Le Parlement en France depuis 1945.
Depuis le XVIIIe siècle les démocraties se sont édifiées sur un modèle représentatif, avec un
Parlement élu au suffrage universel, organe de la souveraineté populaire doté d’un pouvoir de
délibération publique et de décision par le vote des lois. Si la France a connu une telle
démocratie parlementaire, sans interruption depuis 1945, elle a vu se succéder deux
Républiques, la IV e jusqu’en 1958, la Ve depuis. Parmi les différences caractérisant ces deux
régimes, l’évolution de la place du Parlement est essentielle, omnipotent avant 1958, dont les
pouvoirs sont ensuite plus limités et encadrés. Aujourd’hui, le Parlement est toujours l’objet
d’un questionnement sur la nécessité ou non d’une revalorisation. L’histoire de ces 65 ans
nous invite donc à nous interroger sur la place du Parlement dans la vie démocratique
française. Dans quelle mesure en est-il l’expression ? L’importance du contexte politique
mais aussi social nous conduira à distinguer trois moments chronologiques, celui de la IV e
République, puis celui des années de Gaulle entre 1958 et 1969, enfin celui de la période post-
gaullienne allant jusqu’aux élections présidentielles et parlementaires de 2007.
Après la Libération en 1944, le Parlement se retrouve au centre de la vie politique française.
Un large consensus règne parmi les Français pour restaurer la démocratie, mais sans les
faiblesses du parlementarisme d’avant 1940 et avec le souci d’une plus grande égalité sociale.
En toute logique, les forces politiques issues de la Résistance, mettent donc en place un
régime le plus démocratique possible dans le cadre du modèle historique de la démocratie
parlementaire : la Chambre des députés en est la pièce maîtresse : élue au suffrage universel
( droit de vote des femmes), au scrutin à la proportionnelle, elle est le principal organe de
décision, en proposant et votant les lois, en élisant un Pt de la république aux pouvoirs
restreints, en contrôlant le gouvernement, notamment par le vote de confiance, ou la motion
de censure. Elle est en outre flanquée du Conseil de la République qui participe aussi au
pouvoir législatif, mais sans avoir la même importance ni la même légitimité, puisque ne
résultant pas d’un suffrage universel direct.
La Constitution de 1946 qui entérine ainsi la naissance de la Ive République donne donc
naissance à un régime très pluraliste, reposant, pour fonctionner, sur l’entente entre partis
politiques devant former une majorité parlementaire et gouvernementale, donc sur leurs
capacités au compromis, leur sens des responsabilités et de l’intérêt néral, leur aptitude
enfin à pouvoir débattre et décider collectivement sans perdre de vue une efficacité nécessaire.
C’est ce qui semble se dessiner durant la période du tripartisme : trois partis, le PCF, la SFIO,
et le MRP, regroupant 80% des députés décident de gouverner ensemble pour mettre en place
les grandes lignes du programme du CNR. Les grandes réformes sociales de l’après guerre
sont ainsi votées facilement.
Pourtant, dès 1946, le général De Gaulle, par sa démission de son poste de chef du
gouvernement, puis par son discours de Bayeux condamne le nouveau régime : il dénonce la
concentration des pouvoirs entre les mains des partis politiques, pour lui incapable de pouvoir
dépasser des logiques politiciennes ; le Parlement qui est l’émanation de ce pouvoir ne peut
donc qu’être inefficace d’autant plus que l’exécutif a peu de moyens de le contrôler : la
procédure pour dissoudre la Chambre des Députés est complexe, le gouvernement peut être
facilement renversé.
Les faits semblent donner raison à De Gaulle, puisque dès 1947, avec l’exclusion des
communistes du gouvernement Ramadier, le tripartisme prend fin, et avec lui la possibilité de
constituer une autre majorité parlementaire solide et durable. La France va renouer alors avec
l’instabilité ministérielle qui avait affaibli la IIIe République avant 1940. 25 gouvernements se
succèdent jusqu’en 1958. Cette valse des gouvernements traduit l’incapacité des partis à
s’entendre sur les questions fondamentales posées à la France, à cette époque : la
décolonisation, la guerre froide, les débuts de l’intégration européenne et la place de
l’Allemagne dans cette construction, la laïcité. Une telle situation freine le processus de
décision, et rend peu lisible les choix politiques des français, puisqu’entre deux élections
législatives, peuvent se succéder des majorités parlementaires complètement opposées, qui ne
mèneront pas la même politique : ainsi d’un gouvernement Pinay, marquant le retour de la
droite aux affaires, en 1951, alors que la majorité des électeurs s’étaient portés sur des forces
de gauche, cependant incapables de gouverner ensemble.
