienne ; l’année
précédente, sur la recommandation
pressante et argumentée d’Édouard
Montpetit, l’ACJC lui avait décerné son
prix « d’action intellectuelle en philosophie ». Quant à ses frères franciscains canadiens, ils adhérèrent vite au renouveau scotiste dont
il fut la cheville ouvrière. Même son ancien maître des novices, le Père Raymond Sifantus, qui, entre autres persécutions, s’était moqué de son attrait pour la mystique, est
maintenant devenu scotiste.
De son côté, le Père Longpré n’avait rien renié de son
ardeur nationaliste. Il avait toujours suivi, même de loin, le
progrès du nationalisme canadien-français auquel les Franciscains concouraient, comme il s’intéressait aux mouvements nationalistes en Europe, notamment à l’ACTION
FRANÇAISE de Charles Maurras. Il était donc convaincu de
l’importance de la doctrine de Duns Scot pour la défense de
la société chrétienne, tout particulièrement de la chrétienté
canadienne-française, déjà attaquée par un demi-siècle de
libéralisme, mais encore bien vivante.
Aussi n’eut-on pas besoin d’insister longtemps pour
qu’il accepte le projet de donner un cycle de conférences
aux étudiants de l’Université Laval et à ceux de
l’Université de Montréal. Toutefois, les organisateurs se heurtèrent à un refus inattendu
de la part des autorités : il n’était pas
question d’enseigner dans ces établissements autre chose, en philosophie et
en théologie, que saint Thomas d’Aquin, et surtout pas celui qui passait
pour son adversaire, le père du volontarisme et du nominalisme, qui
aurait préparé les voies à Luther !
Ils eurent beau arguer que le
Père venait de donner un cours de
philosophie scotiste dans les premiers mois de cette année 1927 à
l’Université catholique de Milan,
que le pape Pie XI, alors régnant,
accordait son estime au conférencier, ce fut en vain. Ils eurent beau
rappeler les propos de l’éminent
médiéviste français Étienne Gilson,
l’année précédente, à l’Institut médiéval des Dominicains de Montréal : « Je
ne connais pas actuellement de plus grand
médiéviste que votre compatriote, le Père
Éphrem Longpré. » Ou sa déclaration à l’institut
médiéval de Toronto : « Quand Éphrem Longpré parle,
toute l’Europe écoute. » Rien n’y fit : les autorités universitaires furent intraitables, au point de refuser même la location d’une salle dans leurs locaux.
Plutôt que d’abandonner leur projet, dont ils mesuraient
l’importance, les organisateurs décidèrent de louer des salles publiques et d’organiser cinq conférences. La première
à Trois-Rivières, le « diocèse le plus franciscain du monde » à cause de ses nombreux tertiaires, aurait pour thème
« La royauté du Christ chez les grands docteurs franciscains ». La deuxième à Québec évoquerait « L’École franciscaine du XIIIe siècle ». C’est à Montréal que le Père
Éphrem exposerait « La mission doctrinale de Duns Scot ».
Puis à Toronto, public anglophone oblige, il parlerait de :
« Thomas d’York, la première somme métaphysique du
moyen-âge ». Enfin, il conclurait à Montréal sur « La pensée franciscaine au XIIIe siècle ».
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Chaque réunion fut soigneusement annoncée. Les journaux locaux leur faisaient largement écho et donnaient de larges extraits de la
conférence. LE DEVOIR de Montréal, auquel
pratiquement tous les presbytères, les couvents et les institutions religieuses étaient
abonnés, les publiait intégralement.
C’est la troisième conférence, donnée dans
la grande salle de la Bibliothèque SaintSulpice à Montréal, qui va provoquer la polémique. Mgr Piette, recteur de l’Université de
Montréal, y assistait, ainsi que tout le gratin
nationaliste montréalais, au premier rang duquel l’abbé Lionel Groulx, le chanoine Perrier, le Père Archambault.
