33e dimanche - 16 novembre 2008 (Pr 31, 10...31 ; 1Th 5, 1-6 ; Mt 25, 14-30)
L’auteur du ‘’Livre des Proverbes’’ (1ère lecture) était-il féministe ? Quel est le sens de cette
louange à la gloire de la femme épouse ? Ce passage de la Bible est révolutionnaire mais ce n’est pas évident
du premier coup ! En effet, dans l’histoire d’Israël, la femme dépend financièrement de son mari. Or ici, la
relation de dépendance est inversée : c’est elle qui enrichit son mari ! Et celui-ci chante sa louange.
St Paul, lui, même s’il emploie des images de catastrophe, le fond de son message c’est : « Pas
question de vous endormir : restez en éveil et ... au boulot ! »
C’est le message-type de l’automne, et Jésus ne se gêne pas non plus pour nous le redire de trente-
six façons. C’est le cas avec la parabole des talents. Voyons comment il nous interpelle aujourd’hui.
Je me suis toujours demandé pourquoi il nous donne trois personnages en exemple, deux auraient
suffi, me semble-t-il. Soit. Son intention est de nous placer devant deux situations spirituelles opposées :
celle de la peur et celle du risque. C’est tout le temps la bagarre dans mon cœur entre le gars qui fait
confiance à l’avenir et celui qui se contente de conserver intact le passé. Celui qui a bien compris que la vie
est croissance ; et celui qui, en enfermant la vie dans un bocal, la rend stérile.
On peut décoder la parabole comme ceci. D’une part, les deux premiers serviteurs (qui habitent mon
cœur), ils ont des tas de dons à faire valoir, et ils le font bien ! Quant au troisième homme, le 3e serviteur
(qui habite mon cœur aussi), il s’agit de tout autre chose : figurez-vous que le talent qui lui est confié, ce
n’est pas quelque chose : c’est le Christ lui-même. Autrement dit : en me confiant un talent unique, c’est le
Fils unique qui se livre entre mes mains et qui s’abandonne à mon bon ou mauvais vouloir. Nous revoilà, une
fois de plus, au cœur du mystère de l’Eucharistie, de la Communion.
Si nous prenons cela au sérieux, il y a évidemment de quoi être impressionné ! Voilà que Dieu nous
livre son Fils et puis, si grande est la confiance qu’il nous porte, qu’il s’en va ! Mais est-ce vraiment
étonnant ? Regardez ce qui se passe dans la Création : certaines de ses créatures confient leurs œufs à la
nature (dans le sable, sous l’écorce d’un arbre) et s’en vont : elles font confiance. Quelle audace... Il a l’air
de nous dire : « Prenez exemple : si vous, qui êtes méfiants, savez faire ainsi confiance à la vie, combien plus
votre Père qui est aux cieux vous fera confiance, à vous aussi ! »
Allumons un autre spot. 5 talents, 2 talents : chacun équivaut à 16 ans de salaire ; 6 000 journées
de travail d’un ouvrier. « Peu de choses », dira Jésus ! Que dire alors de l’unique Talent qui est lui-même !
J’insiste : les trois serviteurs ne sont pas des personnages différents. Je peux me retrouver en
chacun d’eux, à certaines étapes spirituelles : celle de la confiance et celle de la peur. A chacun de nous est
laissé le soin de s’y reconnaître, à tel moment de sa vie.
Voilà donc que Dieu part « en voyage » et nous laisse avec ce cadeau extraordinaire qu’est la
liberté, ce cadeau qui nous apparaît parfois comme bien fragile et souvent nous fait peur. Dieu se retire sur
la pointe des pieds pour faire place à l’homme et se mettre à sa merci. Il se fait tout petit pour véler à
l’homme sa grandeur et sa dignité. Il lui donne la terre mais ne dit pas ce qu’il faut faire avec, sinon se
laisser guider par l’amour.
C’est pourquoi on ne peut pas dire que le « troisième homme » qui est en moi a fait quelque chose de
mal s’il se borne à garder le talent qu’il a reçu. Il est dans la légalité. Les rabbins lui avaient dit : « Si on te
confie de l’argent, il ne peut être gardé en sécurité que dans la terre. Au cas un voleur viendrait à s’en
emparer, rassure-toi : tu n’y es pour rien ; tu n’es pas RESPONSABLE. » Cet homme-là - qui est en moi -
décide donc de se déresponsabiliser. Il l’enterre, cela signifie que ça ne bouge plus, c’est stagnant, il n’y a
plus de vie, plus d’avenir.
