La construction se faire+Vinf : analyse fonctionnelle Iva Novakova LIDILEM Université Stendhal, Grenoble 3 1. Introduction La construction se faire+Vinf a été analysée de différentes façons. Pour certains auteurs (Spang-Hanssen 1967, Riegel et all. 1993) ) il s’agit d’une forme de passif. D’autres (Tasmowski & Van Oevelen1987) proposent un traitement unitaire : malgré des valeurs très similaires à la construction passive, le tour reste causatif (le passif est un sous-cas du causatif pronominal). D’autres encore (Kupferman 1995) renoncent au traitement unitaire au profit d’une analyse binaire : construction causative pronominale et passive. La plupart de ces travaux mettent en avant un argument sémantique commun, à savoir que le sujet de se faire +Inf aurait une part de responsabilité dans le procès dénoté par l’infinitif, qui cependant reste difficilement démontrable dans les procès « désagréables ». L’analyse syntaxique de la construction est souvent reléguée au second plan. Rares sont enfin les études (Gaatone 1983) qui induisent la valeur passive de se faire+Vinf à partir de facteurs pragmatiques. Bref, toutes ces études privilégient souvent certains aspects du fonctionnement de la construction au détriment d’autres. Notre objectif sera de proposer une analyse fonctionnelle de se faire+Vinf qui prenne en compte l’interaction entre les paramètres syntaxiques, sémantiques et discursifs dans le calcul de la signification de la construction. Elle s’inspire des modèles fonctionnels1 qui accordent une importance fondamentale à ces paramètres, ainsi qu’à la fonction communicative de la langue. Nos données sont issues de trois genres de textes. Nous comparerons la fréquence et les valeurs de se faire+Vinf dans des textes littéraires (Frantext), journalistiques (Le Monde et Le Figaro 2002), scientifiques (corpus KIAP-LIDILEM), ainsi que dans messages de forums sur Internet (2006 ) sur le thème de la vie quotidienne2. Après avoir défini le statut de la construction se faire+Vinf dans le système de la voix grammaticale, nous examinerons les cas où celle-ci est substituable à la construction passive et véhicule un sens passif. Nous nous pencherons ensuite sur les cas où se faire+Vinf n’est pas substituable à un passif et fonctionne comme un causatif réfléchi. Enfin nous essayerons de repérer les ressemblances ou les différences dans le fonctionnement de se faire+Vinf dans les différents corpus étudiés. 2. Le statut de Se faire+Vinf dans le système de la voix en français 1 Cf. Les grammaires fonctionnelles (Givòn, Dik, Halliday), ainsi que la RRG (Van Valin & Foley, 1980). Cette dernière s’intéresse principalement à la syntaxe, mais celle-ci n’est ni « autonome comme dans les modèles transformationnels, ni identique à la sémantique, comme dans la sémantique générative ». C’est « un structularisme fonctionaliste (a structural-functionalist theory) » (Lazard, 2006). L’approche modulaire de Noelke (1999) est également proche de ces principes. 2 Le corpus scientifique KIAP/LIDILEM est composé de trois parties : médecine (656 488 mots), linguistique (659 724 mots) et économie (660 312 mots). Le corpus journalistique est issu de Le Monde (2002) et Le Figaro (2002). Le corpus littéraire provient de Frantext (1960-2007). Le corpus de blogs est composé de 2000 messages (novembre 2006-avril 2007). Les adresses des forums sont http://forums.france3.fr/france3/listecategorie.htm, http://ununtu-fr:org/, http://www.forumfr.com/forums.html. Nous remercions K. Fløttum de l’Université de Bergen et S. Diwersy de l’Université de Cologne pour la mise à disposition des corpus scientifique et journalistique, ainsi que E. Yurovskih pour le corpus des blogs. Selon l’analyse transformationnelle (Dubois, 1967 : 124), il existe une équivalence entre (2) et (3): (1) Une voiture a renversé l’enfant. (2) L’enfant a été renversé par une voiture (3) L’enfant s’est fait renverser par une voiture. Les formes en se faire+Vinf et être+Vé sont considérées comme issues de la transformation de la phrase active (1). Or, l’explication uniquement par la transformation syntaxique est trop restrictive3, car elle ne permet pas de rendre compte des différentes nuances de sens que les deux constructions véhiculent. Elles ont un sens proche, mais pas identique. Le calcul de la signification de ces énoncés nécessite la prise en considération des interactions entre les facteurs syntaxiques, sémantiques et