Dyslexies développementales : Théorie de l’empan visuo-attentionnel
S. VALDOIS
Directrice de Recherche CNRS
Orthophoniste et Neuropsychologue
Laboratoire de Psychologie et NeuroCognition
UMR CNRS 5105
Université Pierre Mendès France, BP 47,
38040 Grenoble Cedex 9
Résumé : Cet article fait la synthèse de l’ensemble des données témoignant de l’existence
d’un trouble de l’empan visuo-attentionnel (EVA) dans les dyslexies développementales.
L’EVA correspond au nombre d’éléments visuels distincts pouvant être traités en parallèle
dans une configuration. Des études de groupe ont montré qu’une réduction de l’EVA était
observée chez bon nombre d’enfants dyslexiques indépendamment de tout trouble
phonologique. Ce trouble de l’EVA correspond au niveau neurobiologique à un
fonctionnement atypique des régions pariétales. Un sous-type de dyslexie caractérisé par un
trouble de l’EVA et un dysfonctionnement pariétal doit donc être distingué des formes
phonologiques classiquement décrites.
Mots clés : Dyslexie développementale, empan visuo-attentionnel, lecture, trouble
phonologique, lobule pariétal supérieur
Abstract : The paper reviews evidence for a visual attention (VA) span disorder as a second
core deficit in developmental dyslexia. The VA span denotes the number of distinct visual
elements which can be processed in parallel in a multi-element array. A VA span reduction
has been reported in a good number of dyslexic individuals independently of any
phonological problem. Functional neuroimaging investigations have shown that the VA span
disorder relates to atypical parietal activations. These data suggest the existence of a second
subtype of developmental dyslexia characterised by a VA span disorder and a parietal
dysfunction which differs from the well-documented phonological subtype.
Keywords: Developmental dyslexia, visual attention span, reading, phonological deficit,
superior parietal lobule.
1. INTRODUCTION
De très nombreuses études menées depuis une trentaine d’années en psychologie,
neuropsychologie et neurosciences cognitives ont eu pour objectif d’identifier d’une part la
nature des dysfonctionnements cognitifs responsables des dyslexies développementales,
d’autre part, les corrélats neurobiologiques de ces troubles. Bien que les troubles spécifiques
d’apprentissage de la lecture aient été initialement attribués à des difficultés de traitement
visuel [Morgan (1896) et Hinshelwood (1917) parlent de cécité verbale congénitale pour
désigner les troubles sévères d’apprentissage de la lecture], les données s’accumulent dans la
deuxième moitié du XXème siècle en faveur d’une origine phonologique du déficit. On
montre alors non seulement que les enfants dyslexiques présentent, en tant que groupe et
comparativement à des enfants normo-lecteurs, des déficits sur tout un ensemble d’épreuves
mettant en jeu la composante phonologique (Snowling, 2000 ; Vellutino et al., 2004 ;
Sprenger-Charolles et al., 2006) mais également que les capacités phonologiques évaluées en
maternelle prédisent le niveau ultérieur de lecture chez l’enfant tout venant et qu’un
entraînement phonologique proposé avant tout apprentissage explicite de la lecture ou au
début de cet apprentissage améliore le niveau ultérieur de lecture (Ehri et al., 2001). Au
niveau neurobiologique, de nombreuses études sont également menées conduisant à identifier
les corrélats cérébraux impliqués dans les traitements phonologiques, notamment le gyrus
frontal inférieur, incluant l’aire de Broca, et le lobule pariétal inférieur. On montre par ailleurs
que ces régions cérébrales sont activées de façon atypique chez les individus dyslexiques (voir
Démonet et al., 2004, pour une revue). L’ensemble de ces données atteste de l’importance des
traitements phonologiques dans l’apprentissage normal de la lecture et suggère qu’un déficit
phonologique est à l’origine des troubles dyslexiques. La reconnaissance du trouble
phonologique en contexte dyslexique a également eu une influence majeure sur le plan
clinique en permettant le développement d’outils spécifiques pour le diagnostic et la
rééducation des troubles dyslexiques.
Néanmoins, la plupart des études quel que soit le champ disciplinaire dans lequel elles étaient
conduites ont très systématiquement souligné l’hétérogénéité de la population dyslexique.
Ceci conduit à s’interroger sur la capacité d’un trouble phonologique unique à expliquer la
variabilité observée des troubles dyslexiques. La description de formes de dyslexies quasi-
opposées, les dyslexies phonologiques et de surface, relance régulièrement le débat. Alors que
des troubles phonologiques sont systématiquement décrits dans le contexte des dyslexies
phonologiques, les cas décrits de dyslexie de surface ne présentent pas de trouble
phonologique associé (Dubois et al., 2007 ; voir Colé et Valdois, 2008, pour une revue).
