ZMOS : Enjeux et limites John Carlson Justine Bouyssou 08/04/2009 Fiche Technique Macroéconomie ZMOS : Enjeux et limites Le concept de zone monétaire optimale (ZMO) a été développé dans le cadre du débat sur les avantages et inconvénients des régimes de changes fixes et de changes flexibles. Le choix d’une ZMO se fait dès lors que l’on a pu déterminer que dans un espace géographique un système de change fixe, voire une monnaie commune est plus efficace qu’un système de change flexible. Ainsi, la théorie des ZMOS est centrée sur une comparaison coûts/avantages, afin de voir si le pays étudié à intérêt à adhérer à une telle zone. Le principal économiste auquel est rattachée cette théorie est Robert Mundell, économiste Canadien, né en 1932. Diplômé de la LSE et du MIT, enseignant et chercheur pour le FMI, il obtint le prix Nobel d’Economie en 1999 pour ses apports théoriques. Dans un premier temps, nous allons étudier la théorie de Mundell, puis nous pencher sur ses paradoxes. I. La théorie de R. MUNDELL Définition Une ZMO est un groupe de pays – ou de régions, Mundell préfèrant parler de régionscaractérisé par une intégration économique (marché commun), et monétaire (changes fixes ou monnaie commune à l’intérieure, changes flexibles à l’extérieur), ainsi qu’une mobilité de ses facteurs de production (travail, capital). C’est dans un article écrit en 1961, A Theory of Optimum Currency Areas, que R. Mundell explique sa théorie des zones monétaires optimales. Dans cet article, il cherche à répondre à deux questions : 1) Quel est le coût dû à la perte du taux de change flexible en tant qu’instrument d’ajustement conjecturel ? 2) Quels sont les critères pour établir une ZMO ? 1 ZMOS : Enjeux et limites 1) Instrument d’ajustement conjoncturel : le coût lié à la perte du taux de change flexible 1.1 L’hypothèse du choc de demande Mundell développe une analyse coût-bénéfice des ZMOs. Il se sert de l’exemple suivant : deux pays, A et B, ont chacun leur propre monnaie et produisent un bien B : B(a) pour le pays A et B(b) pour le pays B. Mundell prend l’exemple de l'Ouest du Canada qui produit des produits forestiers (pays B) et l'Est des automobiles (pays A). Il prend l’hypothèse d’un choc de demande : la demande de B(b) baisse considérablement au profit de la demande de B(a). Quelles sont les conséquences ? Pays A : l’augmentation de la demande du bien national provoque des pressions inflationnistes : le prix des automobiles de l’Est augmente, ce qui amène à une hausse générale des prix (inflation), ainsi qu’un excédent commercial (exportations > importations). Pays B : comme la demande pour le bien B(b) baisse, les prix baissent aussi (déflation). La demande de travail chute, suscitant du chômage, ainsi qu’un déficit commercial (importations > exportations). 1.2 Quelle politique d’ajustement en fonction du système de change ? Dans un système de change flexible : l’ajustement par la politique monétaire. Pays B : il faut dévaluer la monnaie ou baisser les taux d’intérêts, afin de rendre le bien exporté plus compétitif par rapport à A, et d’augmenter la demande pour B(b). Ceci amène à une baisse du chômage et du déficit commercial. Pays A : la dévaluation de B provoque une baisse de l’inflation – la Banque centrale peut aussi augmenter ses taux d’intérêts pour lutter contre l’inflation. Avec la dépréciation, la monnaie se réévalue, ce qui diminue aussi l’excédent commercial (via la baisse des exportations). Rétablissement de l’équilibre. Dans le cadre d’une monnaie unique : des moyens limités. L’autorité monétaire (dans cet exemple la banque centrale canadienne) peut soit combattre le chômage avec une augmentation de la masse monétaire, soit combattre l’inflation (par exemple en augmentant les restrictions sur les crédits). Dans une région avec une monnaie commune, la politique monétaire ne permet donc plus de corriger en même temps les deux effets du choc de demande (chômage et inflation), avec par conséquent le risque d’avoir de l’inflation dans une zone, et une récession dans l’autre (voire les deux). Ceci montre la puissance des taux de changes flexibles comme instrument d’ajustement conjoncturel. Le premier désavantage des ZMOS est donc que le taux de change ne peut plus absorber les chocs asymétriques, car les régions, à partir du moment où elles forment une ZMO, n’utilisent plus entre elles le taux de change flexible. D’où la question des avantages de la ZMO ? Quelles sont les conditions pour minimiser le coût d’un tel renoncement? 