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La construction se faire+Vinf : analyse fonctionnelle
Iva Novakova
LIDILEM Université Stendhal, Grenoble 3
1. Introduction
La construction se faire+Vinf a été analysée de différentes façons. Pour certains
auteurs (Spang-Hanssen 1967, Riegel et all. 1993) ) il s’agit d’une forme de passif. D’autres
(Tasmowski & Van Oevelen1987) proposent un traitement unitaire : malgré des valeurs très
similaires à la construction passive, le tour reste causatif (le passif est un sous-cas du causatif
pronominal). D’autres encore (Kupferman 1995) renoncent au traitement unitaire au profit
d’une analyse binaire : construction causative pronominale et passive. La plupart de ces
travaux mettent en avant un argument sémantique commun, à savoir que le sujet de se faire
+Inf aurait une part de responsabilidans le procès dénoté par l’infinitif, qui cependant reste
difficilement démontrable dans les procès « désagréables ». L’analyse syntaxique de la
construction est souvent reléguée au second plan. Rares sont enfin les études (Gaatone 1983)
qui induisent la valeur passive de se faire+Vinf à partir de facteurs pragmatiques. Bref, toutes
ces études privilégient souvent certains aspects du fonctionnement de la construction au
détriment d’autres.
Notre objectif sera de proposer une analyse fonctionnelle de se faire+Vinf qui prenne
en compte l’interaction entre les paramètres syntaxiques, sémantiques et discursifs dans le
calcul de la signification de la construction. Elle s’inspire des modèles fonctionnels
1
qui
accordent une importance fondamentale à ces paramètres, ainsi qu’à la fonction
communicative de la langue.
Nos données sont issues de trois genres de textes. Nous comparerons la fréquence et
les valeurs de se faire+Vinf dans des textes littéraires (Frantext), journalistiques (Le Monde et
Le Figaro 2002), scientifiques (corpus KIAP-LIDILEM), ainsi que dans messages de forums
sur Internet (2006 ) sur le thème de la vie quotidienne
2
.
Après avoir défini le statut de la construction se faire+Vinf dans le système de la voix
grammaticale, nous examinerons les cas celle-ci est substituable à la construction passive
et véhicule un sens passif. Nous nous pencherons ensuite sur les cas où se faire+Vinf n’est pas
substituable à un passif et fonctionne comme un causatif réfléchi. Enfin nous essayerons de
repérer les ressemblances ou les différences dans le fonctionnement de se faire+Vinf dans les
différents corpus étudiés.
2. Le statut de Se faire+Vinf dans le système de la voix en français
1
Cf. Les grammaires fonctionnelles (Givòn, Dik, Halliday), ainsi que la RRG (Van Valin & Foley, 1980). Cette
dernière s’intéresse principalement à la syntaxe, mais celle-ci n’est ni « autonome comme dans les modèles
transformationnels, ni identique à la sémantique, comme dans la sémantique nérative ». C’est « un
structularisme fonctionaliste (a structural-functionalist theory) » (Lazard, 2006). L’approche modulaire de
Noelke (1999) est également proche de ces principes.
2
Le corpus scientifique KIAP/LIDILEM est composé de trois parties : médecine (656 488 mots), linguistique
(659 724 mots) et économie (660 312 mots). Le corpus journalistique est issu de Le Monde (2002) et Le Figaro
(2002). Le corpus littéraire provient de Frantext (1960-2007). Le corpus de blogs est composé de 2000 messages
(novembre 2006-avril 2007). Les adresses des forums sont http://forums.france3.fr/france3/listecategorie.htm,
http://ununtu-fr:org/, http://www.forumfr.com/forums.html. Nous remercions K. Fløttum de l’Université de
Bergen et S. Diwersy de l’Université de Cologne pour la mise à disposition des corpus scientifique et
journalistique, ainsi que E. Yurovskih pour le corpus des blogs.
2
Selon l’analyse transformationnelle (Dubois, 1967 : 124), il existe une équivalence
entre (2) et (3):
(1) Une voiture a renversé l’enfant.
(2) L’enfant a été renversé par une voiture
(3) L’enfant s’est fait renverser par une voiture.
Les formes en se faire+Vinf et être+Vé sont considérées comme issues de la
transformation de la phrase active (1). Or, l’explication uniquement par la transformation
syntaxique est trop restrictive
3
, car elle ne permet pas de rendre compte des différentes
nuances de sens que les deux constructions véhiculent. Elles ont un sens proche, mais pas
identique. Le calcul de la signification de ces énoncés nécessite la prise en considération des
interactions entre les facteurs syntaxiques, sémantiques et discursifs. Ce phénomène de
concurrence entre (2) et (3) relève de la diathèse (Tesnière, Lazard, Creissels, François). La
diathèse
4
sera définie ici comme la variation sur les actants (diathèse) qui amène une
modification corrélative de la forme (morphologie) verbale (voix), et de là, des rôles
sémantiques attribués au sujet et à l’objet (Lazard , 1994 : 179).