Se sachant tout de même en terrain miné,
le Père Éphrem Longpré ne prononça pas une
seule fois le nom de saint Thomas, car il ne
voulait pas faire de polémique. Son but était de laver Duns
Scot des calomnies qui ternissaient sa réputation et faisaient dédaigner sa doctrine malgré son grand intérêt et son
actualité. Deux phrases résument parfaitement sa pensée :
« Duns Scot avait compris, dit-il, que la pensée médiévale se devait à elle-même non pas seulement de réfuter
disjointement des erreurs ou même de coudre à tous les
enseignements de l’Écriture, la philosophie d’Aristote [ce
que saint Thomas d’Aquin fit excellemment] mais surtout
d’organiser, dans la pleine lumière du Christ, par-dessus
et contre les métaphysiques du Stagirite [Aristote] et de
l’Islam [c’est le penseur musulman Averroès qui fit connaître à l’Occident les œuvres d’Aristote, au XIIIe siècle], une
synthèse intégralement chrétienne qui fît face à tous les
dangers. »
Il acheva sa conférence par ces mots : « Toute cette philosophie, Messieurs, n’est peut-être pas celle qui dissèque
les essences et analyse les concepts transcendantaux ou
s’authentifie par un texte d’Aristote ou de Platon, mais elle
constitue en définitive le plus haut sommet d’une métaphysique pleinement chrétienne. Réponse fière aussi, Messieurs, aux averroïstes et aux rationalistes de Paris et qu’il
ne serait pas moins opportun d’opposer aujourd’hui aux
concepts vides des philosophies laïcisées ou neutres. […]
En réclamant pour Duns Scot le champ d’action auquel il a
droit, l’idéal qui nous inspire n’est pas autre que d’ouvrir
toutes larges des voies vers l’apaisement final dans la vérité de la métaphysique chrétienne. Comme le prouve votre
extrême bienveillance, Messieurs, il n’en est point parmi
vous qui ne permettront au bienheureux Duns Scot de
continuer à notre époque la mission doctrinale qui fut la
raison de sa pensée et demeure la plus grande gloire de
son génie. »
Tonnerre d’applaudissements, tout particulièrement des
jeunes qui assistaient nombreux à la conférence, avant même que Mgr Piette exprimât au conférencier de chaleureux
Le Père Éphrem Longpré et le Père Rodrigue Villeneuve
remerciements. Cet enthousiasme, avec l’élogieuse recension du DEVOIR, complétée par la publication en feuilleton
du texte intégral de la conférence, provoqua une onde de
nouvelle ferveur scotiste qui atteignit les séminaires et les
scolasticats, au grand dam de leurs responsables attachés à
l’enseignement de saint Thomas par obéissance aux volontés pontificales.
En effet, Léon XIII avait été formel dans son encyclique
AETERNI PATRIS du 4 août 1879, confirmée par sa lettre au
ministre général des Franciscains de novembre 1898 :
« S’éloigner sans réflexion et témérairement des préceptes
du docteur angélique est contraire à notre volonté et plein
de périls… Ceux qui veulent être vraiment philosophes sont
obligés d’établir les principes et les bases de leur doctrine
sur saint Thomas d’Aquin. » Saint Pie X avait rappelé cette
obligation dans l’encyclique PASCENDI contre le modernisme (1907), de même Pie XI dans son encyclique STUDIORUM DUCEM (1923), à l’occasion du sixième centenaire de
la canonisation de saint Thomas.
Des supérieurs et des professeurs s’émurent donc, parmi
eux des jésuites, des dominicains, des prêtres séculiers,
comme le très influent et vénéré Mgr Louis-Adolphe Paquet, de l’Université Laval, et même des évêques, comme
Mgr Ross, de Gaspé. LE DEVOIR subit des pressions pour
arrêter la publication des conférences, comme l’atteste une
note de la rédaction qui rappelait la valeur reconnue du
Père Longpré : « Tous les intellectuels lisent, consultent,
écoutent ce jeune franciscain [il a 37 ans]. C’est pour satisfaire le goût de plusieurs de nos lecteurs que nous avons
publié par tranches le texte intégral de la conférence. »
Le Père Rodrigue Villeneuve, supérieur du scolasticat
des Oblats de Marie Immaculée à Ottawa, décida de réagir
publiquement. Dans le journal LE DROIT d’Ottawa, il publia une lettre ouverte le jour même de la seconde conférence du Père à Montréal.
