La raison ultime de toutes les crises réelles, c`est toujours la

« La raison ultime de toutes les crises réelles, c’est toujours la pauvreté et la consomma-
tion restreinte des masses face à la tendance de l’économie capitaliste à développer les
structures productives comme si elles n’avaient pour limite que le pouvoir de consom-
mation absolu de la société » - Karl Marx Le capital - 1867
Cette citation garde-t-elle son actualité pour décrire la dynamique du capitalisme à par-
tir de la fin de la 2ème Guerre Mondiale ?
Introduction
L’interrogation sur les irrégularités et les rythmes de la croissance capitaliste apparaît très tôt dans la
réflexion économique. A une lecture libérale, symbolisée par J. B. Say qui met l’accent sur les capacités
autoéquilibrantes du marché et l’adéquation entre l’offre et la demande, répondent des interrogations
critiques. Ainsi Karl Marx, dans Le Capital, identifie ce qui est, selon lui, « la raison ultime de toutes les
crises » : le déséquilibre fondamental entre « la tendance de l’économie capitaliste à développer les struc-
tures productives » et « la pauvreté et la consommation restreinte des masses ». L’articulation entre offre
et demande est donc, selon Marx, à l’origine de perturbations du système.
Si les économies contemporaines peuvent toujours être qualifiées de capitalistes, leur forme et leurs
structures se sont profondément modifiées depuis le milieu du 19ème siècle. On doit alors se demander
dans quelle mesure l’analyse proposée par Karl Marx conserve de sa pertinence pour rendre compte de la
dynamique du capitalisme depuis la fin de la 2nde Guerre Mondiale, c’est-à-dire rendre compte des phases
de croissance comme des crises et des déséquilibres. L’articulation entre offre et demande reste-t-elle un
facteur explicatif significatif des fluctuations du système économique ?
Nous chercherons à montrer dans un premier temps que l’expérience de la croissance d’après-guerre
contredit apparemment l’analyse critique de Karl Marx puis qu’un certain nombre de mutations du sys-
tème conduisent à la réapparition d’interrogations autour des déséquilibres.
A) LA DYNAMIQUE DE LA CROISSANCE D’APRES-GUERRE SEMBLE CONTREDIRE
L’ANALYSE DE K. MARX
1- La croissance des 30 Glorieuse et l’articulation offre – demande
croissance marquée par le dynamisme et l’absence de cycles significatifs (périodes de ralentissement
de la croissance mais pas de récession significative) : idée que la crise est maitrisée dans le capita-
lisme d’après-guerre
dynamique de la croissance apparaît liée à une articulation efficace entre croissance de l’offre (« déve-
loppement des structures dentreprises ») et croissance des débouchés (« pouvoir de consommation
de la société ») - dans un contexte de croissance démographique (baby boom)
rupture avec la période de la crise de 29
2- Une régulation efficace du capitalisme ?
phénomène n’apparaît pas seulement lié à une conjoncture favorable (rattrapage) mais à un ensemble
de facteurs permettant une régulation performante du capitalisme
forte dynamique des gains de productivité (OST Schumpeter)
nouvelles modalités de formation du revenu (partage des gains de productivité, uniformisation des
revenus entre les branches, intervention de l’Etat dans la formation et la redistribution des revenus)
actions de régulation de la demande (politique conjoncturelle, influence keynésienne)
développement des structures productives peut apparaître cohérent avec le pouvoir de consommation
(même si la dynamique de la consommation connaît des limites compte tenu de la persistance de la pau-
vreté dans les 30 Glorieuses) : remise en cause de la pertinence de l’analyse critique proposée par K. Marx
identification de nouvelles phases de croissance significative autour des NTIC peut permettre
d’actualiser le raisonnement (Etats-Unis dans les années 90)
3- Le paradoxe de la croissance : et si Marx était (en partie) responsable de la péren-
nité du capitalisme ?
interrogation sur les causes de cette situation historique : meilleure régulation de l’économie mais
également évolution des relations sociales et des logiques politiques
question de l’interprétation du développement de la logique fordienne : intérêt bien compris des pro-
ducteurs ou influence accrue des salariés dans les négociations sociales ?
rôle des analyses de Marx et du développement du marxisme dans cette situation : développement
du mouvement ouvrier, rivalité des systèmes avec le socialisme
B) LA QUESTION DE L’ARTICULATION OFFRE – DEMANDE RESTE UNE DIMENSION
ESSENTIELLE DE LA DYNAMIQUE DU CAPITALISME
1- La pression de la demande et les tensions économiques
dynamique de la hausse des salaires caractéristique des 30 Glorieuses peut générer des tensions :
développement de logiques inflationnistes dans les années 60, interrogations sur la rentabilité des
firmes
effet inflationniste des politiques keynésiennes
difficultés pour les entreprises face à des chocs qu’elle ne peuvent amortir par une action sur les sa-
laires (premier choc pétrolier pèse sur les producteurs)
2- Les mutations du capitalisme…
réorientation des politiques économiques (priorité à la lutte contre l’inflation - Friedman, libéralisa-
tion, en particulier du marché du travail)
développement des logiques financières avec l’affirmation d’un « capitalisme patrimonial » influant
sur les modalités de répartition des revenus (forte croissance des revenus du capital)
rôle de la mondialisation et son impact sur les inégalités (concurrence accrue pour le travail peu qua-
lifié avec en plus l’impact du progrès technique)
3- génèrent de nouvelles interrogations autour de l’articulation offre – demande
liens entre les perturbations économiques et la question de la demande : crises et difficultés ne peu-
vent se réduire à l’impact de chocs ou à des erreurs de politiques mais renvoient à l’articulation offre _
demande
« décennie perdue » au Japon autour du développement de l’épargne et de la logique déflationniste
crise des subprime interprétée comme la conséquence de la montée des inégalités, le développement
de l’endettement des ménages étant une réponse à la faible dynamique de leur revenu (Krugman,
Stiglitz, Reich)
Conclusion
Les modalités d’articulation entre l’offre et la demande, se traduisant en particulier par les conditions de
détermination du revenu et les règles de partage de la richesse, restent donc au centre des interrogations
sur la dynamique des économies. Si les analyses de Karl Marx ne peuvent être reprises au pied de la lettre,
en particulier, la place centrale apportée à la pauvreté, les lectures libérales soulignant la répartition effi-
cace des richesse passant par le marché apparaissent également inadaptées. La complexité de la période
actuelle tient en particulier à l’impact du jeu des forces économiques dans le cadre de la mondialisation et
l’action, nécessaire et correctrice selon les uns, excessive et déstabilisante selon les autres, des Etats. La
capacité d’une économie à dégager une répartition du revenu permettant à la fois de garantir
l’accumulation du capital et les nécessaires débouchés en termes de consommation reste un élément es-
sentiel.
Au-delà des économies nationales, cette question trouve aujourd’hui des échos à l’échelle internationale :
entre des zones de la planète où prime l’accumulation au détriment d’une consommation restreinte et
d’autres où la dynamique de la consommation génère des déséquilibres extérieurs significatifs, le système
monétaire et financier international pourra-t-il conserver sans crise majeure l’équilibre ?
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