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La démonstration centrale de ce gros livre de près de mille pages tient en une
formule mathématique : r > g. Que signifie-t-elle ? Que le taux de rendement du
capital (r), ce que le capital rapporte en une année en dividendes, loyers, intérêts…,
dépasse significativement et durablement le taux de croissance (g), c’est-à-dire
l’accroissement annuel du revenu et de la production. Pour l’exprimer de manière
simpliste, les revenus du capital, des rentiers et des héritiers, augmentent plus vite
que les revenus du travail, ce qui a presque toujours été le cas dans l’Histoire.
Thomas Piketty : « Il suffit donc aux héritiers d’épargner une part limitée des revenus
de leur capital pour que ce dernier s’accroisse plus vite que l’économie dans son
ensemble. Dans ces conditions, il est presque inévitable que les patrimoines hérités
dominent largement les patrimoines constitués au cours d’une vie de travail et que la
concentration du capital atteigne des niveaux extrêmement élevés, et potentiellement
incompatibles avec les valeurs méritocratiques et les principes de justice sociale qui
sont au fondement de nos sociétés démocratiques modernes ». Au fond, comme
l’exprime Balzac, les études et le mérite ne mènent nulle part. Mieux vaut, pour vivre
dans l’opulence, mettre la main, par mariage ou par héritage, sur un patrimoine.
Terrible constat supplémentaire : le capital est toujours plus inégalement
réparti que le travail et c’est vrai pour tous les pays à toutes les époques. « Pour
donner un premier ordre de grandeur, la part des 10% des personnes recevant le
revenu du travail le plus élevé est généralement de l’ordre de 25% - 30% du total des
revenus du travail, alors que la part des 10% des personnes détenant le patrimoine
le plus élevé est toujours supérieure à 50% du total des patrimoines et monte parfois
à 90% dans certaines sociétés ».
Donc non seulement le rendement du capital est supérieur au taux de
croissance, à l’exception des moments de remise à plat consécutifs aux guerres
mondiales, mais de plus l’inégalité dans la répartition des richesses du capital et du
travail est une constante sur trois siècles dans les pays développés et qui se
mondialise actuellement.
L’ouvrage est une mine de renseignements et foisonne sur des thèmes
essentiels avec une remarquable précision, par exemple sur le rôle des fonds
souverains, sur les investissements des pays émergeants, en particulier la Chine, ou
sur la question du retour de l’Etat après la crise de 2008.
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Mieux encore, Thomas Piketty propose, dans la quatrième partie du livre, des
recommandations pour réguler le capital au XXI
ème
siècle. Outre la nécessité de
maintenir un Etat social et de repenser l’impôt sur le revenu, la mesure phare de
l’économiste concerne l’instauration d’un impôt progressif et mondial sur le capital.
Piketty : « L’impôt progressif sur le revenu a été la grande innovation fiscale du
XX
ème
siècle. L’impôt progressif sur le capital pourrait jouer un rôle comparable au
XXI
ème
siècle. Il est l’institution adéquate permettant à la démocratie et à l’intérêt
général de rependre le contrôle des intérêts privés et des dynamiques inégalitaires à
l’œuvre, tout en préservant l’ouverture économique et les forces de la concurrence,
et en repoussant les replis nationalistes, protectionnistes et identitaires, qui ne
mènent qu’à des frustrations plus terribles encore ». Le futur traité euro-américain