La Relation Compétitivité-Emploi Comment impliquer la G.R.H. dans le programme de management des organisations ? Un processus de didactisation permet d’interroger un cadre théorique de référence en construisant la matrice disciplinaire prenant en compte les savoirs universitaires, afin d’identifier les notions et concepts à enseigner et des les relier afin de poser les bases d’un raisonnement ou d’une argumentation. La présentation vise à détailler un exemple de processus de didactisation (quels sont les savoirs à enseigner ?) sans aborder les aspects pédagogiques (comment enseigner ?). Par ailleurs, le thème de la GRH est récurrent dans le programme de management des organisations. Ainsi il est abordé de manière explicite dans le point 5 du programme, mais il est envisageable voire indispensable de l’impliquer dans d’autres parties : ex 6.1 (diriger, finaliser, animer et contrôler) précise « l ’étude de la diversité des décisions a pour objectif de mettre en évidence que les décisions présentent des contenus, induisent des effets sur l ’activité et l ’organisation, …. »… « L’activité des groupes de direction sur une dimension technique et une dimension relationnelle » ex 7.2 (diagnostic stratégique, analyse des forces et des faiblesses de l ’organisation). Différentes études de cas choisies au sein d’un ouvrage collectif («Management de la Compétitivité et Emploi », coordonné par R. PEREZ aux éditions l’Harmattan) permettront d’illustrer cette démarche de didactisation. I – le cadre théorique. Il s’agit de construire la matrice disciplinaire, c’est à dire l’ensemble des concepts, les questions, les paradigmes, les problématiques ou encore les débats qui structurent les savoirs. En reprenant le programme de Management des Organisations et compte tenu de notre objectif de montrer la nécessité de mobiliser le thème de la G.R.H. dans l’étude de différentes parties du programme, nous avons retenu deux aspects : - la relation stratégie-ressources humaines ; - la gestion des compétences qui est abordée de manière explicite dans le point 5 du programme. A – la relation Stratégie-ressources humaines. Cette relation est protéiforme, c’est à dire qu’elle peut prendre des formes les plus diverses. Cette diversité s’analyse dans le temps (par l’avancée des sciences de gestion), dans l’espace (selon les organisations). Cette relation présente l’intérêt de reposer sur une identification des acteurs (le programme de Management également), de leurs rôles et d’une éventuelle construction de compatibilité (point 5.1 du programme). Cela donne lieu à des analyses de nature variable en fonction des contextes (nature de la stratégie, nature du système technique, taille de l’entreprise, …). Elle se rattache à la réflexion conduite autour de la relation Compétitivité et emploi. Enfin, parce que les stratégies mises en place nécessitent une évolution des compétences des ressources humaines, cette relation permet d’aborder également la notion de compétence. La notion de compétence est évoquée ici comme un moyen de faire converger les intérêts des acteurs ou en tous les cas de les rendre compatibles au travers de la formation, de la motivation ou encore de l’employabilité. Cette relation peut être analysée grâce à quelques situations caractéristiques qui peuvent être distinguées en fonction de leur caractère statique ou dynamique. Ce caractère statique ou dynamique se réfère au contenu des emplois (selon l’hypothèse posée en termes d’évolution ou non des contenus des emplois). Dans une approche dynamique, le contenu évolue et les compétences également. Chaque approche met en avant des acteurs bien identifiés et de nature différente (dirigeants, salariés, actionnaires, cadres, cadres intermédiaires, ….). Les approches sont également à mettre en relation avec le processus technique (processus simple ou complexe) et les choix stratégiques (domination par les coûts ou innovation). Approche de la compétitivité Approche Statique approche statique en termes de les entreprises réagissent par des structure de marché manoeuvres adaptées en abandonnant (par exemple) une activité ou en cherchant à réduire les coûts Financiarisation de l'économie Approche Dynamique Élé ments d'analyse Relation avec l'emploi La compétitivité est envisagée par rapport à la concurrence, l'entreprise doit rechercher une meilleure productivité. L'emploi devient une variable d'ajustement. les activités et la compétitivité sont alors Cette approche reprend les principes posés par appréciées en fonction des besoins et des l'approche statique en termes de structure de ressources de financement marché en ajoutant une évaluation spécifique à chaque activité. Le coût du travail est à minimiser. Approche basée sur l'existence de la compétitivité tient moins à son ressources ou de compétences positionnement à un moment donné, dans les structures de marché, mais résulte des ressources dont l’organisation dispose pour se développer. Cette approche intègre une dimension d'organisation qualifiante Approche basée sur la Elle intègre les intérêts des différentes responsabilité sociale de parties prenantes. Au delà de la l'entreprise profitabilité cette approche prend en compte les externalités positives ou négatives en termes de respect des hommes et de l'environnement. Les personnes qui composent l'organisation ne sont pas interchangeables et sont considérées comme des ressources spécifiques. La gestion de ces ressources, (le développement des compétences) devient alors essentielle et est au cœur des stratégies de compétitivité. Les salariés y apparaissent comme une des parties prenantes incontestables. Ils participent au projet entrepreneurial Le tableau précédent permet donc d’éclairer la nature de la relation entre compétitivité et emploi. Cette relation est complexe. Elle fait intervenir : - différents acteurs (les employeurs, les salariés, les actionnaires) qui ont des intérêts différents, parfois opposés ; - les objectifs de l’organisation (en termes de coûts ou en termes d’innovation) ; - le contexte technologique dans lequel cette relation s’inscrit. Cette relation recèle donc une complexité liée aux facteurs de contingence qui l’influencent et la privent d’un éventuel caractère déterministe. B – la gestion des compétences La compétence est une connaissance approfondie, un savoir-faire reconnu qui confère le droit de juger, d’intervenir dans tel ou tel domaine. Selon Pierre Zarifian, « la compétence est la prise d’initiative et de responsabilité de l’individu sur des situations professionnelles auxquelles il est confronté » (P. Zarifian, 1999)1. 