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Conflits et mobilisation sociale
Objectifs :
Le chapitre précédent a souligné la tension entre l’idéal démocratique d’égalité et la per-
manence des inégalités ; cette tension est source de conflits. Ce chapitre montrera en quoi les
conflits participent à la dynamique sociale mais aussi comment les conflits évoluent avec la socié-
té. Dans un premier temps, il est donc nécessaire de relier les mutations du travail aux con-
flits sociaux. Cette influence est réciproque. En effet, les conflits du travail transforment les rela-
tions de travail, les rapports sociaux de travail mais ces mutations du travail contribuent égale-
ment, en retour, à modifier les enjeux et les formes des conflits du travail. Les mutations du travail
ont accompagné le passage de la société industrielle à la société postindustrielle et ont entrainé
une transformation du salariat. Nous montrerons comment les conflits ont pu forger les identités
professionnelles, notamment l’identité ouvrière, puis nous soulignerons que les conflits de classe
se sont effacés sans pour autant que cela signifie la disparition des conflits du travail mais plutôt
leur métamorphose. Il faut enfin analyser les conséquences de toutes ces transformations sur les
syndicats, notamment « la crise du syndicalisme » et la place croissante des acteurs non institu-
tionnalisés.
Dans un deuxième temps, nous étudierons « les nouveaux mouvements sociaux ». Nous
nous appuierons sur l’analyse d’Alain Touraine et montrerons que ces mouvements dont définis à
partir de trois caractéristiques : la tentative d’affirmation d’identités ou de valeurs spécifiques ;
la structuration par opposition à une situation dominante et la tentative d’élaboration d’un projet
social et politique alternatif. Nous montrerons aussi que les stratégies des NMS permettent de les
rapprocher et de les distinguer des groupes de pression.
Plan :
Introduction : définition des concepts.
I. Mutations du travail et conflits sociaux.
A. Des conflits du travail aux conflits sociaux.
B. Les conséquences des mutations du travail sur les conflits sociaux : l’exemple de la classe ou-
vrière.
C. Le rôle des syndicats dans les conflits sociaux.
II. Diversité des objets et des formes de l’action collective.
A. Les nouveaux mouvements sociaux.
B. La fin des conflits du travail ?
C. Nouveaux mouvements sociaux et changement social.
Vocabulaire :
Classes sociales ; groupes de pression ; identité ; institutionnalisation des conflits ; lutte des classes ; mo-
bilisation collective ; mouvements sociaux ; rapports sociaux ; syndicat ; valeurs.
Site internet à consulter :
http://www.travail-solidarite.gouv.fr
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Conflits et mobilisation sociale.
Introduction :
Dans le chapitre précédent, nous avons souligné l’existence d’inégalités dans les sociétés démo-
cratiques qui reposaient, par ailleurs, sur un idéal égalitaire. Ces inégalités entraînent des tensions qui
se traduisent souvent par des conflits.
Le conflit social a une dimension collective et met les individus en situation d’interdépendance.
Etudier les conflits va nous permettre de comprendre le changement social. En effet, le conflit
revêt une dimension sociale permettant aux individus de se forger des identités et de développer des soli-
darités. Mais le changement social peut aussi provoquer des conflits, il faut donc s’interroger sur les
interdépendances le changement social et les conflits.
Les conflits font apparaître des rapports de pouvoir (rapports de force) et des enjeux (victoire ou
défaite, gagner ou perdre)
Le conflit naît donc des tensions qui peuvent exister entre les individus ou les groupes sociaux.
Les conflits peuvent conduire à des ruptures ou déboucher sur des discussions sur le domaine concerné
par le conflit.
Les formes d’action changent au cours du temps, de la même façon que change la façon dont la
société s’organise pour résoudre les conflits. Ainsi depuis le XIXème siècle, les conflits sociaux étaient
centrés autour du travail et de l’emploi puis de nouvelles formes de conflits sociaux sont apparues pou-
vant être qualifiées d’actions collectives. En effet, dans l’action collective, les individus se regroupent
pour agir sans entrer nécessairement en conflit avec un autre groupe social.
I. Mutations du travail et conflits sociaux.
A. Des conflits du travail aux conflits sociaux.
Différentes raisons expliquent que l’essentiel des conflits sociaux, depuis la révolution indus-
trielle, portent sur le travail et l’emploi. Tout d’abord, le travail occupe l’essentiel de la vie des individus
et c’est dans le travail que se nouent les liens sociaux. Par ailleurs, le travail est une des valeurs cen-
trales.
