1 LA SCHIZOPHRENIE Définition Etymologiquement, le mot schizophrénie signifie : perte de l’unité (schize) de l’esprit (phrénie). Le résultat de cette perte d’unité psychique en est une triple incohérence : - de la pensée, - des propos, - du comportement. -A- Signes cliniques -1- Signes cliniques positifs L’hallucination L’hallucination est une perception sans objet à percevoir. On distingue : Les hallucinations psychosensorielles (auditives +++, cénesthésiques ++, olfactives +, gustatives, visuelles). Les plus caractéristiques sont les hallucinations auditives (une voix interpelle le sujet, lui parle, lui donne des ordres…) et cénesthésiques (sensations physiques à type de tensions douloureuses dans la tête ou les organes sexuels, dans le cœur, ondes traversant le corps...). Ces phénomènes peuvent être élémentaires (son simple, …) ou complexes (plusieurs voix connues ou inconnues) ; Les hallucinations intra-psychiques : sensation de voix ou de dialogue incoercible «dans la tête». Chez la majorité des patients schizophrènes, on retrouve un syndrome particulier qui se caractérise ainsi : Au début par des hallucinations intra-psychiques affectivement neutres (ni menaçantes, ni bienveillantes) ; viennent ensuite des phénomènes de devinement de la pensée (le sujet a la sensation que tout le monde sait ce qu’il pense), de commentaires ou d’écho des actes et des pensées (un commentaire intra-psychique sur ce qu’il pense ou fait : «tiens, il pense à sa sœur», «tiens, il mange un œuf»...) ; 2 enfin, sont associées des hallucinations psychosensorielles malveillantes, des phénomènes d’influence et d’automatisme de la pensée (pensées ressenties comme étrangères, automatiques, incoercibles : le sujet parle de télépathie) ainsi que des phénomènes d’automatisme moteur (actes ressentis comme imposés et incoercibles). Les phénomènes hallucinatoires, de télépathie et d’automatisme peuvent évidemment être la cause d’actes inattendus. Le délire schizophrénique Il est surtout illogique et incohérent. Il est le plus souvent à thèmes persécutifs mais aussi mystiques, mégalomaniaques, d’invention. Ces délires sont à la fois hallucinatoires, interprétatifs, intuitifs et imaginatifs : Les hallucinations peuvent être intra-psychiques, psychosensorielles, ou à type d’automatisme mental. L’interprétation consiste à donner un sens erroné à une situation. Par exemple, le malade éprouve un sentiment d’hostilité de l’environnement à son endroit. L’intuition est une conviction qui s’impose au sujet : intuition que l’interlocuteur est malveillant ou devine ses pensées. L’imagination participe à toute construction délirante même si celle-ci est incohérente ! L’Angoisse Elle est toujours majeure, extrêmement douloureuse. Elle peut générer soit une agitation, soit au contraire un état de stupeur. Dans la forme la plus sévère, le patient ne peut même pas verbaliser cette angoisse : elle se lit sur son visage et se voit dans ses attitudes. Elle peut même être anidéique c'est-à-dire sans contenu : elle ne peut donc même pas être énoncée ! L’Agitation Elle est à la fois induite par l’angoisse, le délire, les hallucinations et l’automatisme, la désorganisation psychique et comportementale. 3 -2- Signes clinique négatifs L’Autisme L’autisme est une perte de contact avec le monde environnant : en retrait, peu bavard, peu réactif, le sujet autiste vit en son monde intérieur (plus angoissant et douloureux qu’agréable). C’est pour ne pas ignorer le fait que ce repli sur soi n’exclut ni fantaisies imaginatives, ni angoisse, ni pensées délirantes que Bleuler a proposé de remplacer le terme «démence précoce» par celui de «schizophrénie». L’Emoussement affectif L’émoussement affectif ne protège pas de l’angoisse. Il est une manifestation du désinvestissement du monde environnant, familial notamment. Le sujet n’éprouve plus d’amour pour son entourage, il ne réagit plus aux sollicitations affectives. Il apparaît indifférent. L’Indifférence émotionnelle L’indifférence émotionnelle donne à ces patients un aspect lointain, comme s’ils étaient ailleurs, peu ou pas concernés par le présent, les autres, leur propre situation. L’Apragmatisme ou incapacité d’agir L’apragmatisme trahit un déficit d’énergie, de capacité à vouloir s’engager dans l’action. Les conséquences sociales sont souvent graves : chute du rendement scolaire, incapacité à maintenir un travail, difficulté à se lever, à se concentrer... 