1 – délimitation du contenu de la gestion des compétences La gestion des compétences traduit une approche qualitative permettant d'intégrer les évolutions en termes de contenus d'emplois et de compétences requises. Elle correspond donc à une approche dynamique telle qu’elle a été définie précédemment, car la nature de l’emploi évolue. Une distinction doit être effectuée entre compétence individuelle et compétence collective2. Il est supposé ici que la construction de compétences individuelles permet, sous certaines conditions, de construire ou de faire évoluer la compétence collective. Le but de la gestion des compétences est alors de favoriser la création d'une compétence globale afin d'accroître les performances des organisations tout en répondant aux attentes des salariés. Enfin, la gestion des compétences pose la nécessité de gérer la ressource humaine comme une variable stratégique, et non plus seulement comme une variable d'ajustement. 2 – le contenu de la gestion des compétences La gestion des compétences a l’objectif de contribuer à la création ou à l’actualisation d’une compétence collective. Elle vise donc à identifier les compétences détenues actuellement, à envisager le potentiel et de mesurer l’écart avec les compétences requises en adéquation avec les objectifs de développement de l’organisation. Pour cela, au niveau individuel, la gestion des compétences intègre différents aspects : - - une prescription des compétences, c’est à dire une normalisation des comportements professionnels (référentiels de compétences traduisant de nouvelles exigences). Ainsi au sein du groupe Pasquier dont la situation sera évoquée plus loin, le développement de compétences chez les commerciaux (compétences “ clients ”, compétences “ qualité ”, ….) a été un moyen de renforcer la qualité des relation avec la clientèle et d’améliorer sa satisfaction. Cela exige un cahier des charges un référentiel qui permet de faire converger les comportements des commerciaux vers un objectif commun. Une évaluation des compétences à partir du référentiel de compétences. Un développement des compétences au travers d’une politique de formation. 3 – les difficultés de mise en œuvre La gestion des compétences doit permettre de rendre compatibles les objectifs de l’organisation et les aspirations des salariés. En dépit de son intérêt, les spécialistes de l’ANACT 3 ont recensé, au cours de leurs études empiriques des difficultés de mises en œuvre : - 1 Difficulté d’articulation avec la stratégie, de ce fait les compétences développées y compris au niveau collectif, ne contribuent à la réalisation des objectifs stratégiques de l’organisation ; Démarche trop souvent unilatérale, c’est à dire qu’elle ne prend pas suffisamment en compte les aspirations des différents acteurs. Elle n’est donc pas suffisamment globale ; Dietrich A., Pigeyre F., La gestion des ressources humaines, La Découverte, Coll. Repères, 2005 C. Dejoux (1998) : « ensemble des compétences individuelles des participants d’un groupe plus une composante indéfinissable, propre au groupe, issue de la synergie et de la dynamique de celui-ci ». cité dans le texte de Didier RETOUR, actes de l’université d’été. 3 Agence Nationale pour l’Amélioration des Conditions de Travail voir http://www.anact.fr/ 2 - - Difficulté de prise en compte des processus dont les comportements résultent. Pourtant le développement de compétences repose sur des comportements, sur des processus qui peuvent se heurter à des difficultés. La non prise en compte de ces difficultés risque de contrarier le développement des compétences attendues ; Difficulté d’adaptation des référentiels. L’adaptation est pourtant nécessaire en fonction de l’évolution des techniques ou encore de l’environnement. L’adaptation insuffisante des référentiels risque de les rendre éloignés des compétences requises. Enfin, le développement de compétences au sein d’une organisation doit respecter quelques principes cohérents intégrés dans une démarche compétence. 4 – Caractéristiques d’une démarche compétence - - Projet multi-acteur afin de construire un compromis entre les acteurs ; Prise en compte des enjeux économiques et sociaux : ils doivent être connus de tous afin de justifier les explications envisagées et rendus compatibles ; Analyse des évolutions en termes d’organisation du travail : Les modalités d’organisation ont besoin d’être interrogées en termes de coopération et d’autonomie et la relation avec la stratégie également ; Développement d ’un dispositif de reconnaissance permettant à la fois d’évaluer le processus de de construction des compétences et de promouvoir les individus. La notion de compétence permet donc de mettre en relation le thème de la G.R.H avec d’autres évoqués dans le programme tels que la stratégie. Cependant, le caractère réaliste de cette relation devient source d’interrogation. II – le programme de management des organisations A partir, d’une lecture du programme de management, ce deuxième temps vise un repérage de la place de la grh et des relations entre les différentes parties du programme. A – le réseau conceptuel Elaborer une situation d’apprentissage débute par la compréhension de la logique des programmes, en repérant les concepts essentiels, en les hiérarchisant et en identifiant leurs relations afin d’organiser les savoirs. 1 - analyse des concepts fondateurs du programme : La maîtrise des contenus à enseigner donne l’aisance et la distance nécessaires pour identifier les savoirs à enseigner, repérer les éventuelles représentations et construire des séquences facilitant les apprentissages. Dans un premier temps, il s’agit d’identifier les concepts principaux d’un programme. Un concept définit une classe d’objet ou une classe de relations entre des objets à l’aide de critères distincts caractéristiques (par exemples : en management : organisation, action, décision, information …). Deux opérations intellectuelles sont induites par la conceptualisation : - L’abstraction : un concept est abstrait, il se définit par des caractères communs à toute la catégorie constituée. Exemple : les éléments qui caractérisent l’entreprise sont le rôle et la finalité. La généralisation : le concept est général et universel : il décrit tous les objets possibles de la catégorie. Il permet de construire des classifications. Exemples de décisions stratégiques : domination par les coûts, différenciation, …. Ce travail de repérage des concepts est important pour l’enseignant afin de mieux hiérarchiser les savoirs, identifier ce qui est essentiel, reconnaître le sens et la portée de l’étude et permettre aux élèves de poser les bases d’un raisonnement et une argumentation. 