L'exemple encourageant de la guérison des
leucémies aiguës à promyélocytes
LE MONDE | 09.06.01 | 10h30
Le traitement et le pronostic des leucémies aiguës à promyélocytes
(LAP) ont changé de manière radicale au cours des trente dernières
années. Dans les années 1970, la LAP était reconnue comme une
forme rare de leucémie aiguë, particulière par le fait que le
développement des cellules sanguines sortant de la moelle était
arrêté au stade de promyélocyte ; les cellules étaient incapables de
se spécialiser en globules blancs normaux. En 1989, la
caractérisation précise par clonage de l'anomalie chromosomique à
l'origine de cette maladie a permis une analyse très fine des
mécanismes de transformation maligne, ce qui en fait un modèle
de première importance en cancérologie.
Cette maladie a bénéficié des traitements par la chimiothérapie
anticancéreuse qui permettaient une première rémission dans 60 %
à 70 % des cas et seulement 20 % de survie après quatre ans.
Jusqu'au jour de 1988 où Christine Chomienne et Laurent Degos,
utilisant des cultures de cellules malignes, montrèrent que, en
présence d'acide rétinoïque, ces cellules immatures se
transformaient en globules blancs. Ce qui les a poussés à soigner
les LAP par l'acide tout-trans rétinoïque (ATRA). Une nouvelle page
a été ouverte dans l'histoire du traitement de cette maladie, qui a
connu alors 90 % à 95 % de premières rémissions complètes et
70 % à 80 % de survie sans rechute à cinq ans.
Le défaut caractéristique de la LAP fut mis au jour l'année suivante
par Anne Dejean et Hugues de Thé. Il s'agit d'une translocation
chromosomique qui juxtapose un gène jusqu'alors inconnu, PML, au
gène codant pour le récepteur alpha de l'acide rétinoïque,
RARalpha. Cette découverte permettait de comprendre pourquoi
l'acide rétinoïque était aussi actif. Enfin, en 1996, un groupe de
l'université de Harbin, dans le nord-est de la Chine, décrivit
l'induction de rémissions complètes de LAP lors de l'administration
intraveineuse d'arsenic, un agent connu dans la médecine
traditionnelle chinoise pour ses effets anticancéreux. La médecine
française au XIXe siècle conseillait d'ailleurs, elle aussi, l'arsenic
pour traiter les leucémies. Une étude sur le mode d'action de
l'arsenic fut entreprise en 1997 par une collaboration entre l'Institut
d'hématologie de Shanghaï et le laboratoire du CNRS dirigé par le
professeur Hugues de Thé à l'hôpital Saint-Louis à Paris. Des essais
cliniques faits aux Etats-Unis confirmèrent en 1998 que l'arsenic
procurait aux malades en échec thérapeutique une rémission
complète de leur leucémie.
PROTÉINE CHIMÈRE
Les leucémies sont souvent associées à des échanges de matériel
chromosomique entre deux chromosomes appelés translocations
réciproques. Elles conduisent parfois à la synthèse d'une protéine
chimère possédant des éléments de séquence de deux protéines
normales dont les gènes se sont trouvés juxtaposés du fait de la
translocation. Les LAP sont dues à une translocation entre les
chromosomes 15 et 17 qui fait exprimer en une même protéine,
dite "protéine de fusion", la protéine PML et le RARalpha qui ont
perdu tous deux leur fonction. "Cette protéine de fusion PML-
RARalpha bloque les effets de l'acide rétinoïque sur la
différenciation cellulaire, c'est-à- dire la transformation des cellules
primitives de la moelle en cellules plus spécialisées", explique le
professeur Laurent Degos, qui a été, après les Chinois, le premier
au monde à traiter les malades à l'acide rétinoïque. Ce blocage est
levé lorsque l'ATRA est donné à dose élevée ; le traitement induit la
différenciation des cellules leucémiques et provoque la dégradation
de PML/RARalpha.
VERS DES THÉRAPIES PLUS DOUCES
Au cours des dernières années, la protéine PML a fait à son tour
l'objet de recherches approfondies. Cette protéine semble
contribuer au contrôle de la prolifération et de la survie cellulaire.
Inactivée par sa fusion avec RARalpha, PML n'exerce plus ses effets
antiprolifératifs et ne permet plus aux cellules de disparaître par
défaut de mort spontanée et programmée. Si bien que la protéine
de fusion est responsable à la fois du fait que les cellules primitives
se développent sans mourir et qu'elles sont incapables de se
spécialiser. Le mécanisme d'action de l'arsenic exploiterait à la fois
la différenciation cellulaire et la mort cellulaire programmée ou
apoptose, en promouvant aussi la dégradation de la protéine de
fusion à l'origine de la maladie.
Le groupe de Hugues de Thé, qui a mis au jour ces mécanismes, a,
en outre, utilisé un modèle de souris développant une LAP très
voisine de celle de l'homme. Les souris traitées soit par l'ATRA, soit
par l'arsenic ont une rémission complète de leur leucémie. Mais, un
mois ou deux après l'arrêt du traitement, tous les animaux
rechutent. En revanche, le traitement par l'association de l'acide
rétinoïque et de l'arsenic a un effet spectaculaire. Toutes les souris
guérissent définitivement.
Grâce à ces modèles animaux proches de la maladie humaine, une
extraordinaire panoplie d'approches thérapeutiques peut être
évaluée. "Bien que le traitement actuel de la maladie par l'acide
rétinoïque et la chimiothérapie donne des résultats assez
satisfaisants avec 80 % de guérisons, de nouvelles approches,
peut-être moins agressives, pourraient voir le jour", conclut Hugues
de Thé.
E. Bx
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