A Notre-Dame de France

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A Notre-Dame de France
La politique française
"regnum Galliæ, regnum
Mariæ"
Ps 126 1 : " Si Dieu ne bâtit pas la cité,
ceux qui la bâtissent travaillent en vain "
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Nous voulons qu'il règne ! A Dieu toute gloire !
Tous, avec Pierre, à Jésus, par Marie !...
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Mes ultimes citations
La Cathédrale effondrée, les Cahiers de l'Ordre Français, Henri Massis, Pierre
Debray et Louis Daménie, 1er Cahier, 1962, avant-propos de l'Ordre Français,
pages 5-9 :
" Depuis un siècle et demi, la France était semblable à une cathédrale, dont la
Révolution, comme une foudre, aurait détruit le faite. Le noble édifice,
désormais découronné, s'ouvrait, par ce grand vide, à toutes les bourrasques de
l'histoire. La France était devenue un corps privé de tête, le roi ; dépouillé de son
âme, Dieu.
" Les murs cependant demeuraient intacts, d'apparence, soutenus par ces arcsboutants qu'étaient l'Eglise, l'Armée, la Justice, l'Administration. Les Français
devenaient sans doute stupides, lorsqu'ils se rendaient aux urnes, mais le reste du
temps, ils continuaient de pratiquer les antiques vertus. L'existence qu'ils
menaient dans leur métier, dans leur commune, dans leur famille, était réglée,
comme avant 1789, par les traditions domestiques. L'artisan, le commerçant, la
paysan, l'ouvrier conservaient le trésor de leur honneur, le patrimoine de leurs
fidélités. Ceux-là mêmes qui se déclaraient pacifistes les jours d'élection se
précipitaient aux frontières dès que le tocsin sonnait, pour annoncer que la patrie
était en danger.
" Pourtant, le libéralisme privait de leurs protections corporatives les
travailleurs des fabriques, des mines, et la première révolution industrielle
se développait dans l'anarchie. Par centaines de milliers, les hommes, les
femmes, les enfants étaient arrachés à la terre, et parqués dans les faubourgs sururbains. Ainsi se constituait une gigantesque armée de déracinés, qui
campaient aux abords de la cité, soumis à l'obsession du chômage, ne
possédant rien que leurs bras nus, menant l'existence la plus incertaine et la
plus précaire. Le sort des serfs était certes plus enviable que le leur, que le
seigneur, du moins, ne pouvait pas priver de la glèbe. Et, même celui des
esclaves, que son intérêt bien compris interdisait au maître de priver de
nourriture.
" La bourgeoisie libérale inscrivait la liberté, l'égalité, la fraternité au
fronton des monuments publics. Quelle liberté laissait-elle à ces malheureux,
sinon celle de mourir de faim, lorsque survenait, avec une effrayante régularité,
l'une de ces crises cycliques qui scandaient les progrès de l'industrie ? Alors que
les puissances d'argent gouvernaient, l'égalité faisait figure de dérision. La
fraternité devenait une insulte pour ces masses affamées et désespérées, dont les
insurrections étaient sauvagement réprimées. Aucun régime moins que la
république bourgeoise n'a été avare du sang ouvrier.
" C'était jeter le prolétariat dans les bras subversifs, plus rigoureux encore
que les premiers, puisqu'ils prétendaient faire passer les principes
démocratiques de l'abstraction politique dans la réalité sociale. Comment
n'aurait-il pas été internationaliste ? On lui refusait sa place dans la nation. Il ne
faisait d'ailleurs qu'imiter le capitalisme apatride. Comment n'aurait-il pas
été anti-clérical ? M. Thiers, athée notoire et massacreur exemplaire, ne
prétendait-il pas employer le clergé comme une gendarmerie supplémentaire ?
" Pourtant, le prolétariat avait trouvé, parmi les élites catholiques et
monarchistes, des dévouements et des protections. De grandes voix
s'élevaient dans le pays qui proposaient des remèdes à ses maux. Pour éviter
qu'elles soient entendues, les républicains usèrent de la diversion anticléricale
[rien de bien nouveau]. Ce qui présentaient, pour eux, deux avantages : d'une
part, ils mystifiaient le peuple, le détournant du catholicisme social, d'autre part,
ils reprenaient l'entreprise de déchristianisation arrêtée par le Concordat
napoléonien. L'égoïsme, l'avarice, la dureté de cœur du personnel
républicain s'additionnaient ainsi de ses préjugés idéologiques pour
empêcher la réforme de la société industrielle. En définitive, le dogme qui
veut qu'il n'y ait pas d'ennemi à gauche le portait à préférer la révolution
socialiste, qui du moins participait, comme lui, de la subversion [qui n'a pas
compris cette logique de la Révolution qui est proprement satanique ? ].
" Néanmoins, la résistance des grands contre-révolutionnaires du début du siècle
parvint longtemps à sauver l'essentiel. Il fallut, pour venir à bout des structures
traditionnelles, le double coup d'accélérateur du gaullisme, celui de 1944 et celui
de 1958. Désormais, les arcs-boutants sont fissurés, ébranlés, parfois
démantelés. L'Eglise de France ? On mesure aujourd'hui les conséquences de la
condamnation de l' " Action Française ", que beaucoup prirent, sur le moment,
pour un acte simplement politique. Les prêtres sillonnistes s'introduisirent
dans les grands séminaires, les militants démocrates colonisèrent l'action
catholique et les syndicats chrétiens. Eux-mêmes considèrent, maintenant,
avec effroi leur postérité progressiste. L'Armée ? Le corps des officiers a été
disloqué, recru d'humiliations, de répressions, de reniements. Les meilleurs de
ses chefs ont été jetés en prison, contraints à l'exil, envoyés dans de lointaines
garnisons. Sous prétexte de préparer une guerre atomique, on met en place une
armée de robots. La Justice ? Il n'y a plus d'autre droit que l'arbitraire d'une
volonté particulière. L'Administration ? Elle se bureaucratise. On pousse aux
postes les plus élevés de sa hiérarchie les hommes imbus de l'idéologie
technocratique [et animés de naturalisme].
" Il n'y a plus d'esprit public. Tout ce qui conserve, dans la société, une position
indépendante est, méthodiquement, soumis aux contraintes étatiques. Tout ce
qui garde la volonté d'entreprendre se voit découragé par système. Une
politique de centralisation abolit ce qui restait des libertés communales,
remplace partout le responsable par le gestionnaire, intervient jusque dans
les familles pour disputer aux parents le choix de l'éducation et de
l'orientation des enfants. En même temps que les institutions sclérosent,
étouffent les cellules vivantes, les mœurs se dégradent. La grande presse,
spéculant sur la bassesse de l'âme, exploite tous les scandales et toutes les
immoralités.
" Dans ces conditions, nous ne saurions purement et simplement reprendre les
analyses de nos maîtres, car celles-ci datent d'une époque où la société
demeurait saine, si l'Etat était corrompu. Ils opposaient le pays réel au pays
légal, le même pays d'ailleurs, mais pris soit dans son abstraction démocratique,
soit dans son expression concrète. Au moment où cette distinction passe dans le
langage courant, elle tend à perdre sa valeur, puisque la société s'étatise à
mesure que l'Etat se socialise. Il n'y a pratiquement plus d'activité qui ne soit de
quelque manière contrôlée, réglementée, et à la limite, commandée par la
bureaucratie dirigeante.
" De même, nos maîtres estimaient que, pour empêcher la ruine de la cathédrale,
il suffisait de restaurer la clef de voûte. S'ils y étaient parvenus, tout aurait été,
effectivement, sauvé. Ce ne fut pas. Comment jeter une clef de voûte sur une
ruine ? Elle s'effondrerait avec elle. Il ne subsiste plus que les fondations, que le
dessein général de l'édifice. La France ressemble à ces cités antiques, Glanum ou
Amporia, que le barbare a rasées au sol, mais dont on retrouve, en creusant, le
plan, inscrit dans la pierre.
" Il faut nous contenter, pour l'heure, de jeter sur le chantier une bâche de
fortune, et travailler humblement, en partant du bas, de ce qui demeure, qui n'est
pas beaucoup. Nous avons à reconstruire la société en même temps que l'Etat.
Cette double tâche pose des problèmes nouveaux.
" La fidélité à nos maîtres commandes de nous attacher à leur méthode,
l'empirisme organisateur, plutôt qu'aux résultats contingents qu'ils ont obtenus,
par l'usage, d'ailleurs correct en son temps, de cette méthode. Nous n'avons pas à
les répéter, scolairement, en mauvais élèves, mais à les imiter. Etre empirique,
cela consiste à constater que le temps fait son œuvre. Pour le pire, comme pour
le meilleur. Etre organisateur, cela consiste à partir de ce qui existe, afin d'en
conserver les formes et de les projeter dans un avenir qu'il nous appartient
d'inventer.
" Les cinq essais [d'Henri Massis, de Pierre Debray et de Louis Daménie]
reproduits dans cet ouvrage étudient successivement la crise de la civilisation
chrétienne, la subversion du droit, le rôle de l'Etat, les conditions de l'unité
française, les problèmes de la légalité et de la légitimité. Ce sont donc autant de
jalons qui indiquent la direction dans laquelle doit s'engager une réflexion
politique qui vise à restaurer la cathédrale effondrée dans sa splendeur primitive
[S. Pie X : " Instaurer et restaurer sans cesse la civilisation chrétienne sur ses
fondements naturels et divins "], en l'enrichissant de l'effort créateur de
l'homme du XXe siècle [présentement du XXIe siècle], ainsi que le firent tous les
siècles qui précédèrent le nôtre.
" L'ORDRE FRANÇAIS "
Louis Daménie, La Cathédrale effondrée, les Cahiers de l'Ordre Français, 1er
Cahier, 1962, "Légitimité et légalité", pages 81, 82, 83, 86-88, 90, 91, 92, 94-95
:
" Légitime, légal : s'il existe deux mots pour exprimer la notion générale de
conformité à la loi, c'est bien qu'ils en traduisent des aspects différents. Il y
a en effet lois et lois : celles que les hommes fabriquent à leur guise, et celles
dont l'homme n'est pas maître, qui s'imposent à lui parce qu'elles sont les lois de
sa nature ou de sa vocation. Est légitime ce qui se rapportent à celles-ci, légal ce
qui se rapporte à celles-là. Les lois de la nature et de la civilisation sont
intangibles. Vis-à-vis d'elles, l'homme n'a qu'un pouvoir, mais qui ne les affecte
pas, celui de les reconnaître ou de les nier. Mais, suivant celle des deux attitudes
qu'il adopte quand il légifère, il établit une légalité légitime ou illégitime.
" [...] La pérennité des institutions est un facteur essentiel de leur légitimité,
d'abord parce qu'elle leur permet de parvenir progressivement et sans heurts à
leur pleine efficacité, ensuite parce que le temps est en lui-même une épreuve. Il
se conçoit mal qu'un gouvernement dure sans que des services aient été rendus,
sinon ou le mécontentement à la longue l'aurait renversé, ou le pays aurait
décliné puis disparu. Par ailleurs, l'ancienneté crée des racines qui augurent de la
stabilité de l'avenir. La pérennité exige que les hommes puissent se rapporter à
des règles précises, d'où le besoin de codifier ce que l'usage a suggéré. La
légalité est donc un soutien et un prolongement de la légitimité, mais en
aucun cas elle ne saurait la conférer, et, quand elle règle les modalités d'un
Pouvoir illégitime, elle n'est que la complice du désordre. C'est une
bouffonnerie que de voir des juristes vouloir trancher de la légitimité au
moyen des ressources de leur art, autant s'en aller acheter chez le
pharmacien les vérités philosophiques.
" [...] L'homme ne pouvant vivre qu'en société et la société ne pouvant
exister sans autorité, il convient de reconnaître un préjugé favorable de
légitimité au Pouvoir de fait. Celui-ci assure au moins l'ordre élémentaire,
celui qui, dans nos sociétés modernes, relève des édiles, des cantonniers, des
sergents de ville et des pompiers. Cet aspect de l'ordre, en soi préférable à
l'anarchie qui accompagnerait la disparition du Pouvoir, confère à celui-ci une
valeur que l'on doit reconnaître comme légitime, à moins que le gouvernement
en question ne contienne un passif de désordre plus lourd que son actif d'ordre.
C'est le cas d'un gouvernement qui serait au service de principes contre nature
ou contraires à la civilisation. [...] On ne saurait plus parler d'un gouvernement
légitime : le communisme, le nazisme ne sont pas des gouvernements légitimes,
pour ne citer que des régimes forts - car les régimes faibles et contre nature
prouvent leur illégitimité par leur inefficacité suivie en général de leur
autodestruction.
" Il n'est peut-être pas inutile de remarquer au passage, quant aux principes, que
" contre nature " et " contraire à la civilisation " s'équivalent : la nature de
l'homme est d'être social, et la civilisation consiste précisément en ce travail de
la société qui élève et embellit l'homme, met un frein à ses mauvais instincts, et
grandit ses œuvres en élargissant ses possibilités.
" [...] Même consacré par l'Eglise, le souverain issu de l'élection reste tributaire
de ceux qui l'ont élu, et cela peut aller jusqu'à la déposition, comme on l'a vu
avec Charles le Gros [839-888, roi de France de 884 à 887, carolingien
d'Allemagne, rétablit provisoirement l'empire d'Occident]. Tout en respectant les
us, Hugues Capet cherche et trouve le remède à cet état de choses en associant
de son vivant, son fils aîné à la royauté ; les successeurs immédiats d'Hugues
font de même, puis, la tradition de la succession assurée, l'usage tombe en
désuétude. La règle de dévolution la plus bénéfique était trouvée, et la France lui
devra 800 ans de continuité, fait unique dans l'histoire de notre ère. Conforme à
la vocation spirituelle de la France et aux lois naturelles, éliminant toute source
de contestation de succession, le régime capétien est un modèle de légitimité, en
même temps que de légalité. En se dressant pour chasser l'Anglais, en
menant Charles VII à Reims, Jeanne d'Arc défendra à la fois l'une et
l'autre : prince anglais, héritier de souverains et chef d'un peuple ennemis
du royaume de France, Henri VI ne peut légitimement régner en ce pays ;
descendant des rois de France, mais par les femmes, et donc exclu à ce titre
de leur succession par la loi salique, il ne peut pas davantage prétendre y
régner légalement [et sans cela la France serait passée aux Anglais et aurait
vécu].
" La monarchie capétienne a donc apporté à la France une continuité
exceptionnelle, à la fois source et fruit de sa légitimité. Elle a même donné à
cette notion de légitimité une portée et un sens que la simple durée ne pouvait
suffire à lui conférer. Le roi de France du Xe siècle n'est en effet qu'un
suzerain, c'est-à-dire le chef suprême d'une hiérarchie de seigneurs
pratiquement indépendants dans leur fief. En fait, l'Etat a disparu. Pour
reconquérir leur puissance, les Capétiens doivent donc soumettre les seigneurs à
leur autorité et par conséquent reconstituer l'Etat à leur profit [profit intimement
lié aux intérêts de la France et à ceux de leur dynastie]. Le développement de
l'Etat et celui de la puissance monarchique se sont donc confondus. Les
théoriciens de la royauté ont complété cette confusion d'abord purement
empirique par une construction doctrinale qui identifiait l'Etat et la
dynastie en donnant à cette dernière les caractères essentiels du premier :
unité, pérennité, indissolubilité. Tel fut l'objet de la loi dite salique qui assurait
à la dynastie capétienne un ordre de succession éliminant toute contestation sur
la dévolution de la puissance royale et donnant du même coup à la légitimité une
assise qu'on ne retrouve pas dans les autres monarchies européennes [les rois
actuels ne gouvernant plus et n'étant en réalité que des rois démocrates, c'est-àdire des rois d'opérette]. [...]
" Que cette monarchie ait cependant commis des erreurs, des fautes, c'est le fait
de la nature humaine ; qu'elle se soit usée, qu'elle ait eu besoin d'une rénovation
au temps des derniers Bourbons, il en est ainsi de toute institution humaine, qui
appelle de temps en temps une révision, un rajeunissement. Mais tout cela ne
change rien au fond : elle fut le modèle des institutions, et la Révolution de 1789
qui la détruisit constitue l'acte le plus illégitime et le plus criminel de l'Histoire
des peuples.
" Le besoin, incontestable, de rénover certaines institutions vieillies a été
l'occasion de la Révolution ; mais sa véritable force motrice était son idéologie,
née directement de la philosophie des encyclopédistes. Cette idéologie se
caractérise par l'affirmation de postulats touchant la société, à la fois contraire à
la réalité observée [rien de nouveau sous le soleil] et à la tradition de l'Eglise. En
fait, les " philosophes " du XVIIIe siècle [c'est-à-dire les Francs-Maçons et leurs
"moutons" - cf. Barruel, Cochin et Copin-Albancelli] sont animés de la volonté
forcenée de contredire la philosophie chrétienne, ce qui les conduit hors des
chemins de la réalité et les oblige à négliger ou à nier les règles de la
connaissance qui constituaient tout l'acquit rationnel de notre civilisation. La
révolte contre Dieu aboutit à la révolte contre la raison (encore qu'on ne l'ait
jamais tant invoquée).