2 - la construction d’un réseau conceptuel Elle assurée à partir des colonnes 1 et 3, afin d’identifier les concepts qui structurent le programme et à partir de la colonne 2 et des indications complémentaires, organiser les concepts entre eux, en mettant en évidence les relations existantes. En schématisant ces relations, on obtient un réseau conceptuel, qui met en évidence la logique du programme. Le réseau conceptuel obtenu n’est pas une progression, il ne contient pas de cheminement chronologique. Quelques points doivent être approfondis. a – Analyser le rôle de chaque acteur (point 5.1) En reprenant, les apports de la matrice disciplinaire, l’analyse peut être menée sous deux approches très différentes. Dans une approche statique et notamment celle reposant sur une logique de coûts, une contradiction apparaît entre les intérêts des dirigeants (qui cherchent à réduire les coûts par des moyens tels que la réduction de l’emploi) et ceux des salariés (qui recherchent des objectifs tels la rémunération, la promotion). Cette approche privilégie donc une vision du travail en termes de coûts. La situation de Perrier à la fin des années 1990 est caractéristique de cette situation. En revanche, dans une approche dynamique et notamment par les compétences, une tentative de conciliation peut être envisageable entre les intérêts de tous les acteurs. Les dirigeants peuvent y trouver des éléments favorables à l’innovation alors que les salariés des éléments motivants. Le groupe Pasquier a affiché la volonté de prendre en compte les attentes de différents acteurs. b – Diriger : finaliser, animer et contrôler (point 6.1) La lecture du programme permet d’envisager les relations entre les différentes parties. Ainsi, il est précisé « Par ailleurs, des facteurs de contingence influencent sensiblement la nature des choix exercés ». Les facteurs de contingence sont nombreux et les aspects humains peuvent être pris en compte afin d’expliquer les décisions prises au sein des organisations. Un peu plus loin, il est indiqué « L’étude de la diversité a pour objectif de mettre en évidence que les décisions induisent des effets sur l’activité et sur l’organisation » et donc les aspects humains. Les décisions prises peuvent affecter l’organisation, en particulier, il peut être opportun de s’intéresser à l’influence des décisions sur les organisations prises comme des lieux d’interactions entre acteurs. Lors des études de cas, nous nous intéresserons aux ressources humaines parce qu’elles peuvent influencer les décisions et parce qu’elles sont affectées par ces décisions. c – L’avantage concurrentiel et le choix stratégique dans l’entreprise (point 8.1.) L’avantage concurrentiel s’inscrit dans des politiques d’innovation, de qualité et de coûts. La nature de la politique est à mettre en relation avec la problématique compétitivité et emploi. La recherche d’une domination par les coûts peut être accompagnée de mesures restrictives en matière d’emploi. En revanche, une politique de qualité ou de développement d’innovation est en général accompagnée d’un questionnement autour des compétences requises. B – La carte notionnelle La carte notionnelle est un outil pour la préparation d’une situation d’enseignement. En particulier, elle permet la délimitation du concept à étudier : on établit sa carte d’identité ou sa carte notionnelle. Cette opération consiste à identifier les notions qui concourent à la formation du concept et à les relier entre elles. Pour ce faire, on utilise la colonne 2 et les indications complémentaires. Le concept doit être assimilable pour l’élève à son niveau, pour cela il importe que le professeur définisse « la prise de notes », c’est-à-dire ce que l’élève peut et doit retenir. Cette prise de notes structurée correspond à une généralisation ou synthèse. Prenons l’exemple du point 8.1 (l’avantage concurrentiel et le choix stratégique dans l’entreprise), la décision stratégique peut être identifiée comme étant la notion à étudier. Or la compréhension de la de la décision stratégique doit prendre appui (comme pour d’autres décisions) sur une connaissance des facteurs de contingence qui définissent un contexte et du processus de décision (et notamment des objets de la décision et des éléments du diagnostic). La décision stratégique permet d’entretenir ou de développer un avantage concurrentiel en innovant, en renforçant la qualité ou en cherchant à maîtriser les coûts et se traduit donc par une stratégie qui a des répercussions sur l’organisation. Cette analyse permet, en reprenant les quelques problématiques théoriques, d’intégrer la gestion des ressources humaines. III – les études de cas. Les deux exemples choisis couvrent des réalités différentes. Perrier et Brioches Pasquier sont des entreprises soumises aux mêmes contraintes de la grande distribution, pourtant les choix stratégiques et l’impact sur la grh sont très différents. Cela s’explique par une structure de la propriété très différente : dépendance vis-à-vis d ’une multinationale pour Perrier, structure familiale pour Brioches Pasquier. L’étude d’un cas suscite des questions relatives à l’enseignement du management des organisations. Le colloque relatif à la rénovation STG a permis d’apporter des réponses à cette question en privilégiant une analyse dynamique de l’action du décideur découpée en séquences qui s’enchaînent logiquement : (planifier, organiser, mobiliser, contrôler). Elle permet non seulement de mettre en évidence le réseau de pressions externes qui bousculent l’organisation et l’obligent à réagir, mais aussi de pointer l’influence des relations internes sur son propre fonctionnement. De plus, l’identification d’un problème de management qui doit être analysé, dont les causes et origines doivent être repérées, est inhérente à cet enseignement. A – le cas Perrier4 A Vergèze dans le Gard, les salariés de Perrier s'opposent depuis 2003 à la direction de Nestlé Waters. Le conflit illustre les difficultés de cette entreprise, où l'on est souvent salarié de père en fils, à s'adapter à un marché de plus en plus concurrentiel. 