Docteur Michel BOURGEOIS

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Docteur Michel Bourgeois
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Jeudi soir, 11 mai 2006
23, boulevard Delessert
75016 Paris
Chapelle Notre-Dame de Bon Secours
Tél. : 01 45 20 01 85
Portable : 06 76 58 81 19
Fax : 01 40 50 98 65
Frère Blaste
Courriel : [email protected]
Sylvie a donc reçu hier comme prévu la moelle de son donneur. Le convoi étant arrivé tard d’Allemagne, la
transfusion a eu lieu cette nuit. La Perle l’a accueillie comme le don d’un frère, certes inconnu mais
cependant très proche.
A ce sujet, certains d’entre vous ont peut-être remarqué le nom que j’ai donné, dès la découverte de sa
maladie, en octobre dernier, au dossier Word abritant tous les documents relatifs à la leucémie de Sylvie.
C’est un nom curieux pour un chrétien qui ne se connaissait pas de lien particulier, du moins conscient, avec
saint François d’Assise, puisque ce dossier est enregistré sous l’intitulé « Frère Blaste ».
La paternité de cette fraternité, si j’ose dire, ne me revient pas. Elle est la traduction, dans le cas de notre
Perle, de l’appellation donnée par une merveilleuse amie, Dominica, à l’un de ses compagnons d’infortune
pendant de longs mois d’infirmité post-opératoire : « Mon frère l’âne ». Seul un chirurgien digestif peut
deviner la nature de l’intervention alors subie par Dominica. De même, seul un hématologiste peut d’emblée
comprendre l’origine du nom que j’ai donné au dossier de Sylvie : « Frère Blaste ». En vérité, il n’en
comprend d’ailleurs que le deuxième mot : « blaste », car il s’agit tout simplement de la cellule
myéloblastique cancéreuse, caractérisant la leucémie de notre Perle. Et celle-là, malheureusement,
l’hématologiste la connaît bien.
Mais le sens du premier mot : « frère », employé dans un tel contexte, lui échappe a priori totalement. Car
comment peut-on qualifier de frère son pire ennemi, ce cancer qui a juré votre mort ? Et pourquoi introduire
dans notre cercle familial celui qui a pour projet de l’amputer de l’un de ses membres ? N’est-il pas insensé
de ma part de nommer frère celui qui vient me voler ma fille ? Pourquoi, demanderaient Jean-Marie et
Thierry, appeler frère celui qui veut tuer notre soeur ? Et que diraient Aymeric et Sixtine de celui qui se cache
dans leur mère avec l’espoir de la faire lentement succomber ?
C’est que ce « frère blaste » pour moi n’est pas forcément et à tout jamais cet ennemi mortel qui assiége
ma fille. Au contraire, ce frère pourrait être celui qui, grâce à ses blastes normaux, viendrait l’aider à rétablir
l’ordre dans sa moelle osseuse déréglée. Le frère protecteur qui lui apporterait le savoir-faire et le savoir-se
reproduire dont elle a perdu le secret. Le frère qui saurait imposer sa propre loi à toutes ces colonies de
cellules cancéreuses qui infestent le sang de Sylvie. Le frère dont la moelle saine se substituerait à sa moelle
leucémique. Le frère qui lui donnerait une moelle compatible !
Ce frère inconnu, vivant au pays de nulle part et de partout. Ce frère étrangement bien plus proche de la
Perle par le sang que ne le sont Jean-Marie et Thierry, ses frères de sang pourtant. Ce frère qui manifeste, par
ce mystérieux paradoxe, la réalité de cette fraternité universelle que le Christ est venu fonder par le sacrifice
de son propre sang. Ce frère dont la générosité anonyme donne corps à l’espoir et nous ouvre les portes de
l’avenir. Ce frère que nous bénissons sans le connaître et que nous accueillons dans notre famille comme un
signe de la Providence. Ce frère qui, sans le savoir, va partager désormais notre vie et accompagner notre
Perle durant toute son existence. Ce frère qui va mourir lui aussi un jour, comme nous et comme Sylvie, et
que nous retrouverons dans l’au-delà que Dieu nous choisira.
Nous sera-t-il alors donné de le reconnaître et de pouvoir mettre un nom et un visage sur ce frère salvateur ?
Pourrons-nous lui dire notre reconnaissance d’avoir sauvé notre Perle et fait renaître sa famille ? Ou bien
devra-t-il rester anonyme, même dans la Cité sainte ?
Il nous suffit en vérité de savoir qu’il fait partie du plan de Dieu pour nos vies et qu’il participe ainsi, à sa
place et à son heure, à l’oeuvre du Salut. Par lui, symboliquement, nous sommes reliés à toute l’humanité, en
même temps que nous mesurons notre singulière et irréductible identité. Mais n’est-ce pas là l’essence même
de tout chrétien, d’être à la fois le frère de tous et l’objet d’un amour unique et privilégié de la part du
Seigneur ?
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