2 ZMOS : Enjeux et limites 2) Les caractéristiques d’une ZMO 2.1 Flexibilité du marché du travail Dans le cas d’un régime au taux de change fixe, Mundell donne la solution au problème évoqué ci-dessus : il peut être résolu grâce à la mobilité des facteurs de production (travail et capital). Dans cet exemple, travail et capital vont dans les industries de l’automobile pour faire face à la demande excédentaire, afin de rééquilibrer l’offre et demande. Il y a ainsi de même stabilité des prix et de l’emploi. La condition primordiale pour corriger les déséquilibres provoqués par un choc de demande est donc la flexibilité du marché du travail, qui passe par 1) la mobilité du travail et 2) la flexibilité des salaires. La mobilité du travail Dans le pays B, il y aura transfert des travailleurs sans emploi, qui iront dans le pays A où la demande est excédentaire, réduisant le chômage dans B, et diminuant l’inflation (et la pression à la hausse des salaires) dans le pays A. La flexibilité des salaires B : on favorise une baisse des salaires pour renforcer la compétitivité et donc une augmentation de la demande pour les produits de B. Pour A, c’est le cas inverse, on favorise la hausse des salaires, ce qui va se répercuter sur les prix des produits, pour que la demande de B(a) et B(b) s’équilibrent, ainsi que la balance commerciale. Dès lors, nous pouvons définir une ZMO comme une union monétaire caractérisée par une symétrie des chocs et une grande flexibilité du marché de travail. 2.2 L’enjeu de l’importance de l’intégration économique. Sans compter les avantages d’avoir une monnaie commune : réduction des coûts de transaction (de change), et un gain en liquidité notamment. De plus, les avantages des changes fixes ou d’une monnaie commune sont d’autant plus importants que l’intégration économique est étroite. Soit A : les avantages dus à l’absence d’incertitude et de coûts de transaction (car changes fixes). Ils sont une fonction croissante de l’intensité de l’intégration économique. Soit C : les coûts dus à la perte des avantages liés aux taux de change flexibles et de la possibilité d’avoir une politique monétaire autonome. Ils sont une fonction décroissante de l’intégration économique. (cf. powerpoint) La confrontation des deux courbes (A et C) montre qu’un pays a tout intérêt à rejoindre la zone monétaire quand le degré d’intégration économique entre son marché et celui de la zone est supérieur à i, c’est-à-dire que les avantages sont supérieurs aux coûts. Pour conclure : les avantages des ZMOS sont incontestables à partir du moment où la 3 ZMOS : Enjeux et limites flexibilité du marché du travail est assurée, et où l’intégration économique est la plus étroite possible. II) Le paradoxe de Mundell L’article publié par Mundell en 1961 servit de cadre d’analyse pour la création d’une union monétaire (puis d’une monnaie unique) en Europe. De plus, Mundell était lui-même très favorable à la création d’une telle union avec comme référence une devise européenne (Il proposait la Livre Sterling). Cependant, les eurosceptiques utilisèrent précisément le raisonnement de Mundell de 1961 pour montrer les désavantages d’une telle union. Tel est donc le paradoxe de Mundell, qui sert à la fois à défendre les Zones Monétaires Optimales mais qui est également repris par ceux qui les rejettent. Pour expliquer ce paradoxe, il faut considérer un article de Mundell publié en 1973 pour voir apparaitre l’évolution de son modèle. 