Cependant, la plupart des études ont échoué à identifier un type de dysfonctionnement
cognitif qui serait propre aux dyslexies de surface. En parallèle et même si d’autres types de
dysfonctionnements cognitifs ont été objectivés en contexte dyslexique tels que des troubles
visuels de bas niveau impliquant le système magnocellulaire (Stein, 2003), des troubles
moteurs relevant potentiellement d’une atteinte cérébelleuse (Nicolson, Fawcett & Dean,
2001), des troubles de l’attention perceptive visuelle et auditive (Hari & Renvall, 2001), un
trouble des traitements auditifs spécifiques au langage (Serniclaes et al., 2004) ces
dysfonctionnements ont en général été décrits en association avec le trouble phonologique qui
pouvait donc toujours apparaître comme la cause proximale la plus plausible du trouble
dyslexique.
La question se pose donc de savoir s’il existe un trouble cognitif qui soit dissocié des
capacités de traitement phonologique et susceptible en cas de dysfonctionnement d’entraîner
un trouble spécifique d’apprentissage de la lecture. Le déficit de l’empan visuo-attentionnel
(EVA) répond à cette exigence. Son lien avec l’activité de lecture a été modélisé dans le cadre
du modèle multi-traces de lecture (modèle MTM ; Ans, Carbonnel & Valdois, 1998) et
l’existence d’un trouble de l’EVA a été mise en évidence en contexte dyslexique. Ce trouble
est le plus souvent dissocié des capacités de traitement phonologique et contribue à expliquer
le niveau de lecture des enfants qu’ils soient ou non dyslexiques indépendamment de leurs
aptitudes phonologiques. Des données récentes montrent par ailleurs que les
dysfonctionnements cérébraux associés au trouble de l’EVA diffèrent de ceux impliqués dans
les troubles phonologiques. L’ensemble de ces données seront résumées dans le cadre de cet
article conduisant à rediscuter la notion de sous-types de dyslexies développementales.
2. LE MODELE MULTI-TRACES DE LECTURE
Le modèle multi-traces de lecture de mots polysyllabiques développé par Ans, Carbonnel et
Valdois (1998 ; ou modèle MTM, cf Figure 1) conduit à faire l’hypothèse que les dyslexies
développementales pourraient résulter d’au moins deux types de dysfonctionnements
cognitifs, l’un concernant la composante phonologique du modèle, l’autre sa composante
visuo-attentionnelle. Ce modèle a, en effet, la particularité d’inclure un composant visuo-
attentionnel (VA), la fenêtre visuo-attentionnelle, qui délimite la quantité d’information
orthographique pouvant être traitée à chaque étape de la lecture. Cette fenêtre VA joue donc
un rôle majeur dans la lecture experte et son apprentissage.
Figure 1 : Représentation schématique du modèle multi-traces de lecture
.
Le modèle MTM postule l’existence de deux procédures de lecture, une procédure globale
assurant la lecture des mots familiers et une procédure analytique mise en jeu lors du
traitement des items non familiers après échec du mode global. Les deux procédures de
lecture diffèrent quant à la taille de la fenêtre VA mise en jeu et quant à l’implication de la
mémoire de travail phonologique.
Lors d’un traitement en mode global, la fenêtre VA s’adapte à la longueur du mot à lire de
sorte que l’ensemble des lettres du mot sont traitées simultanément en une seule capture
visuelle. La fenêtre VA est au contraire réduite à des unités plus petites que le mot (syllabes
ou graphèmes) lors d’un traitement analytique. Lors de la première étape de traitement, la
fenêtre VA cadre sur la première unité de la séquence à lire permettant ainsi de générer la
forme phonologique correspondante. La fenêtre se déplace ensuite sur les unités successives
jusqu’à traiter l’ensemble de la séquence. Parce que la fenêtre VA est en général de plus
grande taille lors d’un traitement en mode global, toute altération conduisant à une réduction
de cette fenêtre aura pour conséquence première d’altérer la lecture en mode global. Le
modèle postule néanmoins qu’une réduction sévère de la fenêtre VA qui ne permettrait pas
d’appréhender l’ensemble des lettres qui composent les unités orthographiques pertinentes
/c/
bar
c r
car
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Buffer phonémique
O1
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Fenêtre
visuo-attentionnelle
Composant orthographique
Composant phonologique
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