Titre :Démystifier l'influence pour favoriser la participation
Auteur : Dupré Mickaël
Docteur en psychologie sociale
CRPCC-LESTIC (Centre de Recherche en Psychologie, Cognition et Communication - Laboratoire
d’Ergonomie des Systèmes, Traitement de l’Information et Comportement), European University of
Brittany, France
Conflit d'intérêt : aucun
Résumé
Selon la norme internationale ISO 9000 (2005), l'organisation se définit comme un "ensemble de
responsabilités, pouvoirs et relations entre les personnes". Aussi, l'organisation est-elle le cadre de
rapports de force et d'influence incessants entre des entités historiquement hiérarchisées. Plus
précisément, l'influence, traditionnellement considérée comme une force irrepressible, voire
mystique, y est le plus souvent considérée comme l'apanage de quelques-uns. Aussi, l'objectif de
notre article est-il de démystifier les phénomènes d'influence et de mettre en saillance l'utilité de la
favoriser au sein de l'organisation, notamment en situation de changement. Nous reviendrons dans
un premier temps sur l'approche traditionnelle de l'influence, avec notamment les nombreuses
techniques d'influence enseignées en écoles de commerce. Dans un second temps, nous
présenterons un phénomène souvent négligé et qui remet en cause le modèle source --> cible de
l'infuence : l'auto-influence.Nous nous intéressrons dans un troisième temps au processus de
participation qui apporte une vision globalisante de l'influence. Enfin, nous proposerons plusieurs
exemples de conditions favorables à la mise en place de la participation au sein d'une organisation.
mots clés : organisation, changement, influence, participation
Abstract
According to the international standard ISO 9000 (2005), the organization is defined as a "set of
responsibilities, authorities and relationships between people." Also, the organization is space of
incessant balance of power and influence between entities which are historically hierarchized. More
specifically, the influence, traditionally considered as a irrepressible strength, even mystical, is often
seen as the preserve of a few people. Therefore, the objective of this article is to demystify the
influence and salience to the usefulness of promoting it in the organization, particularly in project of
change. At first, We will present the traditional approach of influence, including many influence
techniques which are taught in business schools. In a second step, we will present an overlooked
phenomenon which challenges pattern of infuence “source -> target” : the self-conversion. After
that, we will interest to the participation process which offer a global aspect of influence. Finally,
we will purpose several examples of conditions to the establishment of participation within an
organization conditions.
Key words : organisation, change, influence, participation
« On parle d'influence quand une personne ou un groupe agissent de façon secrète
sur une autre personne ou un autre groupe. Il lui est attribué les caractères de
l'étrangeté parce qu'elle fait irruption dans un autre type de communication auquel
nous sommes habitués, celui l'intentionnalité joue le plus grand rôle. Mais c'est
une erreur d'optique. L'influence ne cesse pas, puisque nous transmettons et
recevons sans discontinuité les signes de nos impressions et de nos affections,
puisque nous participons activement et passivement à chaque instant au réseau
relationnel qui nous individualise » (Roustang, 1990, p.75).
Introduction : la conception classique de l'influence
Classiquement, la notion d’influence est appréhendée sous l’angle de l’unilatéralité. Elle est construite autour
de la distinction entre une source et une cible. D’une part, une source dont la forme fait l’objet de toute
l’attention (sa crédibilité, sa légitimité, sa consistance, etc.) et d'aute part une cible, considérée quant à elle
comme un réceptacle passif et naïf des forces qui s’exercent sur elles. Les phénomènes d’influence sont ainsi
souvent appréhendés par le modèle dichotomique : source cible. L'influence est alors considérée comme
une force, plus ou moins irrépressible, exercée par une entité douée de motivations, de pouvoirs, de savoirs et
de savoir-faire sur une seconde entité, entendue ici comme objet, et dont la caractéristique principale tient
dans son manque de singularité et son incapacité à se prévenir des effets exercés sur elles. Quelques
expériences célèbres, telles que celle de Milgram (1974) sur la soumission à l'autorité, étayent cette idée de
soumission inconditionnelle de l’individu. De nombreuses techniques d'influence et de manipulation ont été
développées par les psychologues sociaux et sont enseignées dans les écoles de commerce et de vente. Le
pied-dans-la-porte nous apprend que formuler une faible requête avant de formuler la requête cible
augmente le taux d'obtention du comportement ciblé. La technique de la porte-au-nez repose en quelque sorte
sur le procédé inverse. Elle consiste à formuler une première requête, trop coûteuse pour être acceptée, avant
de formuler une seconde demande moins coûteuse. Selon un principe de concession réciproque, l'individu
serait plus enclin dans cette condition à accepter de répondre à la seconde requête que si elle lui avait été
formulée directement. On peut encore mentionner les techniques du leurre, du low-ball, ou du « Et ce-n’est-
pas-tout », qui reposent sur une transmission progressive des informations concernant le comportement
attendu.
