L’ETAT
L’état est l’expression de l’organisation d’une société, organisation qui s’impose à tous pour le bien de
tous. Mais curieusement, l’évocation de son nom évoque en général un double sentiment contradictoire : il est
perçu à la fois comme machine contraignante pour l’intérêt de chacun, et à la fois, comme l’organe propre à
assurer l’intérêt commun. Un tel paradoxe ne repose-t-il pas sur l’essence même de l’état ?
I ] NOTIONS
A CE QU’EST L’ETAT
1) Définitions
a. Le dictionnaire
Le dictionnaire donne 4 types de définition :
- Autorité souveraine s'exerçant sur l'ensemble d'un peuple et d'un territoire
déterminés.
- Ensemble des services généraux d'une nation, par opposition aux pouvoirs et aux
services locaux.
- Groupement humain fixé sur un territoire déterminé soumis à une même autorité et
pouvant être considéré comme une personne morale.
- Forme de gouvernement, régime politique social.
b. Philosophiquement
L’état est l’ensemble organisé des institutions politiques, juridiques et administratives qui
structure la société à l’intérieur d’une nation ou d’un territoire donné. L’état est donc
l’ensemble des structures politiques et administratives dont l’autorité s’exerce sur un peuple.
2) Intérêts des définitions
a. Ce qu’il faut en retenir
Des définitions de l’état on peut constater que cette notion repose sur deux réalités :
- Une communauté juridique : un ensemble d’individus soumis à une même
législation.
- L’autorité et la puissance détenues par l’état.
b. Premiers problèmes
Peut-il y avoir de sociétés sans état, donc sans organisation juridique, législative et
coercitive ? S’il semble bien que non, de nombreux anthropologues ont répondu par
l’affirmative en évoquant le cas de sociétés primitives, mais est-ce vraiment possible ? Quelle
stabilité ?
B CE QU’IL N’EST PAS
1) L’état n’est pas la nation
Tout le monde s’accorde à ne pas confondre ces deux notions. La nation est une communauté
sociale déterminée par des conditions naturelles, spirituelles ou culturelles. Qui dit socialement
déterminé n’entraîne pas nécessairement le politiquement déterminé (car alors nous pouvons parler
d’état nation.)
Ainsi, nation et état ne sont pas forcément lié. D’ailleurs, une telle dichotomie a expliqué de
nombreux conflits au XIXème siècle (notamment en Allemagne et en Italie), et sont toujours à l’origine
de sanglantes crises aujourd’hui (ex-Yougoslavie, Afrique, …) Ce qui tend à montrer l’importance du
rapport qui existe entre les deux notions qui sont fortement liées ; il n’est donc pas étonnant que toute
cette question constitue un des problèmes majeurs de la philosophie et de l’histoire politiques.
2) L’état n’est pas le pouvoir
Le pouvoir est une notion plus générale. L’état est en effet une forme de pouvoir, mais il est
loin d’exprimer tout le pouvoir. Le médecin, le père de famille, le professeur (eh oui !), exercent tous un
certain pouvoir par exemple (encore qu’il faille distinguer pouvoir et autorité…)
Mais là aussi, s’il ne faut pas confondre ces deux notions, on ne peut pas les séparer
absolument puisque comme nous le verrons, il est nécessaire que l’état dispose d’un certain pouvoir
(sans quoi, il n’est rien.)
Aussi la question fondamentale qui articule tout ce chapitre, est-il de savoir d’où vient son
pouvoir et son autorité. Quelle est l’origine de l’état ? Quand naît donc l’institution étatique ?
II ] ORIGINES ET FONDEMENTS
D’où vient donc l’état ? Sur quoi repose son essence ? D’ailleurs le mot Etat, vient plus du mot « être », que du
mot « essence », aussi les dictionnaires donnent-t-il comme premières définitions : manière d’être de quelqu’un
ou de quelque chose…
A ORIGINES DE L’ETAT
1) Un terme « machiavélien »
Curieusement le mot « état » tel qu’on l’entend vient tardivement : 16ème s. avec Machiavel. Il
apparaît alors que la politique commence à se séparer, à prendre de l’indépendance vis-à-vis des
institutions traditionnelles (religion, famille, etc…)
Le concept est donc profondément moderne, il fait appel à une certaine notion de
centralisation.
