ora pro nobis

publicité
1
Histoire inouïe, merveilleuse et véridique de la très vénérable secte
braspartiate des « DOUILIENS ».
Or donc, nous étions sous le règne bienveillant de Monseigneur Duparc
évêque de Quimper dont la haute stature emmitrée était aperçue ( avec la
vénération qui s’ imposait ) par les braspartiates, une fois l’ an, lors des
confirmations qui voyaient affluer toute la campagne environnante
accompagnant les postulants à la gifle sacrée. L’ apostolat dévoué de son
humble pasteur, l’ abbé Belbéoc’h, réglait la vie quotidienne du bourg
( Braz Partz : la « grande paroisse » selon certaines étymologies ) rythmée
par une religion qui, par ses rendez vous rituels, ponctuait une année toute
entière placé sous le signe du divin.
Eglise de Brasparts ( Finistère )
1
2
A peine étions nous sortis du ravissement de Noël, ses cadeaux enrubannés, et
la merveilleuse crèche réalisée au transept gauche de l’ église à grand renfort
de mousses, faux rochers, et personnages Saint sulpiciens, que se profilait
déjà le cortège embaumé d’ encens des rois de l’ épiphanie. Les enfants du
catéchisme - dûment chapitrés par un vicaire qui dépassait bien son quintal et
demi, soutane et crucifix compris, motocycliste à ses heures, saint homme
pétri de religion et de Harley Davidson - s’ entraînaient au chant de
circonstance :
« Melchior et Balthazar, sont, sont, sont ( ter) rev’nus d’ Egypte !
Melchior et Balthazar, sont rev’ nus d’ Egypte avec le roi Gaspard !… »
Sous le regard sévère des docteurs de l’ église flanqués d’ animaux fabuleux
qui ornaient la sacristie, série de tableaux anciens aux couleurs naïves,
grouillant d’ un bestiaire fantastique, les jeunes paroissiens braillaient avec
conviction cet air entraînant qui avait parfois des allures de rock and roll tant
l’ enthousiasme des jeunes catéchumènes était sublimé par ces extraordinaires
récits bibliques aux senteurs exotiques. Le carême pénitentiel, était suivi de la
2
3
grande joie des rameaux, et sa bénédiction des buis dérobés à la haie du
patronage,…ah ! l’ inoubliable impression de bénéficier d’ un dessert gratuit
au cours de la messe de Pâques lors de la distribution du pain bénit. La longue
théorie des premiers communiants aux allures de cortèges de noces tournait
autour de l’ enclos paroissial, cette festivité aux relents païens donnait lieu sur
le coup de midi à des banquets pantagruéliques d’ où les convives sortaient
congestionnés et somnolents pour assister béats à de bien calmes et digestives
vêpres…cette longue succession de rites cadençait des vies encadrées par des
repères incontournables, amers salvateurs propres à rassembler le marin égaré
vers des écueils profanes et à indiquer à la brebis perdue le chemin du salut
et des félicités éternelles…
Les statues de l’ église se drapaient mystérieusement de violet à Pâques et les
cloches dont on pouvait pourtant voir la présence dans la fine résille du
3
4
clocher étaient parties à Rome, foi de sacristain ! …..inexplicable mystère
pour des enfants qui n’ en croyaient pas leurs yeux.
L’ année étant ainsi jalonnée par de grands rendez vous mystiques qui
donnaient l’ occasion à la communauté braspartiate de retrouver le chemin de
la merveilleuse arche de dentelle grise, balise salvatrice du chrétien tenté par
des chemins de traverse. Il faut dire que l’ église catholique de la période d’
avant Vatican II baignait dans une aura de mystère et de magnificence rituelle
qui convenait parfaitement à l’ esprit celte tout entier pénétré de surnaturel et
de fantasmagorie, La cérémonie du salut célébrée en fin d’ après midi voyait
le prêtre engoncé dans sa chasuble raidie de fils d’ ors monter à l’ autel
auréolé de vapeurs d’ encens, entonner des psaumes en latin, le contrepoint
aigrelet des enfants de chœur, damier rouge et blanc servant de répons à l’
organe surpuissant du chantre de service, négociant en vins de son état, qui
assurait également avec brio le rôle de chef des pompiers. Cette voix de
stentor dont la nature avait doté le cher homme suppléait d’ ailleurs
parfaitement aux défaillances périodiques de la sirène lors des alertes au feu.
