
 
Ainsi,  nous  n’accédons  à  la  chose  comme  objet  de  l’expérience  transcendantale,  que  par  les  aspects  infinis 
qu’elle offre à nous. Cette infinité prend aujourd’hui le visage de la diversité culturelle, il s’agit donc de pénétrer 
les  cultures  comme  autant  d’objets  de  l’expérience,  sans  toutefois  les  réifier,  et  en  pensant  qu’elles  sont 
véhiculées par des sujets. Comme le remarque Abdallah-Pretceille, 
« L’interculturel  est  fondé sur une philosophie du sujet, c'est-à-dire sur une 
phénoménologie  qui  construit  le  concept  de  sujet  comme  être  libre  et 
responsable  […]  Avec  les  phénoménologues,  on  part  du  principe  que  le 
comportement  culturel  ne  signifie  rien  à  priori…la  culture  n’est  pas  une 
réalité sociale en soi que l’on peut appréhender de manière objective, c’est un 
vécu dont il s’agit de reconstruire le sens »12. 
C’est en effet l’ouverture à l’altérité qui est en jeu dans l’expérience phénoménologique :  
« La phénoménologie, en suspendant la thèse générale de l’attitude naturelle 
retrouve  un  monde  et  des  personnes  constituées  …  pensées,  sentiments, 
passions et actions qui s’y rattachent dans la  vie concrète ; mais [le sujet] y 
accède dès lors à travers ses noèses, il les touche comme sien jusque dans 
leur extranéité »13. 
 
C’est cette phénoménologie de l’altérité, au plan ontologique – c'est-à-dire de la transcendance - qui permet de 
penser  la  problématique  globale  de  l’interculturalité,  en  évitant  toute  réification  de  la  culture  comme source 
exclusive de l’identité individuelle, selon un déterminisme culturaliste : autrement dit, c’est la personne en tant 
que subjectivité pure – cogitatio – qui donne sens à son vécu et constitue la signification de ses valeurs pour se 
rapporter au monde et interagir avec d’autres individus. Tel est le sens ultime de l’intersubjectivité. 
Comme  le  soutient  Abdallah-Pretceille,  « l’approche  interculturelle  pose  l’interaction  comme  fondamentale, 
c’est l’Autre qui est premier et non pas culture »14. 
Il nous semble par ailleurs fondamental de retenir de ce tournant phénoménologique de la pensée qu’apporte la 
philosophie  de  Husserl,  l’exigence  de  la  réduction  phénoménologique,  comprise  comme  une  exigence  de 
neutralité vis-à-vis de ses propres valeurs et croyances culturelles :  nous n’avons  pas  à  nous  prononcer  sur  la 
réalité du monde, ni à porter de jugement sur elle, nous devons pratiquer la réduction comme une « ascèse » de 
l’intellect, visant à renouer avec les données les plus fondamentales de l’intériorité humaine ( désirs, jugements, 
émotions, sentiments), dans son articulation à l’extériorité du monde que nous visons de façon intentionnelle, et 
qui s’accomplit dans l’intersubjectivité. 
La phénoménologie permet de mettre une distance vis-à-vis  de  l’attitude naturelle, qui est faite de jugements 
permanents sur les choses et les personnes sans vraiment jamais avoir ne serait-ce que l’intuition de leur essence, 
et se tourne vers les vécus intentionnels : « vers le Réel, l’Iréel, le passé, le voulu, l’aimé, le désiré, le jugé etc… 
L’intentionnalité signifie seulement que la conscience est à titre premier hors de soi »15. 
C’est donc une réconciliation du sujet avec le monde que permet et que soutient toute l’œuvre philosophique de 
Husserl : c’est une philosophie de l’attention, qui  met en garde contre tout jugement hâtif et contre les clichés 
culturels pour se recentrer sur soi et revenir à des perceptions essentielles, qui impliquent la réduction éidétique - 
réduction des vécus à leur essence, après que la conscience ait levé l’hypothèque de l’interprétation naturaliste 
du sujet : 
« La réduction transcendantale qui restitue le sens de la conscience en général 
ne peut être pratiquée sans la réduction éidétique qui fixe des significations 
telles que percevoir, entendre, voir, imaginer, décider, agir - comprises sur un 
petit nombre d’exemples »16.