Il en résulte une montée de l’abstention mais aussi de l’antiparlementarisme, avec le
mouvement de Pierre Poujade, l’UDCA. La situation devient assez inquiétante pour qu’en
1954, le centriste Pierre Mendès France tente la comparaison avec 1788 (un an avant la
Révolution) et propose de faire évoluer les pratiques politiques : pas d’investiture préalable du
gouvernement, rééquilibrage des pouvoirs entre le Parlement et le gouvernement, au-delà des
institutions, désir de réconcilier les Français et la politique ( club de réflexion ouvert aux
jeunes, création du premier hebdomadaire, l’Express, émission radiophonique hebdomadaire
PMF commente la vie politique de la semaine). Critiqué par nombre d’hommes politiques
qui voient en lui un fossoyeur du Parlement, il est renversé avec son gouvernement dès février
1955.
Il ne reste plus alors à la IVE république qu’ à disparaître : le 13 Mai 1958, incapables de faire
face à la tentative de soulèvement des Français d’Algérie, les parlementaires font appel au
général de Gaulle pour éviter la guerre civile. Son retour au pouvoir s’accompagne d’une
condition : changer la Constitution.
La quatrième République ayant échoué à faire du Parlement le centre exclusif de la vie
démocratique, la Ve va rechercher une efficacité des institutions en renforçant le pouvoir du
chef de l’Etat et du gouvernement au détriment du Parlement.
La constitution de 1958, approuvée par une très large majorité de Français, crée en effet les
conditions « d’un Parlement rationnalisé ». Le mode de scrutin majoritaire d’arrondissement
uninominal à deux tours, choisi pour l’élection de l’Assemblée Nationale, entraîne l’éviction
des petits partis, renforce la représentation du parti majoritaire, donc la possibilité de
majorités parlementaires et gouvernementales stables et durables. L’instabilité ministérielle
disparaît définitivement de la vie politique.
Les députés élus partagent le pouvoir de débattre et voter les projets de loi avec un Sénat,
assemblée élue par les élus locaux, renouvelable par tiers tous les trois ans, les zones
rurales sont surreprésentées. Il s’agit de créer un pôle conservateur et de stabilité, afin de
contrôler l’Assemblée Nationale potentiellement plus réactive aux fièvres possibles du corps
électoral. C’est dire à tel point cette dernière doit être le plus possible au service de l’action du
chef de l’Etat et du gouvernement, menant la politique au nom de la nécessaire efficacité
requise dans un monde complexe où les décisions doivent être prises rapidement.
C’est pourquoi le Parlement qui doit partager avec le gouvernement l’initiative des lois, doit
surtout voter les propositions de loi de ce dernier. S’il conserve la possibilité de censurer le
gouvernement, la solidarité d’une majorité élargie composée d’un seul parti ou de deux, rend
quasiment impossible l’aboutissement d’une motion de censure. La seule qui soit parvenue à
obtenir assez de voix pour faire démissionner un gouvernement, fut celle de 1962, contre le
gouvernement Pompidou, lors d’une véritable fronde parlementaire contre la volonté du
Président de proposer son élection au suffrage universel. Le Parlement voyait là, à juste titre,
un nouvel abaissement de son importance, ne pouvant plus alors revendiquer une légitimité
supérieure aux autres pouvoirs , puisque sortie des urnes. En 1962 , le Parlement avait par
ailleurs eu le temps d’expérimenter sa relative marginalisation dans le processus de décision.
Il s’apparentait à une chambre d’enregistrement : dans le cadre de deux sessions sur six mois
de l’année, le gouvernement proposait des textes de lois à débattre en temps limité, pouvant
utiliser de surcroit des procédures de contournement du débat, comme les ordonnances, ou
l’article 49-3 de la constitution, permettant au gouvernement de légiférer à partir de l’adoption
par le Parlement d’une déclaration de politique générale. Le Président de la République
possédait enfin deux autres possibilités de contrôler le Parlement : le referendum et le droit de
dissolution de l’Assemblée Nationale, plus facilement réalisable que sous la IV e République.
En limitant ainsi le rôle du Parlement, le général de Gaulle a certes permis une plus grande
efficacité du régime, ce dont les Français lui sont gré, sa popularité culminant justement avec
le referendum sur l’élection du Président au suffrage universel, et l’élection d’une écrasante
majorité gaulliste aux élections organisés en même temps, après la dissolution d’une
Assemblée Nationale rebelle, et dans le contexte de la fin de la guerre d’Algérie. Mais
l’abaissement du Parlement déplace ailleurs le centre de la vie démocratique : désormais le
gouvernement et le Président sont plus directement exposés au jugement du corps électoral.