1 - L'histoire et les « affaires Perrier » L'histoire de Perrier a été marquée par des choix judicieux symboles d'une « success story ». Le premier épisode concerne le lancement par le docteur Perrier (1894). Le gaz naturel est alors récupéré grâce à un système de cloches qui permet de restituer la composition originelle de la nappe souterraine (aujourd'hui l'eau et le gaz sont toujours pompés séparément puis remélangés). Lorsqu'en 1903 Saint-John Harmsworth, un jeune Britannique amoureux de la région, reprend l'entreprise, il a l'élégance de la rebaptiser Source Perrier et l'ingéniosité de donner aux bouteilles la forme des massues qu'il utilise pour sa gymnastique. En 1905, le « Champagne des eaux de table », premier slogan publicitaire, devient ainsi le fournisseur officiel du roi d'Angleterre. On boit du Perrier jusque dans les colonies britanniques. A la mort de Sir Harmsworth, en 1933, la source produit 19 millions de bouteilles par an. La reconnaissance d'utilité publique (1933), la prise de contrôle par Gustave Leven (1947), l'entrée de la famille Mentzolopoulos, la période de forte expansion, notamment à l'exportation (décennies 70 80) favorisent le développement de l'entreprise et l'emploi. Dans les années 80, Perrier s'appuie sur une position de leader sur les marchés français et européens, Perrier développe son marché en Amérique et devient en 1989, la «première marque d'eau minérale naturelle du monde» écoule ainsi 1,2 milliard de bouteilles l'an. C'est alors que survient l'incident : un laboratoire américain débusque des traces infinitésimales de benzène dans quelques flacons. Malgré une réactivité et une campagne publicitaire, la situation n'est pas rétablie, l'image de marque est atteinte. Un deuxième événement survient avec la tentative de contrôle la tentative de prise de contrôle du groupe Exor-Perrier par le groupe Agnelli, lequel s'est heurté au groupe Nestlé, allié à BSN. Cette bataille « entre grands » a abouti, au printemps 1992, à un compromis «posant sur le démantèlement du groupe Exor-Perrier et à l'entrée de Perrier dans le groupe Nestlé, pour une nouvelle étape, décisive, de son histoire. 2 - La période 92-99, l'intégration progressive dans le groupe Nestlé et la restructuration du site de Vergèse L’année 1997 marque la création de « Perrier Vittel France », composante de Nestlé Waters, pôle de regroupement des différentes sources contrôlées par le groupe Nestlé (Perrier, Vittel, Contrex, Quezac...) et qui constitue le premier groupe mondial pour les eaux embouteillées, à égalité avec le groupe Danone (Evian, Badoit, Volvic..). Suite à ce regroupement, des mesures ont été prises d’après Roland PEREZ, le cas Perrier, in « Management de la compétitivité et emploi, coord. Roland PEREZ, éditions l’harmattan, 2005 4 aboutissant à une réduction régulière de l'effectif employé (de l'ordre de 3000 en 1992 à moins de 2000 en 1999 en équivalent temps plein, pour les deux unités composant le site de Vergèze). Un « plan social » intégré dans le « projet de modernisation, d'adaptation et de réduction des coûts du site d'embouteillage de Vergèze » mis en place en juin 1995 sur la base d’un accord cadre passé en mars, entre la Direction et les organisations syndicales, sous l’égide des pouvoirs publics. Il concerne les deux établissements du site (source et verrerie) et reprend les différentes mesures prévues dans l’accord cadre : réduction-annualisation du temps de travail (sur la base de 35 heures hebdomadaires) et correspondant à 110 emplois (en équivalent ETP) pré-retraites (à partir de 53 ans correspondant à 264 emplois (en ETP) travail à mi-temps, correspondant à 56 ETP et départs volontaires, en liaison avec des projets professionnels, correspondant à 70 ETP. Au total, le plan social de 1995 correspondait donc à une « adaptation d'effectif» de 500 emplois et a fortement opposé les partenaires sociaux. Les principaux arguments avancés ont été les suivants : a : Pour la direction. ce projet s'inscrivait dans une logique générale de « retour à la compétitivité» : - - Pour elle, le point de départ était le constat -à ses yeux indiscutable- d'une perte de compétitivité de Perrier par rapport à ses concurrents. Ce recul pouvait être caractérisé par les indicateurs tels que la baisse des parts de marché en France et encore plus à l'étranger, se traduisant par une diminution du volume global des ventes, par une évolution du résultat d'exploitation qui était devenu fortement négatif depuis plusieurs années ; ainsi 138 MF en 1994 et -216 MF en 1996. La raison majeure de cette perte de compétitivité lui paraissait résider, audelà de facteurs généraux touchant tout le secteur (la pression de la grande distribution, le développement de nouvelles sources, l'évolution des comportements des consommateurs et des réglementations), dans la structure des prix et coûts. En effet, le prix de vente de Perrier est nettement plus élevé que ceux de ses concurrents : en moyenne 4,29 F / col en 1997, contre 3,71 F pour Badoit et 2,56 F pour les marques de distributeurs. Le prestige de la marque qui autorisait un différentiel de prix ne jouait plus suffisamment pour justifier de tels écarts et les ventes de Perrier s'en ressentaient. A coté du volet social, les principales mesures prises étaient liées à un projet de restructuration industrielle (abandon de certaines productions telles que les soft drinks afin de concentrer les ressources disponibles sur le cœur de métier, centralisation de certaines fonctions au niveau du nouveau pôle de regroupement afin de dégager des économies d'échelle, extemalisation de certaines activités ne concourant pas directement aux opérations de production, réduction de la capacité de production ou encore modernisation de l'outil de production). Cependant, certaines des opérations prévues dans le plan de restructuration ont dû être modifiées ou abandonnées compte tenu des résistances rencontrées. Cela concerne, tout particulièrement, une opération d'externalisation (caisserie) qui a donné lieu à une longue procédure contentieuse jusqu'à la chambre sociale de la cour de cassation (arrêt du 18 juillet 2000, dit « arrêt Perrier »). Malgré ces péripéties et ces résistances, on peut considérer que l'essentiel du plan de restructuration était achevé fin 1999, notamment l'objectif principal d'un retour à l'équilibre économique du site qui a été atteint pour l'exercice 2000. b : Pour les partenaires sociaux. Les principales critiques peuvent être présentées en trois groupes. - Critiques portant sur le diagnostic et la problématique : l'idée de prix élevé doit être relativisée compte tenu du positionnement plutôt «haut de gamme» du produit. Par ailleurs, le coût élevé peut être lié à d'autres facteurs dont la tarification interne