discursifs. Ce phénomène de concurrence entre (2) et (3) relève de la diathèse (Tesnière, Lazard, Creissels, François). La diathèse4 sera définie ici comme la variation sur les actants (diathèse) qui amène une modification corrélative de la forme (morphologie) verbale (voix), et de là, des rôles sémantiques attribués au sujet et à l’objet (Lazard , 1994 : 179). La construction se faire+Vinf relève de la diathèse passive et/ou de la diathèse réfléchie. Creissels (2006, T.2 : 10) définit la voix passive et la voix moyenne comme « des opérations sur la valence qui, appliquées à des verbes transitifs, aboutissent à des constructions intransitives ». Le passif implique un sujet qui « reçoit exactement le même rôle sémantique que l’objet de la construction transitive » (idem, p. 9). Le moyen, quant à lui, implique un « remodelage des rôles sémantiques, par contraste avec le simple réarrangement syntaxique des rôles sémantiques qui caractérise le passif…[L]e sujet est à la fois siège du même processus que l’objet de la forme transitive correspondante et responsable de ce processus » (id., p. 10), comme par exemple dans Ils se sont rassemblés. Si l’on compare les phrases (2) et (3), du point de vue syntaxique dans les deux cas, il y destitution du sujet sans ajout d’un nouvel actant et diminution de la valence (n-1) (diathèse récessive) par rapport à la structure de départ (1), ce qui est propre à la transformation passive. Du point de vue discursif, le c.o.d. de la phrase de départ devient thème, après transformation, dans les deux cas. Comme l’indique Bat Zeev Shyldkrot (1999 :73) au sujet des formes en se faire, se voir, se laisser+Vinf, le recours à la forme en se faire+Vinf dans son interprétation passive « répond à un désir du locuteur et donc de la langue, d’exprimer des nuances distinctes » par rapport aux formes du passif en êtreVé. Par ailleurs, les deux énoncés diffèrent essentiellement sur le plan sémantique: en (3) l’enfant est patient plutôt actif, tandis qu’en (2) il est patient passif (Cf. à ce sujet Gaatone, 1983)5. Dans le cas du réfléchi, le S structural de se faire+Vinf assume donc un double rôle sémantique : il est à la fois patient et « responsable » (instigateur) du procès, à la différence du passif où il n’est que patient. Nous analyserons dans ce qui suit, les cas où se faire+Vinf est interchangeable avec êtreVé et ceux où cette substitution n’est pas possible. Nous partirons de la construction syntaxique du verbe : transitif, intransitif, bitransitif qui sera corrélée à l’analyse des paramètres sémantiques et discursifs. « […] la théorie du renversement, est une simplification à laquelle on a pu sacrifier pour des raisons pédagogiques (les grammaires scolaires) ou de formalisation (la grammaire générative) [l’analyse du passif], mais qui ne se justifie que difficilement au vu des faits empiriques ». (Lamiroy , 1993 : 69) 4 Au sujet de la distinction entre voix et diathèse, cf. Tesnière (1959 : 242) qui définit la voix comme une propriété intrinsèque du lexème verbal, tandis que la diathèse permet de redistribuer les actants par interversion , insertion ou élimination du schéma actanciel (voir aussi ç ce sujet François, 2000). 5 Tesnière (1959) utilise les termes d’actant actif et passif. 3 2 3. 3.1. Se faire+Vinf à sens passif se faire+Vinf trans Lorsque le Vinf est un transitif, se faire+Vinf est le plus souvent substituable avec le passif (êtreVé) (Cf. (2) et (3)). Pourtant les deux formes véhiculent des nuances de sens différentes. Pour mieux en rendre compte, nous analyserons de plus près la nature sémantique du verbe enchâssé sous se faire, les rôles sémantiques et la nature (animé vs non-animé) du S. 3.1.1. La nature sémantique du verbe La lecture passive de se faire + Vinf est étroitement liée au sémantisme du verbe Gaatone, 1983 :168). La plupart des travaux attirent l’attention sur le fait que la substitution est possible lorsque l’infinitif renvoie à des actes désagréables ( cf. Spang-Hanssen, 1967, Gaatone, 1983) ou violents (violences physiques ou verbales (injures, insultes)), par exemple se faire expulser, écraser, insulter, injurier. Ces verbes constituent 30% des verbes de l’ensemble du corpus (150 verbes « désagréables » sur la totalité des 520 verbes enchâssés sous se faire+Vinf, relevés dans les différents corpus). Les deux formes sont donc interchangeables : (4) Bertrand Delanoë s'est fait agresser la nuit où