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Le référendum national, une procédure inadaptée
par Jean De Munck (LaGIS, UCL)
Le « non » irlandais, troisième du genre, constitue une difficulté de plus sur le chemin de
l’Europe. Il exacerbe le sentiment d’une rupture entre l’Europe et les nations, entre l’élite et
les peuples. Pendant ce temps, la globalisation bat son plein. Personne ne peut douter de la
nécessité de construire l’Europe de toute urgence ! Mais par quelle procédure y parvenir
démocratiquement ? Le troisième « non » populaire au Traité pose la question du modèle
démocratique européen.
Pour certains, le référendum national constitue une réponse définitive à cette question. Ne
s’agit-il pas du « recours suprême » supposé exprimer la volonté du peuple? Moins
institutionnalisé, le sondage repose sur la même logique : il révélerait ce que pense « le
peuple » sur des questions précises et donnerait, en conséquence, des indications sur les
politiques à suivre. .
Pourtant, la leçon à tirer des exemples français, irlandais, hollandais, me semble être que cette
procédure est totalement inadaptée au problème qu’il s’agit de résoudre, pour trois raisons au
moins.
D’abord, le résultat d’un référendum est politiquement illisible. Comment l’interpréter ?
D’autant que dans un climat médiatique instable, une question soi-disant simple et
fondamentale (le Traité) est sur-interprétée conjoncturellement pour des raisons qui n’ont rien
de fondamental (le prix du pétrole, la politique agricole etc.). Le « non » ne repose pas sur des
raisons cohérentes entre elles. Vote nationaliste de droite? Suffrage radical de gauche? Rien
de tout cela ou tout cela ensemble? Impossible de le savoir.
En second lieu, la procédure génère une majorité différente de celle qui est issue des élections
régulières, créant un conflit de légitimités. Le « non » du référendum irlandais contraste avec
le « oui » de son gouvernement légitimement élu. Après la France et la Hollande, l’Irlande a
dit « non » sans savoir à quoi conduit ce « non » : tous les scenarii sont possibles, du retour
aux urnes à la marginalisation du pays dans l’Union, en passant par la pire des options qui
consiste à faire le gros dos et continuer le processus comme si de rien n’était. est la clarté
promise par les partisans des référendums?
En troisième lieu, il y a le format du référendum. Les rendums nationaux sont
eurocidaires de manière structurelle. Par leur organisation même, ils favorisent un débat posé
en termes nationaux. Un référendum sur l’Europe devrait au moins rassembler dans un même
débat les 457 millions d’Européens. Le biais anti-européen du férendum national est trop
évident pour qu’on puisse le considérer comme une juste procédure sur une question
européenne.
Mais si le référendum national ne constitue pas une réponse adaptée au déficit démocratique,
la question demeure : comment démocratiser les prises de décision globales ? La première
réponse est celle- me qu’ont refusée les Irlandais : par la construction d’institutions
démocratiques d’un niveau supérieur à la nation. C’est une tâche historique, de longue
haleine, qui engage une génération (au moins). Elle passe par des Traités, mais ne s’arrête pas
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à eux. Et la deuxième réponse est celle que nient les partisans de la démocratie « directe »
réduite à des référendums (et des sondages!) : le rétablissement de la primauté des
intermédiaires que sont les partis politiques et les associations.
C’est bien cette question du modèle de démocratie qui en jeu dans la phase actuelle de la
globalisation. Une démocratie ne se constitue pas en invoquant (en inventant) sans cesse
l’insaisissable parole populaire par voie de référendums et de sondages. Elle suppose ce que
Tocqueville avait si bien observé en Amérique : le difficile travail de groupes intermédiaires
qui conduisent l’apprentissage collectif de la citoyenneté. La démocratisation de l’Europe
passe aujourd’hui par une place nouvelle donnée aux partis, syndicats, groupements et
associations multiples qui, en son sein, favorisent la construction d’une opinion publique
responsable. Il n’y a que ces intermédiaires multiples qui peuvent lier le local au global,
façonner une opinion éclairée sur un monde complexe, s’engager dans la construction de
solidarités solides.
Les principales politiques publiques ont déjà perdu leur base nationale (climat, sécurité,
finances, monnaie, migrations, emploi...). Le déficit démocratique de l’Union crève les yeux.
On ne le réduira pas en re-nationalisant les procédures et en prônant l’expression directe du
citoyen sur des questions hyper-simplifiées (pour ou contre l’Europe, biffez la mention
inutile !). Nous avons besoin d’une revitalisation de la concertation sociale sur le grand
marché européen. L’emploi, la justice des rémunérations, le niveau des pensions sont des
questions quotidiennes et européennes que ne résoudra aucun référendum. Cela suppose que
les syndicats, les entreprises, les associations soient reconnus comme des acteurs collectifs-
clefs de la construction européenne. Nous avons besoin d’une concertation nouvelle entre
gouvernements et associations locales pour la création d’une politique d’immigration
respectueuse des droits de l’Homme et des sociétés d’accueil. Il nous faut activer une
discussion de la société civile européenne sur un modèle de développement économique
alternatif pour affronter la terrible raréfaction des ressources mondiales en air, en eau, en
pétrole.
Ce serait se tromper d’urgence que de fixer nos attentions sur le clivage entre nations et
Europe, peuples et élites, qu’engendrent d’inconsistants référendums nationaux. Considérons
plutôt les référendums nationaux pour ce qu’ils sont : des recettes surannées et contre-
productives pour les enjeux de l’heure. Et construisons, très vite, le nouveau dialogue social et
civil dont a besoin l’Europe.
La Libre, le 20 juin 2008
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