Quand Machiavel évoque le mot « état », il entend désigner une notion plus positiviste que la
réalité ethnique, territorial ou charnel. C’est la réalité d’une idée, ce n’est pas un donné de la nature. Ce
n’est pas un élément de fait, mais de droit. Il s’agit pour Machiavel d’un moyen inventé par l’homme
pour résoudre un problème organique (l’état sera si important pour le philosophe italien, qu’il devra
faire n’importe quoi pour se maintenir en place.)
2) La naissance de l’institution étatique
Notion positive, la philosophie moderne affirme que l’état naît quand la volonté éprouve la
nécessité de connaître une certaine stabilité qui transcende toute fonction individuelle et personnelle.
Une sorte de codification du pouvoir.
Mais un problème surgit alors : un état qui se maintiendrait et serait stable, en serait-il pour
autant justifié ? La pérennité serait-elle le critère de légitimité ? Pour Claude Lévy-Strauss, un état
opposé au consentement populaire ne saurait se maintenir très longtemps. Auquel cas l’Etat ne serait
qu’une histoire de fait…
B FONDEMENT DU POUVOIR DE L’ETAT
Qu’est-ce qui prouve que l’état n’est pas l’expression du droit du plus fort ? Pourquoi les hommes acceptent-ils
d’obéir ? La force peut-elle suffire à expliquer cette obéissance ?
1) Fondement classique de l’autorité
Aristote bénéficiant de la théorie de la participation de Platon, évoque le fait que toute autorité
participe de celle de « Dieu », du premier moteur qui est première cause et assigne chaque chose à sa
fin. Saint Paul exprime cette même participation avec sa célèbre phrase : « Il n’est pas de puissance si
ce n’est de par Dieu (toute autorité vient de Dieu.) »
C’est là le principe expliquant le concept de monarchie de droit divin. Celui-ci s’explique par
la notion de bien commun, fin naturelle de la cité subordonnée à la fin surnaturelle. Ainsi, la France
chrétienne qui n’était pas une théocratie, n’en était pas moins un régime dont le pouvoir royal était
subordonné à l’autorité de l’Eglise au nom de cette hiérarchie des fins.
Enfin, reste à noter que l’Etat comme l’Eglise sont les deux seules sociétés parfaites, c’est-à-dire
qu’elles sont toutes les deux capable d’atteindre leur fin sans le concours du qui que ce soit.
Le fondement de l’Etat repose donc sur la fin pour laquelle il est fait.
2) Les contractualistes
a. Rousseau
Pour Rousseau l’origine historique n’a aucune valeur, il faut un fondement légitime.
Les hommes naissent libres et égaux en droit, donc si quelque pouvoir s’exerce sur eux, c’est
qu’ils le veulent bien, et ce consentement doit être justifié par des avantages.
Pour Rousseau, il est très important de trouver la raison de ce fondement, car il faut
savoir pourquoi les hommes acceptent l’Etat et ses dispositions, au point que si ces mêmes
hommes n’y obéissent pas, ils en accepteront la punition (qui peut être la privation de liberté !)
L’homme est donc libre grâce à la loi qui est l’expression de la volonté générale, et
celle-ci vise le bien commun, et c’est donc à ce titre qu’elle exerce sa souveraineté. Un Etat est
légitime s’il est issu d’un contrat
L’homme renonce-t-il au tous ses droits ? Rousseau répond évidemment par la
négative : l’homme renonce aux droits dont il pourrait abuser, et qui par de ce fait nuiraient à
la collectivité. Ainsi l’Etat ne doit-il pas s’occuper de l’existence privée de chacun.
