PARTAGE DE MON EXPERIENCE SUR UN SUIVI D’ENFANTS EN SURPOIDS Ma profession de kiné (soigner par le mouvement) et ma formation en ostéopathie (rendre le mouvement et soigner les causes) m’oblige depuis longtemps à me confronter aux problèmes du surpoids et de la sédentarité d’une manière plus générale. Ces 2 phénomènes ont un impact très important entre autre sur l’appareil locomoteur. Ils usent prématurément les articulations portantes (parce que trop de pression), limitent l’amplitude articulaire (dos hanches genou principalement), et par ce fait réduisent la masse musculaire et le métabolisme (graisse sucre). La revalidation s’en trouve bien entendu ralentie ou limitée (remise au travail reportée) et les pertes de mobilité sont plus fréquentes et plus difficiles à normaliser. L’autonomie de la personne et sa santé en général s’en trouvent également affectées avec une propension plus importante à développer certaines pathologies. Le même problème au niveau des enfants m’a encore beaucoup plus touché, car ces mêmes affections peuvent devenir exponentielles (ado de 17 ans obèse avec de l’arthrose lombaire). L’impact du phénomène se reporte souvent sur le reste de leur vie et ce à tous les niveaux. Via les associations sportives dont j’ai fait partie, j’ai également pu constater le rôle important de l’activité physique sur la santé (mentale et physique) Le sport est en plus une école de vie fantastique pour nos jeunes. Mon épouse et moi avons donc un jour décidé de nous pencher sur le surpoids des enfants en proposant un module pour ce type d’enfants. Nous l’avons peaufiné de manière à mettre au service de l’enfant et de sa famille une infrastructure et une équipe pluridisciplinaire intervenant à différents niveaux dans la problématique du surpoids : le niveau sportif – le niveau diététique – le niveau psychologique. Sur une durée de trois mois, il allie à la fois des prises en charges individuelles et des séances collectives. Le volet sportif insiste sur l’importance de la dépense physique, surtout à travers les sports d’endurance, mais aussi sur les autres effets positifs du sport sur la santé physique et psychique. Des évaluations spirométriques (test à l’effort) déterminent la situation de départ et l’évolution. Le volet diététique évalue dans un premier temps, les habitudes alimentaires de l’enfant et de sa famille et propose des conseils adaptés. Il permet aussi de suivre l’évolution du poids, de la taille et de la mesure des périmètres. Lors des séances de groupes, les échanges, les informations, les jeux, les activités pratiques…ont pour but de développer une prise de conscience, de tenter d’acquérir de bons reflexes alimentaires, de leur faire reprendre ou prendre goût à l’exercice, à une alimentation saine et à toutes ces bonnes choses de la vie que notre société de consommation nous a fait tout doucement oublier. Le volet psychologique aborde les difficultés de l’enfant et lui apporte un soutien à sa démarche, mais il ne s’agit pas ici d’une prise en charge thérapeutique. Un échange équipe – parents – enfants est également prévu en début et en fin de module. L’enfant reçoit une farde que nous avons appelé « carnet de route » qui se complète au fil du temps, par des infos, par des contrats avec l’enfant et ses parents, par des notes d’échanges, par les grilles repas et sportives que l’enfant et ou les parents doivent compléter quotidiennement, par des tableaux d’évaluations, par le régime établi, par les activités de groupe, par des recettes, le calendrier des différents rencontres,… Le travail était à vrai dire énorme il a fallu porter le projet : rechercher des partenaires motivés, des outils de travail, de la publicité, des pistes de financement (que nous n’avons pas trouvé)… L’inscription à un module nécessite un véritable engagement de l’enfant et de sa famille et représente un coût (même si démocratique par rapport à l’encadrement) que certaines familles ne savent pas supporter. Nous avons été confrontés à plusieurs problèmes…les absences, les abandons, le découragement car bien sûr il ne suffit pas de s’y mettre pour fondre comme neige au soleil, il faut du temps de la persévérance et bcp bcp de courage. La