il a ouvert ses appartements. (F) (5) Elle s'est fait attaquer trois fois. Il y avait trop d'insécurité. (F) Or, comme le montrent les données, la construction réfléchie à valeur passive s’attache, bien que plus rarement, à des prédicats dénotant des actes agréables: se faire accueillir, acclamer, embaucher, élire, plébisciter ((cf . aussi Kupferman, 1995 : 75). Ces verbes constituent 5% des corpus analysés, c. à. d. ils sont six fois moins nombreux que les verbes « désagréables ». Toutefois, les données démentent l’affirmation de Kupferman (1995 :67), à savoir que « les verbe statifs et de changement d’état sont prohibés de ces constructions » (*se faire toujours aimer par ses enfants, *se faire admirer par ses étudiants6). Voici quelques exemples du corpus: (6) Il peine encore à se faire aimer par tous les siens (F) (7) On survit, de la pire manière, pour se faire admirer des autres (FT) (8) C'est aussi une façon pour les filles de se faire accepter (M) Bref, les verbes qui se rencontrent le plus souvent dans cette construction syntaxique sont essentiellement des verbes d’action (agréable ou désagréable) et, plus rarement, des verbes d’état. 3.1.2. Les rôles sémantiques du S Comme il a été dit supra, se faire+Vinf implique le plus souvent un « double » rôle sémantique pour son sujet structural: celui-ci est à la fois patient et responsable (instigateur) de ce procès. Ce type de rôle est à distinguer de celui de patient dans la construction passive, défini comme « entité qui subit un changement sous l’effet d’une cause extérieure (agent ou force ») (Creissels , 2006, T1 : 281), mais n’est pas pour autant l’instigateur ou causateur (volontaire ou involontaire) du procès. Ceci explique la différence de sens entre (9) et (10).. En choisissant la forme en se faire+Vinf en (9), le locuteur présente Ted Williams comme 6 Les exemples et les astérisques sont de Kupferman, (1995 : 75). 3 étant à la fois instigateur volontaire et patient. En revanche en (10), la question de la volonté du sujet n’est plus posée (Tasmowski&Van Oevelen, 1987 : 45) : (9) [l]a dernière volonté de Ted Williams était de se faire incinérer, pour que ses cendres soient dispersées dans les Keys (F) (10) …et si c’était permis, je serais enterré sous le comptoir. (emprunté à Tasmowski & Van Oevelen, 1987 :45) C’est aussi le cas de (11) où la fille se trouve être l’instigatrice de son propre assassinat, ou de (12) où l’attaquant est la cause de son exclusion, ce qui rend le passif très peu naturel dans ces contextes: (11) Cette fille est très vilaine, engage un tueur à gages pour se faire assassiner ( ?? être assassinée). (12) L’attaquant bastiais Florian Maurice a réussi l'exploit de se faire exclure ( ??d’être exclu) du terrain alors qu'il s'était déjà fait expulser il y a quelques mois. […]. (M) Cette analyse se heurte pourtant à des cas comme (13), où le sujet ne peut, comme le montre le contexte plus large, être considéré comme étant l’instigateur ou le « responsable » du procès : (13) Les derniers de la liste se font écraser par amour (FT) (13a) Les derniers de la liste sont écrasés par amour. Les deux formes sont quasi-synonymes. Là, l’explication par le rôle sémantique du S ne suffit plus. Gaatone (1983 :173) induit le sens de se faire+Vinf de la notion pragmatique de désagréable qui, selon lui, permettrait de mieux en rendre compte7. Il nous semble pourtant que l’explication par les facteurs pragmatiques devrait être complétée par la dimension aspectuelle : le locuteur a le choix entre (13) et (13a) en fonction de la manière dont il envisage le déroulement du procès (passif processif vs passif statif)8. Pour récapituler, dans les cas où se faire+Vinf et êtreVé sont interchangeables (avec des verbes transitifs d’action (désagréable ou agréable)) ou, plus rarement, avec des verbes d’état, le locuteur choisira être+Vé ou se faire+Vinf en fonction du rôle sémantique qu’il souhaite « faire endosser » au Sujet des deux constructions : avec être Vé celui-ci est beaucoup moins agentif que celui de se faire+Vinf qui est à la fois patient et instigateur (volontaire ou involontaire) du procès exprimé par le Vinf dont les effets reviennent d’une façon ou d’une autre sur lui-même. Par ailleurs, lorsque le sujet de se faire+Vinf « est impliqué indépendamment de sa volonté dans un enchaînement causal » (François, 2000 :163), c.