au groupe qui défavoriserait le site de Vergèze. Enfin, le résultat négatif est lié à d'autres aspects et notamment à une provision pour restructuration. Par ailleurs les syndicats dénonçaient l'utilisation de la marque Perrier pour d'autres sources, question qui sera ultérieurement abordée ; - Critiques portant sur le projet industriel : le recentrage sur la seule activité « eaux minérales » était peut-être une erreur car, même si la rentabilité des autres productions était faible, celles-ci concouraient à l'absorption des charges de structure de l'entreprise : leur abandon rendant plus difficile l'équilibre ultérieur de son compte d'exploitation. Par ailleurs, la centralisation de nombreuses fonctions peut transformer le site en simple unité de production et brouiller l'image « haut de gamme » du produit. Enfin, la rationalisation a connu des limites dans la mesure où les ruptures de stocks sont apparues. - Critiques portant sur le volet social : Les salariés sont fragilisés, le transfert de certains d'entre eux dans d'autres sociétés n'est accompagné d'aucune garantie de non-licenciement ultérieur. Enfin, le recours aux aides publiques prévues en matière sociale -par exemple pour les cessations anticipées d'activité- revenait à faire supporter à la collectivité des mesures de restructuration décidées par un groupe industriel par ailleurs florissant. c : Pour les partenaires extérieurs (administrations, élus, médias,...). Le problème se posait en termes différents. Si ces interlocuteurs étaient dans l'ensemble tous sensibles aux problèmes de l'emploi -notamment les élus locaux-, ils ne se prononçaient pas en général sur l'opportunité de la décision de restructuration et sur les caractéristiques du projet industriel, considérant que ces questions relevaient de la responsabilité propre de l'entreprise et qu'ils n'avaient pas à la discuter. En revanche, ils insistaient pour que les «mesures d'accompagnement » soient suffisamment conséquentes pour minimiser le coût social des opérations projetées. d : Pour les actionnaires : Le groupe Nestlé, principal actionnaire, souhaite rationaliser la production afin de diminuer les coûts. Des décisions ont été prises afin d'abandonner certaines activités dorénavant prises en charge au niveau du groupe. Le groupe Nestlé, firme multinationale, leader mondial ou aspirant à l'être sur la plupart des grands marchés sur lesquels elle opère, ne pouvait qu'avoir de grandes ambitions pour Perrier Comme on l'a vu, cette argumentation reposait sur un malentendu -plus ou moins conscient- sur cette liaison entre marque, site de production et emplois sur le site. Nestlé, par son histoire, sa culture, sa structure managériale et son mode de fonctionnement décisionnel ne pouvait être dupe de ce malentendu. Pour ce groupe, l'acquisition de Perrier représentait trois éléments complémentaires mais distincts : - l'acquisition de parts de marché substantielles dans un secteur déjà très oligopolistique, tant en France qu'en Europe ; - l'acquisition d'une marque prestigieuse, à la notoriété mondiale ; - l'acquisition d'un outil de production -essentiellement celui de Vergèse-, avec ses équipements, ses personnels et, pour ces derniers, leurs savoir-faire, leur culture et aussi leurs problèmes. Ces décisions ont été le résultat de débats internes forts. Au sein du groupe Nestlé, il a été envisagé de commercialiser sous le nom Perrier, une eau en provenance d'une autre source (source Baraka, située en Egypte et appartenant également au groupe Nestlé). Perrier n'aurait plus été une marque limitée à une source donnée celle de Vergèze - mais une marque générale du groupe Nestlé, à l'instar de ses autres grandes marques alimentaires (Nestlé, Nescafé, Buitoni, Findus, Maggi,...). Le groupe multinational aurait alors pu déployer la même stratégie qu'il mène, avec succès, pour ses autres activités: conception et développement d'une politique de produits-marchés sur l'ensemble du monde, politique déclinée par grandes régions-pays et soutenue par une politique de communication définie elle aussi globalement et adaptée à chaque marché. Certes, le site de Vergèze serait resté le berceau historique de la marque, mais cela ne l'aurait pas dispensé d'être mis en position de concurrence interne avec d'autres sites du groupe. La contrainte logistique que faisait peser l'existence d'un site unique de production et d'embouteillage face à un marché mondial pouvait être intégrée dans une politique commerciale liée à l'image spécifique de la marque sur le site. Plutôt que de banaliser le site et par là le produit, on pourrait concevoir, au contraire, d'en accentuer la différenciation. Pour faciliter cette politique de différenciation du produit et du site, il eût été utile d'envisager des investissements de nature à valoriser l'un et l'autre, sans se cantonner à une simple usine d'embouteillage. On pourrait ainsi réexaminer le dossier de station thermale qui avait été à l'origine la première vocation de la source. 3 - La stratégie de « reconstruction de Perrier » (2000 -...) Cette nouvelle stratégie a été mise en œuvre au printemps 2000 et continue à ce jour. Ses effets n'étant pas achevés, il serait hasardeux de l'analyser sans précautions. L'évolution d'une entreprise de production d'eaux minérales dépend en effet de beaucoup de paramètres: évolution des comportements des consommateurs, sensibilité aux prix, innovations et actions commerciales, comportements de la concurrence et de la grande distribution, possibilités offertes par les marchés émergents, effets des réglementations (ex : emballages)... qui vont bien au-delà du seul projet de restructuration industrielle, même si ce dernier en constitue une composante non négligeable. A partir d'avril 2000, le site Perrier de Vergèze a été consacré comme «unité d'affaires » (business unit) au sein de la branche eau (Nestlé Waters) du groupe. La nouvelle direction s'est donnée comme objectif affiché de « reconstruire Perrier », notamment par le développement international de la marque. Dans cette optique, l'unité d'affaires Perrier, outre la gestion du site de Vergèze et de ses deux établissements (usine d'embouteillage et verrerie) a été dotée de services d'appui, notamment en marketing et export, marquant ainsi un retour partiel à la situation antérieure. - Plusieurs initiatives importantes ont été prises au cours de ces années : - En 2001, lancement d'une nouvelle bouteille en PET, innovation de conditionnement majeure, compte tenu des caractéristiques du produit ; - En 2002, lancement de « Perrier Fluo » (boissons colorées et légèrement sucrées) marquant une diversification vers les soft drinks ; En 2003, lancement de « eau de Perrier », eau « finement pétillante » prévue pour la consommation de table. Ces innovations, tournées vers « le rajeunissement » de la marque ont permis une augmentation des ventes et de la production, lesquelles en 2002 «reviennent au niveau historique de 1991 ». Au plan social, la nouvelle direction prône « une politique de dialogue avec les partenaires sociaux, afin de créer un climat plus serein ». Ceci a permis d'éviter de nouveaux conflits et de signer de nouveaux accords (début 2002 et début 2003) prévoyant une reprise, modérée, de l'embauche. 