Son argumentation était simple. Il rappelait le canon
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1366 selon lequel les
professeurs doivent
traiter les études de
philosophie rationnelle et de théologie
et former les élèves
« tout à fait selon la
méthode, la doctrine
et les principes du
Docteur angélique,
et qu’ils s’y tiennent
saintement ». Puis,
sur un ton inquisitorial, il posait au savant franciscain une
série de questions
sur saint Thomas
d’Aquin, pour que
Le cardinal Rodrigue Villeneuve
ses réponses aident
« à comprendre le sentiment du docte conférencier par rapport à la philosophie préconisée par les documents pontificaux » qu’il énumérait.
Un laïc, Hermas Bastien, jeune docteur en philosophie
de l’Université de Montréal, emboîta le pas dans L’ACTION
FRANÇAISE, la revue dirigée par l’abbé Groulx ! À son avis,
« vu la direction disciplinaire de l’Église, il est déplacé de
prétendre que les docteurs franciscains ont dans notre siècle la plus haute mission intellectuelle à remplir. »
La réplique du Père Longpré ne se fit pas attendre, et fut
publiée dans LE DROIT. Il constatait que ses contradicteurs
n’évoquaient même pas le contenu de sa conférence et se
contentaient de lui opposer des directives pontificales sur
l’enseignement de la théologie, alors qu’il n’enseignait pas
la théologie mais exposait les résultats de ses études. Il eut
beau jeu alors d’évoquer les papes qui « ont solennellement
reconnu la liberté des Écoles catholiques », reprenant le
même texte de Pie XI cité par le Père Villeneuve, mais sans
l’amputer de sa fin : « Pour favoriser l’honnête émulation
dans une juste liberté, condition du progrès dans les études, on évitera d’exiger les uns des autres plus que n’exige
de tous l’Église, mère et maîtresse ; et que nul ne soit empêché de suivre l’opinion qui lui paraît la plus probable là
où les Écoles catholiques, les auteurs de meilleure marque
se partagent ordinairement en avis contraires. » Autrement
dit, vous n’avez pas le droit de m’imposer saint Thomas
lorsque je défends saint François d’Assise, saint Bonaventure et Duns Scot.
Dans un long texte, le Père Villeneuve protesta de sa
volonté de mettre fin à la polémique en exposant les motifs
de son attitude : il ne voulait pas que les propos du savant
franciscain viennent appuyer ceux qui pensent que l’Église
s’est abusée au sujet de saint Thomas, ceux qui prétendent
« qu’avant dix ans peut-être saint Thomas aura perdu sa
dictature doctrinale. » Il rappela aussi que Pie XI avait affirmé « qu’aucun docteur de l’Église n’inspire aux moder-
nistes et aux ennemis de la Foi catholique autant de terreur
et de crainte que l’Aquinate. »
Les Dominicains prirent le relais de l’attaque. Dans le
BULLETIN DE DROIT CANONIQUE, un grand article démontra
l’importance normative absolue du canon 1366, donc du
caractère contraignant et obligatoire de l’adhésion à la philosophie thomiste.
En mars 1928, le Père Villeneuve donna une conférence
spirituelle à l’église des Dominicains d’Ottawa sous le titre
« Saint Thomas, mystique docteur » ; évidemment, cela se
voulait une réponse à ceux qui prétendaient que saint Thomas n’était pas aussi mystique que les auteurs franciscains.
Le mois suivant, Mgr Louis-Adolphe Paquet publiait
dans la REVUE DOMINICAINE un article intitulé « Saint Thomas et les besoins de notre âge », pour répliquer à ceux qui
prétendaient que Duns Scot avait un système théologique
adapté aux questions contemporaines.