" [...] L'abdication de Charles X [1757-1836, qui succéda à son frère Louis
XVIII en 1824], elle, n'était pas légitime, car la tradition de la monarchie
française, nullement contredite sur ce point par la charte constitutionnelle de
1814, ne permettait pas au souverain de renoncer au pouvoir, encore moins de
désigner un successeur autre que celui déterminé par la loi salique. La légitimité
de Louis-Philippe sera d'autant plus contestable qu'il est le fils d'un des plus
puissants artisans de la Révolution, régicide de surcroît, et que lui-même a
favorisé, par ses intrigues, l'éviction de son cousin. En fait, la monarchie de
juillet ne reposera plus sur les principes traditionnels ; entre elle et la monarchie
capétienne, il n'y aura de commun que des apparences. Les Orléans,
compromis naguère avec la Révolution et avec ses principes [ce dont ils n'ont
pas de quoi être fiers], ne peuvent aujourd'hui les répudier complètement. Par un
logique retour des choses, la Révolution les emmènera comme elle les a amenés
avant que l'on ait pu parler de dynastie.
" [...] Pourtant, le conflit des deux branches va se régler : avant de mourir
sans héritier, le comte de Chambord stipule qu'il considère les princes
d'Orléans comme ses fils. Aux Français, il avait dit aussi auparavant : " Avec
vous et quand vous le voudrez, je reprendrai le grand mouvement de 89 ",
reconnaissant ainsi le besoin de réformes qui s'imposait à la monarchie du
XVIIIe siècle, rendues nécessaires par l'évolution de la société et du mode de vie.
Il lègue donc à la France une situation parfaitement claire en matière de
légitimité : il a défini les limites au-delà desquelles la monarchie ne saurait
transiger, parce qu'en le faisant, elle cesserait d'être la monarchie qui a fait la
France et perdrait donc ses titres à la légitimité.
" L'attitude du comte de Chambord confirmant qu'il reconnaît les princes
d'Orléans comme ses héritiers, et celle du comte de Paris s'inclinant devant
le comte de Chambord éteignent la querelle entre la branche aînée et la
branche cadette des Bourbons et donnent ainsi une solution pratique à la
restauration. [...]
" [...] La Révolution est revenue à ses origines bourgeoises, elle n'est plus
sans culotte, elle porte faux-col et montre un visage grave. Ses grands
artisans seront au parlement, dans les conseils d'administration des grandes
affaires, mais surtout dans l'Université : pour détruire une civilisation, faire
oublier ou renier le pouvoir temporel qui en a permis l'épanouissement, l'est-il
pas indispensable d'aliéner d'abord l'intelligence ? C'est pourquoi, avant de
s'attaquer à l'Eglise, le parti révolutionnaire, qui dispose du Pouvoir de fait,
s'efforce de conquérir graduellement l'école.
" C'est alors qu'un mouvement se forme qui va prendre la défense de la
légitimité en portant son action sur le plan de l'intelligence. Jusqu'ici, les
défenseurs de la monarchie étaient mus par un attachement quasi religieux
[voire mystique] au roi et se préoccupaient peu de justifier rationnellement leurs
sentiments. Le génie de Maurras va démontrer avec une rigueur scientifique que
le nationalisme français ne saurait trouver son expression que dans la monarchie
qui a édifié la France. Puisque l'attitude du comte de Chambord a rendu
possible la restauration d'une authentique monarchie. Maurras, dont la
fougue ne le cède pas au génie, se donne cette restauration comme le but de son
action politique.
" [...] Le très grand mérite de l'Action française [fondée en juillet 1899 par Henri
Vaugeois, professeur au Lycée de Coulommiers] a été de combler cette usure de
la légitimité royale par une présence intellectuelle, en rappelant les services de
mille ans de monarchie, en démontrant que le roi replacé sur le trône était seul
capable de rendre à la France, dans le présent et dans le futur, des services
comparables, - enfin en maintenant vivante la pensée du comte de Chambord.
[...]
" Ainsi est légitime le Pouvoir qui assure le service que la nation attend de lui ; à
commencer par la défense de son territoire et de sa civilisation. [...] Aujourd'hui
[en 1962], on ne peut défendre le sol sans défendre les esprits et la civilisation ;
c'est pourquoi au-delà de la durée d'un instant crucial de menace impérieuse sur
le plan des armes matérielles. Le Pouvoir ne pourra plus connaître de légitimité
que globale comme est globale la menace de notre patrimoine.
" Est-ce à dire que nous ne devrons reconnaître qu'une légitimité parfaite ? Non,
certes, global et parfait ne sont pas synonymes ; aujourd'hui, comme hier, il
faudra savoir faire la part du contingent en matière de légitimité ; aujourd'hui,
plus qu'hier car les espoirs de rétablir d'emblée un régime qui aurait tous les
caractères de la légitimité, y compris la pérennité, ont maintenant disparu. Nous
avons vu comment, au début du siècle, étaient réunies les conditions d'une
solution pratique du rétablissement direct d'une monarchie exempte de
compromission révolutionnaire ; cet espoir s'autorisait des réalités de l'époque.
Celles d'aujourd'hui sont différentes parce que le temps, facteur inexorable, s'est
écoulé, émoussant des souvenirs, remplaçant par d'autres les hommes en cause,
consommant la détérioration des esprits et le délabrement des structures
naturelles.
" Au jour où nous sommes, inutile de nous bercer d'illusions. C'est par étapes
successives et laborieusement qu'il nous faudra reconstruire un Pouvoir légitime
; la première phase décisive consistera à renverser le mouvement qui depuis
deux siècles nous conduit à la décadence et s'accélère maintenant [en 1962!]
vertigineusement.
" Une telle action comporte trois plans :



Défense du territoire par les armes et la diplomatie.
Défense de la civilisation contre la Révolution par les idées.
Défense de l'homme contre le totalitarisme [1] et l'anonymat par le
rétablissement d'institutions protectrices respectant les structures
naturelles et fortifiant les cellules intermédiaires entre le citoyen et l'Etat.
Ces trois plans sont d'ailleurs indissolublement liés. Qu'un pouvoir central
provisoire préside à cette tâche en quelques années, voire en quelques décennies,
il aura bien servi le pays, il aura donc été en son temps légitime ; la restauration
de la pérennité viendra ensuite, rendue plus aisée par l'œuvre déjà accomplie. La
sagesse et la foi populaires qui sont, en la matière, meilleurs guides que les
calculs ambitieux des théoriciens ne nous livrent-elles pas deux maximes
précieuses : " A chaque jour suffit sa peine " [Mt 6 34] et " aide-toi, le ciel
t'aidera "."
1) Michel Schooyans, La face cachée de l'ONU, Le Sarment/Fayard, 2000, page
11 :
" L'idéologie totalitaire est la drogue qui tue la capacité de discerner le vrai du
faux, le bien du mal, et qui inocule un ersatz de vérité, habituellement sous
forme d'utopie." [Avec la tyrannie du consensus ou du monisme matérialiste qui
conduit à un système de Pensée unique qui tend à devenir mondial.]
-----
Charles Maurras, 1935.
Pape saint Pie X
----Pierre Debray, La Cathédrale effondrée, les Cahiers de l'Ordre Français, 1er
Cahier, 1962, "L'Etat, pourquoi faire ?", pages 13-14 :
" Ainsi que l'écrivait l'un de mes maître, Alexandre Koyré, celui-là même qui
m'a appris à aimer Platon : " rien sans doute ne ressemble moins à l'Etat
moderne que la Polis antique... et pourtant, en lisant les pages passionnées et
sévères, profondes et caustiques à la fois, dans lesquelles Platon nous décrit la
décadence de la démocratie athénienne, glissant, par l'anarchie et la démagogie
vers la dictature et le despotisme, le lecteur moderne ne peut pas s'empêcher de
se dire : de nobis fabula narratur... [c'est une histoire qui nous concerne...] C'est
que la Cité antique et la Cité moderne, si différentes soient-elles, sont toutes les
deux des cités humaines. Et la nature humaine, quoi qu'on en dise, a peu changé
au cours des siècles qui nous sépare de Platon ; ce sont toujours les mêmes
mobiles, l'attrait des " bonnes choses " de cette vie, la richesse, le plaisir,
l'ambition, honores, divitiæ, voluptates, qui poussent et déterminent ses passions
; ce sont toujours les mêmes motifs, honneur, fidélité, amour du vrai et dévotion
au bien qui guident et éclaircissent son action. Et c'est pour cela que la leçon
de Platon, que le message de Socrate qui nous atteint à travers les siècles est
chargé, pour nous, de signification actuelle. De Platon mais aussi bien
d'Aristote et de leurs grands commentateurs médiévaux.
" Le meilleur et le pire.
" Saint Thomas, résumant la doctrine commune à Platon et à Aristote,
affirme que le meilleur gouvernement est le monarchique. Il identifie d'ailleurs
monarchie et royauté, conformément à l'usage de son temps. Sans doute
faudrait-il désormais les distinguer, car il est des rois qui ne gouvernent pas
[ainsi en est-il des rois actuels qui se flattent tous d'être des démocrates et ne
sont, par voie de conséquence, que des rois d'opérette tout juste bons à inaugurer
les chrysanthèmes et alimenter la rubrique mondaine, laissant passer toutes les
lois contraires au droit naturel [César] et divin [Dieu], telles la loi sur
l'avortement], et qui, au plein sens du terme, ont cessé d'être des monarques, et à
l'inverse, des régimes monarchiques ont existé, ainsi l'Empire Romain tel que le
concevait Auguste, dont le Chef, écartant la dignité royale, ne se donnait que
pour le premier du Sénat, du corps aristocratique. [...]
" Pourquoi le gouvernement monarchique est-il le meilleur ? Parce que " le bien
et le salut des hommes, constitués en société, est de conserver cette unité qu'on
appelle paix... Aussi dans la mesure où un gouvernement réussira mieux à
maintenir cette paix qui résulte de l'unité, il sera plus utile... De même, ce qui est
chaud par soi est la cause la plus efficace de la chaleur. Le gouvernement d'un
seul est donc plus utile que le gouvernement de plusieurs." Le Docteur
angélique apporte la confirmation de la raison, de la nature, de
l'expérience. " Les provinces ou les cités qui n'ont pas de monarque, souffrent
des dissensions et vont à la dérive en s'écartant de plus en plus de la paix : ainsi
se trouve réalisée la plainte que le Seigneur met dans la bouche du prophète
Jérémie, XII, 10 : " Les pasteurs (parce que) nombreux ont dévasté ma vigne."
" Cependant, " comme le pouvoir d'un seul, quand il est juste, est ce qu'il y
a de meilleur, de même, dans le cas contraire, il est ce qu'il y a de pire ".
Nul paradoxe dans la pensée de Saint Thomas et pas davantage dans celle
d'Aristote dont il s'inspire. " A la république s'oppose la démocratie, l'une et
l'autre, comme il appert de ce que nous avons dit, étant le fait d'une collectivité :
à l'aristocratie, à son tour, l'oligarchie, l'une et l'autre étant le fait du petit
nombre ; la monarchie, enfin, s'oppose à la seule tyrannie, l'une et l'autre étant le
fait d'un seul homme. Que la monarchie soit le meilleur régime, nous l'avons
montré ci-dessus. Si donc au meilleur s'oppose le pire, il s'ensuit nécessairement
que la tyrannie est ce qu'il y a de pire... En conséquence, de même qu'il est plus
utile qu'une force opérant en vue du bien ait plus d'unité, pour être plus puissante
à faire le bien, de même une force opérant le mal est plus nuisible si elle est une
que si elle est divisée.
" Rien de plus aisé d'illustrer les thèses de Saint Thomas grâce à des exemples
empruntés à l'actualité la plus récente. Hitler disposait d'un pouvoir sans
partage. Le Troisième Reich formait sans conteste un Etat fort. Qui oserait
nier qu'il ait mis sa force au service du mal ? [...]
" Du bien commun.
" Il importe de trouver des critères qui permettent de distinguer le
gouvernement monarchique du tyrannique. Ils ont en commun de rassembler
les énergies de l'Etat dans une volonté unique. Si l'on se situe au seul niveau des
réalisations, en faisant abstraction du jugement moral, il est aisé de les
confondre. Des esprits exclusivement préoccupés du succès, ce qui est le cas de
beaucoup de modernes, sont amenés à se satisfaire de la tyrannie parce qu'elle
réussit mieux que la démocratie, alors qu'elle est pire qu'elle.
" Cependant le tyran s'oppose au monarque parce qu'il " recherche son
bien privé ". Ce qui demande quelques explications, car peu de notions ne
plus dégradées que celles du bien commun, au point qu'on a oublié sa
signification véritable et qu'on l'emploie à tort et à travers. Tout être tend de
lui-même vers son bien, qu'il en soit conscient ou pas, c'est-à-dire vers la
réalisation de sa nature. La nature de l'homme implique la vie en société, et sans
une autorité, aucune société ne serait capable de durer. D'où l'existence d'un bien
commun qui ne se réduit pas à la somme des biens particuliers, puisqu'il est
autre, mais qui n'est pas davantage leur négation, puisqu'un bien qui serait
contradictoire d'un autre bien essentiel cesserait un bien lui-même.
" L'homme est destiné au bonheur, c'est-à-dire à l'accomplissement de fins
humaines. Les fins humaines ne pouvant s'accomplir sans la société, et sans un
principe directeur de la société et de l'Etat, il faut que la société puisse jouer son
rôle propre. Comment y parviendrait-elle si elle était déchirée par la discorde,
propre à l'anarchie ? L'Etat a donc pour devoir de maintenir l'harmonie entre les
citoyens, de protéger (ou de promouvoir quand elle a disparu) la paix civile. Il
n'en reste pas moins que la société et a fortiori l'Etat, ne sont que des
instruments et qu'ils ne sauraient sans abus empêcher l'homme d'accomplir ses
fins humaines en se prenant eux-mêmes pour des fins.
" De la démocratie à la tyrannie.
" Le danger de la tyrannie est particulièrement grand dans les périodes qui
succèdent à l'effondrement d'un régime démocratique. Il convient de
reprendre l'analyse célèbre de Platon. Je sais bien qu'on a souvent reproché
à Platon, et cela dès Aristote, de s'être appuyé pour montrer l'enchaînement
des diverses formes de gouvernement sur une logique abstraite plutôt que
sur les réalités historiques. C'est traiter bien à la légère la riche expérience
politique de l'auteur de La République ; il a vécu le désastre militaire
d'Athènes, l'avènement de la dictature des Trente et sa chute, les désordres
de la démocratie et sa métamorphose. Les deux grands candidats à la tyrannie,
que les malheurs des temps avaient fait surgir, le sombre Critias et l'énigmatique
Alcibiade étaient des familiers de Socrate et ils ont donné leur nom à des
dialogues platoniciens. D'ailleurs au XIXe siècle le processus qui mène de
l'oligarchie, la démocratie censitaire, à la démocratie pure, la révolution de 1848,
puis de la démocratie pure à la tyrannie, le second empire, ne s'est-il pas déroulé
selon le schéma décrit au Ve siècle avant Jésus-Christ dans le VIIIe Livre de La
République ? [...]
" Pour une cité juste.
" [...] A quelles conditions est-il possible d'empêcher le gouvernement d'un seul
de tourner au pire, de lui permettre donc d'être le meilleur ? Par la réforme
intellectuelle et morale [ce qui n'a absolument aucun rapport avec les qualités
d'un bon gestionnaire dont notre société ne manque pas, car il convient de mettre
chaque chose à sa place], par l'éducation des citoyens. C'est le vice le plus
grave de la démocratie, et là-dessus Aristote s'accorde avec Platon, que
d'introduire l'anarchie jusque dans les esprits. Remettre de l'ordre dans les
idées, voilà par quoi il faut commencer, car tant que les citoyens se laisseront
abuser par les propagandes contradictoires, il n'y aura rien de stable, rien de sûr
dans l'Etat. C'est pourquoi le problème de l'éducation a été au centre des
méditations de Platon.