collaboration des parents n’était pas non plus toujours évidente… Ils n avaient pas tous la volonté suffisante d’être des partenaires actifs (achats appropriés, menus et préparations ad hoc, conduire les enfants aux activités, aider à la tenue du carnet de route…) Parfois aussi, l’enfant mangeait correctement pendant la semaine chez maman et se gavait le WE chez papa ou inversement, la grand-mère faisait manger le fifi sans aucune limite pour avoir la paix, le repas scolaire de midi était composé de frites fricadelles avec mayo SVP, le cours de gym était une corvée… Nous avions constitué des petits groupes pour bien les encadrer (8 à 10 enfants). Malgré les abandons en cours de route nous avons poursuivit le projet au-delà d’un minimum de rentabilité…les prix demandés au départ était déjà très démocratiques et il était impossible de payer notre temps et le temps des autres prestataires. Nous n’avons donc pas pu poursuivre notre programme. En attendant j’espère que les horizons s’élargissent dans ce domaine, j’ai repris maintenant depuis quelques semaines, le projet d’une manière plus modeste en m’occupant des enfants individuellement au niveau physique (à signaler que le traitement du surpoids des enfants n’est pas une vraie pathologie et n’est donc pas remboursé en soins kiné par ex) tout en essayant de conscientiser la famille sur les problèmes sous jacents et de relayer vers d’autres thérapeutes. La prise en charge individuelle donne la possibilité de proposer un programme personnalisé, donc plus adéquat au degré de surpoids, et de permettre d’évoluer progressivement au rythme de chacun. Elle permet aussi d’établir une relation de confiance et un dialogue pour entrevoir la situation avec plus de lucidité et maintenir une vigilance. Les centres pluridisciplinaires ont l’avantage de simplifier les démarches des parents et devraient idéalement envisager une prise en charge globale. Mais est ce toujours le cas ? Les structures multidisciplinaires dans les hôpitaux tiennent très peu compte de l’activité physique. L’association d’une prise en charge individuelle combinée à des activités en groupe me parait être une formule plus porteuse pour autant d’avoir les moyens de l’organiser. La sédentarité et le surpoids sont des problèmes de société bien difficile à endiguer, car il faudrait aller à l’encontre du courant actuel et revenir à des comportements plus sains. Notre ancêtre il y à 10000 ans avec le même génome consommait 700 Kilo calories par jour de plus que nous et ce simplement pour survivre, alors qu’actuellement, nous ne devons même plus faire d’effort pour répondre à nos besoins vitaux. Pour remédier à cette tendance, c’est déjà dès la petite enfance (voire même pendant la grossesse) que je pense qu’il faut toucher les parents. Ensuite, l’acteur principal après la famille devrait sans doute être l’école. Elle pourrait jouer un rôle éducatif et préventif plus conséquent dans ce domaine. Le dialogue et la collaboration école - famille est très importante (via l’enseignant titulaire, le prof de gym, le PMS…). Le surpoids s’installe parfois insidieusement, les proches ne s’en rendent plus vraiment compte, sous-estiment la situation, et peuvent avoir besoin d’aide. Les écoles devraient pouvoir se permettre d’attacher plus d’importance aux activités physiques et les adapter à nos jeunes (ils n’ont plus l’endurance naturelle d’avant l’ordi et le GSM). Certains éducateurs sportifs passent à leurs yeux d’avantage pour des tortionnaires que pour des éducateurs de santé. Le temps consacré à ce cour devrait être considérablement augmenté (1 heure d’activité par jour me semble un minimum.). Les cantines d’école ont encore bien du chemin à faire et l’éducation alimentaire devrait se décliner au quotidien dans tous les établissements. Ensuite vient le corps médical et paramédical … N’est t’il pas un peu absurde de vouloir s’acharner à traiter le symptôme sans soigner la cause (une mère m’a dit un jour « il a mal au dos mais ne lui dites pas qu’il est trop gros il n’en peut rien ») Bien sûr qu’il faut soulager quand c’est possible, mais couper le signal d’alarme qu’est la douleur sans rien envisager d’autre, entraine souvent le patient dans