un secrétaire de faculté talentueux : bonaventure laurens (1801

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ACADEMIE DES SCIENCES ET LETTRES
DE MONTPELLIER
Séance du 16/11/1998
Conf. n°556, Bull. 29, pp. 253-275 (1999)
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Par le professeur H. Bonnet
Aquarelle de Bonaventure Laurens (Bibliothèque Inguimbertine de Carpentras)
Etonnant fut le personnage! Doué de tous les dons artistiques ou presque, il laissera à la
postérité des milliers de dessins et d'aquarelles ainsi qu'une fabuleuse bibliothèque musicale
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qu'il léguera à sa ville natale Carpentras. Successivement commis à la recette principale de
Montpellier puis secrétaire-agent comptable de la Faculté de médecine, il passera sa vie
professionnelle et sa longue retraite dans notre ville, séduite tout autant par ses talents que
par son extravagante originalité.
Et cependant, qui se souvient de lui ? Hormis en de fugitives circonstances, son
nom même n'est plus prononcé. Ni en cette Académie il siégea dès sa fondation, ni à la
Faculté de médecine son empreinte a quasiment disparu, ni dans la cité qui ne lui a pas
consacré un nom de rue, fut-elle de rang modeste. Alors, à titre de réparation pour tant
d'oublis, qu'il nous soit permis de ressusciter un instant sa mémoire.
BIOGRAPHIE
Bonaventure Laurens (B.L. en abréviation) ou plus exactement Jean-Joseph-
Bonaventure L. naquit à Carpentras le 14 juillet 1801. De son brillant passé, l'ancienne
capitale du Comtat venaissin gardait alors son enceinte fortifiée, aujourd'hui disparue, la
célèbre cathédrale Saint-Siffrein et les bâtiments édifiés au 18ème siècle par son fastueux
prélat Monseigneur Malachie d'Inguimbert (dont une magnifique bibliothèque devenue
municipale).
Les parents de Bonaventure étaient d'extraction modeste. Le grand-père
paternel avait tenu une auberge sans prétention et son père Louis, personnage fantasque et
falot, exercera sans se fixer une vingtaine de métiers; mais, passionné de musique, il
terminera son existence comme organiste de la cathédrale. De ce père sans relief,
Bonaventure ne parlera que rarement dans ses lettres, mais à ses frères et soeurs il faisait de
lui cet étrange compliment: «Nous devons à notre père un incontestable capital, le plus
productif de tous, la pauvreté... lorsqu'elle fait travailler, acquérir des goûts distingués… et
une vraie considération ». La mère, Marguerite Garcin, d'origine paysanne, fut une brave
épouse soumise aux tâches domestiques. D'une extrême dévotion, elle croyait aux
interventions du Ciel, aux revenants et prétendait avoir rencontré plusieurs fois la Sainte
Vierge dans la campagne des alentours.
Le couple eut cinq enfants, trois garçons et deux filles, Bonaventure étant aîné,
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suivi par Théophile (futur professeur de musique) puis par les deux filles Thérèse et Louise,
corsetières de leur état, et enfin par Jules, le tardillon 25 ans après son vieux frère qui le
considéra toujours comme son fils. Dans son enfance, Jules n'avait jamais su prononcer
correctement le mot pomme, son fruit préféré: il disait « pémé ». Dès lors presque toutes les
lettres de Bonaventure à son jeune frère commenceront par ces mots: «Mon cher Pémé ».
Jules Laurens deviendra plus tard un peintre-dessinateur qui connut la célébrité, grâce
notamment à son œuvre picturale sur le Moyen-Orient où, dans sa jeunesse, il avait séjourné
plusieurs années. Ecrivain à ses heures, il laissera de nombreux ouvrages en français - mais
aussi en provençal - dont La Légende des ateliers et la biographie "monumentale" (600
pages !) de son frère, dont nous reparlerons avec plus de détails.
L'âge venu, les parents envoient Bonaventure à l'une des écoles de la cité mais
sont bientôt obligés de le retirer compte tenu de son désintérêt flagrant pour les études. Ils lui
assureront, en privé, quelques rudiments d'instruction, un bien maigre bagage culturel!
A 17 ans le jeune homme entre dans la vie active comme employé à la sous-
préfecture de Carpentras, au salaire de 12 francs par mois. Vers la même époque il rencontre
des personnages qui vont influencer son avenir: Augustin Anrès, dit « le Philosophe », qui lui
fait découvrir J.J. Rousseau; le botaniste Requien qui lui inculque à son tour le goût de la
nature; et surtout le dynamique cavaillonnais François Costil-Blaze, futur critique musical au
Journal des Débats, qui deviendra plus tard son ami. A leur contact il acquiert un esprit
libéral, voltairien, antimilitariste et antibonapartiste, résolument « républicain », émancipé de
toute contrainte religieuse.