" Second point, le pouvoir d'un seul doit être tempéré. L'harmonie de la vie
sociale exige que les biens particuliers des citoyens ne soient pas soumis à la
volonté du prince, sinon son arbitrage dégénérerait en arbitraire. Etat fort donc
mais Etat limité, ce qui impose l'existence auprès du souverain d'une
représentation nationale. Le monarque ne saurait d'ailleurs se passer d'un
conseil. Si perspicace qu'il soit, remarque Saint Thomas, le moyen le meilleur
n'est pas toujours celui qui se présente à son esprit, et s'il se fie à son seul
jugement [ou à celui d'une oligarchie qui n'a aucun contact avec les forces vives
de la nation, car il ne faut pas attendre les réactions violentes de la rue avant de
prendre des décisions judicieuses ou de revenir sur celles dont les incidences
auraient été catastrophiques], sans prendre l'avis des hommes compétents [c'est-
à-dire sages et expérimentés], il s'expose à l'erreur, il s'emprisonne dans son
orgueil, et finalement tyrannise.
" Troisième point : le monarque doit pratiquer la vertu, ce qui ne signifie
nullement qu'il ne soit pas un pécheur lui aussi, mais seulement qu'il reconnaît
l'existence au-dessus de lui de lois non écrites, de lois divines qu'il lui est interdit
de violer, et qu'il en fait publiquement profession [cf. l'encyclique "Quas
Primas"]. Sans cette reconnaissance d'un Bien et d'un Vrai transcendants, le
prince est livré à son caprice. Là-dessus Platon a écrit des pages admirables
que Saint Augustin a repris dans une perspective chrétienne, la seule qui
leur donne tout leur sens. [...]
" [...] Pourtant sans la réforme intellectuelle et morale, sans l'établissement
d'une authentique représentation nationale, sans la reconnaissance par le
prince des lois divines, ce nouveau régime se rendrait vite si odieux au
peuple que celui-ci en viendrait à regretter la démocratie, et à juste titre
nous enseigne Saint Thomas."
Pierre Debray, La Cathédrale effondrée, les Cahiers de l'Ordre Français, 1er
Cahier, 1962, "La subversion du droit", pages 31-33, 34-38, 41 :
" Sans doute, n'est-ce pas pousser trop loin le paradoxe que de soutenir que
le mythe mieux que l'histoire nous livre le droit en quelque sorte à l'état
naissant. Eschyle, Sophocle, Hésiode [1] ou Platon nous font saisir, mieux que
les pesants travaux de nos sociologues, l'effort obstiné de l'homme occidental
pour imposer aux puissances terribles de la nuit la lumineuse majesté de la loi.
Minerve, la vierge sage, désarmant les Erynnies, filles furieuses de la
vengeance, n'a-t-elle conclu, sur l'Acropole, un pacte entre la sagesse politique
et la justice des dieux ? Parfois, il adviendra qu'il soit oublié, jamais il ne sera
dénoncé, avant notre âge de fer, qui, pour l'avoir rompu, retourne à la barbarie
originelle.
" Poursuivi par les Erynnies, Oreste s'était réfugié en suppliant, au pied de
l'autel de Minerve. Les Erynnies ne voulaient rien reconnaître des
circonstances qui avaient armé son bras. Il avait tué, il fallait qu'il meure à
son tour. Cela seul leur importait. Fondatrice de la cité athénienne, Minerve
intervint, parce qu'elle était consciente que le sang appelle le sang et qu'il fallait
rompre le cycle de la violence, sinon l'anarchie régnerait en maîtresse. Seul, en
effet, l'arbitrage souverain d'un tribunal pouvait trancher de façon
définitive et créer les conditions de cette amitié, sans laquelle, comme
l'écrira plus tard Aristote, il n'est pas de cités. La déesse sut trouver les mots
qui désarmaient les Erynnies, les persuadant de porter leur cause devant
l'Aréopage. Elles soutinrent l'accusation, Apollon, assumant, pour la première
fois, le rôle d'avocat, plaida pour Oreste. Cependant, au moment de rendre le
verdict, le tribunal ne parvint pas à se départager. Il y eut le même nombre
de voix pour l'acquittement que pour la condamnation, comme si le poète
avait voulu montrer que l'acte de juger était si grand qu'il dépassait les
forces de l'homme. L'intervention de la déesse fut nécessaire et c'est
l'inspiration d'une raison divine qui fit pencher la balance en faveur d'une
juste clémence. La leçon est forte et mériterait d'être longtemps méditée.
" Néanmoins, il importe davantage à notre propos de constater que
l'institution du droit coïncide avec la fondation de la cité, c'est-à-dire d'une
société politique, d'une société où les rapports entre les hommes sont réglés
par la loi et non plus livrés à la pure violence, au caprice ou à colère. On ne
saurait concevoir une cité sans droit et non plus un droit sans cité. Si Athènes
n'avait pas disposé d'une autorité légitime, l'Aréopage, dont le pouvoir semblait,
aux Erynnies mêmes, indiscutable, jamais l'équité n'aurait prévalu sur la
vengeance.
" A l'inverse, une cité qui méconnaît le droit se nie elle-même et se
condamne à la ruine. Thèbes, qui n'a pas respecté le malheur d'Œdipe, est
promise à la guerre civile et quand le vieil homme se réfugie à Colone, dans la
banlieue d'Athènes, le roi Thésée, plutôt que de le repousser, préfère prendre le
risque d'un conflit avec ses redoutables voisins. Athènes, si elle avait trahi le
droit d'asile, aurait attiré la malédiction des dieux tandis que, quoi qu'il arrive, la
présence d'Œdipe l'assure de vaincre.
" Sophocle, dans Antigone, fournit au reste la preuve a contrario. Polynice, le
fils d'Œdipe, qui a porté la guerre contre son peuple, est tombé sur le champ de
bataille. Le roi Créon interdit qu'on lui donne une sépulture. Ses raisons sont
fortes, du moins en apparence. N'a-t-il pas le devoir de châtier la trahison jusque
par delà la mort ? Antigone, pourtant, encore qu'elle sache qu'elle sera emmurée
vive, refuse de s'incliner. " Comment as-tu osé désobéir à la loi ?" l'interroge
Créon, et elle répond : " Ce n'est pas Zeus qui a promulgué cette défense,
mais la justice, compagne des divinité infernales, qui a établi de telles lois
parmi les hommes. Je n'ai pas pensé que des décrets avaient un tel pouvoir
qu'ils puissent autoriser un mortel à fouler au pied les lois non écrites et
stables des dieux. Ces lois ne sont pas d'aujourd'hui, ni d'hier, mais vivent
toujours et nul ne sait quelle est leur origine " [seule la Bible en révèle
l'origine].
" Nous touchons là le point essentiel, l'opposition que Sophocle reprend
d'Hésiode, de Thémis et de Diké. Thémis incarne ce qui fait le fondement
même de la loi, ce qu'aucun texte ne saurait contenir, parce que les
codifications n'en sont que l'expression contingente. Quant à Diké, c'est la
technique judiciaire, simple instrument fabriqué de nos mains débiles. Certes,
Diké se révèle indispensable, puisqu'elle est la médiatrice des puissances de
la terre et du ciel. Encore convient-il qu'elle reste dans son rôle tout
subalterne, servante de Thémis qui, lorsqu'elle s'émancipe et se veut maîtresse
à son tour, commet le crime de démesure. Le souverain, eût-il comme Créon
la légitimité pour lui, se rend coupable d'impiété, et son autorité s'évanouit,
du moment qu'il se persuade que sa seule volonté commande aux lois.
" Ainsi, pour les Grecs, il existe deux droits, l'un dont l'origine échappe au
temps, parce qu'il a été fondé en même temps que la cité, et de la même main,
celle des dieux éponymes, l'autre que le souverain, prince ou assemblée,
élabore au gré des besoins [voire de leurs intérêts propres ou de leurs
passions].
" [...] Le sophiste se fonde sur la protestation de Clytemnestre et d'Antigone
pour rejeter, comme des produits de l'artifice, les contraintes sociales.
L'exemple d'Agamemnon et de Créon l'autorise à préférer le succès au respect
des ancêtres.
" En réalité, aucun des grands tragiques grecs, pas même Euripide, n'a mis
sur le même pied Thémis et Diké. Appartenant à deux ordres différents,
elles ne sauraient entrer en conflit, à moins qu'une faute ne soit commise.
Aussi, Clytemnestre a tort autant qu'Antigone a raison. Elle a tort parce que ce
n'est pas l'orgueil qui porte Agamemnon, mais seulement son devoir de chef, qui
doit conduire les Hellènes à la victoire. C'est qu'en effet la cité dont émane la
législation positive trouve dans la loi naturelle sa finalité propre. Elle n'a été
édifiée que pour permettre à l'homme de vivre selon sa nature. Là où il n'y
a pas de cité, dans le monde barbare, et c'est tout le thème des " Perses ", il
n'y a pas de droit, ni positif, ni naturel.
" Le premier tribunal, l'Aréopage, était, nous l'avons vu, d'institution divine.
C'était Minerve qui avait appris aux hommes à distinguer le juste de l'injuste. Il
importe de prendre le mythe au sérieux ; le juste et l'injuste ne sauraient être
définis qu'en fonction de valeurs transcendantes. Le vrai et le bien ne
dépendent ni de l'intérêt, ni des humeurs, ni des opinions du moment. Ils
existent par eux-mêmes, dans l'absolu ; et l'acte de juger cesse d'être
possible dès l'instant où la législation positive est livrée à l'arbitraire du
souverain [prince ou assemblée du peuple].
" De fait, la subversion du droit s'instaure dans la Grèce antique lorsque le
souverain, en l'occurrence l'assemblée du peuple, se décide en fonction de
son humeur. Alors commence le règne des sophistes, qui possèdent l'art de
persuader l'opinion, non d'enseigner le vrai et le bien [c'est là le règne de la
démocratie au sens étymologique du terme]. Discutant avec le plus fameux
d'entre eux, Gorgias, Socrate l'accule à reconnaître que l'acte judiciaire prend le
caractère d'une compétition, où c'est celui qui sait le mieux pratiquer l'art de la
parole qui l'emporte [l'arme dont se servent nos hommes politiques pour séduire
le peuple et parvenir au pouvoir par le jeu électoral]. Sans doute, Gorgias
s'évade-t-il derrière de grands mots [qui n'engagent à rien]. Caliclès se mêlant à
l'entretien, se moque de ses précautions verbales. Le sophiste ne parle encore de
vertu que " pour se conformer à l'usage ". A quoi bon ruser plus longtemps. La
loi n'est qu'une convention, qu'il est permis de tourner. Il n'est qu'une loi
véritable, celle de la nature et selon la nature, le vrai et le bien, c'est d'être le plus
fort, de l'emporter dans la lutte pour la vie [cf. Darwin : tout change, tout évolue,
tout n'est que lutte perpétuelle, pas de nature stable ni par conséquent de morale
absolue]. L'art oratoire constitue une concession à la lâcheté de la multitude, un
moyen oblique pour assurer la victoire du plus habile.
" Caliclès, cependant, ne va pas jusqu'au bout de la logique de la
sophistique. Le Thrasymaque, que Platon évoque dans la République, ne
craint pas, par contre, de soutenir que la loi se contente d'exprimer les
rapports réels de domination et de servitude à l'intérieur de la cité. "
Chaque gouvernement établit des lois pour son propres avantage [ou les
avantages de son parti ou de sa secte] : la démocratie, des lois démocratiques, la
tyrannie, des lois tyranniques et les autres de même ; chacun déclare juste ce qui
le sert et punit comme coupable d'injustice celui qui transgresse des décrets
rédigés à l'avantage des puissants du jour [qui ne veulent pas être dérangés].
Voici donc, mon cher, ce que j'affirme, partout le juste se réduit à ce qui
profite aux hommes en place ". Thrasymaque ne craint de prononcer un éloge
de l'injustice : " Va, Socrate, jusqu'au comble de l'injustice, celle qui fonde le
bonheur de celui qui la commet, l'infortune de ceux qui ont été les victimes pour
avoir refusé de la commettre. Ce comble, c'est la tyrannie, Qui, de surprise aussi
bien que de force, dérobe, non par petits morceaux, ce qui appartient à autrui,
biens sacrés et biens humains, biens des particuliers et biens de l'Etat, mais tous
en bloc. Que, sur chaque partie de cet ensemble, l'injustice commise ne soit pas
secrète, le coupable est puni, il est chargé des pires opprobes : pilleur de
temples, asservisseur d'hommes, perceur de murailles, spoliateur, voleur, voilà
les noms que, selon les diverses catégories de semblables méfaits, on donne à
ceux qui commettent l'injustice. Mais, lorsqu'un homme, sans parler des fortunes
confisquées, a en outre asservi ses concitoyens eux-mêmes, plutôt que des noms
honteux, il reçoit ceux d'heureux et de fortuné, non seulement des citoyens, mais
encore de tous ceux qui apprennent qu'il a porté l'injustice à son extrémité. C'est
qu'ils ne craignent pas de tomber eux-mêmes dans l'injustice, ceux qui la
blâment ; ils n'ont peur que de la souffrir. Vois-tu, Socrate, l'injustice, à
condition d'être portée au degré convenable, est plus forte, plus libre, plus
digne d'un maître, plus libre enfin que la justice ".
" Platon décrit les jeunes gens qui entouraient Socrate troublés par
l'argumentation de Thrasymaque. L'un d'eux, Adimante, interroge le philosophe,
non sans quelque pathétique : " Il importe, lui dit-il, de prouver que la justice
est bonne et désirable en elle-même, et comment y parvenir si l'on ne trouve
pas un critère du juste et de l'injustice ? Ce critère où le chercher sinon pardelà l'homme, dans le vrai et le bien ? Ne te contente pas, s'écria Adimante, de
nous expliquer que la justice est supérieure à l'injustice, va plus loin, montrenous quelle sorte d'action chacune d'elles exerce sur celui qui en est le sujet, afin
que rien que par elle-même, et fût-ce à l'insu des dieux et des hommes, l'une
d'elles soit une chose bonne et l'autre mauvaise ". Là, en effet, est la question,
que Socrate s'efforcera de résoudre. C'est alors qu'il construira l'utopie du roi
philosophe, c'est-à-dire du souverain qui n'exerce l'autorité politique qu'après
avoir dégagé par l'étude, des valeurs indiscutables. Cette utopie, Platon tentera
de la traduire dans le réel, en formant un disciple appelé à régner. Dion, neveu et
beau-frère du tyran de Syracuse, Denys. L'expérience échouera avant même que
d'avoir commencé.
" Du moins, Socrate témoignera-t-il par l'exemple de sa mort de la
transcendance du droit. On connaît la scène fameuse. Criton qui le visite dans
sa prison, lui annonce que tout a été préparé pour son évasion. Pourquoi
hésiterait-il ? N'a-t-il pas été condamné par des juges partiaux ? Là n'est pas le
problème, rétorque Socrate, et il imagine les lois se dressant devant lui et lui
disant : " Ce que tu te prépares à faire tend à nous ruiner et avec nous l'Etat tout
entier. Crois-tu donc possible à cet Etat de durer et de n'être pas de fond en
comble renversé, si les jugements qui sont rendus ont si peu d'autorité qu'il suffit
de la volonté d'un simple particulier pour les bafouer ".Qu'importe au fond que
les juges soient mauvais si les lois sont justes. La malfaisance des hommes
reste affaire contingente, la bienfaisance des lois, chose nécessaire.
" En donnant sa vie, Socrate n'est pas mort en vain. Bien sûr, si l'on se fie aux
apparences, sa propre cité n'a pas été sauvée, faute d'avoir entendu
l'avertissement qu'il lui donnait. Pourtant, le droit disparaissait, non l'idée
du droit. Cet héritage, l'Europe chrétienne l'a recueilli. Comme les Grecs de
la grande époque, elle sait que le droit positif repose sur le droit naturel et
que l'acte judiciaire suppose une autorité légitime, donc indépendante de
l'opinion et des intérêts.
" A partir du XVIe siècle cependant, on assiste à un mouvement de subversion de
plus en plus rapide, qui n'est pas sans présenter de troublantes analogies avec
celui qu'avait jadis connu les Grecs. En 1575, Théodore de Bèze publie Du
Droit des Magistrats qui affirme le droit du peuple à se révolter contre une
loi qui ne lui paraît pas conforme à la " pure religion ". Rien là, en soi, de
révolutionnaire. N'empêche que pour Théodore de Bèze c'est chaque
conscience qui a autorité pour déterminer si la religion est pure ou pas. Du
libre examen en matière religieuse découle le libre examen en matière politique.
La pente est fatale, et Bossuet n'aura pas de peine à en apporter la preuve dans sa
célèbre polémique avec le pasteur Jurieu.