Une plainte fut même déposée contre le Père Longpré
au Saint-Office, à Rome. Mais, elle n’eut aucune suite.
Tout cela n’est pas étonnant si on se souvient qu’avant
même les conférences de ce dernier au Québec, le jeune
père franciscain Léonard Puech, qui n’était pas encore le
professeur de théologie recherché qu’il deviendra, avait
reçu de Mgr Bruchési, archevêque de Montréal, après la
publication d’un article où il citait Duns Scot, l’ordre de se
taire ou de s’exiler.
La forteresse thomiste était donc bien verrouillée au Canadafrançais. Une seule exception : l’ouvrage intitulé « JEAN DUNS SCOT,
UN DOCTEUR DES TEMPS
NOUVEAUX », de Béraud
de Saint-Maurice, paru
en 1944. Béraud de
Saint-Maurice était en
fait un pseudonyme qui
Portrait de sœur Clotilde Lemieux dite Clotilpréservait l’anonymat de-Angèle de Jésus. (© Archives du Monasd’une religieuse ursuline tère des Ursulines de Trois-Rivières)
de Trois-Rivières, sœur Clotilde-Angèle de Jésus. Professeur
d’anglais et de musique, mais passionnée de philosophie,
correspondante du Père Éphrem Longpré, cette religieuse
dut à ses relations familiales de pouvoir oser braver l’interdit. Elle était en effet la fille de Rodolphe Lemieux, une notabilité du Parti libéral, et sa mère était la fille du Lieutenantgouverneur général Jetté. Les démarches maternelles obtinrent une courte lettre de préface de Mgr Maurault, sulpicien,
et l’indispensable nihil obstat du dominicain Louis-Marie
Régis.
Elle ne craignit pas de contester un propos de Mgr Rodrigue Villeneuve, devenu tout-puissant cardinal archevêque de Québec, toujours en faveur de l’enseignement ex-
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clusif de saint Thomas : « Si on veut signifier “ hors saint
Thomas, point de vérité ! ” écrivit-elle, parce qu’il détiendrait à lui seul et pour toujours le monopole des sciences
philosophiques et théologiques, nous croirions rendre un
très mauvais service à l’Église, à saint Thomas lui-même,
[…] ainsi qu’à l’avancement de la science catholique en
restreignant ainsi la scolastique médiévale. »
Son ouvrage, quoique moins
scientifique que l’œuvre du Père
Longpré, ne présenta pas moins
une intéressante synthèse de l’œuvre du Docteur subtil, surtout dans
le but d’en montrer l’actualité.
Elle était en effet persuadée que
« Duns Scot est appelé à combler
le vide effroyable qui sépare la
pensée chrétienne de la philosophie contemporaine », tout particulièrement l’existentialisme moderne.
« Nous osons même affirmer
que son message, s’il avait été
entendu plus tôt, portait en soi
d’efficaces préventifs contre ces
pestes qui affligèrent si longtemps
l’Église et la société, le jansénisme, le gallicanisme, le rationalisme, le modernisme et, de nos
jours, le communisme. » Affirmation qu’elle développait dans son
dernier chapitre intitulé « L’Ordre
dans l’amour ».
Enseigné en vase clos, comme étaient nos collèges classiques, nos séminaires et nos scolasticats, le thomisme paraissait aux professeurs comme aux élèves délivrer toutes
les lumières nécessaires à la société catholique qu’était le
Canada-français d’avant-guerre, dans sa presque totalité.
Mais la crise économique, la guerre, puis l’après-guerre
avec son extraordinaire progrès technique et prospérité,
ainsi que l’irruption de la pensée
philosophique moderne, tout
contribua à ébranler cette certitude. Pour ainsi dire, du jour au lendemain, le jeune prêtre ou le jeune
gradué était séduit par un monde
nouveau et un questionnement
nouveau auquel ses cours de philosophie ne répondaient plus.
