http://www.socioeco.org/bdf/fr/dossiers/dossier-20.html
La Chambre de l'Économie Sociale et Solidaire Après-Ge : situation actuelle
Après-Ge connaît un très bel essor et, en moins de 10 ans d'existence, elle a su défendre et affirmer les
valeurs de l'ESS dans la région genevoise. Cette reconnaissance de l'ESS a été rendue possible par le travail
remarquable effectué par la Chambre, qui constitue désormais un acteur important du développement
régional. Toutefois, force est de constater que, au delà de la Chambre, les membres de l'ESS n'entretiennent
qu'occasionnelles des relations entre eux et constituent un ensemble plutôt dispersé, si bien que la question se
pose aujourd'hui de comment donner une consistance plus concrète à ce réseau?
En effet, bien que tous les membres de la Charte aient adhéré aux déclarations énoncées dans la Charte, ils ne
semblent pas tous en mesure de les affirmer et de les concrétiser dans leurs pratiques quotidiennes,
notamment dans leurs politiques d'achats. L'ESS visant à établir des relations plus justes, équitables et
humaines que celles imposées par le marché capitaliste, il serait pourtant logique que les membres de la
Chambre se soutiennent mutuellement en recourant en premier lieu, dans leurs pratiques d'achats, à d'autres
membres partageant les mêmes valeurs. Cela n'est apparemment pas encore le cas, comment cela se fait-il ?
Obstacles au développement du réseau ESS
Parmi les facteurs explicatifs de cette situation, relevés lors du 29° Café des bonnes pratiques en mars 2013,
il y a surtout le coût de changement de fournisseurs : en effet, remplacer nos prestataires habituels par
d'autres, soient-ils même les plus exemplaires membres de l'ESS, implique du temps de recherche puis de
négociation qui sont fastidieux, et coûteux. Bien qu'il existe certainement un potentiel d'échanges entre
membres de l'ESS supérieur aux pratiques observées actuellement, et qu'un portail internet présentant les
membres de l'ESS soit déjà en place, cela ne semble pas suffisant pour surmonter les réticences au
changement. Il est vrai que les adhérents à la Chambre ont signé une Charte avec des valeurs fortes, mais
cela n'impliquait pas de devoir changer de partenaires d'affaires. De plus, même en passant du temps à
chercher des partenaires au sein du réseau, le risque de ne pas en trouver pour les prestations recherchées
n'est pas exclu, alors que le temps perdu, lui, le sera à jamais. Ainsi, l'adhésion aux valeurs de la Charte ne
semble pas être un stimulus suffisant pour changer de pratiques et constituer un réseau économique intra-
ESS. Comme le relevait Proust, spécialiste du temps perdu, « il est plus facile de renoncer à un sentiment
que de perdre une habitude »...
Objectifs de développement de la Chambre Après-Ge
Toutefois, sachant que ce sentiment est là, de nombreux acteurs de la Chambre explorent les manières de
renforcer le tissus économique de l'ESS, et cela figure d'ailleurs parmi les axes stratégiques de
développement de la Chambre 2012-2015 (point B.3). Parmi les idées qui se dégagent pour renforcer les
liens et les échanges (notamment économiques) entre membres et avec la Chambre, on compte notamment
celle d'améliorer le portail internet d'APRES-GE, afin de le rendre plus attractif et de mieux populariser les
offres de biens et services de l'ESS. D'autres solutions sont aussi envisagées, comme la création d'une
boutique commune, d'une centrale téléphonique de conseils d'achats ESS, d'une bourse d'échanges, ou
l'organisation d'un salon d'affaires ESS voire de journées portes ouvertes de l'ESS. La sensibilisation des
membres de l'ESS à la notion de « insourcing » a elle aussi proposée et toutes ces suggestions, relevées lors
du 29° Café des bonnes pratiques, convergent vers la nécessité d'organiser un campagne d'information et de
promotion des activités déployées dans le cadre de l'ESS, de mettre sur pied une stratégie de communication.
Une monnaie complémentaire pour l'ESS ?
Le projet de mettre en circulation une monnaie locale est lui aussi évoqué comme solution possible pour
renforcer l'identité de la Chambre et les liens entre membres. À vrai dire, un tel projet contribuerait à la
réalisation de pratiquement l'ensemble des idées mentionnées dans le précédent paragraphe, et répondrait par
ailleurs à plusieurs besoins des membres de la Chambre (cf. encadré). Avant de regarder plus en détail ce
qu'est une monnaie complémentaire et comment elle peut contribuer au renforcement de l'ESS, nous allons
mieux comprendre ce que l'ESS peut apporter à une monnaie complémentaire.
