Les paroles ne seraient que des justifications vaines par rapport au choix fait antérieurement.
Comme il est dit dans le chapitre I de la partie 4 de l'Etre et le Néant : "le choix de la
délibération est organisé avec les mobiles et les motifs que je choisis moi-même la décision
est prise elle n’a d'autre valeur que celle d'une annonciatrice".
Caligula :
Caligula, conçu dès 1938, publiée en 1944, et joué en 1945, et Le Malentendu, écrit à la fin de
la guerre mais dont L'Étranger annonçait déjà le sujet, illustrent à la scène les thèmes de
l'absurde.
Sans doute Caligula pourrait-il être un fragment détaché du Mythe de Sisyphe. La démence
de cet empereur relève de la logique de l'absurde: il ne peut admettre l'idée que les hommes
meurent et qu'ils ne sont pas heureux. Il veut se prouver qu'il est libre, et puisqu'il en a les
moyens, il va le prouver aux dépens des autres. Il prend « le visage bête et incompréhensible»
des Dieux et du Destin, comme s'il voulait provoquer les hommes et les appeler à la révolte.
Ce frère de Sisyphe finit par faire rouler sur eux son rocher, et s'exalte de son entreprise de
destruction, passant de l'absurde au nihilisme. Il meurt conscient de son échec: « Je n'ai pas
pris la voie qu'il fallait, je n'aboutis à rien. Ma liberté n'est pas la bonne. » La pièce, qui reste
très schématique, vaut par l'ascétisme rigoureux que l'auteur a recherché dans la construction
dramatique et l'écriture des dialogues.
À s'arrêter à la surface des choses, on peut s'étonner de trouver dans Caligula tant d'affinités
avec la tragédie traditionnelle. Dans celle-ci, en effet, le spectateur s'identifie immédiatement
avec le héros, se forge avec lui ou, si l'on préfère, par son intermédiaire, un destin, affronte la
mort. Or il est bien évident qu'un personnage comme Caligula, en soi, n'invite pas à
l'identification. L'empereur fou, cependant, tel que le présente Albert Camus, reste bien un
héros tragique - même au sens traditionnel- car s'il est criminel et s'il déchaîne l'injustice, il est
lui-même la première et l'ultime victime de sa démesure, de son hypertrophie passionnelle. La
passion dont il s'agit ici est celle de la lucidité.
Le Malentendu :
Le Malentendu qui, sous des allures de sombre mélodrame, va sans doute plus loin. Jan,
l'exilé qui revient auprès de sa mère et de sa sœur, devenues hôtelières, ne sait pas qu'elles ont
pris 1 'habitude de tuer leurs clients pour les dépouiller. Il ne se fait pas reconnaître et se
montre incapable même de se faire entendre d'elles sans ambiguïté. Un vieux serviteur,
apparemment muet et simulant la surdité, symbole, pour certain critiques, d'un Dieu
impassible et malveillant, se refuse à dire les quelques mots qui dénoueraient le drame, et ne
dévoile l'identité du voyageur qu'après le meurtre. « Pendant qu'il cherchait ses mots, on le
tuait. » Tel aura été le sort de Jan. « Tout le malheur des hommes, commente Camus, vient de
ce qu'ils ne prennent pas un langage simple. » Dès cette œuvre, on sent l'écrivain désireux de
passer d'une expression de la solitude à un langage de la communauté, des monologues
héroïques à la mise en œuvre d'un véritable dialogue entre les hommes.
Le Malentendu est bien une tragédie, écrite dans le prolongement immédiat de L'Étranger.
Martha appartient, comme Caligula, à la race de ces héros modernes, de ces iconoclastes qui,
dans un même mouvement, sollicitent l'adhésion, jusqu'à l'identification, du spectateur et la
rendent impossible parce que les excès, auxquels ils s'abandonnent, ne sont pas ceux que
provoque à la longue l'acharnement des dieux, ne sont pas l'aboutissement fatal d'une passion
exaspérée, mais, dès le départ, extériorisent seulement une insurmontable volonté de
destruction.
Il s'agit bien, ici, des rapports de l'homme et de l’absolu, de sa tentative apparemment vaine