4 -B- Signes de désorganisation La perte d’unité psychique (encore appelée dissociation ou discordance) La perte d’unité psychique peut se manifester par des signes discrets : maniérisme gestuel ou verbal qui donne une impression de surcharge ou perte de fluidité du geste et du discours. A l’extrême, ceci peut aller jusqu’à des stéréotypies gestuelles (parole explosive, balancement saccadé du cou) ou des comportements déroutants : éclats de rire dans une situation grave ou, au contraire, pleurs inattendus. L’Incohérence idéique et verbale L’incohérence idéique* et verbale peut aller à l’extrême jusqu’à une schizophasie** : bouillie de mots et de phrases incompréhensibles par l’emploi de mots inconnus ou mal venus, perte de la syntaxe, absence de construction de la pensée et du discours. Plus souvent, il s’agit d’une perte de cohérence : pensée floue et peu logique, discours allusif, déductions inattendues, associations d’idées saugrenues. Incohérence idéique : relâchement des associations des idées (flou de la pensée), troubles du jugement et du raisonnement aboutissant à l'état d'incohérence de la pensée et des propos. ** Schizophasie : désorganisation du langage par perte de la logique grammaticale et sémantique. Bizarreries comportementales Les bizarreries du comportement pourront être évidentes : tenues vestimentaires singulières, attitudes non adaptées, mode de vie surprenant. Bien sûr, à elle seule, l’originalité ne peut soutenir un diagnostic de trouble schizophrénique ! Les bizarreries de croyances, de raisonnement et de comportement peuvent pourtant attirer l’attention de l’entourage. 5 La désocialisation La perte des capacités d’adaptation à la vie de tous les jours avec désocialisation est un des résultats de la désorganisation. Un signe fréquent est l’inversion du rythme de vie : lever très tardif vers 14 heures ou 15 heures et vie nocturne solitaire, parfois bruyante et gênante pour la famille. Un des objectifs des soins sera de limiter cette désocialisation en aidant les capacités du patient non altérées par la maladie : sur le plan intellectuel, affectif et social. -C- Autres signes Les signes comportementaux Beaucoup d’anomalies du comportement peuvent masquer ou révéler un trouble schizophrénique : toxicomanie, anorexie-boulimie*, troubles des conduites sexuelles, tentative de suicide... Il importe donc d’être vigilant face à tous troubles comportementaux survenant à l’adolescence ou à l’âge adulte jeune, car plus le diagnostic de trouble schizophrénique est porté tôt plus le traitement est facilité et le pronostic amélioré. Anorexie : trouble du comportement alimentaire à type de perte de l'appétit se manifestant par une restriction alimentaire excessive d'origine psychique (anorexie mentale) ou organique. *Boulimie : trouble du comportement alimentaire à type d'absorptions compulsives d'une quantite excessive d'aliments, en peu de temps et sans plaisir, souvent suivies de vomissements provoqués. 6 Les signes émotionnels Des manifestations d’angoisse telles que crises spontanées d’angoisse ou provoquées par des objets ou situations (phobie d’objet, phobie sociale) nécessitent que soit écarté le diagnostic de trouble schizophrénique. Il en est de même pour toute dépression à l’adolescence. Les signes idéiques Les difficultés de concentration intellectuelle, des idées obsédantes doivent également faire évoquer le diagnostic de trouble schizophrénique éventuellement confirmé par d’autres signes cliniques (bizarreries, incohérence, signes positifs ou négatifs…). 