" Cependant, comme cela arrive pourtant trop souvent, c'est un homme que l'on
classerait à droite, si l'on osait cet anachronisme, qui reprendra la position de
Thrasymaque et lui donnera son expression moderne. Hobbes [1588-1679],
défenseur de la monarchie des Stuart, ne craint de soutenir que l'homme étant un
loup pour l'homme, le vaincu, par crainte de la mort, se remet au vainqueur du
soin de dicter la loi. Fondée sur la force, et partant sur la crainte, plutôt que sur
le respect de valeurs transcendantes, la souveraineté ne connaît plus les limites
que lui assignait l'Occident chrétien. On oublie trop, en effet, que la
monarchie ne se donnait pour absolue qu'au sens latin du terme. Ce qui
signifiait uniquement qu'elle était indépendante en tant que pouvoir.
Nullement qu'elle était capable de faire ce qui lui plaisait. Bien au contraire,
le respect de la loi divine et des communautés naturelles contraignait le
Prince à n'agir selon son gré que dans un étroit domaine, celui qui tenait à
la conservation de l'Etat. Et encore l'Etat n'était-il pour lui qu'un héritage,
dont il ne pouvait disposer.
" [...] Le droit naturel marche par devant, le droit positif suit. Les lois non
écrites qui vont les premières, où en trouverons-nous le dépôt sinon dans la
tradition même de notre patrie, comme les Athéniens le trouvaient dans la leur.
Cette tradition, osons le dire, est d'abord une tradition chrétienne [c'est encore
heureux d'oser le dire ! Il est vrai que maintenant tous nos hommes politiques
n'osent plus parler de valeurs chrétiennes, mais de valeurs tout court (c'est moins
compromettant...) - il ne nous reste plus que des lâches - cf. Ap 3 15-16]."
1) Hésiode (VIIIe - VIIe s. av. J.-C.), Les travaux et les jours, n° 250 :
" La Justice.
" [...] Et vous aussi, rois, méditez sur cette justice ! Tout près de vous, mêlés aux
hommes, des Immortels sont là, observant ceux qui, par des sentences torses,
oppriment l'homme par l'homme et n'ont souci de la crainte des dieux."
Louis Daménie, La Révolution, phénomène divin, mécanisme social, ou complot
diabolique ? Les Cahiers de l'Ordre Français, 5e Cahier, 1968, pages 3-4, 11-13,
13-14, 15-16, 16-17, 17-18, 18, 19, 22, 23, 24-25, 27-29, 30-31 :
Michelet, romancier, prêtre et prophète de la Révolution
Le prêtre officiel d'une religion officielle.
" Je ne cesse d'être frappé de la persistance dans les esprits des idées fausses, des
préjugés, du fatras de vieux clichés touchant la Révolution française. Persistance
est peu dire car je crois que les nouvelles générations en son encore plus
imprégnées que les anciennes, d'où la difficulté de plus en plus grande à faire
comprendre et admettre les véritables mécanismes révolutionnaires.
" Que l'enseignement soit le véhicule essentiel de cette intoxication, cela ne
fait point de doute ; quant à l'inspiration, il me semble que Michelet [17981874] y tient une place de choix. M'interrogeant sur ce point, je voulus me
remettre en mémoire le petit livre intitulé : Trois idées politiques où Maurras
consigne en un style admirable [et inimitable] les fortes idées que les
commémorations de l'année 1898 lui ont suggéré (centenaire de la naissance de
Michelet particulièrement carillonné, cinquantenaire de la mort de
Chateaubriand, érection du buste de Sainte-Beuve) et dont voici celles qui se
rapportent au rôle d'éducateur officiel que réserve au premier la république.
" Il est vrai que l'Etat veille sur Michelet depuis longtemps. Il en
fait son affaire et comme sa religion. Outre les quatre cultes
reconnus par l'Etat, en voilà un cinquième de privilégié. Partout où
il le peut sans se mettre dans l'embarras ni causer de plaintes
publiques, l'Etat introduit les œuvres et l'influence de son
docteur ; voyez, notamment, dans les écoles primaires, les
traités d'histoire de France, les manuels d'inspiration civique et
morale [et quelle morale !] : ces petits livres ne respirent que les
" idées " de Michelet. A Sèvres, à Fontenay, les jeunes
normaliennes ont Michelet pour aumônier ; il est le Fénelon de
ces nouveaux Saint-Cyr...
" On a de la peine à penser que cet annaliste d'une France décapitée,
ce philosophe d'une humanité sans cerveau, représente l'essence de
l'esprit national, ou même l'esprit de l'Etat. Je concède que nos
pouvoirs publics, en tant que démocrates, aient parfois intérêt à
choisir ce héros-là : mais en tant que Français ? en tant qu'hommes
? en tant que gardiens de la civilisation ? en tant que parti de
gouvernement ? Si j'étais à leur place, le souvenir de ce centenaire
ne me laisserait point très paisible.
" Ils en auront des remords avant peu de temps. Tout ce
bouillonnant Michelet, déversé dans des milliers d'écoles, sur
des millions d'écoliers, portera son fruit naturel : il multiplie, il
accumule sur nos têtes les chances de prochain obscurcissement (à
vrai dire, d'obscurantisme), les menaces d'orage, de discorde et de
confusion. Si nos fils réussissent à paraître plus sots que nous, plus
grossiers, plus proches voisins de la bête, la dégénérescence
trouvera son excuse dans les leçons qu'on leur fit apprendre de
Michelet."
" Et Maurras de noter qu'au 14 juillet, le gouvernement fit distribuer
gratuitement dans toutes les écoles une brochure de morceaux choisis de
Michelet intitulée : Hommage à Jules Michelet, 21 août 1798 - 9 février 1874.
" Ce sont les prévisions les plus pessimistes de Maurras qui se sont réalisées au
cours des soixante années écoulées depuis qu'il les a formulées ; les hommes de
gouvernement en ont-ils pour autant conçu quelque remords en tant que
Français, en tant que gardiens de la civilisation? Il faudrait pour cela qu'ils
distinguent la patrie de la Révolution de la patrie française, l'anti-civilisation de
la Révolution de la civilisation ; s'ils avaient cette faculté, ils cesseraient d'être
les instruments de la Révolution et par conséquent de faire partie de ce fief
qu'ailleurs Maurras a justement appelé le pays légal.
[...]
Haine du catholicisme, haine du prêtre.
" De quelles affabulations n'était pas capable l'homme soumis à toutes les
impulsions du tempérament et dénué de tout contrôle intellectuel que viennent
de nous décrire et Maurras et Henri Lasserre, lorsqu'il était en proie à une furie.
Or tel est bien le terme qui convient à la passion anti-catholique de Michelet.
Comme le fait encore entendre Henri Lasserre, celle-ci vint en 1843 ; c'est à
l'époque où, arrivé à la fin du règne de Louis XI, il interrompt son Histoire de
France pour entreprendre l'Histoire de la Révolution. C'est aussi le moment où
la lutte devient violente entre catholiques et libéraux au sujet de l'Université, le
moment où les cours de Michelet et de Quinet au Collège de France sont
supprimés.
" Henri Lasserre situe ; dans le courant intellectuel révolutionnaire du moment,
la décision de Michelet d'abandonner la rédaction de l'Histoire de France. Il
notre que les deux premiers volumes de l'Histoire de la Révolution de Michelet,
les deux premiers volumes de l'Histoire de la Révolution de Louis Blanc,
l'Histoire des Girondins de Lamartine paraissent la même année, en 1847, que
ces ouvrages eurent tous un grand retentissement à commencer par celui de
Lamartine.
" Les trois ouvrages eurent, celui de Lamartine par-dessus tous, un
retentissement violent et assuré d'avance. Un commun courant les
porta, que ces natures de lyriques et d'orateurs multiplièrent et
échauffèrent, mais qu'ils avaient senti le plus puissant de l'heure
présente. Les trois auteurs s'étaient mis à l'œuvre, pour ainsi dire, le
même jour et ils furent prêts au même instant. Par des voies un peu
différentes, mais par les mêmes moyens ils travaillèrent au même
but et parvenaient au même résultat, de créer dans les imaginations
la religion révolutionnaire. Elle date d'eux ; ils l'ont faite ; elle n'a
produit depuis aucun monument apologétique de cette importance.
Resterait à expliquer l'origine de ce courant d'opinion et de passion
publique. Il nous suffit de constater son existence d'ailleurs bien
connue. Un savant, un bénédiction poursuit, loin du bruit, le travail
commencé. Les poètes de la multitude courent au-devant de ses
vœux comme le soldat au canon."
" Telles sont donc les circonstances qui virent se développer la passion
antireligieuse de Michelet qui dorénavant ne dira plus que jésuite pour
catholique comme Voltaire disait fanatisme pour religion. Il n'y aura de
bassesse et de sottise dont Michelet se dispensera à l'égard des jésuites et
des prêtres dans son Histoire de la Révolution, sans parler de son livre Du
Prêtre, écrit spécialement à l'effet d'exhaler sa haine.
" Voici d'abord l'explication de la perversité du prêtre.
" La première raison que j'en trouvai naguère, dans mon livre
Du Prêtre, c'est le prodigieux enivrement d'orgueil que cette
croyance donne à son élu. Quel vertige ! Tous les jours, amener
Dieu sur l'autel, se faire obéir de Dieu !... Le dirais-je (j'hésitais,
croyant blasphémer) faire Dieu !... Celui qui chaque jour accomplit
des miracles, comment le nommer lui-même ? Un Dieu ? Ce ne
serait pas assez.
[...] Que voulez-vous que devienne un pauvre homme [ici,
comme précédemment, ce n'est plus un Dieu ou même plus qu'un
Dieu] à qui tous les jours cent femmes viennent raconter leur
cœur, leur lit, leur secret ? [...] Il peut garder les petites facultés
d'intrigue et de manège, mais les grandes facultés viriles,
surtout l'invention, ne se développent jamais dans cet état
maladif [et saint Jean Népomucène, saint Jean-Marie Vianney,
saint Joseph Cafasso, saint Léopold de Castelnuovo et le
bienheureux Padre Pio, le fondateur d'un hôpital unique en son
genre, ces apôtres extraordinaires du confessionnal, pour ne parler
que des plus connus ?] ; elles veulent l'état sain, naturel, légitime et
loyal. Depuis cent cinquante ans surtout, depuis que le SacréCœur, sous le voile d'équivoques [il s'agit là de la dévotion pour
le Sacré-Cœur de Jésus révélée à sainte Marguerite-Marie], a
rendu si aisé ce jeu fatal, le prêtre s'y est énervé et n'a plus rien
produit ; il est resté eunuque dans les sciences [ces lignes de
Michelet sont proprement sataniques ou lucifériennes]."
" Engagé dans le roman nauséabond, Michelet s'y vautre indéfiniment, son
imagination vicieuse que le mystère du confessionnal excite tout
particulièrement ne cessant d'inspirer ses intarissables développements et les
forgeries historiques les plus insensées :
" Si le mariage est l'union des âmes, le vrai mari c'était le
confesseur. Ce mariage spirituel était très fort, là surtout où il était
pur. Le prêtre était souvent aimé de passion, avec un abandon, un
entraînement, une jalousie qu'on dissimulait peu. [...] L'Assemblée
fut obligée de lancer ce décret du 27 novembre 91, qui envoyait au
chef-lieu les prêtres réfractaires, les éloignait de leur commune, de
leur centre d'activité, du foyer du fanatisme et de rébellion où ils
soufflaient le feu. Elle les transportait dans la grande ville, sous
l'œil, sous l'inquiète surveillance des sociétés patriotiques.
" [...] Qui peut dire les scènes douloureuses de ces départs forcés ?
Tout le village assemblé, les femmes agenouillées pour recevoir
encore la bénédiction, noyées de larmes, suffoquées de sanglots ?...
Telle pleurait jour et nuit. Si le mari s'en étonnait un peu, ce n'était
pas pour l'exil du curé qu'elle pleurait, c'était pour telle église qu'on
allait vendre, tel couvent qu'on allait fermer...
" On connaît maintenant les moyens, les agents de cette guerre
impie. Le côté politique, le Roi et la noblesse y furent très
secondaires. Le prêtre y fut presque tout."
" Voici la conclusion à laquelle il fallait aboutir, voici comment Michelet écrit
l'histoire car il suffit d'ouvrir ses livres à peu près au hasard pour y trouver des
pages de la veine de celles qui viennent d'être citées. On comprend d'où le
petit instituteur primaire anticlérical tire, depuis, ses arguments.
La Révolution, religion exclusive.
" Henri Lasserre nous dit que Michelet est totalement dénué de philosophie ;
pourtant deux idées sont persistantes dans l'œuvre de Michelet, l'une est une
vérité, l'autre une contre vérité : Révolution et Catholicisme sont exclusifs l'un
de l'autre, telle est la vérité ; le peuple est le moteur de la Révolution, telle est
la contre vérité.
" Je veux d'abord laisser à Michelet le soin de présenter sa religion de la
Révolution, celle de l'Homme et du droit abstrait.
" La Révolution, a-t-on dit, a eu un tort. Contre le fanatisme
vendéen et la réaction catholique, elle devait s'armer d'un Credo de
secte chrétienne, se réclamer de Luther ou Calvin.
" Je réponds : Elle eût abdiqué. Elle n'adopta aucun Eglise.
Pourquoi ? C'est qu'elle était une Eglise elle-même.
" Comme agape et Communion, rien ne fut ici-bas comparable à
90, à l'élan des Fédérations. L'absolu, l'infini du Sacrifice en sa
grandeur, le don de soi qui ne réserve rien, parut au plus sublime
dans l'élan de 92 : guerre sacrée pour la paix, pour la délivrance
du monde.
" Et s'écroulent en même temps toutes les petites barrières où
s'enfermait chaque église, se disant universelle et voulant faire périr
les autres. Elles tombent devant Voltaire, pour faire place à l'église
humaine, à la catholique église qui les recevra, les contiendra toutes
dans la justice et dans la paix.
" Cette religion de la Révolution n'est pas une religion
quelconque, elle est la seule. Il n'y a qu'un Dieu, celui de l'égalité
et de l'équité. Les droits de l'homme sont le décalogue de cette
religion, la Marseillaise son cantique.
" Elle se dit non pas chrétienne mais plus, attaquée comme impie,
elle était ultra chrétienne... On a reproché à la Révolution de
n'être pas chrétienne : elle fut davantage. Ce qu'elle fut, c'est la
religion de l'homme et de la justice telle que l'orgueil de la raison
humaine, pour peu qu'elle soit de mauvaise qualité et livrée à ellemême, est capable de la concevoir, c'est-à-dire sous forme
d'égalitarisme simpliste.
" Il fallait, avant toute chose, revendiquer le droit de l'homme si
cruellement méconnu, rétablir cette vérité, trop vraie, et pourtant
obscurcie : " L'Homme a droit, il est quelque chose ; on ne peut le
nier, l'annuler, même au nom de Dieu ; il répond, mais pour ses
actions, pour ce qu'il fait de mal ou de bien ". Ainsi disparaît du
monde la fausse solidarité : l'injuste transmission du bien,
perpétuée dans la noblesse ; l'injuste transmission du mal, par
le péché originel, ou la flétrissure civile des descendants du
coupable [Adam]. La Révolution les efface."
" [...] Ce que Michelet a senti c'est le caractère personnel et du catholicisme et
des institutions qu'indubitablement il a façonnées, caractère personnel qui ne
laisse pas de place aux généralités abstraites, aux idéologies déifiées. A l'appui
de cette inconciliable opposition du christianisme avec le droit et la
Révolution, Michelet n'hésite pas à se réclamer tout aussi bien de Bonald et de
Maistre que de Proudhon.
" Royalisme et catholicisme sont choses identiques, deux formes du
même principe ; incarnation religieuse, incarnation politique.
" Le christianisme même, démocratique extérieurement dans sa
légende historique, est en son essence, en son dogme, fatalement
monarchique. Le monde perdu par un seul [Adam] est relevé par
un seul [Jésus-Christ, le nouvel Adam]. Le monde perdu par un seul
[Adam] est relevé par un seul [Jésus-Christ, le nouvel ou le second
Adam]. Dieu y dit aux rois : " Vous êtes mes Christs ". Bossuet
établit admirablement contre les protestants, contre les
républiques catholiques, que le christianisme donné, la royauté
en ressort comme se forme logique et nécessaire dans l'ordre
temporel.
" La vie du catholicisme, c'est la mort de la République. La vie
de la République, c'est la mort du catholicisme. [...]."
" Il est de la plus haute importance pour nous contre-révolutionnaires de savoir
que la pensée fondamentale de celui dont la Révolution a fait son prophète,
réside dans cette incompatibilité du Catholicisme et de la Révolution, et que ces
deux forces sont les seules à se partager le monde. J'ai souvent cité la déclaration
d'Henri Lefebvre proclamant cette même exclusivité en ce qui concerne le
catholicisme et le marxisme, et j'ai déjà fait remarquer qu'elle n'était vraie que si
l'on admettait que le marxisme était destiné à absorber l'ensemble de la
Révolution, ce qui n'est pas démontré malgré les apparences contemporaines ; la
formule de Michelet est plus juste et plus générale :
" Il y a deux choses et non pas une, nous ne pouvons le
méconnaître, deux principes, deux esprits, l'ancien, le nouveau.
