JP BIASUTTI Colles Révolution Industrielle (part 2) ECE 1 - Année 2008 2009 5
e) plus forte sera la pression exercée sur le niveau de consommation de la population
pour augmenter l’accumulation des capitaux (épargne). C'est une question de financement
de l'investissement lorsque le recours au financement extérieur est limité.
Soit la population accepte de sacrifier ses prétentions d'amélioration des conditions de vie
alors que la croissance est forte et que l'intensification du travail est maximale, soit elle
demande un accroissement substantiel de sa consommation au détriment de l’accumulation et
de la croissance future. Le premier choix devient cependant de plus en plus difficile avec le
temps puisque le modèle de consommation des pays leaders se diffuse.
Ceci implique une intervention de l’état pour contrebalancer les tensions sociales et politiques
que fait naître le processus d’industrialisation
f) plus grand sera le rôle des arrangements institutionnels spécifiques visant à assurer le
financement de l'industrie naissante et à la soumettre à des orientations moins
décentralisées et plus grand sera aussi leur caractère coercitif et globalisant. Le financement de
l'investissement connaîtrait ainsi un cheminement en trois temps suivant le degré de retard:
autofinancement pour les pays leaders (richesse accumulée, faible coefficient de capital
capital/produit) puis les besoins de financement plus importants seraient assurés par le
développement du secteur bancaire pour les premiers pays suiveurs (dont le
développement serait alors inversement proportionnel au degré de développement
économique) et en particulier les banques d’investissement qui pallient le manque d’épargne
intérieure ou son excessive liquidité (c’est le cas des «universalen banken» allemandes,
“perhaps the greatest organizational innovation in the economic history of the century”
comme
l’affirme Gerschenkron). Enfin par l'Etat lorsque l'arriération est trop grande (Russie, Japon)
Les pays en retard jouent aussi sur des mécanismes keynésiens de financement
(l'investissement crée l'épargne). Ce cheminement serait concomitant avec une centralisation
des décisions industrielles (ascendant du capital bancaire sur le capital industriel en
Allemagne conduisant à la cartellisation, stratégie de développement au niveau étatique au
Japon et en Russie) et un rôle de l'Etat plus actif.
g) De fait, plus le retard est grand plus la mobilisation des économies doit être importante
car la comparaison devient insupportable
. Gerschenkron note ainsi le développement des
«idéologies de l’industrialisation retardataire» qui visent à mobiliser les élites (Saint Simon en
France ou List en Allemagne)
. Cette mobilisation conduit donc :
à une intervention croissante des états dans l'industrialisation car l'économie est d'emblée
vue comme un moyen de la puissance et non comme une fin en soi
à une mobilisation forcée de l'épargne (investissement industriel des banques et de l'Etat)
à une contrainte sociale forte (prélèvement du surplus) qui pèse d'abord sur le monde rural:
taxe foncière japonaise, exportations agricole massives de la Russie
.
Comme le montre l’économiste contemporain Mario Lanzarotti, dans son exposé du modèle,
les différences apparaissent donc dans les caractéristiques mêmes des appareils
industriels (4 premières : a,b,c,d) et dans les ajustements institutionnels qui en ont constitué
les fondements (3 suivantes : e,f,g).
La réussite de l'industrialisation découle alors d'une course poursuite entre les effets
favorables et les coûts du retard (blocages sociaux, dépendance technologique et financière,
maîtrise de la politique commerciale).
Gerschenkron, Europe in the Russian Mirror, p. 102.
C’est le cas avec l’entrée des «vaisseaux noirs» du commandant américain Perry au Japon en 1853 ou
avec la défaite de Crimée (1853-1856) pour la Russie. Les français ete les anglais soutiendront l’Empire
Ottoman contre la Russie et assureront sa victoire.
Gerschenkron fait remarquer de manière anecdotique que si Saint Simon avait obtenu l’aide de Rouget De
Lisle pour une «marseillaise de l’ industrie», « Ricardo n’a incité personne à faire du « god save the queen »
un « god save industry ».
On peut trouver par la suite des exemples historiques variés de cette mobilisation: dans le Japon de la fin
du XIX ème, dans l’ économie mobilisée en Union Soviétique dans les années 1930 et 1940 (planification
impérative et collectivisation), dans la ponction sur la paysannerie dans les PED pour asseoir les stratégies
de développement après 1945.