J. Monod, GD T°es4 – SES – Le multiplicateur keynésien

J. Monod, GD
T°es4 SES Le multiplicateur keynésien novembre 2010
On associe spontanément l'effet d'un investissement à l'amélioration de l'offre : une entreprise qui investit
le fait pour remplacer son matériel vieillissant, et/ou pour produire plus, et/ou pour produire plus efficacement
(c'est-à-dire pour produire plus et/ou de meilleure qualité pour moins cher, car avec moins de main d'œuvre, de
matières premières, d'énergie, etc). Mais, même si on y pense moins spontanément, une opération d'investissement
a aussi un effet sur la demande, car c'est une dépense, donc une recette pour d'autres entreprises, celles qui
fournissent les biens ou services productifs acquis.
Le mécanisme du multiplicateur est en fait une idée simple, qui a été mise en lumière par John Maynard
Keynes pour l'investissement, c'est pourquoi on parle du multiplicateur d'investissement keynésien. Mais le même
effet est obtenu avec toute dépense, tout achat effectué auprès d'une entreprise. Il s'agit de l'effet "boule de
neige", du fait, simplement, que toute somme dépensée une fois circule ensuite plusieurs fois : elle est un revenu
pour celui qui reçoit la somme, et comme lui-même a des dépenses à assurer ...le même billet circule plusieurs fois.
Comme nombre d'idées qui nous paraissent « évidentes » aujourd'hui, celle-ci ne l'a pas toujours été. Il a fallu
qu'un auteur, par ses travaux précurseurs (et révolutionnaires) pour l'époque, la mette en lumière, l'analyse et en
fasse la théorie.
Le principe...
Lorsqu'une entreprise effectue un investissement, elle achète des biens ou des services productifs à une
autre entreprise. Supposons par exemple que la compagnie ferroviaire nationale achète pour 100 millions d'euros de
locomotives au principal fabricant national de matériel ferroviaire. Pour la compagnie, il s'agit d'une dépense, mais
pour le fabricant, c'est une recette. Avec cette somme, il va payer ses salariés, lesquels vont, très vite, consommer
et épargner ces revenus. Par exemple, ils en consomment 80%, soit 80 millions, et épargnent les 20 millions restants.
Supposons, toujours pour simplifier, qu'ils s'offrent tous une semaine de vacances en famille dans un tout nouveau
centre de vacances. Le centre de vacances perçoit 80 millions, et paye ses salariés qui dépensent 80x80% = 64
millions, et épargnent 16 millions. Si ceux-ci dépensent à leur tour leur nouveau revenu en vêtements, les fabricants
de vêtement perçoivent 64 millions, et ils payent leurs salariés qui dépensent 64x80% = 51,2 millions et épargnent
12,8 millions. Et ainsi de suite : la dépense initiale provoque une série de dépenses-revenus.
...et son application à la politique de relance
Keynes démontre ce phénomène, qui découle de sa vision du circuit économique, et il l'applique à la
politique de relance en cas de crise, par la dépense d'investissement public. Pourquoi cette dépense précisément ?
Parce que Keynes écrit en analysant la "grande crise" de 1929, et il montre pourquoi seul ce type de dépense
permet d'en sortir. En effet, en situation de crise, les ménages sont en difficulté (chômage, salaires en berne, ...),
les entreprises sont pessimistes (elles craignent une stagnation ou une chute des débouchés), les banques sont
elles-mêmes en difficulté (en 1929 comme en 2009...) car elles étaient au cœur de la crise financière. Dans ces
conditions, le seul agent économique qui peut dépenser plus que ses revenus, et donc s'endetter plus dans cette
situation, pour soutenir et relancer l'activité économique, c'est l'État. Car, à la différence d'un ménage, d'une
entreprise ou d'une banque, il ne meurt pas, ne fait pas faillite (en principe), et il peut de ce fait se permettre de ne
jamais rembourser certaines de ses dettes. Par exemple, l'État peut emprunter en émettant des bons du Trésor, qui
sont donc des titres de dette publique, ces créances sur l'État. Mais l'État peut en émettre et ne pas les
rembourser : ceux qui les achètent peuvent les garder ou les revendre, car c'est un placement sûr, un État ne
tombant, en principe, jamais en faillite. Et c'est la dépense d'investissement qui est retenue, plutôt qu'une dépense
publique quelconque, car elle a deux mérites : elle prépare l'avenir en améliorant les infrastructures publiques, qui
servent à la qualité de la vie des citoyens et aux performances des entreprises, et elle débloque la situation de crise
en relançant la demande, dans l'immédiat.
Exemple chiffré
Considérons donc une nouvelle dépense d'investissement public, destinée à sortir d'une crise économique :
ΔI (ou ΔG pour government), d'un montant de 100, et voyons ses effets.
période
ΔI
ΔY (demande,
activité)
ΔC
ΔÉp
1
+ 100
+ 100
+ 80
+ 20
2
+ 80
+ 64
+ 16
3
+ 64
+ 51,2
+ 12,8
4
+ 51,2
...
...
...
...
...
...
Σ
...
...
...