7 -D- Formes cliniques de début L’âge de début de la schizophrénie se situe vers la fin de l’adolescence (pic de fréquence entre 16 et 25 ans). Trois formes cliniques de début sont possibles : début brutal en quelques jours ou semaines; début subaigu : période de manifestations non spécifiques d’anxiété, dépression pendant quelques semaines ou mois, suivie de l’émergence de symptômes psychotiques caractéristiques tels que hallucinations ou autisme* ; début insidieux et progressif. * Autisme : repli sur soi se traduisant par une perte des interactions émotionnelles, affectives ou intellectuelles avec l'environnement. Les formes à début brutal Les formes à début brutal peuvent s’exprimer de différentes manières : Une bouffée délirante : épisode psychotique aigu d’apparition soudaine (moins de 48h), non imputable à une prise de toxiques. Le délire est transitoire à mécanismes et thèmes polymorphes (à multiples facettes) : souvent hallucinations auditives, mécanismes imaginatifs et intuitifs et idées délirantes de persécution, mystiques, mégalomanie... ; à propos d’un tel épisode on parle de «coup de tonnerre dans un ciel serein», tant rien ne laissait présager un tel accès. La bouffée délirante aiguë rétrocède en moins de 4 semaines : sinon il s’agit d’un mode d’entrée dans un trouble chronique schizophrénique ou d’un équivalent de premier accès de trouble bipolaire (maladie faite d’accès dépressifs et d’accès d’excitation euphorique avec des intervalles plus ou moins longs libres de symptômes psychiques) ; Un état d’excitation maniaque euphorique marqué par ce qu’on appelle des signes d’atypicité parce que surprenants lors d’un état d’excitation euphorique : idées délirantes, euphorie peu évidente malgré l’excitation voire dimension anxieuse plus manifeste que l’optimisme ou l’euphorie Une dépression associée à des éléments dissociatifs (bizarreries, froideur affective) et délirants : la dépression est un état émotionnel douloureux que le déprimé sait décrire, expliquer à son interlocuteur ; la schizophrénie est au contraire un état indicible où l’émoussement affectif et émotionnel va devenir de plus en plus patent ; Un comportement impulsif tel que délinquance sans profit, automutilations étranges, toxicomanie : 40 % des sujets entrant dans un processus schizophrénique ont consommé ou abusé de haschich ; 8 Un état pseudo-confusionnel où l’incohérence idéo-verbale est telle que la pensée, les propos, le comportement sont désorganisés, le sujet incapable de s’orienter en proie à une vive angoisse. Les formes à début subaigus Toute manifestation anxieuse ou dépressive excessive survenant à l’adolescence doit faire évoquer le risque d’une pathologie psychotique débutante : chez beaucoup de sujets atteints de schizophrénie on retrouve rétrospectivement de telles manifestations qui, souvent, n’avaient pas suffisamment attiré l’attention. La crise d’adolescence est une réalité qu’il faut savoir gérer en offrant tout à la fois attention et écoute, autorité et limites aux expressions caractérielles ou comportementales de l’adolescent ; il faut éventuellement avoir la perspicacité de débusquer des manifestations à caractère pathologique : dysmorphophobies*, interrogations récurrentes sur l’identité, le sens de la vie, angoisses indicibles. *Dysmorphophobie : conviction ou préoccupation à propos d'une disgrâce corporelle existante ou exagérée. Les formes à début insidieux et progressif Elles sont les plus difficiles à diagnostiquer : fléchissement physique et psychique : apragmatisme*, clinophilie** ; désintérêt ou centres d’intérêt bizarres ; perte de l’hygiène ; inversion du rythme de vie ( vie nocturne plus ou moins bruyante et repli sous la couette le jour ) ; baisse du rendement intellectuel avec retentissements