" Donc, malgré les développements que les théories ont pu prendre,
malgré les formes nouvelles et les mots nouveaux, je ne vois encore
sur la scène que deux grands faits, deux principes et deux
personnes, le Christianisme, la Révolution."
" Ces phrases sont extraites de l'introduction de l'Histoire de la Révolution
Française ; le fait que celle-ci ait comme centre cette idée de l'irréductible
opposition Catholicisme-Révolution, atteste de l'importance primordiale que
lui attribue Michelet et par conséquent ceux qui l'ont choisi pour grand-prêtre.
Aussi citerai-je quelques autres passage de cette profession de foi.
" La Révolution continue le Christianisme, et elle le contredit. Elle
en est à la fois l'héritière et l'adversaire.
" Dans ce qu'ils ont de général et d'humain, dans le sentiment, les
deux principes s'accordent. Dans ce qui fait la vie propre et
spéciale, dans l'idée mère de chacun d'eux, ils répugnent et se
contrarient.
" Ils s'accordent dans le sentiment et la fraternité humaine. Ce
sentiment, né avec l'homme, avec le monde, commun à toute
société, n'en a pas moins été étendu, approfondi par le
Christianisme. A son tour, la Révolution, fille du Christianisme, l'a
enseigné pour le monde, pour toute race, toute religion qu'éclaire le
soleil.
" Voilà toute la ressemblance. Et voici la différence :
" La Révolution fonde la fraternité sur l'amour de l'homme
pour l'homme [la "philanthropie de l'enfer" : la philanthropie sans
la charité, vertu théologale - cf. Don Guéranger, dans L'Année
Liturgique, le temps après la Pentecôte, tome IV, saint Camille de
Lellis et saint Vincent de Paul, cinquième édition, pages 173 et
181], sur le devoir mutuel, sur le droit et la justice. Cette base
est fondamentale, et n'a besoin de nulle autre [naturalisme
absolu et intégral].
" Elle n'a point cherché à ce principe certain un principe douteux
historique. Elle n'a point motivé la fraternité par une parenté
commune [par Adam et Eve, nos premiers parents], une filiation
qui, du père aux enfants, transmettrait avec le sang la solidarité du
crime [le péché originel]."
" [...] Donnons-nous ce grand spectacle :
" I. - Le point de départ est celui-ci : Le crime vient d'un seul, le
salut d'un seul ; Adam a perdu, le Christ a sauvé.
" Il a sauvé, pourquoi ? Parce qu'il a voulu sauver. Nul autre motif.
Nulle vertu, nulle œuvre de l'homme, nul mérite humain ne peut
mériter ce prodigieux sacrifice d'un Dieu qui s'immole. Il se donne,
mais pour rien ; c'est là le miracle d'amour ; il ne demande à
l'homme nulle œuvre, nul mérite antérieur.
" II. - Que demande-t-il, en retour de ce sacrifice immense ? Une
seule chose : qu'on y croie, qu'on se croie en effet sauvé par le sang
de Jésus-Christ. [...]
" Plusieurs esprits éminents, dans une louable pensée de
conciliation et de paix, ont affirmé de nos jours que la Révolution
n'était que l'accomplissement du Christianisme, qu'elle venait le
continuer, le réaliser, tenir tout ce qu'il a promis [quel
aveuglement!].
" Si cette assertion est fondée, le dix-huitième siècle, les
philosophes, les précurseurs, les maîtres de la Révolution se sont
trompés, ils ont fait tout autre chose que ce qu'ils ont voulu faire.
Généralement, ils ont un tout autre but que l'accomplissement du
Christianisme [c'est évident]."
" [...] Ce qui oppose surtout Louis et Michelet, c'est Robespierre ; d'après
Michelet, Louis Blanc ne lui pardonne pas d'avoir scruté son idole ; cette
opposition n'est pas surprenante et Michelet nous l'expose :
" Il est demi-chrétien à la façon de Rousseau et de Robespierre.
L'Etre suprême, l'Evangile, le retour à l'Eglise primitive : c'est le
Credo vague et bâtard par lequel les politiques croient atteindre,
embrasser les partis opposés, philosophes et dévots." […]
" Un siècle s'est écoulé qui nous permet de mesurer combien, hélas ! était vain le
zèle que Michelet déployait contre les révolutionnaires disposés à pactiser : les
fils spirituels de Grégoire, les démocrates chrétiens exprimant eux-mêmes dans
leur dénomination la contradiction dénoncée par Michelet, se montrèrent les
agents les plus pernicieux de la diffusion révolutionnaire. [...]
" Michelet quant à lui est logique avec lui-même : croyant la Révolution la vraie
religion, il condamne les partisans de compromis [...]. Logique et malhonnêteté
intellectuelle ne sont pas incompatibles. Michelet ne pèche pas par
l'enchaînement des syllogismes ; seulement, comme le monde de son idéologie
ne se raccorde pas au monde réel, il bâtit une fausse image de celui-ci, qui, cette
fois, est compatible avec celui-là ; non sans peine, non sans faille comme nous
allons le voir.
Le peuple dieu.
" J'ai dit que la seconde idée de Michelet est le rôle fondamental du peuple
en tant qu'entité collective dans le développement de la Révolution. Cette
idée est une contradiction flagrante avec les faits mais logique par rapport à
sa religion qu'il nous expose dans son introduction à l'Histoire de la
Révolution à propos de Voltaire et de Rousseau.
" "Solve, coagula" [dissous et recompose] est l'éternelle devise de la Révolution.
Mais cette Révolution, elle est en fait profondément divisée ; son unité consiste
dans la haine du catholicisme ; de l'ordre temporel qu'il a suscité, et dans toute
action tendant à détruire l'un et l'autre. Ainsi la conception de Michelet quoiqu'il
en dise est en contradiction avec celle et de Voltaire et de Rousseau. Au
demeurant Voltaire et Rousseau s'opposent l'un à l'autre bien que Michelet ne
veuille les voir ni rivaux ni ennemis et place sur le même piédestal ces deux
apôtres de la Révolution.
" Voltaire n'a qu'un mobile : " écraser l'infâme " [i.e. la religion chrétienne] ; il
ne compte pas pour cela sur le peuple qu'il méprise, il compte sur les rois, sur la
littérature et sur l'organisation de la propagande ; le système politique de
Rousseau, il a beau jeu de le réduire en pièces en dégageant les contradictions
dans lesquelles s'empêtre l'auteur du Contrat Social depuis la première ligne.
Michelet rend gloire à Voltaire pour avoir été le champion de l'irréligion et de la
justice abstraite, cela suffit à le rendre aveugle sur les autres aspects de celui-ci.
" Quant à Rousseau, Michelet se sent d'abord avec lui en affinité de
tempérament par la sentimentalité débridée comme par la bassesse du caractère ;
il lui doit le romantisme mais son système est bâti sur la mésinterprétation [sic]
de Rousseau. La volonté générale dans l'esprit de Rousseau n'a jamais été
celle du grand nombre mais celle des citoyens vertueux, c'est-à-dire des
citoyens inaccessibles aux intérêts particuliers et entièrement dévoués à la
cause de la Révolution [i.e. des personnes pratiquement introuvables ou se
trouvant sur la lune, peut-être] ; le type même de ces hommes, le vrai disciple de
Rousseau, c'est Robespierre, que Michelet accuse de trahir la Révolution. [...]
" En fait, le dieu de Michelet est trinitaire ; sa première personne est l'Homme
abstrait qui n'a que des droits ; la deuxième personne est l'homme collectif, le
peuple qui renverse l'ordre ancien et bâtit l'Ordre nouveau ; la troisième
personne est l'esprit de la Révolution qui procède à la fois de l'homme
individuel idéal et de l'homme collectif. Ainsi nous sommes en pleine
théocratie puisque le même peule est dieu et souverain. [...]
" Dans mon premier volume (1847), j'avais indiqué à quel point les
idées d'intérêt, de bien-être, qui ne peuvent manquer en nulle
Révolution, en la nôtre pourtant sont restées secondaires, combien
il faut la tordre, la fausser, pour y trouver déjà les systèmes
d'aujourd'hui. Sur ce point, le beau livre de Quinet confirme le
mien. Oui, la Révolution fut désintéressée. C'est son côté
sublime et son signe divin."
" Ainsi, dans sa préface de 1868, écrivait Michelet qui semble ignorer
qu'Orléans avait fait distribuer des modèles de cahiers dans toute la France, où la
campagne d'élection des députés aux Etats Généraux avait été conduite partout
en sous-main par la maçonnerie.
" Une chose qu'il faut dire à tous, qu'il est trop facile d'établir, c'est
que l'époque humaine et bienveillante de notre Révolution a pour
acteur le peuple même, le peuple entier, tout le monde. Et l'époque
des violences, l'époque des actes sanguinaires ou plus tard le danger
la pousse, n'a pour acteur qu'un nombre d'hommes minime,
infiniment petit." [...]
" Ecoutez donc ce peuple chanter la Marseillaise :
" Quand ces pauvres gens arrivèrent au passage : Liberté chérie ! il
se fit un grand bruit. Touchant spectacle ! tout ce peuple était tombé
à genoux : il achevait ainsi le cantique et la terre était inondée de
pleurs." [Et même si cela était vrai, n'aurions-nous pas plutôt à faire
à des actes de folie mystique que l'on a déjà vus sous les régimes
communistes et nazis ? Attention aux réactions de la foule ! Elles
ne sont pas nécessairement dues à de bons esprits. Il faut encore
savoir les discerner par leurs fruits ou leur fin.]
" C'est le peuple que l'Esprit saint de cette pentecôte illumine et non les scribes !
" [...] Au savant, au prêtre, au légiste, la Révolution a opposé
l'homme, l'a mis de niveau avec eux. Cet homme qu'ils avaient
dédaigné, que le Christianisme lui-même leur avait mis sous les
pieds comme une créature gâtée, impuissante, obscurcie en sa
raison par le péché originel, mineur à jamais sous le prêtre, cet
homme dont le prêtre en lois, le légiste, se fait ensuite tuteur, la
Révolution proclama sa majorité." [...]
" Il faut bien qu'il a ait eu intervention de l'Esprit [ou de Lucifer] pour que le
peuple fît ces grandes choses spontanément puisque avec une certaine ingénuité,
Michelet nous le définit jusqu'ici content de son sort, plein de tendresse pour ses
maîtres.
" A l'esprit de fédération, d'union, à la nouvelle foi
révolutionnaire, on ne pouvait opposer que l'ancienne foi, si elle
existait encore.
" Au défaut du vieux fanatisme éteint, ou tout au moins
profondément assoupi, le Clergé avait une prise qui ne manque
guère, la facile bonté du peuple, sa sensibilité aveugle, sa crédulité
pour ceux qu'il aimait, son respect invétéré pour le prêtre et pour le
Roi... le Roi, cette vieille religion, ce mystique personnage, mêlé
des deux caractères du prêtre et du magistrat, avec un reflet de Dieu
!
" Toujours le peuple avait adressé là ses vœux, ses soupirs ; avec
quel succès, quel triste retour, on le sait de reste. La royauté avait
beau le fouler, l'écraser, comme une machine impitoyable ; il
l'aimait comme une personne...
" J'entends ce mot sortir des entrailles de l'ancienne France, mot
tendre, d'accent profond : " Mon Roi ! ".
" [...] Ce qui (...) étonne encore plus, c'est la résignation de ce
peuple, son respect pour ses maîtres, laïques, ecclésiastiques,
son attachement idolâtrique pour ses rois... Qu'il garde, parmi
de telles souffrances, tant de patience et de douceur, de bonté,
de docilité, si peu de rancune pour l'oppression, c'est là un
étrange mystère..."
" Voilà, tout est simple, quand les vues de l'esprit sont en contradiction avec la
réalité, on se contente de constater le mystère - puisque la Révolution est une
religion pourquoi n'aurait-elle pas de mystères ?
" Mais à regarder les choses positivement, il est bien évident que ce peuple
soumis au Roi, respectueux des prêtres n'a pas fait la Révolution tout seul ;
au demeurant que signifie cette fiction de la volonté générale encore plus
absurde dans la conception Michelet que dans celle de Rousseau ? Rien, car la
volonté est une faculté psychique d'un homme et une masse en est encore plus
dénuée qu'une oligarchie.
" Non les choses ne se sont pas passées comme le voudrait Michelet ; j'aurai
l'occasion de revenir sur cette question essentielle quant à la compréhension des
mécanismes révolutionnaires dans un autre article. Pour l'instant, je me
contenterai de noter le désaccord qui existe sur ce point entre Michelet et son
rival en tant qu'historien révolutionnaire ; il me suffit de faire parler Louis
Blanc.
" Il importe d'introduire le lecteur dans la mine que creusaient
alors sous les autels, des révolutionnaires bien autrement
profonds et agissants que les encyclopédistes. Une association
composée d'hommes de tous pays, de toute religion, de tout
rang, liés entre eux par des conventions symboliques, engagés
sous la foi du serment à garder d'une manière inviolable le
secret de leur existence intérieure, soumis à des épreuves
lugubres, s'occupant de fantastiques cérémonies, mais
pratiquant d'ailleurs la bienfaisance et se tenant pour égaux
quoique répartis en trois classes, apprentis, compagnons et
maîtres : c'est en cela que consiste la Franc-maçonnerie. Or, à
la veille de la révolution française, la Franc-maçonnerie se
trouvait avoir pris un développement immense ; répandue dans
l'Europe entière, elle secondait le génie méditatif de
l'Allemagne, agitait sourdement la France et présentait partout
l'image d'une société fondée sur des principes contraires à ceux
de la société civile." [...]
" C'est à peine si Michelet consacre quelques lignes aux sociétés secrètes ; quant
aux clubs, c'est comme une émanation du peuple qu'il nous les présente.
" Michelet, l'instrument de propagande idéal de la Révolution.
" La Révolution n'a pas renié Louis Blanc mais sans conteste, elle lui a préféré
Michelet ; à celui qui a cyniquement dévoilé la machinerie et l'envers du décor
[ce qui déplaît beaucoup à l'ennemi de la nature humaine qui veut agir en
cachette, sans être découvert - cf. Exercices spirituels de S. Ignace, n° 326, 13e
règle], elle préfère [bien sûr !] celui qui a embelli le décor ; au montreur de
marionnettes, elle préfère leur habilleur.
" La raison de ce choix est évidente ; est-ce que le spectacle ne perd pas de son
attrait lorsque les artifices des coulisses sont dévoilés [surtout lorsque l'on sait
par là que l'auteur du spectacle est l'esprit malin ou Satan lui-même] ? Si les
machinistes doivent parfaitement connaître leur métier, ils sont les seuls à le
devoir connaître ; quant au public ce que l'on attend de lui c'est l'enthousiasme
qu'aucun truquage apparent ne doit ternir, ce sont les applaudissements qui
accréditent la qualité du spectacle.
" De toutes les thèses révolutionnaires, celle de Michelet est, jusqu'à l'avènement
du marxisme (qui n'a pas été sans lui emprunter), celle qui a le plus de capacité
de mobilisation des forces populaires [c'est actuellement le communisme qui a
pris la relève en France), du fait du rôle flatteur qu'elle attribue au peuple [la
démocratie ! le mot magique] ; qu'importe qu'elle soit fausse, qu'importe que le
processus révolutionnaire soit tout autre, inverse même de celui où s'est complu
Michelet ; ceux qui s'en servent comme instrument de propagande ne sont pas
dupes.
" C'est le cas du gouvernement qui, en 1898, répand les œuvres de Michelet
dans les écoles ; celui-ci est entièrement aux mains des Francs-maçons ; les
sociétés secrètes [la société maçonnique ou la secte de la Franc-Maçonnerie]
continuent de faire avancer l'œuvre révolutionnaire comme elles l'ont fait au
cours du XVIIIe siècle ; leur force est d'être secrète ; le régime sera d'autant plus
solide que d'une part, en tant que régime, il apparaîtra comme moins lié à la
Révolution, que, d'autre part, l'opinion publique sera révolutionnaire avec plus
de ferveur.