4 – Conclusion Le cas Perrier permet une prise en compte des différents acteurs, de leur rôle, mais également des analyses différentes qui peuvent être menées autour d’un problème de management. Les causes apparaissent variées. Par ailleurs, ce cas insiste sur la capacité d’acteurs (les salariés et les collectivités locales) à influencer les décisions. Sans leurs interventions, la création d’une « marque ombrelle » pouvait être envisagée. Cette solution a été abandonnée au profit du maintien de la marque Perrier sur son territoire d’origine. Enfin, ce cas met en évidence la relation entre ressources humaines et décision stratégique. Cette relation est double puisque d’un coté les ressources humaines et en particulier la qualité des relations est un facteur de contingence puisqu’elles influencent la prise de décision et d’un autre coté, la décision stratégique (ici recherche d’une domination par les coûts) affectent l’emploi au travers des suppressions d’emplois. Les questions relatives à l'évaluation des stratégies, à leur comparaison, à l'existence et à la pertinence d'orientations alternatives sont complexes et les réponses qu'elles appellent ne peuvent être simplistes. Si la stratégie d'une organisation est bien formée de l'ensemble des décisions qui expriment la cohérence de l'évolution de cette organisation et sa congruence par rapport à celles des composantes de son environnement, alors les démarches stratégiques ne peuvent être que contingentes. Celle qui serait valable pour telle entreprise, dans telle situation ne l'est pas forcément pour un autre cas, y compris pour la même entreprise à un autre moment de son histoire. Ainsi en est-il de Perrier, de Nestlé et des démarches stratégiques qui se sont développées à leur sujet. Il convient de garder à l'esprit que ces groupes -à l'instar de toute organisation- sont à la fois acteur et objet de comportements stratégiques. Si le groupe Perrier était resté autonome, il aurait dû affronter la plupart des problèmes rencontrés par l'entreprise durant la présente décennie (retombées de l'affaire du benzène, évolution des comportements d'achat, pressions de la grande distribution,...) et donc veiller à maintenir, voire à restaurer sa compétitivité. Ces efforts n'auraient pas pu éluder le problème des coûts de revient et la nécessité de leur meilleure maîtrise par un accroissement de la productivité, en liaison avec le développement de l'automatisation des process de production et de la logistique. L'hypothèse de la mise en place d'une « marque ombrelle » aurait peut-être vu jour, mais sous des formes différentes ; par exemple, celle de la création d'une ligne de produits dérivés bénéficiant d'une protection de type A.O.C.. Il est clair que l'impact sur l'emploi et sur l'économie régionale d'une telle stratégie aurait été très différent par rapport à celle qui a prévalu. La question du financement du développement se serait posée Pour les partenaires sociaux -notamment les syndicats représentés sur le site- c'est au contraire la résistance qu'ils ont menée, avec l'appui des Pouvoirs publics et de la Justice, qui a obligé la direction du groupe Nestlé à changer de stratégie et celle-ci aurait pu, dès le départ, viser au développement conjoint de la marque et du site, faisant l'économie des crises vécues entre 1992 et 1999). Enfin, l'analyse du cas Perrier-Nestlé permet d’identifier les différents acteurs et leurs rôles et illustre bien l'approche standard du management de la compétitivité : l'emploi apparaît, pour l'essentiel, comme une variable d'ajustement, essentiellement parce qu'il est considéré comme une charge et non comme une ressource. B/ le cas Pasquier5 La nature d'une stratégie fondée sur les ressources se caractérise par l'importance accordée dans les choix stratégiques à la valorisation et au développement des ressources propres de l'entreprise, au sens non strictement financier. Le potentiel humain prend un rôle clé dans une stratégie fondée sur les ressources. Au sein de l'entreprise Brioches Pasquier, la réflexion sur les compétences a été associée à celle sur l'ARTT. Le concept de stratégies de compétitivité, après avoir été longtemps fondé sur la maîtrise des coûts, est aujourd'hui associé au concept de création de valeur, valeur qui est ensuite répartie entre différentes parties prenantes (actionnaires, dirigeants et salariés, clients, fournisseurs et institutions). L'étude de la compétitivité des entreprises suppose que l’on regarde ce phénomène dans la longue durée, en particulier si l'on s'intéresse aux liens entre stratégies de compétitivité et création d'emplois. En effet, un développement durable des entreprises et des emplois nécessite une stratégie fondée sur un investissement qualitatif en potentiel humain (compétences évolutives) puis quantitatif (création d'emplois). L'entreprise se voit obligée de consacrer régulièrement une partie de ses ressources pour les mobiliser, les professionnaliser, les former. Le cas de l'entreprise Pasquier permet d'insister sur la mise en cohérence de la stratégie, de l'organisation, du management et de divers leviers de la gestion des ressources humaines. La. création d'emplois dépend de ce fait davantage de stratégies d'un certain type émanant d'entreprises qui se fixent pour objectif de créer des emplois pour assurer leur développement, que d'un partage « mécanique » d'emplois, u s'agit donc d'envisager le cas d'une entreprise dont le management lui a permis de transformer une contrainte en opportunité de développement fondé sur les ressources humaines. Au sein de l'entreprise Brioches Pasquier, une décision volontaire importante, ambitieuse et réussie, de réduction du temps de travail de 15% a été prise. d’après Henri SAVALL et Véronique ZARDET, Stratégies proactives et emploi, le cas « Brioches Pasquier », in « Management de la compétitivité et emploi, coord. Roland PEREZ, éditions l’harmattan, 2005 5 1 - Présentation de l'entreprise Le groupe Brioche Pasquier a été créé en 1974, PMI familiale et indépendante implantée à l'origine dans l'Ouest de la France, elle comptait en 1984, 240 personnes. Fabriquant de viennoiseries industrielles préemballées, l’entreprise commercialise ses produits en grandes et moyennes surfaces et devient « leader » du marché de la viennoiserie en 1980. Une première période se caractérise par : - une croissance interne forte de l'entreprise ; - une hausse des effectifs et des salaires ; - des gains de productivité de la main d'œuvre ; - un autofinancement fortement croissant des investissements ; - une consolidation des fonds propres. Déjà, au cours de cette période, la rémunération est devenue un objet de réflexion. La stratégie de cette entreprise comporte un projet affirmé intégrant une dimension forte : son personnel. Dans sa vision marketing, l'entreprise a privilégié l'idée selon laquelle le besoin du client-consommateur émerge et se construit progressivement par interaction entre l'entreprise et ses clients. Cette conception émergente dans la recherche en marketing est poussée extrêmement loin dans ses applications au sein de « Brioches Pasquier » puisque tous les individus, y compris le personnel de base de l'entreprise, sont vus comme des « stratèges » actifs qui émettent des signaux sur leur environnement, collectent des informations à portée stratégique, et les exploitent « en temps réel », c'est-à-dire dans des délais très brefs allant d'une journée à une semaine. L'entreprise organise ainsi une vigilance active et participative de son environnement pertinent. En particulier, un resserrement des fonctions marketing et vente s'est mis en place et le rôle des vendeurs a intégré explicitement la remontée d'informations sur la concurrence, le comportement des consommateurs observé en temps réel dans les surfaces de vente... . Le rôle des vendeurs s'est donc enrichi d'activités telles que le reporting et devient essentiel puisque de la qualité des informations issues d'observations réalisées auprès des clients dépendent les choix en matière de marketing effectué par l'encadrement Le rôle des vendeurs ne se limitent donc plus au simple acte de vente, mais s'est élargi à toute une dimension informationnelle indispensable à la qualité du processus de décision. Ce rôle nouveau a été expliqué à l'ensemble des vendeurs, il repose sur une valorisation des compétences spécifiques des salariés et en particulier des équipes commerciales et se traduit par un surcroît d'exigences supplémentaires. 2 - Choix stratégiques Les grands choix stratégiques de l'entreprise reposent sur l’innovation par rapport aux comportements stratégiques de ses concurrents. Axant sa stratégie commerciale sur la fraîcheur de ses produits, l'entreprise a fait, après de multiples hésitations, des choix stratégiques industriels et commerciaux dont les plus caractéristiques peuvent être ainsi analysés : - - concurrence par les prix : le Groupe Brioche Pasquier n'échappe pas au pouvoir de négociation élevé de la grande distribution. Les prix de vente baissent régulièrement en francs constants (dans les années 90), mais la rentabilité de l'entreprise croît tout aussi régulièrement grâce à une efficace diminution de «coûts cachés» que l'entreprise réussit à réduire. Politique d'innovation : Cette stratégie porte à la fois sur la production et la vente de volumes supplémentaires, mais aussi sur le développement de sa création de potentiel, c'est-à-dire d'investissements immatériels dans de multiples domaines, avec la participation de nombreux acteurs : actions de réflexion par des groupes de projet internes pour améliorer les délais de livraison et de consommation des produits (il s'agit de produits frais). Il s'est ainsi avéré que la croissance du marché depuis plusieurs années a été portée en quasi-totalité par cette entreprise, tandis que ses concurrents affichent des taux de croissance de quelques points seulement dan l'ensemble. Si la rentabilité à court terme de l'entreprise s'est améliorée, cela s'est lit concomitamment avec une partie significative d'activités de création de potentiel. Cette politique d’innovation repose sur plusieurs éléments : - Choix de décentralisation de la force de vente, alors même que le mouvement de fond de la grande distribution conduit inexorablement à une forte concentration de l'offre, chez ses concurrents. Ainsi, la négociation des conditions générales de vente avec les grands comptes (8 clients assurent 80% du chiffre d'affaires du groupe) n'est pas centralisée au siège, elle est répartie auprès de plusieurs directeurs de site, en étroite concertation avec la Direction Générale du Groupe). - Choix d'usines polyvalentes, fabriquant tous les produits, alors même que de nombreuses entreprises optent pour une spécialisation de leurs sites par produits. Malgré des montants d'investissement de départ bien plus élevés, l'entreprise a ainsi réussi à réduire les coûts cachés entraînés par la spécialisation. Recherche de la qualité afin d’accroître les parts de marché. Sur un marché extrêmement concurrentiel et fondé sur la réputation de quelques spécialistes du marché de la viennoiserie, en croissance faible depuis quelques années, l'entreprise a fait le pari qu'elle pouvait, par son action sur la qualité de ses produits et services, accroître ses ventes en faisant croître le marché, et pas uniquement en prenant des parts de marché à ses concurrents. Autre validation de l'importance de l'interaction offre-demande : l'amélioration de la qualité de l'offre, à partir d'une écoute permanente attentive des besoins du marché. 