scolaire, professionnel et social ; 9 modifications du caractère et de l’affectivité : irritabilité, colères dysproportionnées, rires incompréhensibles, repli sur soi, isolement, froideur affective ; troubles du comportement : conduites toxicomaniaques (abus d’alcool et de substances psychoactives), troubles des conduites sexuelles et alimentaires, conduites agressives ; Préoccupations hypochondriaques ou dysmorphophobiques (préoccupation excessive à propos d’une disgrâce corporelle) ; Trouble de l’identité de genre ou transsexualisme : conviction d’appartenir au sexe opposé (identité psychologique de femme dans un corps d’homme ou inversement). * Apragmatisme : incapacité d'accomplir des actes courants. ** Clinophilie : perte d'activité et d'énergie avec tendance à rester anormalement au lit, en dehors des périodes habituelles (nuit...). -E- Formes clinique à la période d’état La schizophrénie paranoïde Elle représente la forme la plus fréquente. Elle débute après 20 ans et avant 30 ans. Les symptômes positifs* sont au premier plan. Elle évolue spontanément par intermittence ou d’un seul tenant : soit vers un appauvrissement du délire et un retrait autistique, soit vers un enkystement du délire** avec paraphrénisation*** : les idées délirantes sont fantasques, à l’échelle du cosmos. * Symptômes positifs : agitation, angoisse, délire, hallucinations. ** Enkystement du délire : situation où la conviction délirante ne progresse plus tout en restant entière et tue. *** Paraphrénisation : prolifération imaginaire du contenu délirant qui dépasse le monde environnat jusqu'à devenir cosmique. 10 L’Hébéphrénie Son début est précoce, avant 20 ans. Les signes négatifs sont au premier plan : autisme, émoussement affectif et émotionnel, altération des capacités cognitives. L’activité délirante est pauvre L’adaptation sociale est rapidement compromise. *Hébéphrénie : trouble schizophrénique débutant précocement (hébé = jeunesse), le plus souvent de type déficitaire. L’Hébéphrénie-catatonie La dissociation est marquée sur le plan psychomoteur : stéréotypies, maniérisme gestuel ou comportemental. Le syndrome catatonique associe : négativisme : opposition, repli, esquive du contact physique, refus de la main tendue ; inertie psychomotrice : passivité, suspension des gestes ; catalepsie : rigidité avec persévération des attitudes imposées ou spontanées hyperkinésies : impulsions verbales et/ou gestuelles, décharges motrices. négativisme : opposition, repli, esquive du contact physique, refus de la main tendue ; inertie psychomotrice : passivité, suspension des gestes ; catalepsie : rigidité avec persévération des attitudes imposées ou spontanées hyperkinésies : impulsions verbales et/ou gestuelles, décharges motrices. Schizophrénie dite pseudonévrotique ou pseudopsychopathique Il existe des manifestations à type de trouble anxieux (trouble panique, phobique), hystérique (théâtralisme, suggestibilité) ou obsessionnel. 11 Ceci peut induire des erreurs diagnostiques et des impasses thérapeutiques. Ces manifestations dites pseudonévrotiques ne doivent pas faire méconnaître les symptômes schizophréniques caractéristiques sous-jacents : flou de la pensée et du propos comme premier degré de désorganisation, croyances et convictions irrationnelles et illogiques comme premier stade du fonctionnement délirant, indifférence affective et émotionnelle comme premier palier des manifestations de repli autistique. Les formes pseudopsychopathiques de schizophrénie soulèvent souvent des questions diagnostiques particulièrement difficiles. On appelle «psychopathie» un désordre comportemental caractérisé par l’impulsivité, l’instabilité affective et sociale, l’appétence marquée pour les toxiques, la propension aux conduites délinquantielles et la marginalité. Ce désordre débute à l’adolescence et s’atténue vers la trentaine sauf quand il a conduit à une mort accidentelle, une