à.d. que son double rôle (de patient / bénéficiaire et d’instigateur du procès) n’est pas avéré, des facteurs aspectuels entrent en jeu pour le calcul de la signification de se faire+Vinf. 3.1.3. La nature sémantique du Sujet (animé vs non-animé) La difficulté d’analyser le S comme instigateur (ou responsable) du procès apparaît aussi dans les exemples où le S est non animé. Bien que très peu fréquents (moins de 3% des résultats), ces cas existent dans les corpus: Cf. Gaatone, 1983 :170) :’ « Il est anormal d’admettre qu’un être humain soit l’instigateur volontaire de procès dont il serait lui-même la victime ». 8 Selon Spang-Hanssen (1967 :141) lorsqu’il s’agit d’actes désagréables ou violents, se faire+Vinf marque l’idée de processus. Dubois & Lagane 1973 : 169) expliquent aussi la différence entre une phrase passive et une phrase à verbe pronominal de sens passif par les propriétés aspectuelles: la première exprime des procès achevés, la seconde des procès en cours. 7 4 (14) La neige se fait désirer dans certains coins de l'Europe (M). (15) Les classiques cassettes vidéo VHS sont ainsi sur le point de se faire dépasser par les DVD. (F) Contrairement à Tasmoswski & Van Oevelen (1987 : 48) qui considèrent que la construction est incompatible avec un sujet non animé *Son piano s’est fait abimer par les déménageurs, Kupferman (1995 : 73) montre que dans un contexte générique des phrases de ce type deviennent tout à fait acceptables: Les pianos se font toujours abimer lors des déménagements. En Amazonie, des centaines d’arbres se font arracher chaque jour. Il rapproche ainsi se faire+Vinf en emploi générique au se moyen d’emploi passif (Ce livre se lit bien). Ici, ce n’est plus par le rôle sémantique du S (instigateur volontaire ou involontaire du procès) qu’on peut rendre compte des différentes nuances de sens entre les deux formes, substituables dans ces contextes. Ce sont, à notre avis, des paramètres aspectuels au service des visées discursives qui entrent en jeu.. En choisissant la forme se faire+Vinf, le locuteur présente le procès comme inaccompli (se faire désirer) ou en déroulement (être sur le point), ce qui est en harmonie avec le profil aspectuel du cette forme, le passif, lui, présentant le plus souvent le procès comme accompli. 3.2. Se faire+Vinf bitrans Dans la hiérarchie d’accès des rôles sémantiques à la fonction S (J. François, 2000 : 173), le français, à la différence de l’anglais, ne dispose pas de passif formé sur le c.o.i.9 La construction se faire+Vinf permet d’y remédier Lorsque le verbe de la phrase active est un verbe bitransitif, la construction se faire+Vinf permet de former un passif sur le troisième actant. (16) Kim Yong-nam venait d’attribuer une parcelle du pays à M. Yang A1 A2 A3 (16a) M. Yang venait de se faire attribuer une parcelle du pays par Kim Yong-nam (F) A1=A3 A2 A3=A1 Ce phénomène relève pleinement de la diathèse qui permet d’en donner une explication fonctionnelle: le S de la phrase active (Kim Yong-nam) est destitué. Il s’ensuit un réarrangement des actants : le c.o.i. accède à la fonction S, ce qui permet au locuteur de le thématiser. Du point de vue des rôles sémantiques, le S est bénéficiaire ou victime du procès. Les verbes bitransitifs qui entrent dans cette construction appartiennent aux verbes de don (se faire offrir, attribuer, distribuer, donner, offrir, servir/ravir), de transfert (se faire livrer, prêter, prélever, remettre, rembourser, restituer, retirer, transmettre), de dire (se faire annoncer, conseiller, dédicacer, dicter, notifier, raconter, ordonner). (17) Personne n'a le droit de se faire communiquer les résultats de l'expertise. (M) (18) Laurent Fabius entend bien ne pas se faire ravir l'image de la gauche moderne. (F) Avec les verbes bitransitifs, se faire+Vinf n’est plus une variante contextuelle du passif mais une forme de sens passif, appelé passif complémentaire (Bat-Zeev Shyldkrot, 1999 :67), du destinataire (J. François, 2000), ou oblique (Creissels, 2006). Se faire est ici un auxiliaire de diathèse passive (J. François, 2000, 160). 9 Les verbes pardonner et obéir sont une exception. Ils permettent la construction passive, mais le tour avec se faire+Vinf est beaucoup plus fréquent : se faire pardonner, se faire obéir (cf. aussi Spang-Hansse, 1967 :145). 