Pour peu que ce jeune prêtre ou
ce jeune gradué soit passé par les
rangs de la JEC qui lui a appris à
« voir, juger, agir », il était vite
persuadé que ses cours de philosophie et de théologie étaient dépassés, qu’il fallait donc trouver un
autre système pour guider son action afin de devenir « maîtres chez
nous ! », comme disait le slogan de
la Révolution tranquille.
S’il ne relégua pas alors aux
oubliettes le thomisme et la foi
catholique, c’est qu’il trouva une
solution dans « L’HUMANISME INPortrait de Duns Scot
TÉGRAL » de Maritain. Autant le
Mais, pas davantage que son mentor, elle ne réussit à Père Longpré et son Duns Scot avaient été considérés comébranler la forteresse thomiste au Canada. Les conséquen- me la peste et le choléra, autant Jacques Maritain fut acces furent dramatiques.
cueilli au Québec à bras ouverts pendant son exil en Amérique du Nord durant la guerre. C’est qu’il était thomiste !
En effet, si le thomisme excelle en particulier dans l’analyse, dans la clarification des questions et donc dans la
Son mauvais génie fut de parer la substance homme d’udétection des erreurs, son substantialisme aristotélicien est ne dignité sans égale, en l’élevant au rang de personne
mal adapté à l’individualisme de la pensée moderne, même transcendante de par sa ressemblance avec Dieu : la société
s’il est le fondement des sciences modernes. Tout ce qui devait être à son service et Dieu devait respecter sa liberté.
caractérise les individus est relégué dans la catégorie des Cette conception de l’Homme permettait à l’Église de se
“ accidents ”, évidemment d’un intérêt moindre que les réconcilier avec les libéraux, de devenir un mouvement d’asubstances. Or, de nos jours, ce qui intéresse, c’est juste- nimation spirituelle de la Révolution tranquille ici, et de la
ment ce qui nous différencie les uns des autres, les raisons démocratie universelle dans le monde. C’est ce à quoi trade l’existence, de la pérennité ou au contraire de la caducité vaillèrent le pape Paul VI et le Concile Vatican II, comme
des individus, des sociétés les unes par rapport aux autres, notre Père l’abbé de Nantes les en a accusés, sans contredit.
ce qui fait l’histoire. Autrement dit, la pensée moderne s’inMises à part quelques réactions isolées de prêtres et une
téresse davantage à l’explication des différences qu’à la
critique
de Maritain par le professeur Charles De Koninck,
description des similitudes.
nos catholiques canadiens-français ont suivi docilement et
Le scotisme, au contraire, partant non pas du classement ont accepté que, du jour au lendemain, la liberté devienne
des natures abstraites du réel, mais de l’intuition de l’Être la règle de toute éducation comme de toute pratique relicréateur et de la certitude de sa Révélation, le montre à l’o- gieuse, que l’épanouissement individuel en toutes choses
rigine de tout : substances et accidents, comme de notre dès ici-bas soit le but de la vie, et que la démocratie soit
l’incontestable panacée à tous les problèmes de société.
liberté. Il est l’Alpha et l’Oméga, la Vérité sur tout être.
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Il aurait pu en être autrement si, formés aussi à l’École même de s’y opposer, le Père Villeneuve et les autres porfranciscaine, notre clergé et notre élite avaient compris que tent une part de la responsabilité du triomphe du laïcisme et
la relation avec Dieu n’était pas seulement au sommet de de la mort de la chrétienté canadienne-française.
l’ordre naturel qui, par ailleurs, fonctionnait déjà fort bien
Un seul théologien contemporain a ignoré Duns Scot, à
sans Lui, mais qu’il en était l’origine et la fin, qu’il en était
le Roi et que Lui seul donnait un sens à l’histoire comme à cause de sa formation thomiste, mais pour en retrouver tout
l’acquis par son propre génie,
l’existence de chaque être.
