5) Le Bortsch de Babouchka Mon père d’origine sicilienne et ma mère ukrainienne se rencontrèrent pendant la guerre dans un camp de prisonnier. Bien sûr elle nous éleva mon frère et moi dans cette culture slave, notamment au point de vue gastronomique. La présence du chou et de la viande bouillie est une constante dans la cuisine ukrainienne et russe. D’ailleurs notre père nous a souvent raconté un épisode significatif de leur libération. Laissons lui la parole avant de revenir au Bortsch. 1945 «Les allemands parlaient d’armes nouvelles, mais nous vîmes, un jour, passer un régiment d’artillerie, tractée par de beaux chevaux. D’où sortait-il ? Puisque l’on pouvait pratiquement plus circuler à cause des bombardements alliés. C’était une route secondaire donc un peu plus à l’abri, moins menacée et avec le couvert du bois !! Cependant dans la demi-heure qui suivit des avions de chasse, avec la cocarde anglaise, se mirent à mitrailler consciencieusement la susdite discrète route, pas de bombe tout à la main, si j’ose dire. Ils disparurent après plusieurs passages. Nous étions en fin d’après midi et le soir les villageois allemands commentaient tristement ce fait de guerre. « Tous morts ! tous morts ! » disaient-ils. Le lendemain, notre chasse quotidienne à la nourriture reprenait. Quand, après le café ersatz (de l’orge grillée), en évoquant cette hécatombe, me vint l’idée que si tout le monde était mort, les superbes chevaux devaient l’être aussi et que les chevaux après tout, c’est de la viande. Je ne sais pourquoi, je me rendais seul à l’endroit du carnage. Tout le monde était bien mort. Il n’y avait personne, j’étais seul. Je choisis une bestiole accessible en tête d’un attelage et taillais quelques kilos de bonne viande dans le poitrail et l’encolure. Je ne sais toujours pas où se trouvent les meilleurs morceaux. Je craignais que les muscles de l’arrière soient trop durs et comme ils étaient encore attelés et pour certains les cavaliers étaient emmêlés, j’ai taillé au plus facile. Comme je finissais mon dépeçage et dégageais une bonne quantité de viande, une équipe de civils qui n’étaient pas du village, arriva avec un certain nombre de cercueils. Mais ils commencèrent par récupérer des harnais. Par chance, ils ne firent guère attention à moi. (…) J’ai regagné notre base sans incidents. Je rêvais depuis longtemps de beefsteak grillé bien saignant et je confiais sans méfiance la viande à Babouchka. Le soir, notre petit groupe se réunit pour le dîner et les filles, ukrainiennes pour la plupart, nous servirent une soupe au chou avec quelques pommes de terre et des morceaux de viandes, un délice, mais j’attendais mes steaks. Elles expliquèrent qu’elles avaient fait la viande comme chez elle, le Bortsch et c’était le plat unique. Heureusement, ma colère fut stoppée net quand elles me dirent la bouche en cœur qu’il restait de la viande crue pour demain. Mon steak était sauvé. » Longtemps après cet épisode dramatique et leur libération, ma mère nous régalait régulièrement en hiver de son bortsch, que j’appris rapidement à cuisiner, moimême, en la regardant faire et en l’aidant à la préparation des légumes. Pour résumé, on pourrait dire que c’est une sorte de pot au feu russe. Ingrédients pour 8 personnes - 1,5 kg de poitrine de bœuf pour pot au feu - un bel os à moelle - ½ chou vert frisé - 400 g de betterave rouge crue - 4 ou 5 carottes - 2 poireaux - 1 oignon - 4 ou 5 pommes de terre - 25 cl de coulis de tomates - sel, poivre, 6 clous de girofle Recette - mettre la viande à cuire dans un grande marmite, 3 litres d’eau salée froide, avec un oignon piqué de clous de girofle - porter à ébullition, laisser cuire à feu doux pendant 1 heure en écumant régulièrement - pendant ce temps, éplucher les légumes et les couper en petits dés - émincer le ½ chou vert et les poireaux - au bout d’une heure, sortir la viande et la couper en gros morceaux - ajouter les carottes, les betteraves rouges, les pommes de terre - laisser cuire à petit bouillon ½ heure puis ajouter le chou, les poireaux et le coulis de tomates - remettre à cuire à feu doux encore ½ heure, goûter la soupe saler, poivrer à votre goût, remuer délicatement - laisser le bortsch se reposer jusqu’à environ 15 minutes avant de servir - réchauffer 15 minutes - servir dans de grandes assiettes creuses, on peut couper la viande à part et pour ceux qui aime rajouter de la crème fraîche. Bon appétit