maladie alcoolique ou une autre toxicomanie, une condition d’invalide consécutivement à un accident. Certains psychopathes présentent des bouffées délirantes aiguës… et certains schizophrènes présentent des comportements de type psychopathique. Dans ce dernier cas, au fil du temps, les symptômes de schizophrénie deviennent de plus en plus évidents et les conduites psychopathiques s’amendent en quelques années. Schizophrénie dysthymique* ou trouble schizo-affectif Cette forme périodique associe des éléments schizophréniques (dissociation, délire) à des éléments thymiques (maniaques ou dépressifs ou mixtes). Les périodes inter-critiques sont marquées par la persistance d’une dissociation discrète. Cette forme clinique est sensible aux thérapeutiques préventives des accès maniaques ou dépressifs, telles que le lithium ou d’autres thymorégulateurs**, ce qui lui confère un pronostic relativement favorable. * Dysthymie : morosité dépressive chronique. Synonime : personnalité dépressive (triste, inquiète, peu festive). ** Thymorégulateur : médicament capable de stabiliser les variations de l'humeur excessive dans un sens euphorique -F- Les diagnostics différentiels La bouffée délirante aigue Elle correspond à l’éclosion soudaine d’un délire transitoire à thèmes et mécanismes polymorphes (à multiples facettes). L’interrogatoire des proches concernant l’absence de chronicité du trouble et d’antécédents psychiatriques est essentiel. 12 La bouffée délirante peut être un accident psychiatrique sans lendemain ou une porte d’entrée vers la schizophrénie ou vers le trouble bipolaire. Autres délires Les délires paraphréniques* surviennent vers 40 ans. Ils se différencient des schizophrénies par une absence de dissociation et la coexistence d’une pensée fabulatoire. L’intégration sociale est souvent conservée. La psychose hallucinatoire chronique est un délire chronique non dissociatif. Il survient plus souvent chez la femme après 40 ans. Il peut être ignoré pendant plusieurs années derrière un comportement apparemment normal. Les hallucinations sont surtout auditives, cénesthésiques** (sensation d’être violée durant le sommeil), olfactives (sensation de gaz toxiques). Il s’agit presque toujours d’un délire de persécution. Le délire paranoïaque se différencie des schizophrénies par un âge de début plus tardif (à partir de 30 ans), l’absence de dissociation, un mécanisme unique interprétatif et des thèmes surtout persécutifs. Le délire est systématisé, c’est-à-dire logiquement construit, d’où la capacité de ces sujets à faire partager leurs convictions à d’autres. *Paraphrénisation : prolifération imaginaire du contenu délirant qui dépasse le monde environnant jusqu'à devenir cosmique. ** Cénesthésie : perception de sensations au niveau du corps. Troubles bipolaires Ce trouble est caractérisé par des alternances d’accès euphoriques et d’accès dépressifs séparés par des intervalles de temps sans symptômes. Les épisodes maniaques ou dépressifs peuvent s’accompagner d’éléments psychotiques (hallucinations, idées délirantes). Mais les périodes intercritiques sont libres de symptômes psychotiques. 13 Etat limite ou border line La personnalité border line est marquée par des relations interpersonnelles chaotiques, des alternances d’idéalisation et de dévalorisation, de dépendance et d’hostilité, et beaucoup d’impulsivité. Ce diagnostic est souvent évoqué chez l’adolescent et l’adulte jeune, parfois pour différer un éventuel diagnostic de schizophrénie par trop peu d’arguments actuels pour mettre en œuvre des traitements antipsychotiques. -G- Evolution de la schizophrénie Les schizophrénies sont des pathologies chroniques débutant avant l’âge de 30 ans. La qualité de l’évolution 5 ans après le début de la maladie est très largement prédictrice du devenir 20 ans plus tard : d’où l’importance d’un traitement aussi précoce et actif que possible pendant les premières années et, au contraire, la conscience qu’au-delà il faut davantage gérer l’évolution que vouloir l’infléchir. 