4
5
Tournant résolument le dos à l’ assistance, l’ officiant se livrait à des
manipulations mystérieuses et compliquées à base d’ escamotages de burettes
et autres patènes, dans la pénombre complice de ces colonnes baroques et
torsadées aux faux airs de baldaquin de Saint Pierre de Rome.
5
6
Ne se tournant qu’ épisodiquement, et comme à regret, vers une assistance à
dominante féminine, il incitait ses ouailles dans un geste ample, à vénérer un
seigneur tout puissant, et redouté, qui attendait inflexiblement son quota
quotidien d’ hommages, les coiffes de Brasparts aux fines antennes
frémissantes s’ inclinaient avec un bel ensemble au son de sonnailles agitées
avec frénésie par les enfants de chœur ravis de déclencher un tel carillon.
A la sortie de l’ office, l’ ensemble de l’ assistance allait faire un brin de
causette à ses morts, franchissant sans crainte et dans une familiarité bon
enfant, le terrible portail qui marquait l’ entrée du champ des trépassés,
flanqué de deux piliers ou veillaient deux effrayants grands ducs, hiératiques
et solennels, terreur des gamins du village qui leur préféraient largement l’
autre côté de ces piliers orné d’ une simple urne funéraire…
La fête dieu donnait lieu à la mise en place de tapis fleuris tout au long d’ un
parcours immuable allant de l’ église à la place Saint Barbe, via la place des
halles, la descente était risquée place des monts d’ Arrée , le vent coulis
soufflant de la rue de la fontaine occasionnant de brusques écarts chez les
porteurs de bannières dont la réputation de force musculaire était en jeu !.
Sous un dais étincelant de paillettes d’ or, le prêtre s’ avançait, le visage
dissimulé derrière un ostensoir brandi comme un manifeste, dispersant au
passage les tableaux fleuris réalisés à même le sol par les riverains de la
procession. Enfants de Marie, et paroissiens faisaient une halte réparatrice
devant les reposoirs confectionnés par certains paroissiens à grand renfort de
draps immaculés et de gerbes de fleurs des champs….
6
7
Mais la référence en matière de fête Dieu était celle organisée par le lycée
agricole du Nivot les chemins fleuris réalisés par les élèves surpassant tout ce
qui pouvait se faire de mieux dans le secteur, la ferme modèle brillait comme
un sou neuf, et on pouvait après la procession et la messe en plein air, goûter
à un élixir mystérieux a base de ….cresson ( !) préparation fortement
alcoolisée soigneusement concoctée par l’ un des frères enseignants, dont on
prétendait qu’ il ne pouvait être bu qu’ à trois : un buveur, et deux personnes
pour le tenir !!......A cette époque ( les années 50 ) les ecclésiastiques
circulaient encore revêtus de leur habits sacerdotaux, et l’ une des attractions
de l’ été au bourg consistait pour les enfants a deviner la présence des
membres surnuméraires dont étaient censés être dotés les fameux « frères
quatre bras » qui venaient chaque année encadrer une colonie de vacances à l’
école Saint Michel. Grande fut ma déception bien des années plus tard d’
7
8
apprendre que ce nom leur venait simplement des collets multiples qui
ornaient leur soutane !
Les périodes de grande sécheresse étaient l’ occasion d’ implorer le créateur
de toutes choses et ses escadrons de saints afin que des ondées bienfaitrices
viennent arroser les germinations espérées. Ces processions qui se passaient
généralement tôt le matin empruntaient un circuit court au centre du bourg, et
s’ apparentaient à un véritable marathon où certaines paroissiennes moins
alertes se faisaient rattraper plusieurs fois au fil des tours de l’ îlot central
autour duquel s’ articulait le village. Le tout mené à un rythme d’ enfer ( si l’
on peut dire ! ) et sur un air au swing endiablé ( si l’ on peut se permettre ! )
avec la noire à au moins 160 comme diraient des musiciens…..
Sant
Ja
oua
ha- Sant
Tu
gent
O - ra
pro
no
bis !
Toute la litanie des saints dont beaucoup ne figuraient pas dans le Panthéon du
Vatican étaient invoqués, avec plus ou moins de succès selon les saisons.
