immédiate, revendiquée même, reconnue, assumée. Le « Grand récit » biblique du Pentateuque
est celui de l’apparition d’une divinité neuve qui fonde une nation consacrée, par distinction –
élective, mais arbitraire –, séparation, inscription, assignation de plus haut. Il inaugure aussi
une histoire porteuse de violence et de paix, de conquête, mais toujours sous le sceau du plus
grand témoin, écrivain et lecteur en retour du récit… Son auteur – ou co-auteur, si l’on peut
dire – est ici le juge suprême – au sens où le Livre exprime l’arbitraire de l’infini prometteur et
fidèle et la profondeur d’un serment réciproque demandé, éternel et total. Un miroir s’instaure
de l’humaine nature en quête de son image, sous les deux conditions de la lumière et de la
conscience réfléchie. La lecture du Texte fait ressortir ici la grandeur et la petitesse, l’absolue
générosité et son infime existence, l’arrogance et l’humilité, le détail du commandement et sa
grandeur cachée, la contingence apparente du rituel et sa cohérence profonde à la lumière
radieuse qui l’éclaire et achève un édifice consistant de symboles. Ces derniers ne s’épuisent
nullement en eux–mêmes et sans cesse réfèrent à l’au–delà d’une présence qui les irradient et
les sauvent d’une obscure auto–signifiance – qui souvent ne fut pas comprise, à cause de la
coupure opérée d’avec la source immense et prescriptrice et des fins assignées et imposantes à
l’horizon du bien
. Universel et singulier sont là inextricablement mêlés et comme ne pouvant
défaire leur lien à un révélé – nécessairement singulier – comme événement et narration, et
universel – mais en son contenu rationnel, indispensable à un dessein initial, c’est à dire en
cohérence
globale avec ce que l’on pourrait appeler selon la lecture théologique le « souci de
L’histoire occidentale dans son entier pourrait être lue à la lumière de la Révélation hébraïque et de son
eschatologie implicite. Outre que celle–ci rompt avec la chronométrie cyclique des conceptions de l’Antiquité,
grecque et romaine et de tous les polythéismes en général, elle instaure en contrepoint une rationalité du monde et
un temps orienté par la promesse d’un salut conditionné au degré d’humanité à atteindre. Si l’on retient ce critère
qu’incarne le prophétisme, on pourrait rapporter à lui la majorité des systèmes de pensée philosophique
occidentaux qui ne se donnent pas moins ni plus que cela de faire advenir l’homme conscient de lui–même et en
paix avec son semblable. L’action, le politique, le royaume des Princes ou des Etats se rapporteraient tous au
fond à un tel but – entre le bonheur, la concorde et le règne de l’homme à l’ombre grandie de lui–même…
De Descartes à Kant en passant par Pascal ou Spinoza, de Marx à Sartre en passant par Kierkegaard ou Nietzsche
lui–même. La fameuse mort de Dieu, son avènement symbolique dans un achèvement de l’histoire temporelle
chez un Hegel, ou encore le nihilisme des Modernes, quelles que soient les voies proposées d’un nouveau salut ne
récusent en rien un modèle où il y va toujours des voies du salut mondain de l’homme – entre « existence »
infinie de l’horizon possible de son être et un destin, vécu tragiquement ou non, de finitude. Pour prolonger ici un
débat ouvert on peut lire le livre excellent de K.Löwith. Histoire et salut. Les présupposés théologiques de la
philosophie de l’histoire, traduction française, 2002. Gallimard.
Des notions ou des réalités conceptuelles comme la totalité, l’infinité, l’éternité sont implicites dans le texte de
la Torah et ouvrent à la pensée ultérieure des civilisations un horizon de sens nouveau et inédit sinon une
conception toute autre du monde. Un autre langage consiste à parler de Création, Révélation, Rédemption, par
exemple chez un F.Rosenzweig. Le choix de l’une ou l’autre formulation pour les mêmes thèmes – avec l’enjeu
anthropologique ou éthique implicite – signe l’acuité et la pertinence de la dialectique de l’universel et du
singulier concernant ce qu’on aimerait appeler « hébraïsme » pour distinguer une pureté métaphysique de ses
miasmes socio-politiques actuels, qui en rien ne l’épuisent, en dépit de tant de prêches sectaires d’Ayatollah
fourvoyés.