considérer comme « douteuses », et par conséquent de ne plus se fier aux données des sens
qui ont fait naître ces opinions. Mais jusqu’où peut alors s’étendre le doute ? Où peut-il
s’arrêter ? Il s’arrête à ce constat que « pendant que je voulais penser que tout était faux, il
fallait nécessairement que moi, qui le pensais, fusse quelque chose ». Ce face à quoi le doute
ne peut que baisser les armes, c’est l’évidence intuitive du « je pense » ; or celui-ci ne peut
que révéler immédiatement la présence d’un « je » qui pense, qui est le sujet ou substrat, de
ces pensées. Il existe par conséquent une substance pensante qui est « une chose qui doute,
qui conçoit, qui affirme, qui nie, qui veut, qui ne veut pas, qui imagine aussi et qui sent ».
Cette substance pensante (res cogitans) se distingue radicalement du corps. En effet, celui-ci
se définit entièrement par son étendue dans l’espace. Le corps est par conséquent substance
étendue (res extensa). Reste à penser comment est possible une union de l’âme et du corps
telle qu’elle se manifeste chez l’homme. Autrement dit, comment sont possibles des
interactions entre deux substances ne partageant aucune propriété ? C’est par l’intermédiaire
des esprits animaux que se réalise chez Descartes cette communication. L’âme peut
provoquer des modifications des mouvements des esprits animaux qui traversent le corps.
Inversement, les mouvements des esprits animaux trouvant leur origine dans le corps peuvent
affecter l’âme. Mais on comprend qu’ainsi le problème n’est pas résolu. Car, pour qu’il y ait
action de l’âme sur le corps et du corps sur l’âme, pour que s’établisse un rapport de cause à
effet, il faudrait supposer une certaine « communauté » des substances pensantes et étendue.
Or, celle-ci, est, par principe, inconcevable pour Descartes. C’est pourquoi celui-ci est conduit
à affirmer que l’union de l’âme et du corps est avant tout l’objet d’une expérience que nous ne
cessons de faire sans pouvoir pour autant être en mesure de l’expliquer.
Les successeurs de Descartes tâcheront de donner une solution à ces difficultés.
La thèse de l’occasionalisme, dont Malebranche est le représentant majeur, constitue une
telle tentative. Selon Malebranche, l’interaction du corps et de l’esprit est impossible ; il n’y
pas ici de causalité ; ou plus exactement l’esprit ne peut être que cause occasionnelle des
effets produits sur le corps (et inversement). La seule cause efficiente, c’est Dieu, qui, à
l’occasion d’une certaine modification de l’esprit produit une modification correspondante
dans le corps (et inversement), selon les lois qui dirigent son action. Précisons que pour
Malebranche cette théorie des causes occasionnelles vaut tout autant lorsque le rapport de
cause à effet s’établit entre deux corps. Leibniz, qui refusait la thèse de l’influence réciproque