Procession à Brasparts
8
9
Mais venons en à ce coup de tonnerre qui ébranla la foi de cette paroisse
modèle et qui fit craindre à la hiérarchie ecclésiastique que d’ antiques croyances
et des dieux oubliés ressurgissent soudainement du Yeun Elez. De quoi ébranler
la hiératique statue du roi Gradlon qui, perché sur son destrier de granit veillait
de son ombre tutélaire sur l’ évêché de Cornouailles des crêtes granitiques des
monts d’ Arrée aux rivages écumants de la pointe du Raz…..
Toute cette ténébreuse affaire naquit un jour d’ une séance de catéchisme.
Madame Armande S…L…la dévouée catéchèse avait comme d’ habitude initié
ses turbulentes ouailles aux méandres compliqués de la généalogie biblique et
esquivé avec habileté les questions insidieuses sur la procréation miraculeuse de
ces docteurs de l’ église archi centenaires qui, malgré leur âge avancé,
engendraient une abondante progéniture aux noms bizarres et alambiqués. C’est
alors qu’ elle posa la question fatidique qui fit peser sur la paroisse un soupçon d’
hérésie héritée d’ un lourd passé de montagnards farouches, peuplade reculée
prompte à exhumer les croyances païennes de ses lointains ancêtres…..
Or donc, poursuivant avec application sa sainte mission, la catéchèse demanda à
ses élèves : « quel est le nom de Dieu ? »
Un silence perplexe suivit la question. Certes les enfants étaient confrontés
régulièrement à l’ évocation du nom du seigneur, surtout lors des séances d’
après-boire des francs-buveurs braspartiates, mais, s’ il était régulièrement et
triplement mentionné dans les tonitruances des amateurs de cidre, le nom en
question n’ était jamais prononcé. Aussi, est ce dans un silence général que le
jeune Marcel, dont on attendait pas la contribution au débat car il était
généralement plus préoccupé de savoir quand il allait pouvoir regagner ses
terrains de jeu favoris que de s’ initier aux mystères dénués de tout intérêt de la
Sainte église apostolique et romaine, proposa une réponse étonnante qui plongea
Madame S..L… dans des abîmes de perplexité.
9
10
« Le nom de dieu : c’ est DOUIL ! »
Pressé de fournir un complément d’ explications, l’ enfant confirma sa réponse,
ajoutant qu’ à la maison, cette divinité était régulièrement invoquée sous ce nom.
L’ heure était grave ! il y avait il au sein de cette paroisse reculée des monts d’
Arrée la résurgence d’ un culte ancien ou d’ une superstition émanant de
croyances Celtes que l’ on croyait disparues depuis des siècles ? La famille était
pourtant connue pour une piété de bon aloi fleurant bon son orthodoxie la plus
complète. Laissant pour plus tard des explications plus approfondies, et ne
souhaitant pas questionner la famille sur ce sujet ô combien délicat, Madame
S..L.. se confia à l’ abbé Belbeoc’h qui fut aussi surpris que sa paroissienne et fit
remonter l’ affaire à l’ archevêché. La question fut prise très au sérieux, car la
hiérarchie catholique ne badinait pas sur les déviances. On fit donc appel à des
linguistes distingués et des spécialistes de l’ histoire religieuse pour éclaircir le
mystère.
10
11
Les archivistes paléographes de Quimper, mis à contribution proposèrent
plusieurs explications, dont certaines franchement inquiétantes.