La construction se faire+Vinf relève de la diathèse passive et/ou de la diathèse
réfléchie. Creissels (2006, T.2 : 10) définit la voix passive et la voix moyenne comme « des
opérations sur la valence qui, appliquées à des verbes transitifs, aboutissent à des
constructions intransitives ». Le passif implique un sujet qui « reçoit exactement le même rôle
sémantique que l’objet de la construction transitive » (idem, p. 9). Le moyen, quant à lui,
implique un « remodelage des rôles sémantiques, par contraste avec le simple réarrangement
syntaxique des rôles sémantiques qui caractérise le passif…[L]e sujet est à la fois siège du
même processus que l’objet de la forme transitive correspondante et responsable de ce
processus » (id., p. 10), comme par exemple dans Ils se sont rassemblés.
Si l’on compare les phrases (2) et (3), du point de vue syntaxique dans les deux cas, il
y destitution du sujet sans ajout d’un nouvel actant et diminution de la valence (n-1) (diathèse
récessive) par rapport à la structure de départ (1), ce qui est propre à la transformation
passive.
Du point de vue discursif, le c.o.d. de la phrase de départ devient thème, après
transformation, dans les deux cas. Comme l’indique Bat Zeev Shyldkrot (1999 :73) au sujet
des formes en se faire, se voir, se laisser+Vinf, le recours à la forme en se faire+Vinf dans son
interprétation passive « répond à un désir du locuteur et donc de la langue, d’exprimer des
nuances distinctes » par rapport aux formes du passif en être.
Par ailleurs, les deux énoncés diffèrent essentiellement sur le plan sémantique: en (3)
l’enfant est patient plutôt actif, tandis qu’en (2) il est patient passif (Cf. à ce sujet Gaatone,
1983)
5
. Dans le cas du réfléchi, le S structural de se faire+Vinf assume donc un double rôle
sémantique : il est à la fois patient et « responsable » (instigateur) du procès, à la différence du
passif où il n’est que patient.
Nous analyserons dans ce qui suit, les cas se faire+Vinf est interchangeable avec
êtreVé et ceux cette substitution n’est pas possible. Nous partirons de la construction
syntaxique du verbe : transitif, intransitif, bitransitif qui sera corrélée à l’analyse des
paramètres sémantiques et discursifs.
3
« […] la théorie du renversement, est une simplification à laquelle on a pu sacrifier pour des raisons
pédagogiques (les grammaires scolaires) ou de formalisation (la grammaire générative) [l’analyse du passif],
mais qui ne se justifie que difficilement au vu des faits empiriques ». (Lamiroy , 1993 : 69)
4
Au sujet de la distinction entre voix et diathèse, cf. Tesnière (1959 : 242) qui définit la voix comme une
propriété intrinsèque du lexème verbal, tandis que la diathèse permet de redistribuer les actants par interversion ,
insertion ou élimination du schéma actanciel (voir aussi ç ce sujet François, 2000).
5
Tesnière (1959) utilise les termes d’actant actif et passif.
3
3. Se faire+Vinf à sens passif
3.1. se faire+Vinf trans
Lorsque le Vinf est un transitif, se faire+Vinf est le plus souvent substituable avec le
passif (êtreVé) (Cf. (2) et (3)). Pourtant les deux formes véhiculent des nuances de sens
différentes. Pour mieux en rendre compte, nous analyserons de plus près la nature sémantique
du verbe enchâssé sous se faire, les rôles sémantiques et la nature (animé vs non-animé) du S.
