I faudrait appeler petit rationalisme celui qu`on professait

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Le 17éme siècle est ce moment privilég la connaissance de la nature et la
métaphysique ont cru trouver un fondement commun. Il a créé la science de la
nature et na pourtant pas fait de l’objet de science le canon de l’ontologie. Il admet
qu’une philosophie surplombe la science, sans être pour elle une rivale. L’objet de
science est un aspect ou un degré de lEtre; il est justifié à sa place, peut-être même
est-ce par lui que nous apprenons à connaître le pouvoir de la raison. Mais ce pouvoir
ne s’épuise pas en lui. De différentes façons, Descartes, Spinoza, Leibniz, Malebranche,
sous la chaîne des relations causales, reconnaissent un autre type d’être, qui la sous-
tend sans la rompre. L’Etre n’est pas rabattu en entier ou aplati sur le plan de l’Etre
extérieur. Il y a aussi l’être du sujet ou de l’âme, et l’être de ses ies, et les relations
des ies entre elles, le rapport interne de véri, et cet univers-là est aussi grand que
l’autre, ou plutôt il l’enveloppe (…) Tous les problèmes qu’une ontologie scientiste
supprimera en s’installant sans critique dans l’être extérieur comme milieu universel, la
philosophie du 17éme siècle ne cesse, au contraire, de les poser. Comment comprendre
que l’esprit agisse sur le corps et le corps sur l’esprit, et même le corps sur le corps, ou
l’esprit sur l’autre esprit ou sur lui-même puisque enfin, si rigoureuse que soit la
connexion des choses particulières en nous et hors de nous, aucune d’elles n’est jamais à
tous égards cause suffisante de ce qui sort d’elle? D’où vient la cohésion du tout? (…)
Cet accord extraordinaire de lextérieur et de lintérieur nest possible que par la
médiation dun
infini positif,
ou infiniment infini (puisque toute restriction à un
certain genre dinfinité serait un germe de négation). C’est en lui que communiquent
ou que se soudent l’une sur l’autre l’existence effective des choses
partes extra partes
et
l’étendue pensée par nous qui, au contraire, est continue et infinie. S’il y a, au
centre et comme au noyau de lEtre, un infiniment infini, tout être partiel directement
ou indirectement le présuppose, et en retour y est réellement ou éminemment
contenu. Tout ce que nous pouvons avoir de rapports avec lEtre doit y être
simultanément fondé. Dabord notre idée de la vérité, qui justement nous a menés
à linfini et ne peut donc être remise en cause par lui. Ensuite toutes les notions vives
et confuses que les sens nous donnent des choses existantes. Si divers que puissent être
ces deux genres de connaissance, il faut qu’ils aient une seule origine, et que même le
monde sensible, discontinu, partiel et muti, se comprenne finalement, à partir de
notre organisation corporelle, comme cas particulier des relations intérieures dont est
fait l’espace intelligible.
Lidée de linfini positif est donc le secret du grand rationalisme, et il ne durera
qu’autant qu’elle restera en vigueur.
Descartes avait entrevu dans un éclair la possibilid’une pensée négative. Il avait
décrit lesprit comme un être qui nest
ni
une matière subtile,
ni
un souffle, ni
aucune chose existante, et demeure lui-même en l’absence de toute certitude positive.
Il avait mesuré du regard ce pouvoir de faire et de ne pas faire, qui, disait-il, ne
comporte pas de degré, qui donc est infini dans lhomme comme en Dieu, et infini
de négation, puisque, dans une liberté qui est de ne pas faire aussi bien que de faire, la
position ne pourra jamais être que négation niée. Cest par là que Descartes est plus
moderne que les cartésiens, qu’il anticipe les philosophies de la subjectivité et du négatif.
Mais ce nest là, chez lui, quun début, et il dépasse la négativité sans retour quand
il énonce enfin que l’idée de l’infini précède en lui celle du fini, et que toute pensée
négative est une ombre dans cette lumière. (…) Jamais, dans la suite, on ne
retrouvera cet accord de la philosophie et de la science, cette aisance à dépasser la
science sans la détruire, à limiter la métaphysique sans l’exclure. Qu’on ne voie pas de
nostalgie dans ces mots. Sinon celle, paresseuse, dun temps où l’univers mental
nétait pas déchiré, et où le même homme pouvait, sans concessions ni artifice, se
vouer à la philosophie, à la science (et, s’il le souhaitait, à la théologie). Mais cette paix,
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cette indivision ne pouvaient durer qu’autant quon restait à lentrée des trois chemins.
Ce qui nous sépare du 17éme siècle, ce n’est pas une cadence, c’est un progrès de
conscience et d’expérience. Les siècles suivants ont appris que l’accord de nos pensées
évidentes et du monde existant n’est pas si immédiat, qu’il n’est jamais sans appel, que
nos évidences ne peuvent jamais se flatter de régir dans la suite tout le développement
du savoir, que les conséquences refluent sur les principes, quil faut nous préparer à
refondre jusqu’aux notions que nous pouvions croire premières, que la vérité ne
s’obtient pas par composition en allant du simple au complexe et de l’essence aux
propriétés, que nous ne pouvons ni ne pourrons nous installer au centre des êtres
physiques et même mathématiques, qu’il faut les inspecter en tâtonnant, du dehors, les
aborder par procédés obliques, les interroger comme des personnes. La conviction
même de saisir dans l’évidence intérieure les principes selon lesquels un entendement
infini a conçu ou conçoit le monde, qui avait soutenu l’entreprise des cartésiens et
avait paru longtemps justifiée par les progrès de la science cartésienne, un moment est
venu elle a cessé d’être un stimulant du savoir pour devenir la menace d’une nouvelle
scolastique. Il fallait bien alors revenir sur les principes, les ramener au rang
didéalisations, justifiées tant qu’elles animent la recherche, disqualifiées quand elles la
paralysent; apprendre à mesurer notre pensée sur cette existence qui, devait dire Kant,
n’est pas un prédicat, remonter, pour le dépasser, aux origines du cartésianisme,
retrouver la leçon de cet acte créateur qui avait institué, avec lui, une longue riode de
pensée féconde, mais qui avait épuisé sa vertu dans le pseudo-cartésianisme des
épigones, et exigeait désormais lui-même d’être recommencé.
(Merleau, Eloge de la philosophie, le grand rationalisme)
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