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amérindien, nous devrions dire « impansable pour les autres », particulièrement pour les jeunes filles
qui deviennent souvent la cible de la violence des pères. Kaës évoque l’idée d’une co-production
traumatique affectant l’ensemble de l’espace psychique partagé par une famille et éventuellement par
toute une communauté. Il ne s’agit pas, pour chaque relance traumatique, d’un simple ajout, mais d’un
renvoi dénégateur en miroir d’une immensité parfois abyssale. Autrement dit, la violence et la
souffrance qu’elle réveille chez l’un, par défaut d’être justement contenues, élaborées et intégrées, sont
indéfiniment renvoyées d’un sujet à un autre, comme une balle folle, rebondissante, meurtrissante, que
personne n’est en mesure de garder, d’abriter pour en guérir.
Le phénomène de la co-production traumatique en tant qu’horizon pour penser l’inceste est à
son comble et repérable comme tel dans les communautés autochtones, notamment lors d’épisodes de
crises répétées, provoqués par des suicides en rafale, alors que les intervenants des services sociaux
appellent à l’aide faute de ne plus pouvoir contenir la souffrance, ni répondre à la demande d’aide
intrapsychique de la communauté. Le psychanalyste dirait que nous sommes ici confrontés à une
situation dans laquelle on peut penser que narcissisme et pulsion de mort sont antagonisés.
L’anthropologue ajouterait que les repères symboliques et éthiques servant d’étayage à la fonction de
paternité s’affolent et se brouillent : dans le cas d’un bouleversement radical du champ culturel comme
celui qui a affecté les sociétés amérindiennes, c’est d’abord la figure du père qui se révèle la plus
fragile ou qui tend à prendre le bord ; la maternité est bien sûr elle-aussi l’objet d’un glissement des
repères de certitude mais sans être aussi profondément affectée dans ses fondements. Le sort de la
fonction paternelle se révèle être prisonnier de la violence structurelle qui a historiquement déstructuré
en profondeur les nations amérindiennes.
Alors que l’on assiste à une croissance démographique significative dans les communautés
autochtones, les chercheurs remarquent une augmentation importante du nombre de foyers
autochtones dans lesquels la mère s’acquitte seule de l’ensemble des fonctions parentales ; on trouve
aussi un nombre grandissant de jeunes mères célibataires, ce qui aggrave la problématique de la non-
reconnaissance de la paternité par les enfants ; enfin, les enfants d’une même mère sont souvent de
plusieurs pères, ce qui contribue à amplifier la reconfiguration de la figure paternelle dans les familles
autochtones (Affaires Indiennes et du Nord Canadien, 1985-1999). Ces faits révèlent non seulement la
fragilité au sein des couples et dans les relations familiales mais aussi l’existence d’un écart
grandissant entre jeunes hommes et jeunes femmes au niveau des relations amoureuses et familiales.
Les repères traditionnels de la filiation sont subvertis, les questions que les enfants se posent au sujet
de leur origine sont reformulées dans un cadre qui mélange souvent le réel, le symbolique et
l’imaginaire.
À l’heure du post-colonialisme et de la post-modernité qui prévalent dans l’ensemble des
sociétés occidentales (y compris au Québec), le climat familial et social dans les communautés
autochtones au Québec apparaît marqué par un double mouvement. D’une part, un nombre important
de personnes travaille avec conviction à l’intégration des forces d’intégration et au renforcement des
liens sociaux au sein des communautés ; d’autre part, beaucoup d’autres personnes, jeunes et adultes,
entretiennent sans toujours le vouloir l’anomie dans leur communauté à travers la multiplication de
comportements destructeurs et autodestructeurs. Or dans ce second groupe, on compte certains
hommes qui occupent des fonctions politiques importantes : leur inadéquation leur confère une figure
d’Autorité défaillante, laissant ainsi entrevoir une souffrance du côté de l’énoncé de la Loi dont ils
sont par ailleurs les représentants. La défaillance des leaders politiques autochtones traduit la blessure