Une première proposition rapprochait ce nom de certaines inscriptions
constituées de séries d’initiales que l’ on retrouve sur certaines façades
granitiques d’ ensembles paroissiaux bretons et qui résument sous une forme
condensée des concepts plus développés. Ainsi l e mot D.O.U.I.L pouvait
désigner Dieu sous l’ abréviation d’ une suite de termes latins : « Deus
Omnipotens Universalis Imperator (et) Legisdoctor » c’ est à dire : « Dieu
ordonnateur et maître suprême de toute chose ». L’ orthodoxie de l’ appellation
était rassurante, mais on ne pouvait que s’ étonner de retrouver cette
formulation dans la bouche un peu frustre d’ un Marcel aux préoccupations
généralement bien plus prosaïques. Beaucoup plus inquiétante était l’
interprétation donnée par le chanoine exorciste en titre de l’ archevêché, versé
du fait de sa fonction dans les sciences occultes et autres croyances
démoniaques. Il voyait dans le terme une évocation de Satan : le mot DOUIL
ayant pu être extrapolé du terme DOVIL, le U s’ écrivant couramment V dans
les écritures anciennes et le O ayant pu, au hasard des transcriptions et des
époques remplacer un E particulièrement malencontreux et ainsi faire perdre le
sens premier du terme DEVIL, nom redoutable du démon dans la langue
anglaise…Notre exorciste se voyait déjà investi d’ une mission évangéliste au
sein des monts d’ Arrée, couronnement mérité d’ une carrière toute dévouée à la
chasse aux démons et autres créatures diaboliques, d’ autant que cela faisait un
certain temps qu’ il n’ avait pas eu l’ occasion de pratiquer sa redoutable
fonction. et comme on dit trivialement : « le goupillon le démangeait
singulièrement !... ». On rappela alors fort à propos qu’ un ermite avait érigé un
temple du soleil près du Roc’h Trévézel et bâti un mur cyclopéen sur lequel
étaient gravées d’ étranges invocations.
11
12
Derrière le mur de Josaphah se cachait le temple du soleil au Roch Trévézel.
De mauvaises langues insinuèrent perfidement qu’ il n’ était guère étonnant que
ce village qui avait donné naissance à un poète célébrant les vertus du cidre et de
ses buveurs ( Frédéric Le Guyader ) se laisse aller à de pareilles déviances,
ajoutant qu’ à leur avis la création d’ une « école du diable » concurrençant
honteusement les pieuses écoles Sainte Thérèse et Saint Michel n’ était sûrement
pas étrangère à l’ origine directe de cette hérésie. La mode croissante des « festoù
noz » et leurs enlacements équivoques menés au son lascif de l’ accordéon de
Victor, le musicien patenté du bourg, avait également sûrement mené une
population ivre de jouissances aux bords de l’ abîme impie !!...bref, Sodome (
alias Brasparts ) n’ avait que ce qu’ elle méritait….
12
13
Quoi qu’ il en soit, le problème demeurait entier, il convenait de le tirer au
clair. Marcel fut donc dûment convoqué par l’ abbé Belbéoc’h flanqué par
quelques uns de ses conseillers de fabrique les plus zélés.
Quel ne fut pas l’ étonnement de l’ Abbé quand Marcel, sommé d’ en dire plus
sur cette divinité répondit : « mais c’ est vous, aotrou person, qui m’ avez dit que
le nom de Dieu c’ était DOUIL ! et vous le répétez tous les jours, et même à la
messe ! » Sentant sa raison chanceler, monsieur le recteur demanda plus
d’explications à l’ enfant éploré. Celui-ci poussé dans ses retranchements
commença alors à réciter le credo :
« Je crois en Dieu le Père tout-puissant, créateur du ciel et de la Terre, et en Jésus
Christ, son Fils unique, notre Seigneur qui a été conçu du Saint Esprit, est né de la
Vierge Marie, a souffert pour nous sous Ponce Pilate, a été crucifié, est mort et à été
enseveli, est descendu aux enfers, est ressuscité des morts le troisième jour,
est monté aux Cieux, est assis à la droite de Dieu le Père, tout-puissant
d’où il
viendra juger les vivants et les morts… »
« vous
voyez bien aotrou person que c’ est DOUIL qui viendra juger les vivants
et les morts ! »
Dire le soulagement général de l’ auguste assemblée serait un euphémisme !
L’ éclat de rires qui accueillit la déclaration du catéchiste était révélateur de l’
inquiétude réelle qui avait taraudé la paroisse et ses plus fidèles serviteurs.
Dans la crainte du ridicule que n’ auraient pas manqué de souligner les suppôts
de l’ école sans Dieu, on se hâta d’ enterrer cette péripétie dans les oubliettes de
l’ histoire, et ce n’ est que plus d’ un lustre après que je me risque ( avec les
précautions d’ usage et en couvrant d’ un prudent anonymat les principaux
protagonistes de ce cataclysme ) à divulguer les dessous de cette hérésie qui fit
trembler à l’ époque le Saint Siège sur ses bases…. non je n’ exagère pas !....
Toute ressemblance avec des faits réels ne serait absolument pas fortuite.
13
Téléchargement