1) Le modèle de 1961, complété par McKinnon et Kenen. Il est important de replacer le modèle de 1961 dans son contexte. De tradition Keynésienne, Mundell part du principe que la politique fiscale et monétaire seraient des facteurs d’ajustements pour compenser les chocs dans l’offre ou la demande. Une hypothèse importante est la stabilité des prix, des taux d’intérêts et des taux de changes. De plus, la mobilité du travail est réduite à une échelle modeste et les chocs sont ressentis différemment d’un pays à un autre (asymétrie). C’est ensuite que Ronald McKinnon introduit un nouveau facteur : le degré d’ouverture des économies à l’intérieur de la ZMO. En 1969, Peter Kenen rajouta des facteurs pouvant réduire l’asymétrie des chocs externe, en concluant que les zones dont la production économiques sont les plus diverse seraient moins vulnérables aux chocs externes et plus propices à créer une union monétaire. Finalement, d’autres notions sont venues renforcé ce premier modèle sans le modifier pour autant. L’idée d’une intégration de la fiscalité et des marchés financiers, l’intensité des échanges internes, ou l’absence d’inflation asymétrique à l’intérieure de la zone ont été introduits progressivement. Ce modèle s’appui sur une hypothèse clé, l’ajustement progressif des taux de changes. En effet, le consensus des économistes était que les taux de change s’ajusteraient progressivement en fonction des décisions des banques centrales. Les économistes Keynésiens et Monétaristes partageaient cette hypothèse, les taux de changes flottant étant relativement rare avant 1971. Les conclusions de ce premier modèle sont que les ZMO doivent être de taille réduite. De plus, les chocs asymétriques sont dangereuses pour les ZMO. C’est sur la base de ce modèle « keynésien » avec des taux de changes peu volatile que les critiques de l’union monétaire européenne ont invoqué les travaux de Mundell. 2) Le modèle de 1973 et le partage international du risque. Mundell présente une nouvelle version de son modèle en 1970 (publié en 1973) et introduit de nouveaux facteurs qui changent l’interprétation de son premier modèle. La grande nouveauté est l’intégration de la volatilité des marchés de changes. Celle-ci provoque des incertitudes 4 ZMOS : Enjeux et limites qui peuvent se révéler couteuses. Les conclusions sont bien différentes du premier modèle. En effet, c’est désormais grâce à la ZMO que les chocs externes peuvent être diffusés parmi les membres de la ZMO, alors qu’en situation de monnaie nationale à taux flexible, le pays (par la dévaluation) doit supporter seul ces chocs. Il s’agit d’une mutualisation du risque de chocs externes, et donc d’une extension de la ZMO. C’est sur la base de ce nouveau modèle que Mundell encourage dès 1970 à poursuivre l’unification monétaire de l’Europe, tout en se séparant du dollar. Ce modèle peut être considéré visionnaire en 1970, par son anticipation de la volatilité des marchés de changes et par l’impact des dévaluations sur les économies européennes. Pour Mundell, les réponses monétaristes à un choc externe sont simplement des bénéfices politiques immédiats avec des conséquences réelles et couteuses à moyen terme. C’est ainsi que l’on peut expliquer le paradoxe de Mundell, en s’appuyant sur une évolution dans sa pensée et une intégration de nouveaux facteurs dans son modèle. Conclusion Ainsi, comme l’unification monétaire fait disparaitre le taux de change flexible, instrument correcteur des déséquilibres (via la politique monétaire), seulement les régions ayant une forte mobilité des facteurs et flexibilité des prix peuvent constituer une ZMO. La théorie des ZMOS demeure ainsi un cadre de référence pour étudier la possibilité d’unions monétaires. Nous pouvons donc nous demander : qu’en est-il de l’Europe ? Elle ne répond qu’imparfaitement aux critères : certes le capital est mobile, mais le travail ne l’est pas (en partie dû aux barrières culturelles et de langue). De même, il n’y a pas de coordination étroite des politiques fiscales. Cependant, avec le degré d’ouverture élevé, la production diversifiée, le marché intégré et la similarité des régimes politiques, l’UE se rapproche de la définition d’une ZMO, qui reste donc pour le moment un pur modèle théorique. Bibliographie A Theory of Optimum Currency Areas, R. Mundell, American Economic Review, 1961 Economie Internationale, Fondements et Politiques, Colette Nême, ed. litec économie, 1996 L’Economie Mondiale – commerce, monnaie, finance, A. Dumas, ed. de boeck, 2006 Money, capital mobility and trade-essays in honor of Robert Mundell, Calvo, Dornbusch et Obstefeld, MIT Press 2001 http://www.imf.org/external/np/vc/1999/121399f.htm 5