14 -H- Eléments pronostics à court et à long terme Eléments pronostiques à court et à long terme Sont des facteurs de mauvais pronostic : le sexe masculin, un isolement sociofamilial, un niveau socioculturel défavorisé, une mauvaise adaptation sociale et socioprofessionnelle prémorbide, un début précoce (avant 18 ans) et/ou insidieux des troubles, une prédominance des symptômes négatifs, une prise en charge tardive par rapport aux premiers symptômes, une résistance à la thérapeutique, une évolution continue des troubles. Il importe de savoir que : le devenir après 5 ans d’évolution est très largement prédicteur du devenir à 20 ans ; l’évolutivité du trouble schizophrénique tend à s’atténuer après 5 ans. Evolution à long terme : Le devenir à long terme est de 3 types : a) dans les meilleurs cas, cicatrisation de la maladie : les symptômes sont devenus beaucoup moins évidents et compatibles avec une vie autonome et quasi-nouvelle ; b) à l’opposé, évolution justifiant le terme de démence précoce excluant toute autonomie du fait de l’importance des signes de désorganisation, de l’autisme* et des hallucinations. Ces patients ont besoin d’une aide institutionnelle : hélas, le nombre de places disponibles en France aujourd’hui est très largement insuffisant ; la fermeture de lits d’hôpitaux psychiatriques sans création de structures alternatives crée une situation anormalement douloureuse pour bien des patients et leurs familles ; c) enfin, évolution continue avec des périodes d’accalmie ou au contraire d’accentuation de la symptomatologie, même si globalement la maladie a tendance à s’apaiser au fil du temps. Ces patients accèdent souvent à une autonomie partielle. * Autisme : repli sur soi se traduisant par une perte des interactions émotionnelles, affectives ou intellectuelles avec l'environnement. -I- Examens paracliniques Il n’existe (hélas) aucun examen paraclinique capable de valider ou d’invalider le diagnostic de trouble schizophrénique. Cependant, certaines anomalies peuvent soit aider au diagnostic, soit participer à l’évaluation pronostique. Certains de ces examens restent aujourd’hui du domaine de la recherche. 15 -J- Facteurs prédisposants Le taux de schizophrénie est plus élevé dans la parenté au 1er degré d’un patient schizophrène que dans la population générale (5 à 8 % versus 1 %). La prévalence vie-entière de la schizophrénie est de : 40 à 50 % chez les jumeaux monozygotes d’un patient atteint de schizophrénie, 40 % chez les enfants dont les deux parents sont atteints de schizophrénie, 5 à 8 % dans la parenté de premier degré (fratrie, enfants), 4 % dans la parenté du deuxième degré (oncles, tantes, cousins, neveux, nièces). Il existe donc bien un facteur génétique. Cependant, celui-ci n’est pas suffisant puisque chez les jumeaux monozygotes qui ont strictement le même équipement génétique le taux de concordance n’est pas de 100 % mais de 40 à 50 %. -K- Facteurs précipitants Les facteurs environnementaux peuvent jouer le rôle de facteurs précipitants lorsqu’ils sollicitent les capacités d’adaptation au-delà des possibilités du sujet. On estime que ces facteurs comptent pour 40 à 60 % dans le déclenchement du trouble. Certaines substances sont dites psychotogènes en raison de leur capacité à déclencher des symptômes psychotiques : amphétamines, LSD, cocaïne… De nos jours, la consommation de cannabis est un évident facteur précipitant de schizophrénie : 40 % des sujets atteints de schizophrénie ont consommé et abusé de cannabis. Le cannabis s’avère être un facteur précipitant pour les sujets vulnérables. L’isolement social et affectif est un autre facteur précipitant, ce qui peut surprendre en regard de la propension au retrait autistique de ces patients. 