Le pet du vilain Rutebeuf, Pièces à rire (XIIIe siècle) 5 10 A. Texte en

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Le pet du vilain
Rutebeuf, Pièces à rire (XIIIe siècle)
A. Texte en ancien français
Li dis dou pet au vilain
Jadiz fu .I. vilainz enfers.
Emperellier estoit enfers
Por l’arme au vilain resouvoir,
Ice vos di ge bien por voir.
5 Un deables i est venuz
Por cui li droiz iert maintenuz.
Un sac de cuir au cul lui pent
Maintenant que laianz descent,
Car li mauffeiz cuide sans faille
10 Que l’arme par le cul s’en aille.
Mais li vilains por garison
Avoit ce soir prise poizon.
B. Traduction en français moderne (en vers)
Le dit1 du pet du vilain
Jadis, un vilain fut malade.
L’Enfer était tout prêt
à recevoir l’âme du vilain,
ici je vous dis bien la vérité.
5 Un diable est venu
pour faire valoir les droits de l’enfer.
Il lui suspend un sac de cuir au cul
aussitôt qu’il descend dans sa maison,
car le démon croit avec certitude
10 que l’âme sort par le cul1.
Mais le vilain pour se soigner
Avait ce soir-à pris une potion.
C. Suite : traduction en français moderne (en prose).
Il avait mangé tant de bon bœuf à l’ail et de bouillon gras bien chaud que sa panse2 n’était pas molle,
mais tendue comme une corde de guitare. Il ne se croit pas encore perdu : s’il peut péter, il sera guéri. À
15 cet effort, il met toute son énergie : il se force, il s’anime, se tourne et se remue tant qu’un pet finit par lui
échapper, remplit le sac et le barbouille. Car le démon pour le punir lui avait piétiné la panse. Et le
proverbe dit bien que trop forcer fait chier.
Le démon fait tout le chemin jusqu’à la Porte de l’Enfer avec le pet qu’il porte dans le sac. En enfer, il
jette le tout, et le pet en jaillit d’un coup. Et voilà que tous les diables enflammés de colère maudissent
20 l’âme du vilain. Le lendemain, ils tiennent conseil et tombent d’accord pour décider que plus personne
désormais ne ramènera l’âme issue d’un vilain, car elle pue toujours, il n’y a rien à faire. Ils décidèrent
alors qu’aucun vilain ne pourrait entrer ni en enfer ni au paradis. Vous en avez entendu la raison.
Adaptation de la traduction de Michel Zink
Rutebeuf – Œuvres complètes (Livre de Poche, Lettres gothiques)
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1. le dit : l’histoire.
2. Au Moyen-âge, on pensait que l’âme du mort s’échappait par la bouche, pas par les fesses ! (voir l’illustration ci-dessous)
3. la panse : le ventre.
L’évolution de la langue française
1. Repérez dans le texte en ancien français les mots que vous reconnaissez, en vous aidant de la traduction.
2. Relevez maintenant des mots qui ont complètement disparu en français moderne.
3. Qu’est-ce qu’un vilain au Moyen-âge ? Recherchez dans un dictionnaire l’étymologie de mot. Quel est le sens du
mot vilain aujourd’hui ?
4. Comment est traduit le mot poizon en français moderne ? À quel autre mot ressemble-t-il en français moderne ?
La forme du fabliau
5. Comptez le nombre de syllabes dans le premier vers en ancien français : « Ja/diz / fu / .I. / vi/lainz / en/fers. »
(Texte A, vers 1). Comment appelle-t-on ce type de vers ?
6. Observez les rimes dans le texte A : comment sont-elles disposées ?
7. Relevez au début et à la fin de la traduction (Textes B et C) une phrase qui s’adresse directement au public. À
quoi l’avez-vous reconnue ?
Un récit explicatif humoristique
8. Pourquoi le vilain a-t-il mal au ventre ? Que compte-t-il faire pour guérir ?
9. Relevez dans la traduction (Textes B et C) un nom et un verbe à l’infinitif appartenant au niveau de langue
familier. Le thème de ce fabliau vous paraît-il grossier ou raffiné ? Justifiez votre réponse.
10. En rédigeant une réponse développée et en vous appuyant sur le texte, montrez que les diables sont ridiculisés
dans ce fabliau.
11. Que permet d’expliquer cette histoire par rapport aux vilains en général ? À votre avis, après avoir lui ce
fabliau, comment les vilains étaient-ils considérés au Moyen-âge ?
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