Mais pourquoi les conflits sociaux se développent-ils à partir du travail. Ce sont essentiellement
les inégalités qui conduisent aux conflits du travail.
1. Les inégalités du monde du travail, facteurs de conflits.
Les inégalités suscitent le conflit lorsqu’elles ne sont pas acceptées (cf. chapitre précédent).
Mais les inégalités ne suffisent pas à déclencher un conflit social. En effet, elles peuvent susciter
une compétition entre les individus plutôt qu’entre les groupes. Un individu peut améliorer sa situation
sociale en agissant pour le sort de tous ceux qui sont la même situation sociale que lui (conflit social)
mais aussi en recherchant une promotion individuelle (pas de conflit social).
L’intensité de la mobilité sociale favorise la capacité de mobilisation. Si la mobilité sociale est
forte alors un individu peut espérer améliorer sa situation personnelle par son seul mérite, sans agir au
profit au profit de l’ensemble du groupe social. En revanche, si la mobilité sociale est faible alors les
revendications personnelles passeront par une revendication collective (cf. la remise en cause du système
fordiste)
Les inégalités ne sont pas à elles seules la cause des conflits sociaux.
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2. Les inégalités et les conflits participent à la constitution de groupes sociaux.
En quoi l’organisation du travail, la division horizontale et verticale du travail sont-elles source
du conflit social ?
La division du travail conduit à la différenciation des travailleurs et contribue à forger des identi-
tés professionnelles distinctes. En effet, l’identité professionnelle se construit à partir de ses apparte-
nances, de sa position dans le groupe et sa hiérarchie, des valeurs partagées au sein du groupe.
Les identités professionnelles entrent en concurrence dans l’entreprise. Tout groupe social a des
valeurs particulières et donc une culture spécifique. Chaque groupe peut avoir une idée différente de la
valeur des métiers et donc de leurs rémunérations. Pourquoi tel métier est-il mieux payer que tel autre ?
De même la logique entrepreneuriale peut s’opposer à la logique des salariés, dans d’une délocalisation
d’une entreprise par exemple.
Ainsi, l’affirmation d’une identité professionnelle fait apparaître un groupe social mais lui donne
aussi un adversaire. Pour qu’il y ait conflit du travail, il faut donc qu’il y ait un conflit d’intérêt, autour
des inégalités dans l’entreprise. Il faut qu’il y ait également des identités collectives fortement affirmées
pour que le conflit prenne une dimension sociale, et oppose des groupes les uns aux autres. Enfin, il faut
que ces groupes se mobilisent, c'est-à-dire que les individus qui les composent acceptent d’agir ensemble
avec des objectifs communs. Mais la relation entre conflit et identité professionnelle marche également
dans l’autre sens. Ainsi, un conflit peut déboucher sur solidarité retrouvée, et donc constituer un groupe
social (cf. conflit des infirmières au milieu des années 1990)
3. Les conflits s’étendent à toute la société.
Il faut ici bien maîtriser la notion de classe sociale (cf. programme de 1 ES)
Au sein de l’entreprise, il existe une opposition entre les ouvriers qui vendent leur force de travail
et les dirigeants d’entreprise, les cadres qui détiennent directement ou indirectement le capital.
Cette opposition au sein de l’entreprise peut s’appliquer à l’échelle de la société entière.
l’opposition entre ouvriers et bourgeois a pris une valeur politique.
Au début du XXème siècle le clivage entre la droite et la gauche se confond avec celui des travail-
leurs et des capitalistes. Le développement de la classe ouvrière a politisé la question de la propriété.
Ainsi, la gauche, représentant les salariés, voulait exproprier les capitalistes en nationalisant les entre-
prises. A l’inverse, la droite défendait le droit de propriété et donc le pouvoir des actionnaires dans
l’entreprise. Mais l’enjeu politique entre la droite et la gauche a été aussi moins radical. Ainsi, des lois et
des règlements ont été adoptés, visant à limiter le pouvoir des employeurs sur les salariés (semaine de
40h, congés payés, droit du travail, protection contre les licenciements, indemnisation du chômage…)
L’opposition entre ouvriers et bourgeois a pris une valeur culturelle.
La culture ouvrière était fondé sur le travail ouvrier qui reposait souvent sur la force physique, les
connaissances et les astuces pratiques qui se transmettaient au sein de l’atelier. Il existait par ailleurs
une fierté du métier.
La culture bourgeoise reposait sur la culture savante, celle qui se transmettait à l’école et dans
les universités.
