" Tout le monde reconnaît qu'il y a beaucoup d'uniformité dans les actions
humaines, dans toutes les nations et à toutes les époques, et que la nature
humaine reste toujours la même dans ses principes et ses opérations. Les
mêmes motifs produisent toujours les mêmes actions ; les mêmes
événements suivent les mêmes causes. L'ambition, l'avarice, l'amour de soi,
la vanité, l'amitié, la générosité, l'esprit public : ces passions, qui se mêlent
à divers degrés et se répandent dans la société, ont été, depuis le
commencement du monde, et sont encore la source de toutes les actions et
entreprises qu'on a toujours observées parmi les hommes. Voulez-vous
connaître les sentiments, les inclinations et le genre de vie des Grecs et des
Romains ? Etudiez bien le caractère des Français et des Anglais : vous ne
pouvez vous tromper beaucoup si vous transférez aux premiers la plupart
des observations que vous avez faites sur les seconds. Les hommes sont si
bien les mêmes, à toutes les époques et en tous les lieux, que l'histoire ne
nous indique rien de nouveau ni d'étrange sur ce point. Son principal usage
est seulement de nous découvrir les principes constants et universels de la
nature humaine en montrant les hommes dans toutes les diverses
circonstances et situations. " - David Hume (18è)
Pourtant l'idée même de nature humaine est discutable et a été discutée. En effet une nature
n'est pas autre chose qu'une détermination fixe, une permanence ; or il semble que l'homme se
caractérise justement par sa mobilité essentielle, par sa faculté de se transformer et presque de
se "créer" lui-même. C'est pourquoi les philosophes ont dû concilier l'essence de l'homme avec
cette mobilité : c'est ce que Rousseau appelle la "perfectibilité". La perfectibilité, qualité
essentielle de la nature humaine, fait de l’homme un être inachevé, devant se réaliser par lui-
même. Le dépassement est inscrit dans la nature humaine, dans ce qui est finalement une
disposition de l’homme à la culture. En effet qu'est-ce que cette auto-transformation sinon ce
qu'on a appelé depuis le début la culture ? Mais alors quel besoin avons-nous d'une nature
humaine si le propre de l'homme c'est précisément la culture ? C'est pourquoi la plupart des
philosophes contemporains sont allés plus loin, ils nient l'existence même d'une nature
humaine, à l'enseigne de Sartre : "il n'y a pas de nature humaine, puisqu'il n'y a pas de Dieu
pour la concevoir" ; c'est-à-dire que "que l'homme existe d'abord, se rencontre, surgit dans le
monde et qu'il se définit après". L'homme est cet être essentiellement libre qui ne peut pas être
enfermé par une définition. L'homme n'a pas de nature parce qu'il a une histoire, ce qui définit
la "condition humaine".
" S'il est impossible de trouver en chaque homme une essence universelle
qui serait la nature humaine, il existe pourtant une universalité humaine de
condition. Ce n'est pas par hasard que les penseurs d'aujourd'hui parlent
plus volontiers de la condition de l'homme que de sa nature. Par condition
ils entendent avec plus ou moins de clarté l'ensemble des limites a priori qui
esquissent sa situation fondamentale dans l'univers. Les situations
historiques varient : l'homme peut naître esclave dans une société païenne
ou seigneur féodal ou prolétaire. Ce qui ne varie pas, c'est la nécessité pour
lui d'être dans le monde, d'y être au travail, d'y être au milieu d'autres et d'y
être mortel. " - Jean-Paul Sartre (20è)
c - La fiction d'un "état de nature" de l'Humanité
- Une dernière expression relativement courante doit être clarifiée. "L"état de nature" de
l'humanité n'a pas la même signification que la "nature humaine" : cela ne correspond pas à
une définition théorique de l'homme mais à une hypothèse sur son origine, son existence
d'"avant" la culture ou la civilisation. Encore une fois, quelle peut être l'utilité d'une telle notion si
la culture est posée comme principe même de l'existence humaine ? S'il y a des hommes, ils
possèdent un minimum de culture, donc il ne peut pas y avoir d'"état de nature". C'est pourquoi