c’est l’abbé de Nantes. Mieux
Donc, qu’il ne pouvait pas y
encore, réalisant la synthèse des
avoir de société viable sans le
Écoles théologiques fondée sur
Christ. « Sans moi, vous ne poul’Écriture sainte qu’appelait de
vez rien faire. », disait Notreses vœux le Père Éphrem LongSeigneur. C’est la Primauté du
pré, sa métaphysique totale, sa
Christ, chère à Duns Scot comthéologie totale, toute sa doctrime à saint Paul.
ne complètent le “ Docteur subAprès un demi-siècle de libétil ”, au moins sur trois points.
ralisme qui les a anesthésiés
pour le plus grand profit de la
Il tire toutes les conséquences
Finance américaine et des secde l’Acte créateur qui nous pose
tes, les Canadiens français audans l’existence, comprenant
raient pu retrouver l’élan
qu’il ne nous définit pas uniqueconquérant qu’ils avaient sous
ment par le don d’une vocation,
l’épiscopat de Mgr Bourget.
mais que celle-ci se précise et se
réalise au sein d’un réseau de
Une chose est à remarquer
relations, toutes créées par Lui.
depuis ces années 1920 : l’abCe sont ces relations qui nous
sence totale de grands hommes
d’Église parmi les nationalistes Abbé Georges de Nantes, docteur mystique de la foi catholique définissent et non pas uniquecanadiens-français. Mis à part peut-être Mgr Charbonneau, ment « la relation constituante » qui nous crée.
le frère Marie-Victorin et le frère Théode, l’ensemble de
L’abbé de Nantes complète la Primauté du Christ par
l’épiscopat et du clergé a été aveuglé sur l’évolution de la
celle
de l’Immaculée Conception, la première création divisociété. Certains se sont réveillés dans les années 1950,
mais ce fut à la lumière des sciences sociales apprises en ne, donc préexistante à toute l’œuvre créatrice subséquente.
Europe, faussées par le personnalisme quand ce n’était pas Il donne ainsi un fondement métaphysique à la Corédemption et à la Médiation universelle de la Vierge Mapar le marxisme.
rie. Ainsi s’explique l’importance que Dieu accorde à la
En interdisant l’enseignement de Duns Scot au Canada
dévotion au Cœur Immaculé, au point que son refus par
français, l’Église s’est donc privée d’une source doctrinale
l’Église ait pu entraîner la grande apostasie et un châtiment
qui lui aurait permis de réagir chrétiennement aux erreurs
des nations sans précédent, comme le révéla la Sainte Viermodernes et d’échapper à la désorientation.
ge elle-même à Fatima.
Le Père Éphrem Longpré avait raison de conclure sa
Enfin, notre Père ajoute à Duns Scot un regard historiconférence à Montréal en affirmant : « Si la synthèse de
que.
Alors que la théologie du franciscain est très concepDuns Scot est une lumière et un itinéraire vers le vrai, dans
la confusion extrême des philosophies contemporaines, si tuelle, notre Père ajoute toujours l’étude de l’histoire, ce
elle avive l’inquiétude métaphysique et religieuse par ses qui nous donne un amour vivant, incarné de l’Église, et
intuitions sur l’infini, si enfin, au laïcisme contemporain nous fait mieux comprendre la réalisation du dessein de
des philosophies et des systèmes politiques, elle oppose une Dieu, ce qu’il nomme « l’orthodromie divine ».
grandiose synthèse où le Christ est l’explication de tout le
Il n’y aura de renaissance et d’avenir pour nos nations
réel et où sa royauté universelle est le but des sociétés hu- catholiques que par une adhésion à cette vérité révélée mais
maines et de leurs évolutions, de quel droit, Messieurs, se- aussi métaphysique, qui unit Foi et raison pour la plus granra-t-il permis de la méconnaître et de l’ignorer ? »
de Gloire de Dieu et le triomphe du Christ par le Cœur ImS’étant permis de « la méconnaître et de l’ignorer » et maculé de Marie.
LA RENAISSANCE CATHOLIQUE est publiée sur notre site internet : www.crc-canada.net
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