Plusieurs techniques sémantiques ont également été développées. La technique du « vous êtes libre de ... » ()
consiste à verbaliser la liberté de l'individu d'accepter ou non de répondre positivement à la requête. Les
expériences ont montré que, paradoxalement, la simple évocation de la liberté augmentait le taux de réponse
positive, et donc la soumission. Le Pied-dans-la-Bouche repose sur la formulation du simple « comment
allez-vous ? » et dont le rituel social est d'y répondre favorablement par : « je vais bien », « ça va », etc. La
subtilité de cette technique consiste à souligner cette réponse par : « heureux de l’entendre ». Ici, l’écho de la
réponse rend saillante la position de l'individu, ce qui aura pour conséquence de favoriser l'adoption d'un
comportement consistant avec cette réponse. L'individu aura donc tendance à répondre plus facilement
favorablement à la requête formulée. Outre la parole, le toucher a également été étudié dans le cadre du
développement des techniques d'influence. Ainsi, il a été mis en évidence que toucher la main, l'épaule ou
l'avant-bras de son interlocuteur durant quelques secondes favorisait l'apparition de comportements solidaires
à son égard.
L'ensemble de ces techniques a en commun de s'intéresser à l'influence sous une perspective
unidirectionnelle : d'une source vers une cible. Ce faisant, elles illustrent une servile soumission arbitraire
l’individu s’évanouit pour devenir un agent, passif, dénué de toute originalité, et terriblement
interchangeable. Aussi, en ne considérant que l’influence exercée sur la cible, cette perspective a « conduit à
l’élaboration de théories ad hoc, mais toujours incomplètes » puisqu’elle néglige « un autre ensemble de
faits » (Laurens, 2007, p.5).
1. Remise en question du modèle classique : l'auto-influence
En effet, une expérience réalisée par Laurens et Moscovici (2005) montre comment un influenceur
peut s'influencer lui-même. Dans cette expérience, les participants étaient exposés, par groupes de
trois, à une série de diapositives de couleur bleue. Ils devaient pour chacune d'elles dire à haute voix
si la diapositive était verte ou bleue. Les expérimentateurs avaient dans chaque groupe un complice.
C'est-à-dire un participant auquel ils avaient donné la consigne de fournir de fausses réponses
(répondre «vert») afin de voir si ses réponses allaient influencer les réponses des deux autres
participants. Laurens et Moscovici ont observé que les compères étaient eux-mêmes influencés et
« (…) qu'au bout d’un moment, ils finissaient par voir la diapositive de la couleur dont ils étaient
chargés de la désigner aux sujets naïfs : au début ils la voyaient bleue, mais ensuite, ils finissaient
par la voir verte ! » (Laurens et Moscovici, 2005). Un individu qui tenterait d’influencer ou de
convertir un second individu pourrait donc s’influencer ou se convertir soi-même.
Ces chercheurs n'ont fait que confirmer expérimentalement une observation faite par Barker (1983)
auprès des membres de la secte Moon. Il avait en effet observé que la propagande a une influence
sur le prosélyte lui-même : les membres de l’organisation recrutent de nouveaux membres en
accostant les passants dans la rue. Ces derniers sont dans un premier temps invités à visiter le site de
la fondation. A l’issue de cette visite, un séminaire de deux jours leur est proposé, puis à l’issue de
celui-ci, un séminaire de sept jours, et enfin, un dernier de vingt-et-un jours. Barker observe la
présence quatre ans plus tard de quarante membres parmi les 1017 personnes ayant commencé le
premier séminaire, et parmi les bien plus nombreuses personnes encore, rencontrées dans la rue. La
stratégie développée par la secte n’apparait pas pertinente en termes de recrutement. Elle trouve en
fait son efficacité dans le renforcement de l’adhésion de ses membres. L’énergie dépensée par les
membres de la secte à essayer de convaincre des personnes à adhérer renforce finalement leur
propre adhésion. On sait plus généralement que plus un individu argumente en faveur d’une opinion
et plus il radicalise dans le sens de son discours, et ce, qu'il soit initialement en accord ou en
désaccord avec l'idée qu'il a à défendre. C'est ni plus ni moins ce phénomène que l'on peut observer
auprès de commerciaux qui après quelques mois d'activité sont convaincus que l'offre qu'il propose
est meilleure que l'offre concurrente.
Ces observations conteste donc la relation source cible et incitent à reconsidérer les phénomènes
d'influence sous un autre angle.
2. L'approche globale de l'influence : la participation
« Toute liaison sociale consiste en un processus d’influence de l’un sur
l’autre, d’orientation de l’un envers l’autre » (Watier, 2002, p.78).
L’influence nécessite en effet d'être considérée comme un processus essentiel à toute transaction.
Elle s'exerce dans la réciprocité, dans un espace d’échange permanent et non aliénant. En situation
de coprésence, les différentes parties participent en effet d’un système, interagissent et s’influencent
réciproquement ; nul élément, quelque soit son niveau d’élaboration, ne peut s’exclure ou être exclu
des jeux d’influence qui définissent l'environnement, duquel chacun participe. L’individu est
inexorablement enchevêtré dans des dialectiques incessantes avec l’extérieur et « ... société et
individualité ne sont pas deux réalités séparées s'ajustant l'une à l'autre, mais il y a un ambi-système
où complémentairement et contradictoirement individu et société sont constitutifs l'un de l'autre tout
en se parasitant l'un l'autre » (Morin, 1973, p.45). Chaque personne prend ainsi part à l’élaboration
des normes sociales qui reposent sur les « transactions passées et présentes entre individus et
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