Besoins auxquels une monnaie complémentaire peut répondre
(sélection non exhaustive tirée des Résultats du relevé des besoins, Forum des membres 2012 Après-Ge)
Mesurer et rendre visible le poids de l’ESS dans l’économie de la région genevoise
Donner une identité claire à l’ESS
Donner une direction pour l’évolution des structures intéressées à se rapprocher de l’ESS
Aide à être un « bon consommateur »
Carte « Cumulus » de l’ESS
Fidélisation
Communiquer avec les consommateurs qui ne sont pas forcément membres, aller vers le grand
public
Diversifier les membres (secteur économique, secteur d’activité, courants de pensée et visions ESS)
Mettre en œuvre la partie « animation et communication interne au réseau » de la stratégie de
communication
Renforcer les échanges intra-économiques entre membres, sans oublier la convivialité !
Insister sur l’importance de consommer ESS
Développer l’ESS dans la région franco-valdo-genevoise à travers un projet spécifique
...
Qu'apporte l'ESS à une monnaie complémentaire?
La mise en place d'une monnaie complémentaire s'articule autour de valeurs partagées par les membres du
réseau d'utilisateurs. L'introduction d'une monnaie parallèle au Franc Suisse qui ne proposerait pas des
pratiques commerciales, sociales ou environnementales différentes de celles courantes n'aurait pas vraiment
de sens, ou alors elle ne serait qu'une continuation des stratégies commerciales des entreprises sous couvert
de prétendus services à la clientèle (comme les points Cumulus ou les Miles des compagnies d'aviation, qui
ont pour principaux buts de fidéliser la clientèle, de mieux connaître ses comportements, et d'écouler les
invendus ou les capacités sous-exploitées).
La Chambre de l'ESS a quant à elle défini une Charte composées de 7 valeurs que de nombreuses personnes
et institutions ont aujourd'hui très à cœur, non seulement parmi les membres d'Après-Ge. Cet ensemble de
valeurs, passées en revue ci-après, donnerait le but et l'esprit du réseau de monnaie complémentaire et,
inversement, la monnaie complémentaire servirait de vecteur de ces valeurs.
Les 7 valeurs de l'ESS et la monnaie complémentaire
(extraites de la Charte de l'Économie Sociale et Solidaire de la Région genevoise, http://www.apres-
ge.ch/node/29644)
1)
Bien-être - être plutôt qu’avoir
Les acteurs et actrices de l’ESS visent à construire une économie qui affirme la primauté de la personne sur
le capital. Ils reconnaissent l’importance de dimensions immatérielles (esthétiques, émotionnelles,
spirituelles, etc.) nécessaires au fonctionnement de la société et à l’épanouissement de ses membres.
L'argent mobilise les forces et coordonne les activités humaines, il permet la connexion entre les besoins et
les offres. Actuellement, il est complètement déconnecté de la alité et de ses contraintes: il est éternel,
auto-multiplicateur, immatériel, peut augmenter à l'infini, et son marché, la finance, constitue une entité
supérieure séparée de l'économie réelle, tel un clergé qui exige des sacrifices à son peuple.
La Monnaie complémentaire vise à dépasser la recherche de l'intérêt personnel dans les relations
économiques pour rétablir un échange basé sur la reconnaissance d'autrui et de ses valeurs. Une MC
fondée sur les valeurs de l'ESS donnerait une signification plus vaste à nos achats et ventes courants, en
dépassant la simple satisfaction des nos intérêts personnels pour prendre en compte notre responsabilité
vis-à-vis de la société et de la planète.
Une MC a par ailleurs pour fonction de valoriser les ressources humaines et matérielles sous-utilisées, afin
de répondre à des besoins non-satisfaits par le circuit économique conventionnel. Ainsi, de nombreuses
personnes ont des compétences qu'elles ne mettent pas en valeur, comme les chômeurs, les retraités, ou
les femmes au foyer, alors que des besoins ne peuvent pas être satisfaits faute d'argent pour les rémunérer
(p. ex. l'assistance aux personnes âgées, l'entretien d'espaces naturels, la garde d'enfants,...). Une MC crée
un circuit parallèle pour relier ces offres et ces besoins, et permet de créer une communauté dans laquelle
chacun a l'opportunité d'exprimer ses talents. Cela peut aussi permettre à une entreprise d'écouler des
marchandises invendues ou sous produites (comme le font les compagnies aériennes avec les « Miles »)
auprès d'une clientèle qui n'envisageait pas d'acheter de tels produits, faute de liquidités.
2)
Citoyenneté et démocratie participative - chacun a une voix qui compte
Les acteurs et actrices de l’ESS participent de manière libre, égalitaire et responsable à la construction d’une
société assurant le développement des personnes et l’intérêt collectif. Ils appliquent la démocratie
participative en favorisant le partage de l’information, des responsabilités, de la prise de décision et la
reconnaissance du rôle de chacun.
