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Sociétal
N° 27
Décembre
1999
LE PARADOXE DE MUNDELL
nées  statistiques  provenant  de  la
comptabilité  nationale  (réelle  et
financière) de la balance des paie-
ments et des bilans des banques à
partir desquelles les banques cen-
trales  élaborent  les  agrégats  de
monnaie et de crédit.
C’est sur la base de cette modéli-
sation macroéconomique en éco-
nomie ouverte et interdépendante
que  Mundell  a  élaboré,  pendant
qu’il travaillait au département de
recherche économique du FMI, ce
qu’il est convenu d’appeler, depuis
l’ouvrage de référence de Jan Tin-
bergen sur les Techniques modernes
de  la  politique  économique (1952), 
la  théorie  de  la  politique  écono-
mique, en analysant, dans un article
fondateur  de  1963, les  effets  à
court terme de la politique moné-
taire  et  budgétaire  en  économie
ouverte, où prévaut notamment la
liberté de circulation des capitaux. 
UNE RÈGLE DE BON SENS
Il en ressort une règle de bon sens,
qui a fait le tour du monde, selon
laquelle il existe une spécialisation
des  instruments  de  la  politique
 économique par objectif poursuivi.
Cette  règle  est  en  fait,  dans  le
contexte des années 60 dominées
par la macroéconomie keynésienne
ou la synthèse néoclassique et key-
nésienne, plus révolutionnaire qu’il
ne semble. En économie ouverte, la
politique monétaire – comprenons
« la  manipulation  des  taux  d’inté-
rêt » à des fins de stimulation de la
croissance – perd de son efficacité,
voire toute son efficacité, en cas de
changes fixes et en tout cas pour
une  économie  dépendante  d’une
plus grande économie (comme par
exemple celle du Canada par rap-
port à celle des Etats-Unis).  C’est
l’invention du fameux triangle d’in-
compatibilité,  qui  a fait les délices
des professeurs et des étudiants en
économie. Il n’y a pas d’autonomie
possible de la politique monétaire,
en  l’absence  de  contrôle  des
changes, dans une zone de changes
fixes  (pour  les  économies  « péri-
phériques »,  oublie-t-on  de  rajou-
ter en général).
En  clair,  la  politique  économique
d’inspiration keynésienne, le « fine
tuning » gouvernemental  célébré
par Samuelson, perd, en économie
ouverte3l’un de ses  deux instru-
ments favoris, sauf à se recréer une
marge de manœuvre apparente par
la flexibilisation des taux de change
(apparente puisqu’en raison des ef-
fets de courbe en J à répétition de
la dépréciation monétaire sur la ba-
lance des  paiements  courants,  les
gouvernements  ne  persistent
guère  dans  la  voie  de  la  relance 
en économie  ouverte même dans
le  cadre  de  changes
flexibles).  Voilà,  de
l’œuvre du  prix  No-
bel, ce qui est connu
et reconnu en Europe
et  fait  de  Mundell,
dans les années 70 et
80, une sorte de nou-
vel Alfred Marshall.
DES TRAVAUX 
À DÉCOUVRIR
Mais le modèle économique
d’ensemble  dont  procède
cette  disqualification  partielle  du
modèle  keynésien  d’après-guerre
(valable en économie fermée par le
maintien de contrôles des changes
très stricts issus de l’économie de
guerre), le « nouveau modèle éco-
nomique requis »4, est moins bien
connu. En termes académiques, ce
modèle est composite, et il définit
donc  Mundell,  sur  le  plan  théo-
rique,  comme  un  « centriste », à
égale  distance de  l’école néoclas-
sique, de l’école keynésienne et de
l’école  monétariste.  Ecoutons-le.
« Avec  le “friedmanisme”,  ce  mo-
dèle accepte l’importance de la
théorie quantitative de la monnaie,
mais  rejette le programme de fixa-
tion  a  priori  d’un  taux  de  crois-
sance fixe de la masse monétaire et
de taux de change flexibles si chers
au cœur des monétaristes. Avec le
keynésianisme, il partage l’idée du
multiplicateur et la possibilité d’uti-
liser les diminutions d’impôts pour
faire redémarrer la croissance lors-
qu’on se trouve en pleine  réces-
sion ; mais il prend en considération
les effets de multiplicateur inverse
lié  au  financement  par  l’emprunt
des déficits budgétaires et il rejette
l’inflation comme étant contrepro-
ductive. Avec le néo-ricardisme, il
accepte le rôle important joué par
les anticipations et la cohérence in-
tertemporelle,  mais  il  rejette  son
 postulat  d’hyperrationalité  et  l’in-
terprétation  altruiste  de  la  pro -
position  d’équivalence ».  Ce  nou-
veau  modèle  économique,  qui
comprend en outre des ingrédients
originaux,  est  appelé  par  son
 fondateur  « écono-
mie de l’offre » (sup-
ply-side  economics).
«Tight money and tax
rate  cuts » résume
 assez bien la philoso-
phie  de  la  politique
économique  qu’il
préconise. 
Il  n’a  généralement  été  connu
qu’au  travers  des  disciples  de
 Mundell  et  les  vulgarisateurs  du
modèle comme Arthur Laffer, qui
a  popularisé  avec  sa  fameuse
courbe l’une des idées maîtresses
de  son  mentor.  Pour  Mundell,  il
s’agissait d’abord de poursuivre et
compléter les travaux déjà anciens
de Ragnar Frisch (1954) selon les-
quels l’impôt sur le revenu n’est pas
compatible avec un « régime opti-
mal »  et  auxquels Tinbergen  s’ef-
forçait  de  s’opposer  en  1958,  en
concluant un article ainsi : « l’impôt
sur le revenu réduit la production
de certains individus, mais n’influe
guère (sic) sur leur satisfaction ». 
Et l’on comprend mieux pourquoi
en  Europe  continentale  et  en
France en particulier, une partie de
son héritage est moins bien connue
que l’autre.  Il  paraîtra  sans doute
fort paradoxal à beaucoup que ce
centriste en théorie puisse être le
père d’un modèle largement perçu
comme  révolutionnaire  ou  polé-
mique. A moins que cette percep-
3 Une situation 
qui se généralise 
et a un bel avenir
dans les années 60.
4 Selon le titre 
de la conférence 
de 1990 
de Robert Mundell
publiée par 
le Wall Street Journal
du 14 octobre
dernier. 
Dans une zone 
de changes fixes, 
il n’y a pas d’autonomie
possible de la politique
monétaire en l’absence
de contrôle des changes