L’Etat a pour fin la liberté, laquelle est atteinte par lui.
b. Hobbes et Locke
En réalité, Rousseau même s’il est resté le plus célèbre n’était pas le premier à
avoir évoqué la notion de contrat ou de pacte social.
Ainsi Hobbes fait mention de l’Etat Léviathan. Celui-ci est la conséquence de la
guerre laquelle s’explique par l’état de nature : l’homme étant un loup pour l’homme, il plonge
nécessairement dans la guerre et la violence puisque habité par des passions et des appétits
dévastateurs. Pour échapper à la violence, à cet état de nature, l’homme invente un état de
droit. L’Etat naît donc d’un pacte, il est le fruit d’un calcul rationnel qui cherche à empêcher le
recours à la violence. Mais il n’en est pas moins un Léviathan, c’est-à-dire un monstre puisque
qu’il naît de la violence des hommes, et qu’à ce titre, cet Etat est redoutable.
Pour John Locke, autre philosophe anglais, l’état de nature n’est pas un état de
violence, mais il pèche par son absence de sanctions, ce qui entraîne la justice privée qui est
donc forcément arbitraire, et toujours au détriment du faible. Ainsi est-il nécessaire de crée un
état de droit qui garantisse la liberté et la sécurité.
3) L’Idéalisme hégélien
Hegel s’oppose à la notion de contrat car les structures de droit privé ne sont pas à transposer
sur celles du droit public. Le bien commun n’est pas le fruit de la volonté générale mais d’une raison
qui se doit d’être parfaite : la Raison Universelle. Ainsi l’Etat recouvre-t-il une valeur universelle : il
doit s’appliquer à tous, c’est un remède, un organe de survie qui doit concerner tout le monde, puisque
tout le monde le compose.
L’Etat ne peut pas représenter l’intérêt de certain nombre, ni même de la volonté générale. Une
telle conception n’est pas assez universelle pour Hegel. Elle est trop subjective. Hegel divinise donc
l’Etat. Celui-ci n’est pas un simple moyen ou un contrat, c’est une réalité plus haute qui transcende les
hommes, c’est l’expression de la Raison Universelle.
III ] LES CRITIQUES DE L’ETAT
A DE PAR LES RISQUES DE DERIVE
L’Etat assure-t-il toujours la sécurité et la liberté comme l’entendaient les contractualistes ? Pour la philosophie
contemporaine, quand l’Etat n’est pas limité par le droit, c’est le règne de l’arbitraire qui s’installe.
1) Les raisons d’une éventuelle dérive
Qu’il soit fondé par la notion même d’autorité, ou par un quelconque contrat, l’Etat possède un
immense pouvoir. Weber évoque un « monopole de violence physique légitime ». C’est d’ailleurs là
une condition nécessaire de l’exercice de la souveraineté de l’Etat. En détenant l’usage logique de la
force, il a l’autorité nécessaire pour faire respecter le droit.
Dès lors il n’y a qu’un pas à ce que l’Etat abuse de cette force.
2) Les dérives possibles
De cet abus, deux cas peuvent être envisagés, un abus factuel, le despotisme ; un abus de principe, le
totalitarisme.
a. Le despotisme
C’est une dégénérescence de la souveraineté qui devient absolue et oppressive et qui est fondée
sur une autorité arbitraire s’appuyant sur la crante. Etat devient sans loi, ni règle.
b. Le totalitarisme
Ce n’est pas une simple dégénérescence, mais une dérive de principe. L’Etat entend tout
diriger et tout contrôler : société et individus. La toute-puissance de l’Etat est une fin en soi, et
les individus qui composent la société n’ont aucune valeur en soi.
B LES CRITIQUES DE PRINCIPE
Les tenants d’une opposition à l’Etat par pur principe de fond sont les marxistes et les anarchistes.