5 4. Se faire+Vinf à sens réfléchi Se faire+Vinf fonctionne aussi comme un causatif réfléchi. Dans ce cas, la construction n’est pas substituable avec un passif. Il s’agit ici de la combinaison de la diathèse causative et réfléchie (ou récessive)10. Nous allons d’abord analyser les cas où le Vinf est intransitif (4.1.). Nous nous pencherons ensuite sur les cas où le Vinf transitif (réfléchi ou récessif) exprime des actes liés au corps humain (4.2.1.), mais aussi des actions ou des états. La difficulté de substitution avec un passif dans ces contextes est liée à de contraintes syntaxico-sémantiques (4.2.2.). 4.1. se faire + Vinf intr Lorsque le verbe à l’infinitif est intransitif, les conditions structurales pour la transformation passive ne sont pas réunies. Le passif est donc impossible dans ces conditions. La valence verbale n’augmente pas comme dans le cas du causatif (n+1), elle diminue d’un actant (n-1) par rapport au tour causatif faire+Vinf : (19) L’été, Marie bronze bien au soleil. (n=1) (19a) L’été, la réverbération du soleil sur le sable fait bronzer Marie, sinon en hiver ce sont les UV en cabine qui la font bronzer. (+1 A ; n=2) (20) Marie se fait bronzer (grâce aux UV). (-1 A n=1) La fréquence des verbes intransitifs enchâssés dans la construction se faire+Vinf reste cependant très peu élevée (moins de 2% de la totalité des verbes du corpus). Pour ce qui est de la nature sémantique des intransitifs qui s’enchâssent sous se faire, il s’agit d’un petit nombre de verbes (une dizaine environ), notamment des inaccusatifs de changement d’état : avorter, bronzer, exploser, maigrir, saigner, suer, vomir.. Ceci s’explique par le fait que ces verbes expriment une action qui vise ou atteint le S, ce qui est en harmonie avec son rôle sémantique : les effets du procès lui reviennent , autrement dit il subit un changement d’état : (21) Il forcerait les femmes à se faire avorter et stériliser (M) (22) Surtout qu'ensuite ils vont régulièrement se faire maigrir chez des médecins, dans des cures ou en thalassothérapie. (F) (23) Israël espère ainsi réduire les motivations des Palestiniens volontaires pour se faire exploser. (24) Il y en a qui font ce qu'ils veulent, et d'autres qui se font suer à se soumettre avant même qu'on ne leur demande. D'autres se font vomir , deviennent anorexiques, pour rester à l'école (M) L’explication de ce fait par l’Hypothèse inaccusative (Perlmutter, 1978, Levin&Rappaport, 1995) qui articule les propriétés syntaxiques (l’ergativité) aux propriétés sémantiques de ces verbes n’est pas en mesure d’expliquer pourquoi le tour n’apparaît pas avec d’autres inaccusatifs (de changement de position) comme venir, arriver, sortir, entrer ou pourquoi se faire rire (inergatif) est possible, tandis les autres inergatifs comme danser, sauter, courir, nager, mais aussi pleurer sont naturellement exclus, du fait qu’il expriment un procès qui part du sujet mais sans le viser ou l’atteindre : (25) Mardi dernier encore, devant les parlementaires socialistes, Lionel Jospin s'était fait rire lui-même en rappelant involontairement sa sortie aérienne (F) (26) …la loufoquerie, entrecoupée de tchatches façon café-théâtre, histoire de se faire rire et de faire rire les autres. (M) 10 Tesnière (1959 : 264) parle de « diathèse réfléchie à la voix causative » . 6 Tasmowski & van Oevelen (1987 :45) optent pour une explication par la nature sémantique du verbe. Si le verbe renvoie à des actes volontaires et contrôlables par le S comme nager, courir, venir, entrer ou à des actes involontaires et incontrôlables (penser, réfléchir, ronfler, rêver), se faire+Vinf intr n’est pas possible. En revanche, la construction est possible avec des « verbes désignant des activités que le S peut délibérément provoquer mais qui se prolongent dans une situation où il est soumis à une modification11 » (idem). Autrement dit, le sujet provoque un procès (conformément à la sémantique du tour causatif) qui entraîne un changement de son état, de son corps. Il est à la fois déclencheur et patient (siège du procès). 4..2.. Se faire+Vinf trans 4.2.1. Se faire+Vinf trans exprimant des actes liés au corps humain Les verbes qui expriment des actes liés au corps humain, aux vêtements, aux cheveux entrent naturellement dans cette construction. Le S est instigateur et provoque un changement d’état sur son corps, ses cheveux, ses vêtements : se faire confectionner une rober, se faire couper/teindre les cheveux, se faire balafrer, caresser, épiler, lifter, palpe , tripoter. Le tour fonctionne ici comme un vrai causatif réfléchi, non substituable avec le passif : (27) Dans ce nouveau centre, on peut aussi se faire couper les cheveux. (F) (28) Jürgen Brandes, avant d'être tué, aurait accepté de se faire couper le pénis (M) Babby (1993 : 343) appelle ce type de construction des benefactive causatives : le référent du S provoque le procès et en est le bénéficiaire, terme assez restrictif au regard de l’exemple (28). 