Par ailleurs, les pratiques culturelles n’étaient pas les mêmes.
L’opposition entre ouvriers et bourgeois a conduit à une véritable ségrégation sociale.
Elle se manifestait dans la structure des villes, où les « quartiers ouvriers » se situaient souvent à
la périphérie des villes (banlieues) s’opposaient aux « beaux quartiers » -le centre ville. Cette opposi-
tion aussi dans l’école puisque les enfants des milieux populaires et supérieurs ne fréquentaient pas les
mêmes écoles, avant la création du collège unique.
Le conflit social qui concernait initialement l’entreprise s’est étendu à toute la société ; c’est
pourquoi la notion de classes sociales apparaît plus justifiée que celle de groupes sociaux.
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4. Conflit social et lutte des classes.
La lutte des classes renvoie à l’analyse de Karl Marx. Il a été l’un des premiers à analyser les
conflits sociaux comme une conséquence normale du fonctionnement des sociétés. Il a relié les conflits
sociaux et l’organisation du travail en définissant les « rapports de production ».
Dans les sociétés contemporaines capitalistes, la lutte des classes oppose les salariés et les capi-
talistes. Le conflit d’intérêt repose sur une injustice faite aux salariés l’exploitation devient un conflit
social quand les groupes se transforment en classes sociales.
L’analyse de l’exploitation capitaliste :
Les capitalistes sont ceux qui possèdent les moyens de production alors que les salariés ne dispo-
sent que de leur force de travail. Ces derniers sont contraints de louer leur force de travail aux capita-
listes pour vivre et ces capitalistes s’approprient la valeur de la production en échange d’un salaire.
Cette domination des salariés par les capitalistes permet à ces derniers de les exploiter en leur versant un
salaire (la valeur d’échange du travail) inférieur à la valeur de la production (la valeur d’usage du tra-
vail) et de s’approprier la différence (la plus-value). Cette appropriation est possible parce que les sala-
riés ne sont pas organisés, les employeurs peuvent jouer sur la concurrence entre eux et qu’il existe, dans
les sociétés industrielles, une réserve perpétuelle de chômage l’armée de réserve » capitaliste) qui
favorise la concurrence entre les salariés (les chômeurs sont prêts à accepter un salaire plus faible pour
retrouver un travail et échapper à la misère). L’existence du profit est donc la conséquence d’un rapport
de force. Seul le travail est source de valeur.
la constitution des groupes en classe sociale :
le conflit social suppose que les individus (les salariés) partageant une même situation dans les
rapports de production aient conscience de leurs similitudes et s’unissent pour revendiquer contre un
adversaire commun. Ils constituent alors une classe sociale, la classe en soi devient une classe pour soi.
Cette constitution va se produire avec le développement des grandes usines au XIXème siècle lorsque les
ouvriers vont prendre conscience de leur identité professionnelle et qu’ils vont s’organiser en syndicats,
en partis politiques, pour structurer leurs actions revendicatives et défendre leurs intérêts. De même, les
capitalistes vont se structurer en organisations patronales.
Ainsi, l’analyse marxiste théorise les conflits du travail et donne une vision conflictuelle de la so-
ciété. Les conflits du travail vont structurer la société en classes sociales antagonistes, organiser les
identités professionnelles et la vie politique.
B. Les conséquences des mutations du travail sur les conflits sociaux : l’exemple de la classe
ouvrière.
L’opposition entre les ouvriers et les patrons a longtemps été le modèle de référence de la trans-
formation du conflit social en lutte des classes. Mais cette opposition à l’intérieur de l’entreprise est de-
venue valable dans toute la société. Cependant, le travail des ouvriers s’est profondément transformé au
cours des trente dernières années et on peut dès lors s’interroger sur l’existence de la classe ouvrière.
1. Une diminution de la part des ouvriers dans la population active, une identité professionnelle
moins marquée.
En 1982, les ouvriers étaient plus de 7 millions ; 6,5 millions environ en 1990 ; un peu moins de 6
millions en 1999 et 2005. Dans le même temps, la population active n’a cessé de croître ce qui a accentué
la baisse de la part des ouvriers dans la population active. Ainsi, elle est passée de 38% en 1962 à 33 %
en 1982, 26% en 1999 et 24% en 2005 soit -37% entre 1962 et 2005.