Comment donc en est-il arrivé ? A enterrer ce qu’il a reçu ? Tout simplement parce qu’il a de son
maître une opinion tordue. Il vit dans LA PEUR. Et s’il vit dans la peur, c’est parce qu’il n’a pas de solidité
intérieure, pas de vie spirituelle ; il vit à la surface des choses. Une tortue a une consistance interne bien
fragile : sa carapace lui est extérieure ; tandis que, chez l’être vraiment humain et spirituel, le squelette est
intérieur.
J’insiste sur cette réalité de la peur, parce que, dans le contexte mondial actuel, les idées qu’on se
fait de Dieu foisonnent, mais c’est peut-être « le-Dieu-qui-fait-peur » qui a la vie la plus dure ! Plus
nombreux qu’on ne le pense, sont nos contemporains qui s’imaginent que Dieu est le grand coupable de tout
ce qui nous tombe dessus. D’autres se sont tellement fait une idée de Dieu que, finalement, il n’y a plus que
des idées et ... Dieu n’existe plus, on l’a mis aux abonnés absents ! A ce moment-là, la peur est encore plus
envahissante évidemment, et il n’y a plus qu’une solution, c’est de faire l’autruche, ou la tortue, ou le
hérisson ! C’est-à-dire d’enterrer son talent.
La question que Jésus nous pose dans l’évangile est celle-ci : « Est-ce que tu risques ta vie ? Ou bien
est-ce que tu la mets au congélateur pour être sûr de ne pas faire de faux-pas ? » Cette question nous
touche, car elle est liée à un contexte mondial qui nous insécurise. Depuis quelques décennies, une chape de
plomb, une chape de peur pèse sur nous de plus en plus lourd, semble-t-il : à notre insu, elle façonne nos
mentalités, tandis que, sur la scène planétaire ou dans l’effacement des foyers, certains personnages
ouvrent notre existence et notre avenir à une toute autre dimension.
Il y a 31 ans, (le 20 novembre 1977), un homme d’Etat, musulman croyant, prononçait devant la
Knesset un discours bouleversant : Anouar el Sadate, Président égyptien, osait faire appel au Dieu unique,
celui des Juifs, des Musulmans et des Chrétiens, pour dire à ses frères hébreux : « Prenons le risque de la
paix, et tournons le dos à la peur qui nous oppose et nous déchire. » Discours ‘’bouleversant’’, dis-je :
effectivement, il bouleversait ce qu’habituellement nous appelons « l’ordre » des choses.
Car, dans le langage courant, nous parlons d’une logique de guerre et d’un processus de paix. La
logique, c’est quelque chose de mathématique, c’est une orbite et peut-être une fatalité : pas moyen d’y
échapper. Tandis qu’un processus s’adresse à notre liberté, nous invitant à construire ensemble un monde
fraternel.
Sadate mettait Dieu au cœur du débat. Or, lorsqu’on laisse Dieu se mêler aux débats de notre
planète et de l’humanité, la paix n’est plus un processus : elle devient elle-même ... logique. Une logique de
paix ! Rendez-vous compte. Alors, le talent est déterré ; Dieu n’est plus ce « maître dur, qui moissonne
il n’a pas semé, qui ramasse il n’a pas répandu le grain », mais le Dieu d’une universelle logique de Vie -
un Dieu ‘’bio-logique’’ !
Sadate fut assassiné le 6 octobre 1981. Rabin eut le même sort 14 ans plus tard. Le merveilleux
talent, un moment déterré, est -enterré... Qui donc parviendra à enterrer la peur, l’anti-talent, pour que
ressuscite le goût du risque, le risque de l’amour et de la paix ?
A nous de jouer, d’entrer dans cette mystérieuse logique de Dieu qui a compris que, pour aimer, il
faut être libre et avoir le goût du risque. N’est-ce pas pour cela qu’Il prend ses distances et qu’Il se retire,
comme la mer se retire pour que vive la terre ? Il laisse sur la terre tout ce qu’Il avait, tout ce qu’Il est :
son propre Talent. Il n’a rien gardé pour lui mais nous a tout donné. Et il nous dit : « A vous de risquer
maintenant, à la suite de mon Talent bien-aimé qui se risque entre vos mains. »
Chaque dimanche, l’homélie sur le site : www.lapairelle.be
mchodoire@lapairelle.be
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