4.2.2. Se faire+Vinf trans exprimant des actions ou des états. Contraintes syntaxicosémantiques sur la substitution avec le passif Lorsque se faire+ Vinf trans n’est pas substituable avec le passif, il apparaît dans des contextes syntaxiques bien précis, à savoir après des verbes de mouvement, de perception, modaux ou des périphrases aspectuelles. Si la construction avec des verbes de mouvement qui bloque le passif a été remarquée par Hang-Spanssen (1967), les autres verbes qui introduisent se faire+Vinf n’ont pas fait l’objet d’une description et d’une analyse systématique. Or, vu le grand nombre d’occurrences de ce type dans les corpus, ces contraintes syntaxicosémantiques méritent d’être étudiées de plus près. 4.2.2.1. Après une périphrase aspectuelle Les données révèlent une fréquence élevée de se faire+Vinf après les périphrases aspectuelles exprimant les phases du procès : commencer à, être en train de , finir de. Le passif qui renvoie essentiellement à des procès accomplis (Il est assassiné) est difficilement compatible avec l’expression des phases du procès. En revanche se faire+Vinf qui renvoie surtout à des procès en cours est compatible avec les phases : (29) Il est sorti à l'étranger et a commencé à se faire battre. (M) (30) Il était en train de se faire griller tranquillement une mouette sur un barbecue de fortune. (FT). (31) Ils ont fini par se faire piquer le travail. (F) 11 C’est nous qui soulignons. 7 La substitution avec le passif est ici impossible. Aux contraintes aspectuelles s’ajoute le rôle actif du S. Le footballeur a été en quelque sorte la cause de son échec (29), le personnage en (30) est agentif, ceux de (31) ont provoqué par leur attitude l’éviction de leurs postes. 4.2.2.2. Après un verbe de mouvement : *Vmvmt être Vé vs Vmvmt se faireVinf Cette contrainte syntaxique peut également être expliquée par le rôle sémantique du S : celui-ci participe de façon active au procès, il « se rend pour ainsi dire dans la situation » (Tasmowski& van Oevelen (1987 : 47), ce qui exclut ou rend assez peu naturel le passif. Les exemples de ce type abondent dans les corpus : (32) Les nouveaux présidents vont traditionnellement se faire acclamer à cet endroit. (F) (33) Qu’est ce que j’ai fait à cette femme pour qu’elle aille se faire assassiner chez moi (Tasmowski &van Oevelen): (34) la " zone mixte " où les sportifs viennent se faire interviewer après les matches et ne pourront pénétrer dans le stade. (M) La contrainte est levée, lorsque aller ou venir sont auxiliaires de temps : (35) Il y en a qui vont se faire acheter / être achetés par les consortiums. (M) (36) Ils venaient de se faire coincer /d’être coincés par des Teutons (FT) L’explication « aspectuelle » de Spang-Hanssen qui rattache l’emploi de se faire+Vinf après les verbes de mouvement à la tendance d’ « éviter [la] construction passive quand l’infinitif marque l’aboutissement de l’action indiquée par le verbe de la phrase » mérite d’être précisée. Ce n’est pas l’aboutissement de l’action qui bloque le passif après un verbe de mouvement (ce qui irait à l’encontre de sa tendance à exprimer des procès accomplis), mais la participation active du sujet dans la réalisation du procès, à la différence du S du passif qui n’est pas agentif. On est ici en présence d’une subtile superposition de traits aspectuels véhiculés par se faire+Vinf et du rôle sémantique du sujet dans le procès. 4.2.2.3. Après un verbe modal ou de sentiment Les cas où le tour se faire+Vinf est précédé d’un verbe modal (devoir, savoir, pouvoir, falloir, vouloir, souhaiter) ou de sentiment (détester, aimer, craindre, peiner, espérer) sont très fréquents dans les corpus. La substitution avec un passif est très peu naturelle. Les verbes modaux (vouloir, pouvoir) qui expriment le degré d’adhésion du S à son discours (ou la tension maximale) se font naturellement suivre de se faire+vinf : (37) Les candidats doivent se faire connaître aujourd'hui. (F) (38) Les 300 salariés peuvent (veulent /profitent pour ) en effet se faire masser , accéder à un sauna, à une salle de musculation. (M) (39) Galliano