De plus, l’expression mocratique va chercher à s’exprimer ailleurs : dans les media et dans
la rue. Ainsi la crise de Mai 1968 est entre autre une crise de la représentation démocratique.
La pratique autoritaire des institutions par un Président âgé qui perd peu à peu le contact avec
les jeunes générations ouvertes à d’autres aspirations que le conservatisme ambiant, alors
même que les media radiophoniques et télévisuels sont étroitement contrôlés par l’Etat, ne
laissent guère d’autre place à la contestation que la rue.
En quittant brutalement ses fonctions en avril 1969, De Gaulle montre les limites d’un
système politique qui a choisi l’efficacité par la marginalisation relative du Parlement. Le fait
que la crise de Mai 1968 se soit achevée par l’élection d’une nouvelle assemblée nationale
montre toute l’importance symbolique que conserve le Parlement dans une démocratie : il est
indispensable. Les électeurs vont d’ailleurs faire de plus en plus de l’élection législative un
outil pour exprimer leur mécontentement face à l’exécutif présidentiel et gouvernemental.
Avec l’entrée de la France dans la crise multidimensionnelle commencée en 1973, le face à
face entre opinion et gouvernement passe par l’entremise de l’élection de l’Assemblée
Nationale : entre 1981 et 2002, les Français vont systématiquement voter contre la majorité
sortante. A trois reprises, en 1986-88, 1993-95, 1997-2002, ils provoquent, par leur choix une
cohabitation forcée entre un Président et un gouvernement issu d’une majorité parlementaire
opposée au chef de l’Etat. C’est par exemple le cas pour M. Chirac, président issu de la Droite,
après la dissolution de 1997 qui lui est défavorable, puisqu’il doit alors gouverner avec
M.Jospin et une majorité de « gauche plurielle ». Une telle cohabitation demeure possible tant
que le mandat présidentiel de 7 ans diffère de celui de l’Assemblée fixé à 5 ans. L’élection
législative, intervenant en cours de mandat présidentiel permet donc d’envoyer un message
puissant au chef de l’Etat. C’est la raison pour laquelle, une majorité de Français apprécie la
cohabitation : elle est une manifestation de la souveraineté du peuple, en même temps qu’elle
renoue avec le mythe du consensus et de l’unité nationale, rêvée par beaucoup. C’est pourtant
une illusion puisqu’elle finit toujours par mécontenter tout le monde, ni le Président, ni la
majorité parlementaire ne parvenant à appliquer le programme sur lequel ils ont été élus.
Celle-ci a cependant, avec le gouvernement issu de ses rangs, un large liberté de manœuvre :
en effet, si le Pt Mitterrand, en 1986, refuse de signer des Ordonnances préparées par le
gouvernement Chirac, les chefs d’Etat, par la suite, laissent agir leurs adversaires, se
contentant d’en critiquer l’action dans les medias.
Au-delà de la cohabitation, les Français peuvent remettre également le Parlement au centre de
la vie politique, de manière indirecte, par un vote protestataire et l’abstention. Si la loi
électorale ne permet pas à tous les partis politiques d’être représentés au Parlement, le premier
tour des élections législatives est l’occasion, à partir de 1986, pour les électeurs de s’exprimer
de plus en plus en faveur de l’extrême droite ou de l’extrême gauche, manifestant ainsi une
déception par rapport aux grands partis de gouvernement, et une aspiration à une prise en
compte de certaines de leurs préoccupations. L’abstention qui ne cesse de monter depuis vingt
ans , pour atteindre plus de 30% en 2007, est un autre témoin d’une véritable crise de la
représentativité. Elle est très difficile à interpréter : signifie t-elle par exemple une plus grande
attente ou un désintérêt croissant vis à vis du Parlement ?
Depuis 1995, la classe politique lier ces deux questions pour tenter d’en apporter des réponses
institutionnelles : il s’agit bien de redonner plus de place au Parlement tout en le rapprochant
davantage des citoyens : session parlementaire passant de 6 à 10 mois par an, parité
hommes/femmes, réintroduction d’une initiative des lois d’origine parlementaire, promesse
des gouvernements de recourir le moins possible à l’article 49-3, possibilité pour les
Parlementaires d’être à l’origine d’un referendum, réduction du cumul des mandats.