La création d'une monnaie complémentaire est une démarche participative, donnant à chacun l'opportunité
de définir les objectifs et les modalités de fonctionnement et de gouvernance de la monnaie. Dans le cas
d'une monnaie électronique, les transactions et la gestion de la monnaie pourront en outre être totalement
transparentes. Par ailleurs, le système monétaire actuel, abandonné par les politiques aux institutions
financières depuis les années '80, est particulièrement antidémocratique : des décisions cruciales, qui ont
des impacts sur l'ensemble de la société et obligent par exemple à des politiques d'austérité, sont prises à
huis-clos par des « hauts responsables » des Banques centrales (qui sont des Sociétés Anonymes), sans
aucun contrôle démocratique. Sans parler des banques privées, émettrices de la majeure partie de la
monnaie en circulation, qui ont encore moins de comptes à rendre au public. La création d'une MC vise ainsi
aussi à éveiller la conscience des citoyens par rapport à ce qu'est la monnaie, et leur confère le pouvoir d'en
choisir la forme et le sens. De cette manière, une MC permet de remettre dans le débat public la question de
la création monétaire et de la place de la finance dans nos sociétés.
3)
Écologie - produire pour vivre et non vivre pour produire
Les acteurs et actrices de l’ESS reconnaissent l’interdépendance des processus socio-économiques et
écologiques. Ils s’engagent à privilégier un système économique qui respecte les processus et équilibres
écologiques dans un souci d’équité intra et intergénérationnel.
Une MC fondée sur les valeurs de l'ESS exigera de ses participants de minimiser l'utilisation de ressources
et de faire recours à des intrants locaux. Le système d'indicateurs de l'ESS, que les participants au système
MC devront remplir, permettra de vérifier la concordance des membres du réseau avec des pratiques de
production respectueuses de l'environnement. Les achats en MC seront ainsi garantis locaux, respectueux
de l'environnement, et socialement responsables.
4)
Autonomie - autonomes mais pas individualistes
Les acteurs et actrices de l’ESS valorisent les compétences et renforcent les moyens d’agir des personnes
(salariés, bénévoles, membres, usagers, investisseurs) au sein de leur organisation. Ils recherchent une plus
grande autonomie de fonctionnement de celle-ci, ainsi que de l’ESS à l’égard du secteur public et des autres
acteurs du secteur privé.
La création d'un marché en monnaie complémentaire renforce les participants du réseau, en leur
garantissant un accès privilégié à un marché restreint. Les entrées générées en MC leur permettront de
couvrir une partie de leurs dépenses courantes, les soulageant d'autant des ventes à effectuer sur le marc
concurrentiel. L'utilité d'une MC est d'ailleurs particulièrement manifeste en période de crise économique,
lorsque la monnaie en circulation fait défaut, comme le système WIR l'a amplement démontré en 80 ans
d’existence. Ainsi, les entreprises adhérentes à la MC seront plus solides face aux aléas du marché, et l'ESS
dans son ensemble, avec ses valeurs, sera plus robuste et visible.
5)
Solidarité - 1 + 1 > 2
Les acteurs et actrices de l’ESS privilégient la recherche de l’intérêt collectif sur le seul profit individuel. Ils
valorisent la création de lien social d’interdépendance au plan local, régional et international
Du fait qu'une MC n'est pas rémunérée par un taux d'intérêt, il n'y a pas de raison de la thésauriser en la
laissant en banque ou de spéculer avec. La MC a pour fonction de faciliter les échanges, non pas
d'accumuler des richesses. Ainsi, plutôt que d'encourager le recherche du profit personnel, elle incite à
établir des liens basés sur la complicité et la réciprocité.
6)
Diversité - riches de nos différences
Les acteurs et actrices de l’ESS s’engagent à comprendre, respecter et valoriser les différences entre les
personnes et les peuples, à prohiber toute forme de discrimination et à rechercher les complémentarités
pour apprendre ensemble.
Le tissus économique de Genève s'étend bien au delà des limites administratives du canton. La création
d'une MC pour la région du Grand Genève vise ainsi à établir des ponts avec les acteurs de l'ESS et des
MCs de France voisine et du canton de Vaud, permettant ainsi que les convergences de vues prennent le
dessus sur les divisions administratives.