" Devant la montée des forces révolutionnaires [ou du naturalisme inhérent à la
Franc-Maçonnerie], les catholiques ne seront-ils pas tentés de voir dans le
gouvernement un arbitre neutre qu'il a intérêt à appuyer plutôt qu'à bouder ? Si
Léon XIII avait su que le régime était une forteresse maçonnique inexpugnable
[il l'a su vers la fin de sa vie terrestre], il n'aurait pas prié les catholiques français
de s'y rallier ; et les catholiques français, s'ils avaient su la vérité, n'auraient
pas suivi le Pape dans un domaine ou leur religion ne leur en faisait nulle
obligation. Plus tard le masque sera levé, mieux cela ne vaudra-t-il pas pour la
cause de la Révolution ; en 1898, l'équivoque est encore payante puisque le
jeune Marc Sangnier n'a pas encore commencé sa carrière. Michelet n'a pas
encore fini la sienne ; de la semence qu'il a répandue, sont encore à venir ;
comme Maurras le redoutait à l'époque [et comme le voyait le Pape Saint Pie X]
, bien des fruits empoisonnés [et actuellement nous sommes complètement
submergés par la marée moderniste] ; si vous voulez vous en convaincre, lisez
les manuels dans lesquels la jeunesse des écoles de la République et de celles
dites libres apprend aujourd'hui l'histoire. Ceux-là sont plus délétères encore
que les œuvres mêmes de Michelet parce que plus perfides. A Michelet, dont on
prononce beaucoup moins le nom, ils ont pris la vision de la Révolution
présentée comme une réaction du peuple sacro-saint contre un ancien régime
caricaturé ; mais ils se gardent bien de faire savoir que cette vision n'est que
partie intégrante d'un système dans lequel la Révolution est une religion
exclusive, dont le catholicisme est évidemment le plus irréductible ennemi ; ceci
mettrait en éveil trop de ceux qui semblent heureux de dormir et de rêver.
" L'intoxication du grand nombre ne saurait empêcher l'existence d'une élite
réfléchie. L'absurdité des thèses révolutionnaires éveillera les esprits épris de
vérité. Taine réhabilitera l'honnêteté et démystifiera l'histoire présentée par
Michelet ; il préparera ainsi la voie à Augustin Cochin qui entreprendra de
démontrer les mécanismes secrets de la Révolution. Ceci fera l'objet d'un
prochain chapitre."
Cardinal Pie (1815-1880) [évêque de Poitiers (1849) qui contribua au concile
Vatican I à la définition de l'infaillibilité pontificale (1870) et fut créé cardinal
par le Pape Léon XIII en 1879], Œuvres de Mgr l'Evêque de Poitiers, 10
volumes, tome V, chap. IV : Troisième instruction synodale sur les principales
erreurs de notre temps, juillet 1862 et août 1863, Poitiers, Henri Oudin,
Librairie-Editeur, Paris, Victor Palmé, Librairie-Editeur, 1872, pages 41-42, 44,
46-47 :
" Or, si l'on cherche le premier et le dernier mot de l'erreur contemporaine, on
reconnaît avec évidence que ce qu'on nomme l'esprit moderne, c'est la
revendication du droit, acquis ou inné, de vivre dans la pure sphère de l'ordre
naturel : droit moral tellement absolu, tellement inhérent aux entrailles de
l'humanité, qu'elle ne peut, sans signer sa propre déchéance, sans souscrire à sa
honte et à sa ruine, le faire céder devant aucune intervention quelconque d'une
raison et d'une volonté supérieures à la raison et à la volonté humaine, devant
aucune révélation ni aucune autorité émanant directement de Dieu.
" Cette attitude indépendante et répulsive de la nature à l'égard de l'ordre
surnaturel et révélé, constitue proprement l'hérésie du naturalisme : mot
consacré par le langage bientôt séculaire de la secte [i.e. la Franc-Maçonnerie cf. l'enc. Humanum Genus du Pape Léon XIII] qui professe ce système impie,
non moins que par l'autorité de l'Eglise qui le condamne.
" Cette séparation systématique, on l'a aussi appelée, et non sans fondement,
l'antichristianisme. Par le fait, elle est entièrement destructive de toute
l'économie chrétienne. En ne laissant subsister ni l'incarnation du Fils naturel [et
unique] de Dieu, ni l'adoption divine de l'homme [par la grâce], elle supprime le
christianisme à la fois par son faîte et par sa base, elle l'atteint à sa source et dans
toutes ses dérivations.
" Pour assigner à ce naturalisme impie et antichrétien son origine première et
son premier auteur, il faudrait pénétrer jusque dans les mystérieuses profondeurs
du ciel des anges. Celui que Lucifer, constitué dans l'état d'épreuve, n'a pas
voulu adorer, n'a pas voulu servir, celui auquel il a prétendu s'égaler, il serait
difficile de croire que ce fut le Dieu du ciel [cf. le Palladisme ou le culte de
Satan-Lucifer]. Une nature si éclairée, un esprit originairement si droit et si bon,
ne semble pas susceptible d'une révolte si gratuite et si insensée. Quelle fut donc
la pierre d'achoppement pour Satan et pour ses anges ? David commenté par
saint Paul, l'Ecriture interprétée par les plus illustres docteurs, versent
d'admirables lumières d'où découlent tant de conséquences. [...]
" Du reste, en dehors de toute opinion concernant ce caractère spécial du péché
des mauvais anges, il est certain, ainsi que l'enseigne saint Thomas, que " le
crime du démon a été ou bien de mettre sa fin dernière dans ce qu'il pouvait
obtenir par les forces seules de la nature [par la Science], ou bien de vouloir
parvenir à la béatitude glorieuse par ses facultés naturelles sans le secours de la
grâce " (Somme théologique, Ire Partie, qu. 63, art. 3, Concl.). Il faut donc, dans
toute hypothèse, remonter jusqu'à Satan pour la découvrir dans son origine et
pour la saisir dans son fond, cette odieuse impiété du naturalisme qui, à l'aide
d'axiomes et de programmes plus ou moins habiles et savants, glisse ses ombres
détestables jusque dans l'esprit des chrétiens de nos jours, décorant aussi
faussement que fastueusement du nom d'esprit moderne ce qui est le plus vieux
des esprits, l'esprit de l'ancien serpent, l'esprit du vieil homme, l'esprit qui fait
vieillir toutes choses qui les précipité vers la décadence et la mort, et qui prépare
insensiblement les effroyables catastrophes de la dissolution dernière. [...]
" IV. Mais cette œuvre du diable leur père (cf. Jn 8 44), les faux sages de notre
époque ne la conçoivent pas tous de la même façon : ils l'embrassent et l'opèrent
diversement selon les inspirations diverses qu'ils reçoivent de lui. Le naturalisme
a des degrés : absolu chez les uns, partiel chez les autres ; là niant les principes
premiers, ici écartant seulement quelques conséquences. Mais comme tout se
tient, comme tout est fortement lié dans l'œuvre de Dieu, la négation des
moindres conséquences fait remonter logiquement à la négation des principes.
Le poison du naturalisme n'est donc inoffensif à aucun degré, il n'est supportable
à aucune dose. Si les esprits moins imprégnés du venin courent moins de
dangers pour leur propre compte, ils ne sont guère moins redoutables quant à la
portée et aux effets contagieux de leur erreur. Cette influence mauvaise doit
donc être dévoilée et combattue partout où elle se trouve.
" Les plus mitigés sont assurément ceux qui, acceptant la présence et l'autorité
de Jésus-Christ dans l'ordre des choses privées et religieuses, l'évincent
seulement des choses publiques et temporelles. Le Verbe, de qui saint Jean nous
dit énergiquement qu' " il s'est fait chair " (Jn 1 14), ils veulent qu'il n'ait guère
pris de l'humanité que les côtés spirituels ; et, tandis que le symbole enseigne qu'
" il est descendu du ciel et s'est incarné pour les hommes " (Symbole de Nicée :
Propter nos homines), c'est-à-dire pour des êtres essentiellement composés d'un
corps et d'une âme et appelés à la vie sociale, ils insinuent que les conséquences
de l'incarnation n'ont trait qu'aux âmes séparées de leur enveloppe corporelle, ou
du moins qu'aux individus pris en dehors de la vie civile et publique. De là une
séparation formelle entre les devoirs du chrétien et les devoirs du citoyen, de là
des remontrances plus ou moins respectueuses à l'Epouse de Jésus-Christ, des
théories qui lui font sa part, qui déterminent sa compétence et son incompétence
; de là enfin toute cette école nouvelle qui, avec des nuances diverses,
entreprend de faire l'éducation de l'Eglise sur un certain nombre de questions
pratiques, et s'intitule plus ou moins ouvertement l'école des " catholiques
sincères et indépendants ".
" Le naturalisme de certains autres revêt un autre caractère. Soit qu'ils admettent
ou qu'ils refusent d'examiner les questions de possibilité et d'existence de l'ordre
surnaturel et révélé, ils posent en principe que cet ordre étant de surérogation et
comme de luxe, demeure nécessairement facultatif ; que chacun peut licitement
refuser de s'y engager, ou, après y être entré, en sortir à son gré ; que l'ordre de
nature subsiste dans son intégrité et sa perfection propre, avec ses vérités, ses
préceptes, sa sanction, et qu'il offre toujours à la créature raisonnable une fin
assortie à la pure nature, et des moyens suffisants pour atteindre cette fin. Pour
ces hommes, la question de religion positive n'étant qu'une affaire de choix et de
goût, l'Etat, tout en assurant aux citoyens qui appartiennent à un culte
quelconque la liberté de le suivre, doit, pour sa part, exercer le sacerdoce de
l'ordre naturel, et poser l'éducation nationale, l'enseignement des lettres, de
l'histoire, de la philosophie, de la morale, en un mot, toute la législation et
toute l'organisation sociale, sur un fondement neutre, ou plutôt sur un
fondement commun, et résoudre ainsi en dehors de tout élément révélé le
problème de la vie humaine et du gouvernement public. C'est ce que le
jargon du jour nomme l'Etat laïque, la société sécularisée, tenant en réserve la
qualification de " clérical " à l'adresse de tout laïque et séculier qui n'est pas
renégat de son baptême et transfuge de son Eglise."
Cardinal Pie (1815-1880) [évêque de Poitiers (1849) qui contribua au concile
Vatican I à la définition de l'infaillibilité pontificale (1870) et fut créé cardinal
par le Pape Léon XIII en 1879], Œuvres de Mgr l'Evêque de Poitiers, 10
volumes, tome II, chap. XXVIII : Première instruction synodale sur les
principales erreurs de notre temps, 7 juillet 1855, Poitiers, Henri Oudin,
Librairie-Editeur, Paris, Victor Palmé, Librairie-Editeur, 1872, pages 388-393 :
" Les docteurs les plus illustres des premiers siècles vous fourniront de
magnifiques développements sur cette matière [le naturalisme]. Vous ne sauriez
surtout assez interroger saint Augustin [354-430].
" XIV. Ce beau génie, que la philosophie actuelle daigne honorer de son estime
particulière, vous sera d'un grand secours. Parmi les docteurs du christianisme,
un trait distinctif caractérise saint Augustin, c'est qu'il est de tous le plus
philosophe, nous dit un récent traducteur de la Cité de Dieu (M. Saisset, Revue
des Deux-Mondes, 15 mai 1855, p. 870). Je veux bien souscrire à cet éloge.
Voyons donc si le théologien philosophe se montrera plus accommodant que les
autres pères de l'Eglise, quand il s'agit de la nécessité de la foi et de la grâce
surnaturelle pour parvenir au bonheur de l'autre vie et pour échapper aux peines
éternelles. Je tombe sur son commentaire du quinzième chapitre de saint
Jean. On ne peut disconvenir que les paroles du divin Sauveur soient assez
directes contre l'erreur que nous avons en vue, contre l'erreur de ceux qui
accordent que le chrétien uni à Jésus-Christ par la foi et par la grâce peut
produire des fruits plus abondants, plus exquis peut-être, mais qui prétendent
que le sarment détaché du cep, la nature séparée de la grâce, peut produire des
fruits à tout le moins convenables et suffisants. Jésus leur dit : " Je suis la vigne
et vous êtes les branches ; si le sarment adhère à la tige, il produira beaucoup
; sinon, rien ; on le mettra dehors, et il séchera, et on le jettera au feu, et il
brûlera " (Jn 15 4-6). L'évêque d'Hippone, qu'on nous représente comme un
fidèle disciple de Platon, va-t-il, dans sa tolérance philosophique, retrancher
quelque chose de cette rigueur et de cette intolérance théologique ? Ecoutez-le :
" De peur, dit-il, que le sarment ne crût pouvoir produire quelque petit fruit par
lui-même, le Sauveur, après avoir dit que le rameau uni au cep produira de
grands fruits, n'ajoute pas que sans cette union il en produira peu, mais il ne
produira rien. Ni peu, ni beaucoup, rien n'est possible à l'homme pour le salut
qu'à la condition rigoureuse de son union avec le Christ, qui est la vigne ; s'il
n'est adhérent au cep, s'il ne puise sa sève dans la racine, il ne peut porter le
moindre fruit par lui-même... Et comme, sans cette vie qui procède de l'union
avec le Christ, il n'est pas au pouvoir de l'homme de mourir ou de ne pas mourir,
celui qui ne demeure pas dans le Christ sera mis dehors, et il sèchera, et on le
jettera au feu et il brûlera ". Ici le saint docteur remarque, après le prophète
Ezéchiel, que " le sarment a cela de particulier, qu'étant retranché de la vigne il
n'est propre à aucun usage, ni pour les travaux de l'agriculture, ni pour les
travaux de construction (Ez 15 1-8). Autant ce bois, qui se serait couvert de
pampres et de raisins, et qui aurait produit le vin généreux, c'est-à-dire la plus
noble des substances, aurait acquis de gloire en demeurant dans la vigne, autant
il devient méprisable s'il n'y demeure pas. L'alternative inévitable pour le
sarment, c'est la vigne ou le feu. S'il n'est pas dans la vigne, il sera dans le feu :
afin de n'être pas dans le feu, qu'il reste donc uni à la vigne..." Entendez ce
langage, vous qui vous complaisez en vous-mêmes, vous qui ne craignez pas de
dire : " C'est de Dieu que nous tenons notre nature, notre raison ; mais notre
nature et notre raison nous étant données, c'est de notre propre fonds que nous
pouvons tirer notre vertu et notre justice ". Telle est notre vaine présomption ;
mais voyez ce qui vous attend, et s'il vous reste quelque sentiment, frémissez
d'horreur ! Celui qui croit porter du fruit par lui-même, n'est pas dans la
vigne, c'est-à-dire n'est pas dans le Christ ; s'il n'est pas dans le Christ, il
n'est pas chrétien : voilà la profondeur de votre abîme ." Or, autant la nature
humaine enrichie de la sève surnaturelle qu'elle eût puisée dans la racine qui est
le Christ, aurait été glorifiée, autant sa destinée devient humiliante quand elle
s'isole de la grâce : Tanto contemptibiliora si in vite non manserint, quanto
gloriosiora si manserint. Le Père céleste, qui est le grand laboureur et le grand
architecte, n'en saura tirer aucun parti. Præcisa, nullis agricolarum usibus
prosunt, nullis fabrilibus operibus depuntantur. Pour la nature humaine, dans
sa condition présente, il n'y a pas de destinée intermédiaire : ou le Christ ou
le feu : Unum de duobus palmiti congruit, aut vitis aut ignis. Si elle ne veut pas
puiser la vie et la gloire dans le Christ, elle trouvera l'opprobre et le
supplice dans la flamme : Si in vite non est, in igne erit. Pour éviter la flamme,
qu'elle demeure donc fidèlement unie au Christ : Ut ergo in igne non sit, in vite
sit. Ailleurs le même saint docteur [saint Augustin] explique une autre parabole,
c'est celle où le Sauveur dit : " Je suis la porte, si quelqu'un entre par moi dans
le bercail, il sera sauvé, et il aura ses entrées et ses sorties, et il trouvera
d'abondants pâturages ; mais si quelqu'un n'entre pas par la porte, et veut
escalader par ailleurs, c'est un ravisseur, qui ne vient que pour dérober, pour
massacrer et pour détruire " (Jn 10 1 9 10). " En effet, reprend saint
Augustin, il est bon nombre de gens qui, d'après certaine coutume de la vie
humaine, sont appelés des gens de bien, des hommes de bien, des femmes de
bien : secundum quamdam vitæ hujus consuetudinem, dicuntur boni homines,
boni viri, bonæ feminæ, gens réguliers qui semblent observer ce qui est
commandé dans la loi : rendant honneur à leurs parents, ne commettant ni la
fornication, ni l'homicide, ni le vol ; ne portant de faux témoignage contre
personne, et accomplissant à peu près les autres points de la loi ; mais ils ne
sont pas chrétiens : Christiani non sunt. Or, comme tout ce qu'ils font ainsi, ils
le font inutilement, ne sachant pas à quelle fin ils doivent le rapporter, c'est à
leur sujet que le Seigneur propose la similitude de la porte par laquelle on entre
dans le bercail. Que les païens disent donc : Nous vivons bien. S'ils n'entrent par
la porte, à quoi leur sert ce dont ils se glorifient ? Car le motif de bien vivre pour
chacun, c'est l'espérance de toujours vivre : Ad hoc enim debet unicuique
prodesse bene vivere ut datur illi semper vivere. A quoi bon en effet une vie
régulière, si elle n'est le moyen d'obtenir une vie sans fin : Nam cui non datur
semper vivere, quid prodest bene vivere? On ne peut dire que ceux-là vivent
bien, qui sont assez aveugles pour ignorer la raison qu'ils ont de bien vivre, ou
assez orgueilleux pour la mépriser. Or, personne n'a une assurance vraie et
certaine de vivre toujours, s'il ne connaît la véritable vie, qui est Jésus-Christ, et
s'il n'entre dans le séjour de la vie par cette porte... Il y a donc certains
philosophes qui dissertent avec subtilité sur les vices et les vertus ; ils divisent,
ils définissent, ils raisonnent, ils concluent, ils emplissent les livres, ils enflent
leurs joues pour vanter leur sagesse... Les hommes de cette trempe cherchent
le plus souvent à persuader leurs semblables de bien vivre sans pour cela
devenir chrétiens. Mais ces hommes n'entrent pas par la porte qui est
Jésus-Christ ; ils veulent monter par ailleurs ; ils n'aboutiraient qu'à ravir,
à ravager, à perdre les âmes."
