Madame,
Permettez-moi, puisque vous mettez en cause l’impartialité du jury du concours We Love Words
organisé en partenariat avec les éditions Intervalles, de vous faire parvenir les éclaircissements
suivants.
Comme vous le remarquez justement, l’un des buts d’un concours d’écriture est en effet de créer ce
que vous appelez un « buzz ». N’oubliez pas toutefois que le but premier d’un tel concours est de
révéler de nouveaux talents. Mettez-vous un instant dans la peau d’un auteur publié ou du gagnant
de tel ou tel concours : ne souhaiteriez-vous pas qu’on donne à votre talent une publicité maximale ?
Quel mal y a-t-il à cela ?
Maintenant, en ce qui concerne le concours en question, si je me réfère à son règlement, c’est à moi,
en tant qu’éditeur, et à moi seul, qu’il appartient de décider de ce que je souhaite publier au sein de
la jeune maison d’édition indépendante que j’ai créée il y a bientôt sept ans ; qu’il s’agisse d’un texte
parvenu par voie postale, d’un texte que j’aurais sollicité auprès de tel ou tel auteur, ou d’un texte
issu d’un concours comme celui au boycott duquel vous appelez.
Si j’ai souhaité, pour ce concours en particulier, m’entourer d’auteurs publiés par mes soins, c’est
avant tout pour le plaisir de débattre des textes soumis à notre jugement. C’est aussi, et surtout,
pour garantir une certaine cohérence par rapport à la ligne éditoriale de cette maison, une
cohérence qui ne tienne pas de mon seul bon vouloir mais qui provienne d’un réel débat entre des
créateurs d’univers dont je me sens proche. Je suis persuadé que la légitimité du texte couronné en
sortira renforcée. C’est d’une part un gage de succès supplémentaire pour le travail sélectionné et
d’autre part une marque de respect pour les participants d’un tel concours, ainsi qu’une garantie
pour les futurs interlocuteurs (journalistes, représentants, libraires, lecteurs) qu’il faudra convaincre
de l’intérêt dudit texte.
Enfin, puisque votre aigreur vous conduit à présumer que « le gagnant va sortir de l’usine Inrocks de
notre ami PCG. Autant dire que si vous êtes vieux, provincial et pas journaliste, pas la peine de vous
fatiguer... », sachez que parmi la soixantaine d’ouvrages que j’ai publiés jusqu’ici (et puisque vous
semblez goûter le principe de la typologie), on compte :
2 canadiens
4 américains
7 britanniques
1 norvégienne
2 italiens
1 tibétaine
2 iraniens
1 bulgare
1 albanais
3 argentines
1 libanais
1 belge
19 français dont… zéro journaliste des Inrocks
Quant aux âges, cela va de Philippe Coussin-Grudzinski, le plus jeune auteur que j’ai publié à ce jour,
à… deux auteurs décédés !
Je vous ferai évidemment grâce de la typologie province/capitale, même si j’aimerais bien savoir
comment vous qualifieriez, dans votre raisonnement, et pour ne citer qu’un seul des auteurs que j’ai
publié, une Tibétaine née dans un petit village rural tibétain, réduite en esclavage à Lhassa puis
réfugiée à Dharamsala, émigrée en France puis en Grande-Bretagne ? Provinciale ou parisienne ?
Si j’ai découvert le talent de Philippe Coussin-Grudzinski à travers son blog hébergé par les Inrocks et
l’ai contacté à l’époque, c’est parce qu’une des facettes du métier d’éditeur consiste précisément à
guetter, un peu partout, l’éclosion de nouveaux talents. En un mot, à être ouvert.
Bref, libre à vous de voir des complots partout. Permettez-moi seulement de vous rappeler ce qu’un
bref survol du catalogue des éditions Intervalles vous aurait suffi pour apprendre : en tant que
fondateur d’une jeune maison d’édition indépendante adossée à aucun groupe ni à aucun média, je
me dois, pour faire vivre ce catalogue, de surprendre par mes choix et de bâtir une ligne éditoriale
cohérente bâtie sur des talents d’écriture et sur la singularité de regards portés sur le monde.
Evidemment, tout cela échappe peut-être à ceux qui préfèrent s’imaginer que le monde entier
complote pour empêcher leur talent d’éclore. C’est sans doute une posture plus confortable que
d’exposer son travail à la lecture critique d’un jury, aussi ouvert et curieux soit-il.
C’est dommage, car chacun sait depuis un fameux slogan de la Française des Jeux qu’à ne pas
tenter sa chance, on ne risque pas de gagner.
Sincères salutations.
Armand de Saint Sauveur
Fondateur des éditions Intervalles
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