7)
Cohérence - dire ce qu’on fait et faire ce qu’on dit
Les acteurs et actrices de l’ESS s’efforcent d’appliquer de façon cohérente l’ensemble des valeurs ci-dessus
à tous les niveaux de leur fonctionnement. La cohérence entre les valeurs prônées et le vécu est essentielle
à la crédibilité et au développement de l’ESS
La mise en place d'une MC basée sur les valeurs de l'ESS impliquerait une plus grande transparence des
organisations membres par rapport à leurs engagements en matière d'ESS. Ainsi, le système d'indicateurs
mis en place par Après-Ge serait repris (et amendé) dans le système de la MC, et tous les acteurs
souhaitant adhérer à la MC devront témoigner de leurs performances sur ces critères. Un tel système aurait
l'avantage d'aussi bien questionner les membres de l'ESS sur leurs pratiques effectives, que de diffuser ces
exigences à des acteurs non membres de l'ESS.
La Charte d'Après-Ge établit ainsi un référentiel qui, adopté tel quel ou avec des légères modifications,
pourrait parfaitement servir de base pour la création d'un système de monnaie complémentaire visant à
promouvoir ces valeurs. De plus, Après-Ge a conçu un système d'indicateurs ayant pour but de mesurer la
performance de ses membres dans les 7 principes énoncés dans sa Charte. En se basant sur ces principes, un
système de monnaie complémentaire aurait déjà à disposition une grille d'évaluation pour apprécier les
demandes d'adhésion au système: toute entreprise ou organisation désirant rejoindre le système de MC, tout
comme celles désirant rejoindre la Chambre Après-Ge, devra en effet évaluer sa performance dans ces
domaines, et s'engager à l'améliorer. Cette liste de critères est accessible sur http://www.apres-
ge.ch/node/34120
Les avantages de cette démarche sont multiples, aussi bien pour l'ESS que la MC :
Collecte de données facilitée pour les membres faisant partie des deux réseaux
Assurance de « qualité ESS » pour les utilisateurs de la monnaie (« label ESS »), aide à
la décision pour les consommateurs
Diffusion des principes de l'ESS au grand public
Transparence et visibilité accrue des pratiques des membres de l'ESS
Mesure de l'ampleur et de l'évolution de l’ESS dans l’économie de la région genevoise
Prise de conscience et incitation à l'amélioration des pratiques des organismes membres
Renforcement de l'identité de l'ESS
---
Ce système d'autoévaluation sera en outre complété par un système de commentaires en ligne, comme sur
Tripadvisor ou Amazon, qui permettra aux utilisateur de MC d'apprécier la qualité des fournisseurs de biens
et services en MC. Ceci aura pour effet d'inciter les fournisseurs à l'excellence en termes pratiques
responsables et assurera un contrôle « citoyen » des utilisateurs de la MC sur la MC!
Une MC que pour l'ESS ?
Comme le relève Patrick Viveret, les monnaies sociales et complémentaires peuvent aider l’ESS à franchir
des sauts qualitatifs, notamment pour ce qui concerne le développement d’une économie de produits et
services à valeur ajoutée écologique et solidaire, de l’économie locale et des circuits courts
1
.
Mais, ajoute-t-il, « pour atteindre une masse critique d’échanges, élément essentiel pour la réussite d’un outil
monétaire, il faut toucher une fraction notable non seulement de l’ESS mais aussi des acteurs engagés dans
un développement humain soutenable. Les projets de monnaie sociale et complémentaire doivent être des
projets collectifs et collaboratifs, l’ensemble des acteurs est reconnu, les particularités de chaque acteur
prises en compte dans un projet commun en termes de développement social et économique. Ce sont donc
des vecteurs privilégiés pour nouer des alliances entre entreprises, associations, citoyens et collectivités
territoriales. Pour cela, elles doivent s’appuyer sur des stratégies coopératives entre ces différents acteurs et
notamment au sein de l’ESS. Les monnaies sociales et complémentaires sont donc également des outils pour
développer ces logiques coopératives au sein d’une ESS marquée souvent par des logiques compétitives en
son propre sein. »
Le système de MC devra donc convaincre au delà de seuls acteurs de l'ESS pour être viable. Il existe par
ailleurs de nombreux acteurs économiques de la région qui ont des pratiques compatibles avec les valeurs de
l'ESS, mais qui ne font pas partie de la Chambre (notamment dans le domaine de l'agriculture de proximité et
de l'artisanat, par exemple). À travers le projet de création d'une MC, il sera nécessaire d'établir des contacts
avec ces autres acteurs, ce qui aurait déjà le mérite de leur faire connaître les valeurs de l'ESS et, nous
l'espérons, de s'y associer !
1
Contribution de Patrick Viveret pour le Cahier d’espérance "Richesses et monnaies", produit par le Collectif
Richesses pour les Etats Généraux de l’Economie sociale et solidaire (Paris, juin 2011). Consulté le 15.4.2013 sur
http://www.monnaiesendebat.org/spip.php?rubrique34
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