Mais l'essentiel est ailleurs. Sous l'influence de son père et de quelques artistes
carpentrassiens impressionnés par ses dons, Bonaventure développe ses aptitudes à l'égard
du dessin et de la musique. Dès l'adolescence il crayonne sans arrêt, accumulant portraits et
paysages. Et dans le même temps il apprend à jouer de la plupart des instruments de
musique, qu'ils soient à corde (violon, violoncelle), à clavier (piano, orgue) ou même à vent
(clarinette, ocarina).
Bien plus tard il effectue un voyage à Paris (14 mars - 7 juin 1825) afin
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d'approfondir ses connaissances artistiques. Son frère Jules racontera ce voyage épique au
cours duquel, à l'aller, il faillit mourir de froid sur l'impériale de la diligence, la seule place en
rapport avec son maigre gousset. Et à Paris, surtout grâce à l'entremise de son compère F.
Costil-Blaze, il se faufile un peu partout, dans les ateliers à la mode, au Louvre, à l'Académie
des Beaux-arts, dans les salles de concert.
Bonaventure Laurens, autoportrait (Bibliothèque Inguimbertine de Carpentras)
En 1829, âgé de 28 ans, il quitte à regret Carpentras pour s'établir
définitivement à Montpellier. Dans un premier temps il occupe les fonctions de premier
commis à la recette principale de la ville alors dirigée par le père d'Auguste Comte. Dans une
de ses lettres (août 1882) il rappellera avec humour sa présentation aux membres de ce
bureau, ébahis à la vue de cet étrange comptable accompagné de femme et enfant et déjà
drôlement accoutré! Ses qualités professionnelles imposeront bientôt le respect de tous.
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Quelques années plus tard, il est nommé agent-comptable de la Faculté de
médecine (arrêté du 26 mars 1835) et peu après secrétaire – agent - comptable (arrêté du 20
avril 1835). « Du coup, confirme son frère Jules, son existence prit un développement
décuplé... en rapport avec un traitement plus élevé... (et) la progression de son niveau
social). Il est de plus logé dans l'établissement, occupant avec sa famille un appartement de
plusieurs pièces au dernier étage de la Faculté (actuellement salles des archives).
Relativement au large, il aménage un atelier de peinture et de musique dans un local
pittoresque dont l'un des murs est agrémenté d'anciens mâchicoulis et d'ouvertures
médiévales. C'est en ces lieux qu'il recevra Franz Liszt en 1844.
B.L. administra la Faculté de médecine pendant 32 ans. Il le fit avec application,
autant qu'on puisse en juger d'après les documents de l'époque (Procès verbaux des
Conseils). Mais, fait assez mal expliqué, il ne manifesta jamais de sympathie excessive
envers l'Institution qu'il gérait ni envers ses représentants. Seuls trouvèrent grâce à ses yeux:
Antoine Dugès Il était mon ami et je viens de le perdre») ; le chimiste Jacques-Etienne
Bérard; le botaniste Charles Martins ; Etienne Frédéric Bouisson, futur doyen; mais surtout le
chirurgien Amédée Courty. La retraite interrompra ces amitiés fragiles.
Bonaventure fut admis à faire valoir ses droits à une pension de retraite le 25
septembre 1867. Les adieux à la Faculté furent sobres sinon froids. Le procès verbal du
Conseil en date du 24 mars 1868, présidé par le doyen J.E. Bérard, mentionne « que lecture
a été faite d'une lettre par laquelle M. Laurens exprime ses vifs regrets de voir cesser ses
rapports avec ces hommes si distingués... » Et qu'en réponse le professeur Isidore Dumas «
touché de la démarche de M. Laurens... propose (pour lui) le titre de secrétaire honoraire de
la Faculté ».. On ne sait ce qu'il advint de ces propositions.
La vie professionnelle terminée, Bonaventure aurait pu revenir en sa chère ville
de Carpentras. Il n'en fit rien et demeura à Montpellier. Il habitera dès lors à deux pas du
Jardin des Plantes dans une maison avec jardinet qu'il avait achetée tout en haut de la rue du
Faubourg Saint-Jaumes (au 7 de l'emplacement actuel), entre celle-ci et la rue du Carré du
Roi (n°8). Cet endroit était à l'époque traversé par la ruelle Cusson (aujourd'hui fermée) sur
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