aime se faire désirer (F) (40) D'autant que Lionel Jospin, c'est une constante, déteste se faire dicter son calendrier Les verbes modaux ou de sentiment sont en harmonie avec le rôle du S plutôt actif de se faire+Vinf. L’activité du S s’exprime ici à travers son degré d’adhésion active au procès dont les effets reviennent en quelque sorte à lui (à sa réputation, à son corps, etc): 4.2.2.4. Après un verbe de perception 8 Enfin, dans les subordonnées infinitives, après les verbes de perception voir, entendre, regarder, la présence de se faire +Vinf non-interchangeable avec le passif pourrait s’expliquer par ses propriétés aspectuelles qui renvoient surtout à des procès en déroulement : (41) Quand nous regardions sur CNN des villes se faire bombarder à la télévision (F) (42) Il raconte, la voix serrée, avoir vu les pompiers se faire évacuer au bout d'une heure et demie (F) (43) Elle ne supportera pas longtemps de voir de jeunes militaires se faire tuer . Le procès dans sa phase progressive est peu compatible avec l’aspect accompli du passif :*Nous regardions des villes être bombardées. *Il raconte avoir vu les pompiers être évacués au bout d’une heure et demie). 4.3. Se faire+Vinf dans des expressions lexicalisées Les données ont révélé que les fréquences les plus élevées de se faire+Vinf dans les différents corpus correspondent à des expressions plus ou moins lexicalisées, qui fonctionnent comme une unité lexicale : se faire entendre (223 occurrences dans Le Figaro et Le Monde), se faire connaître (86 occurrences), se faire sentir (86 occurrences), se faire attendre (76), se faire remarquer (50), etc. La substitution avec le passif, si elle est possible, correspond à un important changement de sens (les expressions lexicalisées n’admettent jamais un complément d’agent, cf. Spang-Hanssen, 1967 :145). La plupart de ces expressions se font précédées de sujets non animés (se faire sentir, se faire attendre ou se faire entendre), ce qui est très rare avec se faire+Vinf non lexicalisé: (44) La fatigue (+ le goût de la différence+l’urgence des réformes, le mouvement) se fait sentir. ( ?? sont sentis, ressentis) (M + F, FT) (45) Les représailles ne vont pas se faire attendre (*vont pas être attendues). (M) Pour résumer, Gaatone (1983) et Tasmowski & van Oevelen (1987) considèrent que se faire+Vinf a une valeur propre réfléchie dont le passif est issu. Contrairement à cette thèse, Kupferman (1995 :76) postule l’existence de deux constructions homonymes en se faire+Vinf : passive et causative réfléchie : « [l]a ressemblance morphologique entre deux formes syntaxiques ne signifie pas nécessairement qu’elle soient typologiquement apparentées12. Or, les données diachroniques vont à l’encontre de cette thèse. Comme l’indique Creissels (2006,T2 : 69-70) . « [A] partir d’une valeur causative, l’interprétation passive se serait développée par l’intermédiaire d’une réflexivisation de la constuction causative sans marque morphologique. » Cette évolution en trois étapes pourrait être schématisée de la façon suivante : causatif (X a fait assassiner Y) → réflexivisation (Y s’est fait assassiner) → passif (Y a été assassiné). L’analyse fonctionnelle des paramètres syntaxiques, sémantiques et discursifs permet de conclure à l’existence d’un continuum entre les valeurs d’une même forme. 5. Se faire+Vinf dans les différents corpus Voici le tableau récapitulatif des données des différents corpus : Voici encore quelques arguments donnés par Kupferman (1995 :57) « le référent du sujet structural n’est ni nécessairement responsable du procès, ni obligatoirement humain, et l’action décrite par le prédicat-hôte n’est pas toujours violente. Bref la construction passive en se faire a gagné sa place parmi les passifs ». 12 9 Corpus Nombre de mots Frantext Le Monde Le Figaro Blogs Scientifique 21 991 573 25 949 000 26 995 000 255 900 1 978 633 Nombre d’occurrences de se faire+Vinf 2079 1932 1751 12 14 % 0,0095% 0,0074% 0,0065% 0,0047% 0,0007% Comme le montre le tableau récapitulatif, se faire+Vinf est le plus fréquent dans les textes littéraires, très fréquent dans les corpus journalistiques, peu fréquent dans les blogs et quasi-inexistant dans les corpus scientifiques. Comment expliquer ces faits ? Nous essaierons d’en donner quelques pistes. D’abord les choix discursifs de se faire+Vinf dans les textes littéraires et journalistiques pourraient s’expliquer par les restrictions