3 – Choix en termes de management L'entreprise a, parmi ses choix stratégiques, fait celui d'une approche globale intégratrice de son organisation et d'une décentralisation. L'approche globale se manifeste par le choix stratégique de faire des usines des sites autonomes de plein exercice, dotés de l'ensemble des fonctions vitales. C'est ainsi que chacun des douze sites actuels, dès leur création ou leur rachat, est doté des huit fonctions vitales : production, commercial, finance, laboratoire, informatique, logistique, ressources humaines, maintenance ; chaque site est responsable de sa région commerciale. L'entreprise fonctionne avec une structure matricielle, qui a la caractéristique majeure d'avoir une équipe fonctionnelle de siège extrêmement légère, une trentaine de personnes pour un effectif total de 1100 personnes, sans pouvoir hiérarchique sur les sites. Ainsi un directeur fonctionnel groupe ne va pas dans un site voir ses homologues sans s'être préalablement concerté avec le directeur du site. Le rôle du groupe vis-à-vis des sites est essentiellement de l'assistance méthodologique aux sites et de la formation afin d'assurer la pleine autonomie opérationnelle. Par exemple, les calendriers de visite des sites par le groupe sont établis en concertation, chaque semestre, dans le cadre de la négociation groupe/sites des plans d'actions prioritaires. Les projets innovateurs sont portés soit par un responsable fonctionnel, soit par un responsable de site. L'entreprise s'efforce de mettre en œuvre une grande transversalité, une grande synchronisation entre les sites, particulièrement grâce aux instruments «plans d'actions prioritaires ». Un temps significatif (temps indirectement productif) est consacré à la communication-coordination-concertation par l'ensemble des cadres du groupe, des sites, par les agents de maîtrise, par le personnel : préparation des plans d'actions prioritaires. 4 – L’ ARTT et la mise en place d’une démarche compétence En 1994, dans un contexte économique très favorable et d'une stratégie volontariste de développement durable de l'entreprise, Brioche Pasquier décide d'innover dans sa politique sociale. Elle réduit la durée hebdomadaire du travail de 15% (33hl5 en 4 jours), annualise le temps de travail, et s'engage à créer 10% d'emplois. Le volet économique de l'accord d'entreprise, conclu avec le personnel, comporte un accroissement de la durée d'utilisation des équipements du fait de la généralisation du travail le samedi par équipes tournantes, et de la possibilité de faire fonctionner les usines 24 h sur 24, lorsque le service au client l'exige. Ce groupe de projet implique fortement l'encadrement et élabore des scénarios de réorganisation du temps de travail pour les principaux métiers de l'entreprise : production, commerciaux, chauffeurs, administratifs. En octobre 1994, l'accord d'entreprise est signé. Il prévoit un maintien des rémunérations, à l'exclusion des cadres pour lesquels une baisse de quelques points est négociée. Les indicateurs sociaux confirment que les effectifs ont crû de près de 20% entre 1994 et 1997, au lieu des 10% auxquels l'entreprise s'était engagée et les contrats à durée indéterminée ont augmenté de 15% sur la même période. Au plan économique, une étude de l'évolution de la contribution horaire à la valeur ajoutée ou à la marge sur coûts variables montre une forte croissance : 7% la première année, 14% l'année suivante et 20% entre 1996 et 1997. Les indicateurs économiques de productivité, rentabilité et compétitivité, sont très élevés et s'accompagnent d'une baisse des pertes et rebuts et d'une réduction des délais de production et de livraison aux clients. Rappelons que la majeure partie de la production de Brioches Pasquier est constituée de produits frais. L'ARTT a été une opportunité pour développer les compétences des salariés, en acquérir de nouvelles, et reconsidérer le partage des responsabilités et des compétences entre tous. En corollaire, l'entreprise a dû développer significativement la formation intégrée, ce qui a accru l'autonomie opérationnelle des personnes. L'ARTT a nécessité un renforcement de la fonction d'encadrement, pour assumer de nouvelles exigences telles qu'une préparation particulièrement soignée des actions de formation, des recrutements et de l'intégration des nouveaux recrutés, des plannings horaires précis et fiables, de l'organisation des repos compensateurs, des relais d'interface lors des repos des salariés... L'ARTT a, en outre, entraîné une amélioration des conditions de vie au travail et personnelles, favorisé la vie extra-professionnelle. Ce changement a été apprécié par le plus grand nombre. Certains ont toutefois signalé que la plus forte amplitude horaire de travail quotidien (qui se produit en période de forte saisonnalité) provoque parfois un accroissement de pénibilité. La capacité d'une entreprise à s'adapter à une contrainte nouvelle dépend de la qualité des relations sociales au niveau interne et de la pression du marché (délai, prix, ...) et des compétences développées. L'entreprise peut être dans une situation telle que toute contrainte apparaît comme une difficulté supplémentaire, alors que d'autres arrivent à transformer cette contrainte en opportunité et se remettre en cause aux plans organisationnel, des conditions de travail et d'emploi, des relations de service à la clientèle, de l'organisation industrielle... de sorte que la contrainte institutionnelle exogène a stimulé leur créativité en sommeil en les poussant au changement organisationnel. La restructuration profonde du temps et du contenu du travail des salariés (compétences) est donc facteur-clé de succès pour obtenir des effets bénéfiques durables pour les salariés euxmêmes, et corrélativement pour l'ensemble de l'entreprise. Le cas étudié du groupe Brioches Pasquier met en évidence l'idée de stratégie, innovante et intégratrice. Depuis sa création en 1974, cette entreprise a crû régulièrement par développement interne et externe. Elle a mis en place une vigilance régulière actualisée tous les six mois, sur la réduction de ses coûts, en adoptant une stratégie de création de potentiel très volontariste et originale. Ainsi, la formation du personnel (6 à 8% de la masse salariale depuis 15 ans) est un ingrédient permanent de développement des performances économiques et sociales, de même que le temps consacré aux études de nouveaux produits, de mise au point des technologies, des systèmes d'information, de recherche de nouveaux marchés internationaux Conclusion En 1994, cette entreprise a volontairement saisi la loi quinquennale pour l'emploi comme une opportunité stratégique d'innovation lui permettant de créer 10% d'emplois, tout en augmentant ses performances économiques de chiffre d'affaires et de rentabilité, en réduisant le temps de travail de 15% sans baisse de rémunérations. La réussite de ce projet a reposé sur la capacité à développer une dynamique économique et sociale. Les compétences ont été non seulement reconnues, mais également développées au travers de parcours de formation ou d'une politique de rémunération repensée en faveur des salariés «non-cadres». Le développement de ces compétences a permis la mise en place de stratégies de croissance et en particulier d’innovation et d’amélioration de la qualité.