La « propension (moyenne) à consommer » mesure la part du revenu qui est consommée : C / R
Mais ici, on raisonne sur une dépense
nouvelle
, qui n'existait pas dans l'économie avant que l'État la crée par son
endettement. Il faut donc raisonner sur un supplément de revenu et de consommation dans l'économie. C'est
pourquoi Keynes utilise la propension
marginale
à consommer, qui mesure quel supplément de consommation
provient d'un supplément de revenu : c = ΔC / ΔR
Or, les vagues de revenu-consommation peuvent se poursuivre longtemps, mais à la fin, à combien se montera
l'effet global (la ligne Σ dans le tableau) ?
Un petit détour mathématique est ici utile, car multiplier une valeur initiale par un chiffre plusieurs fois de suite,
cela constitue une suite géométrique, dont on connait la somme : 1 / (1 -
la raison
)
Ici, la raison, c'est-à-dire le coefficient multiplicateur, c'est la propension marginale à consommer. Le multiplicateur
vaut donc ici : k = 1 / (1-c)
Dans l'exercice ci-dessus il vaut : k = 1 / (1-0,8) = 1 / 0,2 = 5
Et donc, à la fin des vagues de revenu-dépense, on a : ΔY = k x (1 / (1-c))
Ici, un investissement initial de 100 provoquera donc un surcroît d'activité de 500.
La valeur de k va dépendre de la valeur de c : plus c sera élevé plus les vagues seront importantes et plus l'effet
sera fort. Vérification : si : c = 0,8 k = …
si : c = 0,9 k = …
si : c = 0,5 k = …
L'estimation de la valeur du multiplicateur offrait aussi un outil précieux pour doser l'ampleur d'une relance. Ainsi,
si le gouvernement estimait qu'il manque 20 milliards d'euros pour que l'activité économique crée 500.000 emplois
et que k était estimé à 5, il fallait une relance de : 20M€ / 5 = 4 milliards €.
Keynes a donc utilisé le multiplicateur comme fondement théorique et comme outil de la politique de relance.
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Historique des politiques de relance
Tirant les leçons de la crise de 1929, durant laquelle les politiques économiques avaient surtout consisté à
...ne rien faire pour soutenir la demande et à laisser le système "se purger" de lui-même, la politique keynésienne a
dominé l'analyse économique et a inspiré les politiques économiques des pays riches de 1945 jusqu'au début des
années 1970.
Mais on retrouve la même démarche dans le New Deal de Roosevelt en 1933, le plan Freycinet en France en 1878,
les plans de relances de 2008-2009 aux États-Unis, en Europe et en Chine.
À partir des années 1970, ces politiques ont été remises en cause, critiquées puis abandonnées par les pays
riches. Le nécessaire sauvetage des banques et les plans de relance de 2008-2009 ne sont, de ce point de vue,
qu'une parenthèse.
En effet, le multiplicateur keynésien a servi de fondement théorique aux politiques de relance, qui fonctionnent
moins bien depuis ces années, pour plusieurs raisons :
tout d'abord, le ralentissement des gains de productivité, perceptible dès 1967-68 aux États-Unis,
impliquait que la croissance en pouvait pas continuer au même rythme : les politiques de relance n'ont donc
pas permis de retrouver le rythme de croissance des 30 glorieuses, qui était exceptionnel et qui n'était plus
accessible.
Ensuite, l'ouverture des économies a chanla donne : alors que Keynes raisonnait en économie fermée,
hypothèse acceptable à son époque, l'importance des importations perturbe le multiplicateur. Si les
consommateurs achètent des produits faits à l'étranger, le multiplicateur fonctionne... au bénéfice des
firmes étrangères (hausse des importations), sans relancer l'activité et l'emploi dans la nation.
De plus, la croissance ne pouvant accélérer pour des raisons structurelles, la demande s'est retrouvée plus forte que
l'offre, et la relance a dégénéré en inflation. Problème mineur en économie fermée, cela devient un souci en
économie ouverte, car si les produits nationaux sont concurrencés par d'autres dont les prix n'augmentent pas, nos
importations gonflent, nos exportations se tassent et le déficit commercial s'aggrave. C'est ce qui s'est passé lors
des dernières relances keynésiennes en France, en 1976 (relance Chirac) et 1981 (relance Mauroy).
De ce fait, l'activité économique ne repart pas ou pas suffisamment, et la dette s'accumule. En effet, si la
croissance repart, les rentrées fiscales augmentent et permettent de rembourser la dette facilement ; mais
si la croissance reste faible, la dette s'accumule.
C'est ce qui se passe actuellement : les États des pays riches se sont endettés pour sauver leurs systèmes
bancaires, mais « les marchés », c'est-à-dire en fait les prêteurs (fonds de pension, fonds d'investissement,
spéculateurs, …) craignent que certains États soient trop endettés et ne parviennent plus à honorer leur dette
(c'est-à-dire à la rembourser) et se déclarent en faillite. De ce fait, ils « exigent une prime de risque », c'est-à-dire
qu'ils n'acceptent de continuer à prêter que plus cher. Ce qui accroît les difficultés de ces États endettés, qui
imposent des plans d'austérià leurs populations : réduction des dépenses publiques (donc des services publics,
des effectifs de fonctionnaires et/ou des traitements), privatisations totales, partielles ou rampantes des services
publics, hausse des impôts, réduction des salaires. Mais sans chercher à « désarmer » (l'expression est de
l'association Attac), pour le moment, les marchés financiers : les débiteurs sont ici sacrifiés aux créanciers.
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