16 -L- Les traitements Les Neuroleptiques C’est en 1952 à l’hôpital Sainte-Anne à Paris que J. Delay et P. Deniker démontrèrent l’efficacité de la chlorpromazine sur les symptômes schizophréniques. Une nouvelle classe de médicaments appelés neuroleptiques allait naître. On distingue : les neuroleptiques les plus antihallucinatoires (halopéridol, amisulpride) ; les neuroleptiques les plus sédatifs (chlorpromazine, loxapine, cyamémazine) ; les neuroleptiques les plus desinhibiteurs (amisulpride). Tous ces médicaments ont en commun la capacité d’induire des signes de maladie de Parkinson (raideur, tremblements) du fait de leur action antidopaminergique. Les Neuroleptiques atypiques A la fin des années 80 on a redécouvert les propriétés thérapeutiques d’un vieux médicament neuroleptique, la clozapine, capable d’améliorer des schizophrénies résistantes aux autres médicaments. A la suite, une nouvelle catégorie de médicaments a vu le jour : les neuroletptiques atypiques (dits atypiques parce que peu ou pas capables de provoquer des signes de maladie de Parkinson) ou nouveaux antipsychotiques. Ces médicaments sont : olanzapine, rispéridine, sertindole, aripiprazole. Ces médicaments constituent un progrès puisque : ils agissent mieux sur l’ensemble des symptômes de schizophrénie ; ils sont mieux tolérés sur le plan neurologique en n’induisant pas de raideur, pas de tremblements. (traités par des anti-parkingsoniens) Traitements psychologiques Psychothérapie de soutien et d’accompagnement La psychothérapie de soutien et d’accompagnement, évidemment nécessaire, est basée sur une relation de confiance (parfois peu évidente pour un patient vivant avec un sentiment d’hostilité). Elle repose plus facilement sur une équipe qu’une personne unique. D’où la plus grande fréquence de prise en charge de tels patients par un suivi psychiatrique où travaillent ensemble médecins, psychologues, infirmiers, travailleurs sociaux… Cette prise en charge permet ainsi d’aider à prendre certaines décisions sociales auxquelles ces patients sont confrontés avec difficulté : vivre seul, en famille ou en foyer ? Maintenir ou distancier une relation ? faire un projet social ou le différer ? 17 Psychothérapies d’inspiration analytique Différentes stratégies peuvent être mises en place pour aborder la schizophrénie sous un angle analytique : groupes thérapeutiques, psychodrame, psychothérapie individuelle. Certains schizophrènes tirent avantage de telles stratégies. Ceci en raison d’une appétence individuelle pour ce type de démarche et d’une vocation doublée d’un savoir-faire spécifique de l’équipe en charge du patient. Les TCC Elles sont appliquées aux patients atteints de trouble schizophrénique et reposent sur des techniques de rééducation cognitive et comportementale dont l’ambition est l’amélioration des capacités d’autonomie. En pratique : le traitement Précocement, au stade des signes éventuellement annonciateurs tels que anxiété, dépression, modification notable du comportement à l’adolescence ou l’âge adulte jeune, repli sur soi, inversion du rythme de vie : évaluation clinique aboutissant à retenir ou écarter le diagnostic de trouble schizophrénique ; mise en place d’un accompagnement, y compris accompagnement psychothérapique et aide à l’orientation scolaire, universitaire ou professionnelle. A ce stade, l’intérêt de mettre en route un traitement antipsychotique n’est pas démontré. Il faut cependant savoir qu’en moyenne le retard au diagnostic et à la mise en route d’une chimiothérapie est de 3 à 5 ans, ce qui n’aide pas le pronostic. Lorsque le diagnostic est posé, c’est-à-dire à l’étape du premier épisode psychotique avéré : la chimiothérapie antipsychotique est mise en route, ses effets étant évalués : après 10 à 15 jours pour l’angoisse, 6 semaines pour les hallucinations et la désorganisation, 3 mois pour le délire et l’autisme ; en cas d’échec de la chimiothérapie on discute soit une autre médication antipsychotique qui pourra être efficace, soit un traitement par électroconvulsivothérapie (12 à 15 séances) ; maintien d’une chimiothérapie antipsychotique pendant 1 à 3 ans minimum ; définition des modalités psychothérapiques et sociales susceptibles d’aider. En cas de nouvelle phase processuelle, stratégie identique à celle qui avait été mise en place pour un premier épisode. En dehors des phases processuelles se pose la question du choix des traitements les plus stimulants et préventifs d’une éventuelle rechute : psycho et sociothérapie avec ajustement des choix et posologies de médicament. 