Tout cela n’a toutefois pas mis fin à l’augmentation de l’abstention, ni à une
présidentialisation du régime qui s’est poursuivie, atteignant des sommets depuis 2007, et dès
2002 avec la réduction du mandat présidentiel à 5 ans : les élections législatives suivant de
quelques semaines les présidentielles, n’ont plus d’enjeu si ce n’est donner au chef d’Etat
nouvellement élu une majorité lui permettant de mener à bien ses projets. On peut alors se
demander si, la revendication d’un recentrage de la vie politique sur le Parlement, n’est pas
essentiellement une demande des Parlementaires, professionnels de la politique et donc
attachés à défendre les prérogatives de ce qui serait une corporation ? Il n’est pas sûr en tout
cas que les Français aujourd’hui soient attachés à valoriser un Parlement qui prête le flanc à
bien des critiques : cumul, machisme, corruption, autisme, incapacité, technocratie, sont des
accusations très fréquentes, loin d’être toujours fondées mais qui constituent une sorte de
paysage consubstantiel à la démocratie. Pendant longtemps les Français sont apparus comme
des citoyens très politisés, sacralisant volontiers la politique, donc manifestant régulièrement
une déception face à des politiciens qui n’étaient pas des dieux. Les démélés en justice de
certains ne suscitent plus forcément de réactions passionnelles, en témoignent la réélection de
divers élus pourtant mis en examen, en 2008. Il ne s’agissait pas il est vrai d’élections
législatives mais locales. Cet apaisement relatif, peut manifester une certaine lassitude, une
résignation des électeurs. Il peut aussi montrer un désintérêt dont le moteur serait l’évolution
très importante de la société et des mentalités. Dans une société très individualiste, le citoyen
a tendance à rechercher une réponse politique adaptée, c’est à dire du sur mesure individuel.
comment un régime parlementaire historique, dans le contexte d’une société plus
hiérarchisée, et structurée collectivement , saurait-il répondre à son attente ? Et ce d’autant
plus que le champ des libertés individuelles s’est considérablement développé, ainsi que le
niveau d’instruction, l’accès à des sources médiatiques toujours plus diverses, le recours à la
parole des experts pour expliquer le monde. Il en résulte de fait un repositionnement de l’élu,
source d’information et interlocuteur parmi d’autres. Des spécialistes comme ont bien
montré ces phénomènes qui peuvent tout autant se traduire par une passividu citoyen ou un
engagement dans une association de son choix répondant à son désir de participation directe à
la vie démocratique. Lors de la campagne électorale de 2007, d’ailleurs, le débat s’était un
temps centré sur le thème de la démocratie participative, déjà réelle dans certaines communes,
et illustré durant la présidentielle par des débats menés sur internet. Le terme de cyber-
démocratie a même été employé. Ces évolutions, qu’elles soient réelles ou fantasmées,
posent à chaque fois la question de la place du Parlement, symbole d’un régime représentatif
ici délaissé. Critiqué au nom d’une démocratie à approfondir, il l’est enfin au nom de la
recherche de toujours plus d’efficacité : avec la mondialisation, la montée en puissance
d’organismes de décisions internationaux non élus et sans contrôle démocratique, comme
l’OMC, les délégations de souveraineté aux institutions européennes, la promotion toujours
plus importante des experts spécialisés, et le triomphe de modèle d’organisation entreprenarial,
une pensée politique nouvelle s’est développé valorisant une gouvernance qui marginaliserait
le pouvoir du peuple et du Parlement dans la prise de décision.
Depuis 1945 la France a connu une longue période démocratique, avec deux Républiques qui
ont tenté de créer les conditions d’une régime à la fois représentatif et efficace. Cette double
condition, héritage de l’Histoire et des nécessités, a fait du Parlement un enjeu fondamental de
la vie politique. Si la quatrième République a échoué en en faisant le lieu exclusif des débats
et prises de décision, la cinquième n’est pas parvenue à une situation définitive en
rationnalisant le Parlement devenu dans les années 1960 une chambre d’enregistrement. Les
graves crises politiques de 1958 et de 1968 ont montré que la solution se trouvait peut-être
entre les deux. Il est vrai qu’un ensemble de lois ont permis de revaloriser le Parlement,
notamment depuis 1995. Il n’en demeure pas moins qu’aujourd’hui encore la situation
n’apparaît pas comme idéale, à tel point qu’il devient légitime de se demander si la
démocratie parlementaire n’est pas un modèle historique en fin de parcours. Elle doit en tout
cas tracer son chemin entre la volonté des uns d’une participation plus directe des citoyens, et
celle d’autres prônant un modèle de gouvernance plus oligarchique. Les difficultés pour le
Parlement à trouver sa bonne place, entre « l’hyperprésidentialisation » impulsée par M.
Sarkosy, et un certain attentisme du corps électoral, montrent en tout cas que la démocratie est
sans doute entrée dans une nouvelle phase de son histoire.
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