syntaxico-sémantiques qui pèsent sur le passif (la construction verbale, les blocages aspectuels, les verbes modaux etc). La grande fréquence de se faire+Vinf dans les corpus littéraires et journalistiques pourrait également être due au fait que le passif (et donc se faire+vinf à sens passif) est propre à l’écrit et moins fréquent à l’oral (Dubois, 1967 :102). Ce fait pourrait inversement expliquer la très faible fréquence de la construction dans les blogs qui se rapprochent de la langue parlée (on y rencontre surtout des expressions lexicalisées se faire taxer de, se faire passer pour, se faire sentir). Une autre raison du grand nombre d’occurrences de la construction se faire+Vinf dans les textes littéraires ou journalistiques pourrait être le fait qu’à l’instar du passif elle permet de « maintenir l’isotopie référentielle des sujets de phrases consécutives pour substituer une progression à thèse constant » (Riegel et al., 1993 :441) comme le montrent les exemples (46) et (47): (46) L’attaquant bastiais Florian Maurice, qui a réussi l'exploit de se faire exclure du terrain alors qu'il s'était déjà fait expulser …(M). (47) Avant d'être nommés ambassadeurs, ou de se faire assassiner , les écrivains connaissent le plus souvent l'exil. (F) En revanche, le fait de considérer que les registres, et en particulier le registre soutenu, sont un paramètre important du choix de se faire+Vinf à sens passif (Kupferman, 1995 :60) à l’écrit n’est pas confirmé par les données du corpus. Elles révèlent un nombre important d’infinitifs enchâssés sous se faire appartenant aux registres familiers, populaires, voir argotiques : se faire canarder, carotter, couillonner, alpaguer, baiser, coffrer, cueillir, choper, descendre, sauter, entuber, engueuler, incompatibles avec un registre soutenu. Enfin, si le passif est assez fréquent dans les textes scientifiques, se faire+Vinf y est quasiment absent. Une des raisons pourrait en être que dans les textes scientifiques, tendant à un maximum d’objectivité, le passif est une stratégie d’évitement du « je » et plus généralement d’un énonciateur agentif qui est propre à la construction se faire+Vinf. Ce type de textes offrent très peu de situations où le sujet énonciateur a le double rôle de patient et d’instigateur du procès, ce qui provoque un changement d’état ou bien où il est question d’actes « agréables » ou « désagréables ». 6. Conclusion Les tendances qui se dégagent à l’issue de cette étude multidimensionnelle révèlent que l’emploi de se faire+Vinf à valeur passive et réfléchie est conditionné par la constructions verbale (verbes intransitifs, transitifs, bitransitifs), les traits aspectuels et le rôle sémantique du S. Le choix discursif entre se faire+Vinf et êtreVé se fait en fonction du rôle du S (instigateur et patient vs patient) dans le procès et la façon dont celui-ci se déroule. Se faire+vinf est 10 considérée comme une forme à plusieurs valeurs, solution qui nous paraît préférable à celle qui y voit deux constructions homonymes. La diachronie est aussi un argument en faveur de cette analyse. L’étude fonctionnelle sur de vastes corpus permet de mieux rendre compte des spécificités du fonctionnement de se faire+Vinf. Bibliographie Babby, L. (1993).” Hybrid causative constructions : Benefactive causative and adversity passive”. B. Comrie & M. Polinsky (Ed.), Causatives and transitivity. Amsterdam/Philadelphia : John Benjamins, 343-367. Bat-Zeev Shyldkrot H. (1999) « Analyse sémantique d’une forme passive complémentaire : se laisser » in Langages 135, 63-74 Bat-Zeev Shyldkrot H (2005) « Comment définir la périphrase ‘se laisser+inf’ », Lingvisticae Inversitationes Supplementa 25, 245-257. Creissels D. (2006) Syntaxe générale : une introduction typologique. T2. Paris : Lavoisier Dik, S. (1997). The Theory of Functionnal Grammar, Part1, Berlin, New York: Mouton de Gruyter, 285-289. Dubois J. (1967) Grammaire structurale du français. Larousse Dubois J. & Lagane R. (1973) La nouvelle grammaire du français. Larousse François J. (2000) Désémantisation verbale et grammaticalisation , (se)voir employé comme outil de redistribution des actants in Syntaxe & Sémantique No 2, 2000, 159-175. Gaatone D. (1983) « Le désagréable dans la syntaxe », Revue Romane 18 / 2, 161-173. Halliday, M.A.K. (1985). An Introduction to Functionnal Grammar, E. Arnold; 144-191. Kupferman L. 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