1) La critique marxiste
Pour Marx, l’Etat est un organe séparé de la société. Non seulement l’Etat est à la source des
classes sociales et de leur opposition, mais l’Etat est un organisme de domination des classes
laborieuses. C’est un « faux universel. »
La société idéale marxiste étant sans classe sociale, l’Etat disparaîtra à lors de l’avènement
d’une telle société. En attendant, l’Etat ne doit pas être attaqué directement. Au contraire, celui-ci doit
être conquis par les classes laborieuses, afin qu’il puisse servir à atteindre la société marxiste. Dès lors,
il disparaîtra de lui-même.
2) L’anarchisme
Les anarchistes sont beaucoup plus expéditifs: il n’y a rien à attendre de l’Etat, c’est un
monstre froid, un obstacle à abattre.
Une telle conception se comprend si l’on considère l’individu comme une valeur suprême. Dès
lors toute forme d’obéissance est une aliénation, une abdication indigne de la personne. L’Etat est donc
la négation de la liberté, c’est la cause de tout malheur. Qui plus est, l’expérience montre, disent-ils, que
la souveraineté est nécessairement appropriée, qu’il y a obligatoirement un divorce entre Etat et
gouvernement.
Est-ce à dire que l’anarchisme est antisocial ? Non pas. Il fonde son espérance sur la libre
association, laquelle repose sur la fraternité et la coopération naturelle entre les hommes…
3) Conclusions sur ces deux critiques
On peut tout de suite constater que marxisme et anarchisme ne considèrent pas les fonctions
positives et les actions régulatrice de l’Etat.
Mais plus important encore : pour eux, l’Etat ne doit pas transcender la société. C’est une
négation du politique au profit du seul social. Une telle dissociation résulte d’une vision utopique qui
rêve de une société homogène, sans conflits et transformée en communauté.
IV ] LES PRINCIPALES FORMES ETATIQUES
Le mot Etat, recouvre ici une acception qui n’est plus guère usitée : on entend sous ce mot la forme de
gouvernement, le type de régime politique et social.
A L’ETAT MONARCHIQUE
Il s’agit là d’une des premières structures stables. Il est à la racine de l’Etat de droit.
B L’ETAT DEMOCRATIQUE
Depuis le 18ème s., le terme de démocratie ne signifie pas ce qu’il désignait sous la Grèce antique. Il
s’agit sous son acception moderne d’un pouvoir qui émane de la volonté générale et qui trouve sa légitimité en
elle. Le peuple est alors considéré comme un être de raison, un être collectif, une personne morale fondée par
le contrat. Pour Rousseau, la personne humaine est la valeur la plus haute et l’Etat est le moyen nécessaire (et
non pas la fin) pour réaliser des aspirations individuelles
Mais comment peut-il exister véritablement une volonté commune émanant de chacun et de tous ? La véritable
démocratie est-elle possible en pratique ?
Avec la fin de la monarchie l’exercice du pouvoir se trouve sans garant transcendant, sans véritable
fondement suprême. La puissance de la démocratie s’en trouve donc fragilisée. D’ailleurs qu’elle est la substance
de la démocratie ?
De telles questions sans réponses, n’expliquent-elles pas la naissance d’une loi fondamentale (les Droits
de l’Homme), ou d’un droit supra-national ?
FICHE TECHNIQUE
1) Définitions
Violence : N° 124 Pouvoir : N° 92
Liberté : N° 72 Etat : N° 48
Droit : N°40 Démocratie : N° 34
2) Citations
1 « C’est de l’égoïsme que naît l’Etat, mais d’un égoïsme bien entendu, procédant méthodiquement. »
Schopenhauer, Le Monde comme volonté et comme représentation, 1818.
2 « Renoncer à sa liberté, c’est renoncer à sa qualité d’homme, aux droits de l’humanité, même à ses devoirs. »
Rousseau, Du Contrat social.
3 « Tout dans l’Etat, rien contre l’Etat, rien en dehors de l’Etat. » Mussolini, Discours à la chambre des députés, 26 mai 1927.
4 «Si l’Etat est fort, il nous écrase. S’il est faible nous périssons. Valéry, Regards sur le monde actuel, 1945.
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