" Vous le voyez, Messieurs et chers Coopérateurs, ce grand homme et ce grand
évêque, en qui l'on se complaît à célébrer la fusion intime et complète des deux
plus grandes forces de l'esprit humain, la raison et la foi (Revue des cours
publics, 24 juin 1855, p. 55), est loin de considérer comme indifférent que
l'homme fasse le bien au nom de sa raison et de sa conscience, ou qu'il le fasse
au nom de sa foi. Il ne conteste pas à l'honnêteté naturelle sa bonté morale : mais
il ne reconnaît point dans la raison humaine une discipline assez forte pour
suffire à tous les devoirs ; il n'admet pas de juste milieu philosophique et
paisible entre le scepticisme et l'orthodoxie, où qui que ce soit puisse trouver le
repos de sa conscience. Quiconque ne veut pas entrer par la porte chrétienne, il
n'hésite pas à lui fermer le ciel et à lui montrer l'abîme qui l'attend. Puisse
l'autorité de ce grand théologien et de ce grand philosophe ne rencontrer aucun
entêtement d'orgueil, mais exciter plutôt une reconnaissance singulière chez
ceux de nos frères en Jésus-Christ qui nous ont interpellés (J. Rigault, Journal
des Débats, loc. cit.) ! Il est écrit au Livre des Proverbes : " Celui qui veut
instruire le railleur, se fait injure à lui-même ; ne raisonnez pas le moqueur, de
peur qu'il ne vous haïsse " (Pr 9 7). Mais il est écrit aussi : " Répondez au sage,
et il vous aimera " (v. 8). C'est la grand saint Augustin qui a répondu à notre
interrogateur : il trouvera dans son âme docilité et amour."
Id., tome V, chap. IV : Troisième instruction synodale sur les principales
erreurs de notre temps, juillet 1862 et août 1863, pages 151, 152, 153, 154-155 :
" Le naturalisme part de ce faux supposé que l'homme aurait été constitué
d'abord dans un état d'intégrité purement naturelle, avec une fin purement
naturelle, et des facultés et puissances capables d'atteindre cette fin [à l'époque
actuelle, c'est-à-dire en l'an 2002, on en est même plus là, mais la science,
soutiennent les prétendus savants de notre monde en folie, grâce à ses progrès,
prouve maintenant incontestablement que l'homme descend du singe ou qu'il
n'était à l'origine qu'une bête sans intelligence ni raison - comme si la
conscience, l'intelligence et la maîtrise humaine étaient sorties d'un inconscient
inintelligent en nous poussant aveuglément. Et de s'abrutir sur la recherche et
l'étude de quelques vieux os pour confirmer leurs doctrines insensées et
diaboliques sur l'origine de l'homme et inonder les écoles de leurs écrits ou de
leurs conclusions par des ouvrages que l'éducation nationale impose dans ses
programmes de sciences naturelles, et ce avec la complicité tacite de tout le
corps enseignant. On appelle cela un progrès. Voilà en effet qui élève l'homme
et qui donne à la jeunesse des raisons d'espérer en une fin plus glorieuse !]. En
cela, le naturalisme confond ce qui aurait pu être avec ce qui a été, et il prend
l'hypothèse pour l'histoire. [...] Mais la vérité est, nous l'avons vu, que le décret
de notre exaltation est antérieur à notre apparition, que la bénédiction spirituelle
en Jésus-Christ nous a été octroyée avant la constitution du monde ; que nous
avons été créés en lui (cf. Eph. 2 10) comme nous avons été rachetés par lui ;
que toutes choses ont été faites en lui comme elles ont été restaurées en lui (cf.
Col. 1 15-16) ; que non seulement la justice originelle, mais l'intégrité même
naturelle nous a été conférée par sa grâce. La nature donc, si elle est dépouillée
des dons gratuits, est par là même blessée dans ce qui lui est propre (cf. II Cor. 5
4). [...] Et comme le fabricateur souverain avait voulu l'humanité enrichie de
privilèges, comme il avait simultanément créé en elle la nature et infusé la grâce,
comme il avait mêlé son Esprit sanctificateur au premier souffle dont il l'avait
animée, comme il avait empreint dans son âme et jusque sur son visage la
marque de ressemblance avec son Verbe incarné, en un mot, comme il l'avait
prédestinée à l'adoption déifique, elle est désormais défectueuse, elle est laide,
elle est réprouvée devant lui, parce qu'elle manque d'un ordre de perfection, de
beauté, de mérite auquel étaient attachés la grâce et le salut. De là la parole
énergique de l'apôtre qui déclare que nous sommes " par nature, enfants de
colère " : natura filii iræ (Eph. 2 3). Non pas en ce sens que la nature soit
mauvaise et criminelle de son propre chef [n'oublions quand même pas que le
Fils unique de Dieu a pris chair de la Vierge Marie], et que tout ce qu'elle fait
par elle-même soit péché : ce qui serait contre la foi aussi bien que contre la
raison (cf. Bulla Leon. X, Exsurge, Domine, contra Luther). ; mais en ce sens
que, s'étant librement détournée de la fin unique et surnaturelle que Dieu lui
avait assignée, elle est constituée en dehors de la volonté divine, et qu'ainsi
continuant d'être bonne dans son essence, ce qui est vrai de la nature même des
démons (cf. S. Thomas, S. th., Ire P., qu. LXIII, art. 4), elle est mauvaise dans son
état. [...] Séparée, et dépouillée du Christ ; la nature humaine constitue
pleinement ce que les saintes Ecritures appellent " le monde " ; ce monde dont
Jésus-Christ n'est pas (cf. Jn 8 23), pour lequel il ne prie pas (cf. Ibid. 17 9),
auquel il a dit malheur (cf. Mtt 18 7) ; ce monde dont le diable est le prince et la
tête (cf. Ibid. 16 11), et dont la sagesse est ennemie de Dieu (Rm 8 7) à ce point
que, vouloir être ami de ce siècle, c'est être constitué adversaire de Dieu (Jac 4
4) ; ce monde qui, parce qu'il ignore le Christ sauveur, sera ignoré du Christ
rémunérateur : Qui ignorat, ignorabitur (I Cor. 14 : 38), et recueillera la terrible
sentence : " Je ne vous connais pas " (Lc 13 25, 27) ; ce monde enfin dont les
voies aboutissent à l'enfer (cf. Si 21 10). Tant que dure la vie présente, c'est
l'œuvre de la grâce, par conséquent l'œuvre de l'Eglise, de retirer les créatures de
cet état de mondanité, en le rendant à Jésus-Christ, et, par Jésus-Christ, à leur
destination bienheureuse (cf. Jn 17 6 15-16). [...] A considérer son état actuel et
réel, et nonobstant la bonté persistante de ses éléments essentiels, la nature est "
péché ". Qu'on parle tant qu'on voudra des droits de l'homme : il en est deux
qu'il ne faudrait point oublier. L'homme apporte en naissant le droit à la mort et
le droit à l'enfer. Ce n'est que par Jésus-Christ qu'il peut revendiquer le droit à la
résurrection et à la vie bienheureuse. Quant à replacer l'homme en dehors de
Jésus-Christ, de façon à lui refaire un ordre de pure nature, avec une fin
purement naturelle et un droit à la béatitude naturelle, tous les efforts du
naturalisme n'y parviendront jamais. On ne changera pas les plans primitifs du
Tout-Puissant. Bien plutôt, au péché de son origine, l'homme de la pure nature
ajoutera le péché actuel et personnel, puisqu'en fermant son oreille à la
révélation et son cœur à la grâce divine, il se rendra coupable de la plus grave de
toutes les fautes qui est le péché d'infidélité. Et alors, par un juste jugement de
Dieu, n'ayant pas voulu comprendre le degré d'honneur auquel il était appelé il
descendra au niveau des êtres sans raison [l'homme du XXI e siècle s'y met déjà
par sa théorie sur son origine, justifiant ainsi sa conduite bestiale et se préparant
à être jeté pour l'éternité dans l'étang de feu (cf. Ap 20 13-15 ; 21 8 ; 22 15], et,
par plus d'un côté, il leur deviendra semblable (Ps 48 13). C'est de cette sorte
d'hommes que l'apôtre saint Jude a parlé. Blasphémateurs des choses
surnaturelles qu'ils ignorent et veulent systématiquement ignorer, ils se
corrompent dans les choses naturelles qu'ils connaissent par un instinct animal
plutôt que véritablement raisonnable... Nuées sans eau qui sont promenées au
gré des vents, des vents des opinions et des vents des passions ; arbres
d'automne, qui poussent des fleurs incapables de donner des fruits, arbres
doublement morts, et quant à la vie de la foi et quant à la vie de la raison, arbres
déracinés et destinés au feu ; étoiles errantes, auxquelles une tempête noire et
ténébreuse est réservée pour l'éternité (cf. Jude 10 12 13). Cela demeure donc
établi : il n'y a pas de refuge pour la nature en dehors de Jésus-Christ. " Il faut
choisir entre les deux, dit le martyr saint Ignace : ou le courroux éternel de Dieu
dans l'autre vie, ou sa grâce dans la vie présente " (Epist. ad Ephes.)."
Id., pages 170, 171, 172, 176-177, 188-189, 191-192, 193, 207 :
" L'erreur naturaliste a conçu l'ambition de devenir un dogme public ; si elle ne
peut régir toutes les existences individuelles, elle aspire à devenir la loi des
Etats, le principe régulateur du monde moderne [en l'an 2002, cette erreur
n'aspire plus à devenir la loi des Etats : elle est le principe régulateur du monde
moderne]. Des bancs du portique, elle s'efforce de monter jusque sur le
marchepied des trônes et ne désespère pas de s'y asseoir définitivement ; des
discours et des livres, elle vise à s'installer dans les constitutions et dans les lois.
L'édifice du naturalisme philosophique attend son couronnement du naturalisme
politique.
" J'appelle de ce nom le système d'après lequel l'élément civil et social ne relève
que de l'ordre humain et n'a aucune relation de dépendance envers l'ordre
surnaturel. Le chef de l'Eglise [le bienheureux Pie IX] le définit en ces termes : "
Ils ne craignent pas d'affirmer dit-il, que les législations civiles, comme les
sciences philosophiques et morales, peuvent et doivent décliner la révélation
divine et l'autorité de l'Eglise ;... ils avancent, dans leur extrême impudence, non
seulement que la révélation divine ne sert de rien, mais qu'elle nuit à la
perfection humaine, qu'elle est elle-même imparfaite, et par conséquent soumise
à un progrès continu et indéfini [progressisme], qui doit répondre au progrès de
la raison de l'homme ;... ils ajoutent que cette raison, sans tenir aucun compte de
la parole de Dieu, est l'unique arbitre du vrai et du faux, du bien et du mal ;
qu'elle est à elle-même sa loi, et qu'elle suffit par ses forces naturelles à procurer
le bonheur des hommes et des peuples " (Al. au Consistoire, 9 juin 1862 : La
source du droit). [...]
" Aux yeux du déiste, combien plus à ceux du panthéiste, du matérialiste, du
fataliste, toute influence de la religion sur la politique est une domination
usurpée, une tutelle humiliante, une entrave apportée au libre développement des
forces de la société. Quand ils sont imprégnés de ces doctrines, il est naturel que
les rois de la terre et les peuples se liguent ensemble contre Dieu et contre son
Christ, qu'ils aspirent à briser leurs liens et à semer le joug de ce qu'ils appellent
la superstition (cf. Psaumes, 2 1-3).
" Mais, par une de ces inconséquences dont l'esprit humain est susceptible, il est
des hommes qui, sans révoquer en doute le caractère divin du christianisme
[c'est-à-dire tous nos hommes politiques qui sont de confession catholique],
enseignent que l'autorité de Jésus-Christ, l'autorité de sa doctrine, de sa loi,
de son Eglise, s'arrête au seuil de la vie publique des chrétiens. En tant
qu'elle procède de certaines maximes familières à l'ancien gallicanisme de la
cour et du parlement, nous avons eu l'occasion de réfuter directement cette
prétention incompatible avec la saine croyance chrétienne (cf. tome IV, p.
228). [...]
" En effet, tandis que la presse impie et rationaliste [ou franc-maçonne]
proclame la sécularisation désormais absolue des lois, de l'éducation, du régime
administratif, des relations internationales et de toute l'économie sociale, comme
étant le fait et le principe dominant de la société nouvelle, de cette société
émancipée de Dieu, du Christ et de l'Eglise [objectif pleinement atteint en l'an
2002], nous avons vu surgir, sous l'empire de préoccupations honnêtes et
estimables, des adeptes inattendus de ce système nouveau. Des chrétiens ont
paru penser que les nations n'étaient pas tenues, au même titre que les
particuliers, de s'assimiler et de professer les principes de la vérité
chrétienne [l'œuvre par excellence des démocrates chrétiens] ; [...] enfin que
la génération héritière de celle qui aurait accompli, en tout ou en partie, cette
œuvre de déchristianisation légale et sociale, pouvait et devait l'accepter, non
pas seulement comme une nécessité, mais comme un progrès des temps
nouveaux, que dis-je, comme un bienfait même du christianisme, lequel après
avoir conduit les peuples à un certain degré de civilisation, devait se prêter
volontiers à l'acte de leur émancipation, et s'effacer doucement de leurs
institutions et de leurs lois [à la grande satisfaction des francs-maçons qui
voyaient leur plan diabolique se réaliser d'une façon inespérée], comme la
nourrice s'éloigne de la maison quand le nourrisson a grandi." [...]
" [...] Enfin, ce n'était pas des princes de Juda seulement que le Seigneur disait,
pour expliquer les châtiments dont il les avait écrasés : " Ils ont régné par euxmêmes et non par moi ; ils ont été princes, et je ne les ai pas connus " (Osée, 8 :
4). Remarquez ces derniers mots, Messieurs. Une plume qui n'avait pas
conscience de son impiété écrivait : " La loi moderne IGNORE DIEU ". Eh
bien ! nous ne craignons pas de le dire : A un tel ordre de choses, partout où il
existera, Dieu répondra par cette peine du talion qui est une des grandes lois du
gouvernement de sa providence. Le pouvoir qui comme tel ignore Dieu, sera
comme tel ignoré de Dieu : si quis autem ignorat, ignorabitur (I Co 14 38). Or,
être ignoré de Dieu, c'est le comble du malheur ; c'est l'abandon et le rejet le plus
absolu [i.e. la damnation éternelle]. La sentence d'éternelle réprobation ne sera
pas formulée en d'autres termes : " Je ne vous connais pas, je ne sais pas d'où
vous êtes " (Lc 13 25). De là, ces transformations si fréquentes, ces changements
périodiques des gouvernements et des dynasties. [...]