3.1.1. La nature sémantique du verbe
La lecture passive de se faire + Vinf est étroitement liée au sémantisme du verbe
Gaatone, 1983 :168). La plupart des travaux attirent l’attention sur le fait que la substitution
est possible lorsque l’infinitif renvoie à des actes désagréables ( cf. Spang-Hanssen, 1967,
Gaatone, 1983) ou violents (violences physiques ou verbales (injures, insultes)), par exemple
se faire expulser, écraser, insulter, injurier. Ces verbes constituent 30% des verbes de
l’ensemble du corpus (150 verbes « désagréables » sur la totalité des 520 verbes enchâssés
sous se faire+Vinf, relevés dans les différents corpus). Les deux formes sont donc
interchangeables :
(4) Bertrand Delanoë s'est fait agresser la nuit où il a ouvert ses appartements. (F)
(5) Elle s'est fait attaquer trois fois. Il y avait trop d'insécurité. (F)
Or, comme le montrent les données, la construction réfléchie à valeur passive
s’attache, bien que plus rarement, à des prédicats dénotant des actes agréables: se faire
accueillir, acclamer, embaucher, élire, plébisciter ((cf . aussi Kupferman, 1995 : 75). Ces
verbes constituent 5% des corpus analysés, c. à. d. ils sont six fois moins nombreux que les
verbes « désagréables ». Toutefois, les données démentent l’affirmation de Kupferman
(1995 :67), à savoir que « les verbe statifs et de changement d’état sont prohibés de ces
constructions » (*se faire toujours aimer par ses enfants, *se faire admirer par ses
étudiants
6
). Voici quelques exemples du corpus:
(6) Il peine encore à se faire aimer par tous les siens (F)
(7) On survit, de la pire manière, pour se faire admirer des autres (FT)
(8) C'est aussi une façon pour les filles de se faire accepter (M)
Bref, les verbes qui se rencontrent le plus souvent dans cette construction syntaxique sont
essentiellement des verbes d’action (agréable ou désagréable) et, plus rarement, des verbes
d’état.
3.1.2. Les rôles sémantiques du S
Comme il a été dit supra, se faire+Vinf implique le plus souvent un « double » rôle
sémantique pour son sujet structural: celui-ci est à la fois patient et responsable (instigateur)
de ce procès. Ce type de rôle est à distinguer de celui de patient dans la construction passive,
défini comme « entité qui subit un changement sous l’effet d’une cause extérieure (agent ou
force ») (Creissels , 2006, T1 : 281), mais n’est pas pour autant l’instigateur ou causateur
(volontaire ou involontaire) du procès. Ceci explique la différence de sens entre (9) et (10)..
En choisissant la forme en se faire+Vinf en (9), le locuteur présente Ted Williams comme
6
Les exemples et les astérisques sont de Kupferman, (1995 : 75).
4
étant à la fois instigateur volontaire et patient. En revanche en (10), la question de la volonté
du sujet n’est plus posée (Tasmowski&Van Oevelen, 1987 : 45) :
(9) [l]a dernière volonté de Ted Williams était de se faire incinérer, pour que ses cendres soient dispersées dans
les Keys (F)
(10) …et si c’était permis, je serais enterré sous le comptoir. (emprunté à Tasmowski & Van Oevelen,
1987 :45)
C’est aussi le cas de (11) la fille se trouve être l’instigatrice de son propre
assassinat, ou de (12) l’attaquant est la cause de son exclusion, ce qui rend le passif très
peu naturel dans ces contextes:
(11) Cette fille est très vilaine, engage un tueur à gages pour se faire assassiner ( ?? être assassinée).
(12) L’attaquant bastiais Florian Maurice a réussi l'exploit de se faire exclure ( ??d’être exclu) du terrain alors
qu'il s'était déjà fait expulser il y a quelques mois. […]. (M)
Cette analyse se heurte pourtant à des cas comme (13), le sujet ne peut, comme le
montre le contexte plus large, être considéré comme étant l’instigateur ou le « responsable »
du procès :
(13) Les derniers de la liste se font écraser par amour (FT)
(13a) Les derniers de la liste sont écrasés par amour.
Les deux formes sont quasi-synonymes. Là, l’explication par le rôle sémantique du S
ne suffit plus. Gaatone (1983 :173) induit le sens de se faire+Vinf de la notion pragmatique de
désagréable qui, selon lui, permettrait de mieux en rendre compte
7
. Il nous semble pourtant
que l’explication par les facteurs pragmatiques devrait être complétée par la dimension
aspectuelle : le locuteur a le choix entre (13) et (13a) en fonction de la manière dont il
envisage le déroulement du procès (passif processif vs passif statif)
8
.
Pour récapituler, dans les cas se faire+Vinf et êtreVé sont interchangeables (avec
des verbes transitifs d’action (désagréable ou agréable)) ou, plus rarement, avec des verbes
d’état, le locuteur choisira être+Vé ou se faire+Vinf en fonction du rôle sémantique qu’il
souhaite « faire endosser » au Sujet des deux constructions : avec être celui-ci est
beaucoup moins agentif que celui de se faire+Vinf qui est à la fois patient et instigateur
(volontaire ou involontaire) du procès exprimé par le Vinf dont les effets reviennent d’une
façon ou d’une autre sur lui-même. Par ailleurs, lorsque le sujet de se faire+Vinf « est
impliqué indépendamment de sa volonté dans un enchnement causal » (François,
2000 :163), c.à.d. que son double rôle (de patient / bénéficiaire et d’instigateur du procès)
n’est pas avéré, des facteurs aspectuels entrent en jeu pour le calcul de la signification de se
faire+Vinf.