des lésions différentes ou récidivantes qui deviennent difficile à traiter. On ne fait que déplacer le problème Le surpoids n’étant pas reconnu comme une pathologie, le thérapeute va pouvoir alerter son patient mais n’aura pas toujours le temps ou les compétences pour aller plus loin. Même si, par exemple, certains chirurgiens orthopédistes exigent de leurs patients qu’ils perdent du poids avant de leur placer une PTH ou une PTG pourront-ils ensuite poursuivre leur influence ? Donner des moyens aux clubs sportifs me parait aussi indispensable : Former les entraineurs doit être une priorité absolue dans le domaine du sport. La physiologie est une discipline complexe qui requiert un minimum de connaissance pour éduquer l’enfant du 21 ème siècle et lui faire redécouvrir les bons gestes, les bonnes intensités, les bonnes cadences ... L’endurance auparavant naturelle a disparu il faudrait l’introduire dans bcp de sports pour éviter les abandons, les blessures musculaires et /ou articulaires, ou les épuisements rapides du jeune sportifs. N’oublions pas que l’endurance, c’est : « longtemps et doucement ». Dans un monde qui va trop vite, ce message n’est pas facile à transmettre. Dans le domaine du sport un gros effort doit également être produit au niveau des infrastructures. Une piscine coûte certes très cher à la communauté mais quel outil magnifique pour traiter un enfant obèse. Libéré de toutes ses pressions il pourrait s’exercer sans abimer ses genoux ses hanches ou son dos, qui par contre souffriraient d’un entrainement « terrestre » trop agressif. Notre système de soins de santé aurait tout à gagner à agir en amont de ce fléau plutôt que de devoir par la suite consacrer une bonne part de son budget à essayer de soigner, le rhumatisme dégénératif, les AVC, le diabète, les séquelles d’infarctus, les cancers du colon par ex pour ne citer que les plus fréquents. Sans compter les prises en charges qui en découlent. Mais comment arriver à conscientiser tous les partenaires ? Faire « un peu » de sport est insuffisant. Une pratique régulière est indispensable pour garder un métabolisme normal et à fortiori quand on suit un régime. Un régime sans sport et trop restrictif entraîne souvent ce que l’on appelle le phénomène du yoyo. Si je perds du poids, je perds aussi une partie de ma masse musculaire du moins si je ne l’entretiens pas. Un régime trop restrictif entraîne souvent une boulimie compensatoire et si je reprends du poids, je ne reprends que de la masse graisseuse. Le rapport masse musc/masse graisseuse s’en trouve altéré et le régime suivant va devenir plus difficile car ce sont les muscles qui aident à bruler les graisses. Un sportif au repos consomme plus de calories qu’une personne sédentaire de même profil. En conclusion la prévention reste le maitre mot dans le domaine du surpoids et plus spécialement chez les enfants déjà en bas âge. Il faut les habituer au plus tôt à manger sain, à faire bouger leur corps et à en avoir du plaisir. Je considère qu’il faut donner des moyens à la petite enfance, aux écoles, aux associations sportives, aux centres pluridisciplinaires… Des moyens matériels biens sûr, en réalisant par exemple des infrastructures adaptées au surpoids (partenariat privé /public) et en améliorant les infrastructures existantes. Nous avons encore dans notre province des clubs qui vivotent avec des locaux quasi insalubres et des terrains ressemblant à des champs de pomme de terre…difficile dans ces conditions d’attirer la jeunesse. Certains clubs dépendent du bon vouloir d’une école et peuvent du jour au lendemain se retrouver à la rue. Des moyens d’encadrement également. J’admire bcp les bénévoles qui consacrent du temps à ces clubs, mais l’éducateur sportif doit également posséder des bases physiologiques solides si on ne veut pas faire pire que bien. Les professeurs d’éducations physiques et les kinés (les premiers intervenants potentiels) doivent être formés, avec à l’esprit, cette nouvelle dimension qu’est la sédentarisation et le surpoids de nos jeunes. Il faut dans ce domaine pouvoir accompagner avec bcp de souplesse et surtout ne jamais croire que la partie est gagnée. Merci de votre attention. JP JUPRELLE