La transformation de la nature du travail des ouvriers :
De plus en plus d’ouvriers travaillent dans les services. Ainsi, en 2001, le nombre d’ouvriers tra
vaillant dans les services est plus important que celui travaillant dans le secondaire. Ces ouvriers sont en
particulier des ouvriers d’entretien et de maintenance. Même dans le secteur secondaire, les ouvriers
effectuent moins souvent des tâches de production du fait de l’automatisation de la production. On assiste
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à un développement des activités de tri, d’emballage et de manutention en général d’un côté, et une aug-
mentation des tâches de surveillance, contrôle et réglage des machines automatisées d’autre part.
Une autre transformation importante concerne la qualification des ouvriers. Celle-ci s’est globa-
lement élevée néanmoins, ils exercent souvent un emploi dont la qualification est inférieure à celle qu’ils
possèdent, 31% des salariés embauchés pour un emploi ne demandant pas de qualification possèdent un
CAP ou un BEP.
Taille des entreprises et du collectif de travail :
La taille des entreprises dans lesquelles travaillent les ouvriers a beaucoup diminué et ce pour plusieurs
raisons :
l’automatisation des tâches de production.
Les ouvriers travaillent de plus en plus dans les entreprises du tertiaire dont la taille est inférieure
à celle des entreprises industrielles.
Le cadre de travail des ouvriers s’est donc transformé. C’est la fin des grands rassemblements
ouvriers à l’ouverture des grilles de l’usine. Toutefois, la diminution de la taille des entreprises
n’implique pas un rapprochement entre les ouvriers et le patron. Les petites entreprises appartiennent
souvent à de grands groupes industriels et financiers et le pouvoir est en général loin du lieu de produc-
tion.
les transformations récentes du travail et de l’emploi (précarisation du travail, suppression des
emplois non qualifiés, individualisation de la carrière…) agissent sur l’identité professionnelle. Les fron-
tières de l’emploi sont plus floues, les métiers se transforment, les horaires sont « à la carte ». Ainsi,
l’individu semble triompher au détriment du collectif. L’identité professionnelle semble donc moins « im-
posée » à l’individu qui doit davantage trouver ses repères seul pour la construire. La mobilisation en
vue d’un conflit devient donc plus difficile à obtenir.
La culture ouvrière recule avec la transformation du travail ouvrier :
La précarisation du travail, l’expérience du chômage (les ouvriers sont plus touchés que les
autres catégories) dévalorisent le travail ouvrier tandis que le changement de la nature du travail ouvrier
dû à l’automatisation modifie directement sa spécificité.
De même, les conditions de vie des ouvriers se sont transformées, semblant rejoindre celles d’une
vaste classe moyenne. Au cours des années 1960-1970, les ouvriers ont accédé à la société de consomma-
tion et le mode de vie des ménages ouvriers s’est transformé par le développement du travail des femmes
d’ouvriers, l’allongement de la durée de scolarisation des enfants d’ouvriers et le développement de
l’accession à la propriété à l’aide du crédit.
2. Ce déclin de l’influence politique et sociale des ouvriers reste relatif.
On ne peut pas affirmer que les ouvriers ont disparu ; en revanche, ils ont leur statut de classe so-
ciale c'est-à-dire la capacité à transposer leur conflit à l’échelle de la société tout entière. Par ailleurs,
les sources du conflit social, les inégalités, la faible mobilité sociale, perdurent et même parfois
s’aggravent.
le poids numérique des ouvriers dans la, population active reste important malgré leur déclin re-
latif : Aujourd’hui, près d’un tiers des pères de famille sont ouvriers et 40% des enfants sont élevés dans
un ménage un des deux adultes au moins est ouvrier. Par ailleurs, la diminution des effectifs ouvriers
s’est arrêtée depuis 2-3 ans.
La faible mobilité sociale enferme la classe ouvrière sur elle-même et la coupe des classes supé-
rieures : Depuis 20 ans, la mobilité sociale nette est faible ; les chances de monter dans la hiérarchie
sociale, en dehors des possibilités liées aux transformations de l’emploi, sont faibles. Malgré la prolon-
gation de la scolarité des enfants d’ouvriers, ceux-ci connaissent une faible mobilité ascendante. Même si
les enfants ont fait des études plus longues que leurs parents, ceux-ci ont plus de difficultés pour accéder
au marché du travail et obtiennent un emploi équivalent voire moins élevé que leurs parents.
Les inégalités, y compris matérielles, demeurent importantes :
Certes, les ouvriers ont accédé à la société de consommation mais la distinction se porte doréna-
vant sur de nouveaux biens et surtout sur les services (taux de départ en vacances, accès à internet, con-
sommation de services à domicile femmes de ménage, garde d’enfants…- et il existe des différences
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