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Potentiel ou talent ?
Mireille Fesser Blaess / août 2008
Dans un contexte où la gestion des talents est à l’ordre du jour de la plupart des
sociétés à travers la désormais habituelle guerre des talents, qu’en est-il du lien avec
la notion de potentiel ? Parle –t-on des mêmes notions ?
1- Quelques rappels étymologiques
L’origine de ces deux mots ne s’inscrit pas dans la même logique
D’un coté le potentiel vient du latin Potens ; Selon le Larousse (1995), le qualificatif
potentiel « se dit d’une chose qui existe en puissance, virtuellement mais non
réellement (qualité potentielle) – contraire : actuel ».
L’étymologie en est le latin potentialis, potens, puissant. L’expression « en
puissance » désigne bien des phénomènes qui existent mais ne se manifestent pas
encore. La GRH a transformé en substantif l’adjectif potentiel pour désigner les
capacités professionnelles qui n’ont pas encore fait la preuve de leur performance.
On parle de compétence, dès lors qu’elles deviennent visibles au travers d’un niveau
de performance mais de potentiel, quand elles n’ont pas encore eu l’occasion de se
manifester. Le concept s’est dégagé peu à peu de la pratique
Les rares définitions du haut potentiel recueillies lors d’un travail de recherche sur le
même sujet furent les suivantes1 : « On parle ici de battre les standards de
performance dans son poste actuel et de la capacité à évoluer rapidement. On parle
ailleurs de population disposant d’un suivi particulier et bénéficiant d’un programme
de formation qui vise à étendre les capacités mais aussi à forger les ambitions.
D’autres, dans les comités de direction dressent la liste des personnes dont ils ont
remarqué la performance et leur font subir les épreuves d’un « assessment center ».
Enfin, autre pratique, un mentor rend, en interne, les services d’un coach auprès des
1 FESSER M et PELISSIER TANON A. –Les hauts potentiels – quelles qualités pour les dirigeants de demain ?
Éditions d’organisation 2007
salariés à qui vont être confiées, à terme, des responsabilités importantes ainsi qu’à
ceux qui viennent d’y accéder. »
Peu d’informations, mais déjà l’essentiel : l’expression « haut potentiel » concernerait
des (jeunes) collaborateurs, faisant la preuve de leur performance, pour qui
l’entreprise organise des programmes de développement professionnel spéciaux,
dans l’espoir d’y puiser ses futurs cadres dirigeants. La performance serait donc le
critère décisif, du moins la condition sine qua non du bon déroulement du processus.
L’ambiguïté du concept de potentiel transparaît à travers la diversité de ses
acceptions. P.-G. Hourquet et V. de Saint-Giniez en ont fait la synthèse et relèvent
sept définitions du potentiel, qu’ils regroupent en trois catégories selon la forme
d’évaluation à laquelle chacune d’entre elles correspond, diagnostic, pronostic ou
prévision.2 .
Et la définition du potentiel se modifie aussi au fur et à mesure du glissement de la
finalité de l’évaluation :
- c’est de plus en plus, pour l’entreprise, le souci de ne plus s’engager dans
l’urgence mais de procéder avec méthode à l’ensemble des décisions de
promotion de l’entreprise ;
- c’est de moins en moins, pour le salarié, une opportunité qui se présente comme
un effet du sort, mais la satisfaction de faire partie du petit nombre de ceux qui
ont toute chance de faire carrière dans l’entreprise.
En bref, le concept de potentiel a été opérationnalisé sans qu’on ait eu vraiment
besoin de savoir ce qu’il recouvre. On comprend que les entreprises cherchent à
procéder avec méthode à ces décisions de promotion et, notamment, à évaluer les
potentiels.
Il s’agit aussi, de plus en plus, de communiquer aux salariés la possible
appartenance à un groupe social constitué (happy few) pour lesquels l’entreprise
développe une gestion différenciée similaire aux approches marketing « élitistes »
2Hourquet P.-G. et de Saint-Giniez V., « Evaluer le potentiel d’évolution des cadres »,
Tous DRH, sous la direction de Peretti J.-M., Paris : Editions d'organisation, 2°
édition, 2001, pp. 205-218, tableau p. 207
existant hors ressources humaines. Il s’agit parfois aussi d’y associer des
programmes de rétention et de fidélisation.