18 Certains neuroleptiques et antipsychotiques sont disponibles en forme dite retard : 1 à 2 injections intra-musculaires par mois sont équivalentes à une prise quotidienne per os. Ceci peut faciliter la gestion du traitement de patients ambivalents dans leur adhésion aux soins. A retenir : les troubles schizophréniques nécessitent des soins prolongés sur plusieurs années ; une cicatrice fréquente est la persistance d’une ambivalence face aux soins : à l’extrême, ceci peut être une cause de non stabilité pendant plusieurs années, le patient interrompant son traitement avec une rechute dans les 3 mois qui suivent (les médicaments neuroleptiques et antipsychotiques continuent à produire leur effet durant plusieurs semaines après l’arrêt de la prise). Les stratégies thérapeutiques Aménager les conditions de vie Le but est d’éviter une désocialisation en aidant au maintien d’une activité ou à la réinsertion sociale. Différentes structures existent pour aider ceux qui n’ont pas assez de capacités pour s’adapter au milieu ordinaire : une hospitalisation de jour, des clubs thérapeutiques, des ateliers protégés... Si besoin, il faut mettre en place les conditions : de logement : aide au logement, lieu de vie, appartement thérapeutique, foyer; de travail : reclassement professionnel, emploi protégé ou à mi-temps au sein d’une entreprise, statut de travailleur handicapé, centre d’aide par le travail (CAT); financières : allocation adulte handicapé ou non spécifique, mesures de protection des biens (sauvegarde de justice à court terme puis tutelle ou curatelle). Les traitements médicamenteux La chimiothérapie repose sur les médicaments neuroleptiques classiques ou antipsychotiques nouveaux encore appelés neuroleptiques atypiques. 19 Les formes débutantes de schizophrénie sont souvent prises en charge en milieu hospitalier. Le traitement de première intention repose sur les neuroleptiques atypiques (plutôt que les neuroleptiques classiques) en raison d’une efficacité similaire et d’une meilleure tolérance. Quelques exemples : rispéridone de 4 à 12 mg/j olanzapine de 5 à 20 mg/j amisulpride de 50 à 1200 mg/j aripiprazole de 15 à 30 mg/j La posologie est progressivement augmentée jusqu’à l’obtention de la dose efficace. Pour juger de l’efficacité du traitement, un délai de 6 à 8 semaines est nécessaire concernant les symptômes positifs (hallucination, délire, angoisse, agitation) et de trois mois pour les symptômes négatifs (autisme, émoussement affectif, indifférence émotionnelle, apragmatisme). Le traitement au long cours est maintenu à dose minimale efficace (obtenue après éventuelle diminution progressive du traitement initial) de manière ambulatoire. Un traitement neuroleptique retard (injection intramusculaire toutes les 2 à 4 semaines) peut se discuter afin d’assurer une meilleure observance du traitement. En effet, certains neuroleptiques classiques (halopéridol, pipotiazine) ou atypiques (rispéridone) offrent cette possibilité. En cas de schizophrénie résistante (absence de réponse à au moins deux séquences de traitements appartenant à deux classes chimiques différentes, administrées à posologie efficace sur au moins 6 semaines), on utilise de la clozapine entre 200 et 600 mg/j. Une surveillance hématologique stricte est nécessaire en raison de la toxicité hématologique de ce produit. 20