3.1.3. La nature sémantique du Sujet (animé vs non-animé)
La difficulté d’analyser le S comme instigateur (ou responsable) du procès apparaît aussi
dans les exemples le S est non animé. Bien que très peu fréquents (moins de 3% des
résultats), ces cas existent dans les corpus:
7
Cf. Gaatone, 1983 :170) :’ « Il est anormal d’admettre qu’un être humain soit l’instigateur volontaire de procès
dont il serait lui-même la victime ».
8
Selon Spang-Hanssen (1967 :141) lorsqu’il s’agit d’actes désagréables ou violents, se faire+Vinf marque l’idée
de processus. Dubois & Lagane 1973 : 169) expliquent aussi la différence entre une phrase passive et une phrase
à verbe pronominal de sens passif par les propriétés aspectuelles: la première exprime des procès achevés, la
seconde des procès en cours.
5
(14) La neige se fait désirer dans certains coins de l'Europe (M).
(15) Les classiques cassettes vidéo VHS sont ainsi sur le point de se faire dépasser par les DVD. (F)
Contrairement à Tasmoswski & Van Oevelen (1987 : 48) qui considèrent que la
construction est incompatible avec un sujet non animé *Son piano s’est fait abimer par les
déménageurs, Kupferman (1995 : 73) montre que dans un contexte générique des phrases de
ce type deviennent tout à fait acceptables: Les pianos se font toujours abimer lors des
déménagements. En Amazonie, des centaines d’arbres se font arracher chaque jour. Il
rapproche ainsi se faire+Vinf en emploi générique au se moyen d’emploi passif (Ce livre se lit
bien).
Ici, ce n’est plus par le rôle sémantique du S (instigateur volontaire ou involontaire du
procès) qu’on peut rendre compte des différentes nuances de sens entre les deux formes,
substituables dans ces contextes. Ce sont, à notre avis, des paramètres aspectuels au service
des visées discursives qui entrent en jeu.. En choisissant la forme se faire+Vinf, le locuteur
présente le procès comme inaccompli (se faire sirer) ou en déroulement (être sur le point),
ce qui est en harmonie avec le profil aspectuel du cette forme, le passif, lui, présentant le plus
souvent le procès comme accompli.
3.2. Se faire+Vinf bitrans
Dans la hiérarchie d’accès des rôles sémantiques à la fonction S (J. François, 2000 :
173), le français, à la différence de l’anglais, ne dispose pas de passif formé sur le c.o.i.
9
La
construction se faire+Vinf permet d’y remédier Lorsque le verbe de la phrase active est un
verbe bitransitif, la construction se faire+Vinf permet de former un passif sur le troisième
actant.
(16) Kim Yong-nam venait d’attribuer une parcelle du pays à M. Yang
A1 A2 A3
(16a) M. Yang venait de se faire attribuer une parcelle du pays par Kim Yong-nam (F)
A1=A3 A2 A3=A1
Ce phénomène relève pleinement de la diathèse qui permet d’en donner une explication
fonctionnelle: le S de la phrase active (Kim Yong-nam) est destitué. Il s’ensuit un
réarrangement des actants : le c.o.i. accède à la fonction S, ce qui permet au locuteur de le
thématiser. Du point de vue des rôles sémantiques, le S est bénéficiaire ou victime du procès.
Les verbes bitransitifs qui entrent dans cette construction appartiennent aux verbes de don
(se faire offrir, attribuer, distribuer, donner, offrir, servir/ravir), de transfert (se faire livrer,
prêter, prélever, remettre, rembourser, restituer, retirer, transmettre), de dire (se faire
annoncer, conseiller, dédicacer, dicter, notifier, raconter, ordonner).
(17) Personne n'a le droit de se faire communiquer les résultats de l'expertise. (M)
(18) Laurent Fabius entend bien ne pas se faire ravir l'image de la gauche moderne. (F)
Avec les verbes bitransitifs, se faire+Vinf n’est plus une variante contextuelle du passif
mais une forme de sens passif, appelé passif complémentaire (Bat-Zeev Shyldkrot, 1999 :67),
du destinataire (J. François, 2000), ou oblique (Creissels, 2006). Se faire est ici un auxiliaire
de diathèse passive (J. François, 2000, 160).
9
Les verbes pardonner et obéir sont une exception. Ils permettent la construction passive, mais le tour avec se
faire+Vinf est beaucoup plus fréquent : se faire pardonner, se faire obéir (cf. aussi Spang-Hansse, 1967 :145).
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