De l’autre le talent vient du latin talentum, mot qui désignait un poids et une somme
d'argent en Grèce. Talentum était employé dans une parabole évangélique («
Parabole des talents », Matthieu, XXV) et a donné les sens figurés "état d'âme" et
"aptitude" En ancien français et jusqu'au XVIe siècle, après avoir eu le sens
d’« humeur » et « état d'esprit », talent a signifié "désir", "volonté", sens qu'on
retrouve dans les locutions avoir en talent ("désirer"), faire son talent de ("agir à son
gré"), dire son talent ("donner son avis").Le sens moderne, "don", "aptitude", est
présent dans le latin scolastique (essor au XIIIe siècle) talentum.
Par rapport à l'emploi classique, "disposition naturelle ou acquise pour réussir en
quelque chose", l'usage moderne met l'accent sur l'idée d'aptitude particulière dans
une activité appréciée par le groupe social. En emploi absolu, le talent se dit d'une
aptitude remarquable dans le domaine intellectuel ou artistique. Par métonymie, le
mot sert à désigner la personne qui a un talent particulier, la qualité ou l'ensemble
des qualités d'une œuvre dénotant le talent de son auteur3
C’est défini aussi comme une aptitude distinguée, capacité, habileté donnée par la
nature ou acquise par le travail (ainsi dit, comme l'a montré M. de Rémusat, par une
métaphore tirée des talents de l'Évangile).
M. Buckingham et C. Coffman ont pu définir le talent comme un mode stable de
pensée, de sentiments ou de comportement susceptible d’engendrer des résultats
positifs.4.
2- Convergences des notions
3 Dictionnaire historique de la langue française, sous la direction d'A. Rey, Dictionnaires Le
Robert, Paris.
4Buckingham M. et C. Coffman, Manager contre vents et marées, Village Mondial,
2001.
Que l’on parle de talent ou de potentiel, les deux aspects sont évoqués dans la
littérature comme devant être développés. Ils ne sont pas à l’état brut, même si on
rapproche parfois le talent du don.
Les deux notions sont considérées dans la littérature sur le sujet comme des
notions supérieures à la compétence qui, elle, ramène à l’emploi, au poste.
Manager les hommes revient, pour une bonne part, à gérer leurs talents, notamment
mettre à jour et développer leurs capacités. Parler de talent, c’est s’orienter sur les
points forts, les compétences. C’est aussi admettre l’imperfection. C’est prendre les
hommes comme ils sont, riches d’un potentiel que le manager se doit de détecter et
de développer.
3- Divergences
Le potentiel dans les entreprises correspond à une dimension globale, une
intégration à la norme sociale, aux valeurs exprimées par l’entreprise dans laquelle le
potentiel s’exprime. Le potentiel correspond à une capacité à évoluer dans
l’organisation au poste au moins supérieur au poste actuel et en principe avec une
visibilité sur un deuxième poste au-delà de celui-ci.
Mais on peut parler alors d’attribution de potentiel, au sens de chance d’obtenir une
promotion, plus que de détection du potentiel, au sens de probabilité de réussir dans
le nouveau poste. Mais la réussite n’est pas une conséquence systématique de la
promotion, sauf à dire qu’appartenir à un groupe identifié par des caractéristiques
extérieures suffit pour réussir. L’appartenance à une communauté est, de fait, un des
critères possibles de toute promotion.
Le talent apparait plus ciblé. On le reconnait à sa mise en œuvre immédiate,
répondant à un besoin ciblé, à une utilisation particulière par l’entreprise.
Dans le mode de gestion, alors que le potentiel est évalué puis reconnu, le talent est
reconnu et attendu. Il semble acquis. On ne parle pas d’évaluation des talents. On
achète, on repère éventuellement un talent et on le travaille mais on ne l’évalue pas
comme si sa particularité en faisait quelque chose d’unique et donc non mesurable
dans le standards habituels. Une des conséquences sera que lorsqu’on parle de
potentiel, on entrera plutôt dans une logique interne à une entreprise alors que
lorsqu’on évoquera les talents on sera dans une logique externe.
Le potentiel sera ainsi plus spécifique à une entreprise. Dans le même temps, il est
plus théorique et ne se mesure pas directement. Le talent sera lui visible quel que
soit le type d’entreprise et identifié hors du contexte de celle-ci.
Du don spécifique, voire unique lié au talent à la normalisation sociale du potentiel,
quel est et sera le besoin de l’entreprise pour son futur ? Sans doute un peu des
deux. Pour cela elle ne devra pas les confondre ni gérer un talent comme un
potentiel et vice versa. Sous peine de découvrir des divas lassées de la dimension
travail qui reste, elle, nécessaire que l’on parle de talent ou de potentiel.
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