" [...] Par exemple, après l'expérience de dix-huit siècles de christianisme,
comment s'obstiner à mettre quotidiennement sur les lèvres de tous les
chrétiens des vœux aussi irréalisables que ceux qui sont exprimés dans
l'oraison dominicale ? N'y a-t-il pas lieu d'opérer la radiation définitive de
ces mots : " Que votre règne arrive et que votre volonté soit faite sur la terre
comme au ciel " ? Appliquée aux nations, cette même règle serait la
condamnation, non pas seulement du principe de la politique chrétienne, mais de
toute la législation mosaïque. Car nous ne craignons pas de l'affirmer, l'histoire à
la main : les temps et les pays chrétiens ont vu plus de grands règnes, des règnes
plus purs, plus saints, que les temps d'Israël. Qu'on compare les Livres des
Juges, des Rois et des Maccabées avec les annales des nations catholiques, et
qu'on lise si le désavantage est du côté qui offre ici les Charlemagne et les saint
Louis, là les saint Henri d'Allemagne, les saint Etienne de Hongrie, les saint
Wenceslas de Bohème, les saint Ferdinand de Castille, les saint Edouard
d'Angleterre, enfin tant de princes et de princesses non moins illustres par l'éclat
religieux de leurs règnes Que par leurs grandes et royales qualités. Qu'on ne
l'oublie pas : le droit chrétien a été, pendant mille ans, le droit général de
l'Europe. Beaucoup de crimes, assurément, ont été commis alors comme
aujourd'hui. L'humanité, depuis les jours de Caïn et Abel, a été et sera toujours
divisée en deux camps. Parfois même les passions ont été plus violentes, plus
énergiques, en face des vertus plus fortes et de la sainteté plus éclatante. Mais
personne de sensé ne le niera : tout ce qui subsiste aujourd'hui encore de
vraie civilisation, de vraie liberté, de vraie égalité et fraternité, a été le
produit du christianisme européen ; l'affaiblissement du droit chrétien de
l'Europe a été le signal de la décadence et de l'instabilité des pouvoirs
humains ; enfin, ce que l'œuvre d'ailleurs si négative et si désastreuse des
révolutions modernes pourra laisser de bon et de salutaire après elle, aura été la
réaction contre des excès et des abus que réprouvait le régime chrétien.
" [...] Quand l'Eglise pose ses principes, encore bien qu'ils impliquent une
perfection qui ne sera jamais atteinte ici bas, elle en veut les conséquences,
toutes les conséquences : les conséquences extrêmes seront le ciel. Quand la
révolution pose ses principes, elle ne veut qu'une partie de leurs
conséquences ; elle arrête, elle enchaîne les conséquences trop générales et
trop étendues : la conséquences extrême et totale sera l'enfer. La révolution
ne peut pas et ne veut pas être logique jusqu'au bout. L'Eglise peut et veut
l'être toujours : rien au monde n'est donc plus pratique et n'est moins
chimérique.
" [...] Disons-le : il est des nations tellement créées pour Jésus-Christ qu'elles ont
l'heureuse impuissance de trouver leur assiette fixe en dehors de lui. Du sein de
la gloire, les veillants et les saints s'emploient à ce qu'il en soit de la sorte (cf.
Daniel, 4 : 14) : les temps se passent dans d'humiliantes épreuves ; les
révolutions, les craquements des trônes, des sociétés, des institutions se
succèdent, jusqu'à ce que le droit suprême de Dieu soit proclamé (cf. Ibid.,
21-22), et qu'il soit reconnu que la puissance vient du ciel (Ibid., 23). Jusque
là, toute la prudence des prudents, toutes les habiletés des habiles, tous les
discours des orateurs, tous les livres des écrivains n'aboutissent à rien de
fonder de stable et de solide. Les vertus, les actes généreux des particuliers ne
profitent guère qu'à eux-mêmes. C'est la société publique qui a péché et qui périt
par l'ulcère d'un naturalisme injurieux à Dieu [cf. Enc. Humanum Genus du Pape
Léon XIII sur la Secte des Francs-Maçons] ; c'est à la société qu'il est urgent et
nécessaire, quoiqu'on dise, de présenter le remède. Le remède est en JésusChrist, il est dans l'acceptation sociale des principes révélés [cf. Enc. Quas
Primas du Pape Pie XI instituant la fête de la Royauté du Christ]. Hors de là, la
religion pourra jusqu'à un certain point vivifier les individus, vivifier les familles
; les sociétés et les pouvoirs resteront sous le coup de la réprobation d'en haut [la
seconde partie de ce passage, que nous reprenons ici étant donné son
importance, a déjà été citée plus haut].
" [...] Je vous adressais, dans cette même enceinte, il y a sept ans, Messieurs et
chers Coopérateurs, une Instruction synodale sur la papauté ; et je vous disais :
" Aussi longtemps que la grande famille occidentale s'est appelée la Chrétienté,
et que le pontife romain en a été l'oracle, il n'a jamais manqué aux devoirs que
lui imposait la confiance des rois et des peuples. Depuis que cette grande unité
sociale du monde chrétien a été rompue, depuis que les royautés même
orthodoxes ont déclaré n'avoir besoin que de Dieu et de leur épée, le pontife
de Rome, qui va chercher partout les âmes pour les gagner au ciel, mais qui
n'impose pas ses conseils et son concours aux empires de la terre lorsqu'ils
paraissent les redouter, s'est noblement renfermé dans l'administration
temporelle de ses propres Etats et dans le gouvernement spirituel de l'Eglise. [...]
" En face de cette œuvre universelle de destruction, que reste-il, sinon " l'Eglise
du Dieu vivant qui est la colonne et le rempart de la vérité " (I Tim., 3 : 15) ! Et
cette Eglise, cette colonne, ce rempart, le monde ne l'a jamais mieux compris,
c'est principalement la papauté [ce que prouve manifestement notre présente
étude qui s'appuie sur de nombreux textes pontificaux], incarnation vivante de
tout l'ordre surnaturel et chrétien, seule force morale capable de préserver la
raison contre ses propres excès, la société contre ses tendances subversives.
Id., pages 182-185, 200-201, 202, 208 :
" Ecoutez ces admirables accents d'un poète de Pologne :
" Les nations, dit-il, sont voulues de Dieu, et conçues dans votre
grâce, ô Jésus-Christ ! A chacune d'elles vous avez donné une
vocation. En chacune d'elles vit une idée profonde qui vient de
vous, qui est la trame de ses destinées. Or, parmi les nations, il en
est qui ont la mission de défendre la cause de la vérité et de la
beauté céleste, de racheter les crimes du monde et de lui donner un
évangélique exemple en portant, pendant de longs jours, leur lourde
croix sur la route inondée de sang, jusqu'à ce que, par une lutte
sublime, elles aient inspiré aux hommes une idée plus divine, une
charité plus sainte, une plus large fraternité, en échange du glaive
qu'on a plongé dans leur poitrine. Telle est votre Pologne, ô JésusChrist ! (L'Aurore, par Krasinski)."
" Mais cette prédestination catholique que les fils de la Pologne
revendiquent à juste titre pour leur patrie, le monde entier n'est-il pas
d'accord pour la décerner surtout à la France ? O peuple des Francs,
remonte le cours des siècles, consulte les annales de tes premiers règnes,
interroge les gestes de tes ancêtres, les exploits de tes pères, et ils te diront
que, dans la formation du monde moderne, à l'heure où la main du
Seigneur pétrissait de nouvelles races occidentales pour les grouper, comme
une garde d'honneur, autour de la seconde Jérusalem, le rang qu'il t'a
marqué, la part qu'il t'a faite te placent à la tête des nations catholiques
[Seigneur, où en sommes-nous, maintenant, en l'an 2002 ? C'est vraiment
l'abomination de la désolation : la Franc-Maçonnerie a tout envahi. La France,
Fille aînée de l'Eglise, a renié les promesses de son baptême en ayant exclu
Jésus-Christ de la législation et des affaires publiques, l'autorité ne tirant plus
son origine de Dieu, mais des hommes.]. Tes plus vaillants monarques se sont
proclamés les " sergents de Jésus-Christ " ; et l'Eglise reconnaissante de tes
services chevaleresques t'a adjugé la plus glorieuse de toutes les primogénitures.
" Après cela, n'est-ce pas évident, Messieurs et chers Coopérateurs, que le devoir
de toute nation chrétienne, combien plus le devoir de la nation très-chrétienne,
est de pénétrer en toutes choses et avant tout de l'esprit chrétien ? Saint
Ambroise a dit : " Celui-là s'exile de sa patrie, qui se sépare du Christ " (Exposit.
in Luc. L. VII, 214). Où cette maxime sera-t-elle plus vraie qu'en France ? La
France est originairement chrétienne et substantiellement chrétienne :
aucune révolution ne changera sa nature, sa constitution, son tempérament,
sa mission, son histoire, sa destinée, ses aspirations. " O Dieu, s'écriait le plus
religieux de tous les monarques, le roi se réjouira dans votre force, et il
éprouvera un vif transport des progrès de votre règne salutaire " (Ps 20 1). Oui,
le roi trouvant sa joie dans le libre déploiement de la force divine, dans le
libre exercice des droits suprêmes de Jésus-Christ, le roi tressaillant avec
ardeur quand l'œuvre du salut des hommes s'accomplit dans ses Etats :
c'est là le type de la vraie royauté, de la royauté baptisée et sacrée en JésusChrist. Pour être délaissé, honni, rejeté, ce programme n'en reste pas moins
le programme de tout pouvoir régulier au sein des nations chrétiennes.
Qu'on l'appelle " idéal " tant qu'on voudra ; au-dessous de cet idéal, nul
programme n'est digne de la France, parce que rien de ce qui est au-dessous
de la vérité n'est au niveau du rôle que la nature et la grâce ont donné à
cette nation dans le monde.
" Mais je lis sur les lèvres de quelques-uns de vous, Messieurs, les objections
que vous avez si souvent entendues et qui m'ont été plus d'une fois adressés à
moi-même. Ne craignons pas de les formuler ici tout haut avant d'y répondre.
" XXIII. Le programme est beau, nous dit-on ; il n'a que le défaut d'être
chimérique, inopportun et, par suite, dangereux. A quoi bon maintenir des
théories désormais sans application ? L'absolutisme et la théocratie ont fini leur
temps. Le seul régime possible du monde moderne, c'est le régime de la
démocratie et de la liberté. Les chrétiens n'ont qu'à gagner à se montrer
hommes pratiques et positifs, et, pour cela, hommes de leur temps. C'est ainsi
qu'ils exerceront une action puissante et qu'ils réconcilieront l'Eglise avec la
société moderne, etc., etc. " Combien il est douloureux, Messieurs et chers Coopérateurs, d'entendre
ainsi les enfants de l'Eglise répéter les paroles les plus malheureuses,
reproduire les lieux communs les moins sérieux, les expressions les plus
irritantes, les suppositions les plus confuses, les accusations les plus injustes,
enfin tout ce qui constitue la polémique la moins loyale de leurs adversaires
! [...] Toutefois, nous voulons croire et nous croyons sincèrement qu'il n'y a
là que des malentendus qui procèdent, du moins en partie, de l'absence des
études théologiques indispensables à quiconque veut aborder et trancher
des questions si complexes et où tant de principes sont engagés. Et puisque
nous parlons surtout ici pour de jeunes intelligences, dont vous nous avez
signalé les doutes et les irrésolutions, résignons-nous à réfuter quelques-unes de
ces allégations qui tendent à effacer de l'esprit des gens de bien un point de
doctrine qu'il est et qu'il sera toujours impossible d'abandonner sans trahir
à la fois le droit chrétien et le droit naturel, en même temps que les intérêts
les plus considérables de la société religieuse et civile. [Sur la prétendue
théocratie de la monarchie française, précisons que l'Evangile de Jésus-Christ
n'impose pas de code politique aux nations chrétiennes et par conséquent que les
princes chrétiens naturellement constitués n'ont donc jamais pu gouverner la
société française par des lois politiques divinement révélées. Cf. supra. Nous ne
sommes pas des musulmans pour qui la religion et la politique ne font qu'un en
vertu des textes coraniques ! Cf. Coran et Alexandre del Valle, Islamisme et
États-Unis, L'Age d'Homme, 2001, pages 47-51 : La théocratie au détriment de
la foi - travail précis et sérieux qui repose sur des faits vérifiables et sur une
documentation d'une richesse exceptionnelle, et qui nous révèle l'inconscience,
voire la folie ou le machiavélisme, et même le satanisme, de ceux qui mènent le
monde, ne pensant qu'à leur propre gloire et à l'argent ou à leurs seuls intérêts
économico-financiers et énergétiques, provoquant ainsi entre les nations des
conflits inéluctables qui nourrissent fort à propos leurs ambitions d'hégémonie
(1). Et ce n'est certes pas seulement en priant pour la paix que l'on va changer
l'antagonisme irréductible entre le christianisme et l'islamisme et que les chefs
d'Etat vont devenir des sages en arrêtant les guerres ou en supprimant leurs
causes et en réconciliant tous les belligérants par un coup de baguette magique.
Les hommes jouissent de leur libre arbitre qui fait la responsabilité de leurs actes
et dont ils sont libres de profiter (2). De leur côté, le Coran et les Hadiths ("dits",
dits et gestes de Mahomet), sources de la Charià ("voie", loi tirée du Coran et
des Hadiths), existent et proclament explicitement la guerre sainte (3). La prière
peut-elle les changer ou les faire disparaître ? La loi naturelle, elle aussi, est de
Dieu. Il ne faut quand même pas rêver et surtout faire le jeu de l'ennemi au nom
de la liberté d'expression en encourageant la propagande des Islamistes qui,
conformément au Coran, ou à leur Livre prétendu divin et éternel, projettent de
soumettre l'Europe et la planète à la " vraie religion " et au " vrai Dieu " ; " via
les minorités musulmanes issues de l'immigration et de la diaspora " (voir
Islamisme et États-Unis, op. cit. supra, p. 216). Et, dans tout cela, que fait-on de
la vérité et du salut des âmes ? Et qu'est-ce que la paix sans la vérité ? La
véritable paix est le fruit de la vérité, car l'amour de la vérité doit passer avant
l'amour de la paix (4). Pour cela, ne serait-il pas temps de diffuser la vraie
connaissance et de réfuter les arguments de nos adversaires qui propagent dans
le monde des doctrines pernicieuses ? N'oublie-t-on pas que la paix est la "
tranquille communauté dans l'ordre " ? (5) " Il s'agit aujourd'hui," disait déjà le
Pape Pie XII dans son Radio-message du 24 décembre 1942, " si Nous pouvons
nous exprimer ainsi, d'une nouvelle Croisade, bravant la mer des erreurs du jour
et du temps, pour délivrer la terre sainte spirituelle, destinée à être le soutien et
le fondement de normes et de lois immuables pour des reconstructions sociales
d'une intérieure et solide stabilité." Et rappelons que selon Jésus, le Verbe qui
s'est fait chair (6), la vérité a pour fonction de libérer les âmes (7). Disons avec
saint Hilaire (v. 315-v. 367), évêque de Poitiers et Docteur de l'Eglise, l'un des
plus vaillants champions de l'Occident : " Il est temps de parler, parce que le
temps de se taire est désormais passé " : Tempus est loquendi, quia jam præteriit
tempus tacendit (8). Certes ! nous demandons à Dieu qu'il impose la paix aux
nations, mais sans solliciter pour autant une paix achetée au détriment de la
vérité et de la justice, car il faut auparavant que l'Evangile soit prêché à toutes
les nations (9), puisque nulle cité divisée contre elle-même ne peut se maintenir
(10) ; et étant donné que la guerre est le résultat de nos péchés (11),
commençons donc d'abord par nous amender nous-mêmes en nous en
déchargeant par une confession sincère et une vraie pénitence suivie d'œuvres
vivifiées par la grâce (12). Que cherchons-nous en premier lieu ? La pacification
politique et économique du monde ou le Royaume de Dieu et sa justice ? Jésus
ne nous a-t-il pas dit : " Cherchez premièrement le Royaume de Dieu et sa
justice, et tout le reste vous sera donné par surcroît " (Matthieu, VI, 33) ?
N'appelons pas " reste " ce que Jésus appelait " Royaume " en tenant pour le "
Royaume " ce que Jésus tenait pour le " reste ". La méprise est de taille ! Et
celui qui la commet se moque vraiment de Dieu.
Gustave Thibon, Nietzsche ou le déclin de l'Esprit, Ed. Fayard, 1948, AvantPropos, pp. X-XI :
" [...] Un dernier mot. Il y a peut-être beaucoup de poison dans l'œuvre de
Nietzsche [ou dans celle de M. Alexandre del Valle cité plus haut]. Mais ne
savons-nous pas que c'est dans les pires poisons, convenablement dosés et
intégrés à d'autres substance, qu'on fait les élixirs les plus toniques et les
remèdes les plus efficaces [et à plus forte raison si nous extrayons des
ouvrages de certains auteurs douteux quelques vérités que les mass media
nous dissimulent] ? " Tout ce qui ne me fait pas mourir me rend plus fort ",
disait Zarathustra. N'est-ce pas encore plus vrai pour nous à qui le Christ a
promis l'immunité contre les breuvages mortels (cf. Marc, XVI, 18) ? C'est
précisément à cette œuvre de lente et prudente intégration dans la synthèse
chrétienne des vérités psychologiques les plus intolérables pour notre faiblesse
et pour notre orgueil que nous voudrions avoir un peu contribué par ce livre."
- 1) La guerre des virus : Sida et Ebola. Emergence naturelle ou manipulation
humaines ? Accident ou intention ? Léonard G. Horowitz D.M.D., M.A.,
M.P.H., Préface W. John Martin, M.D., Ph.D., Traduction de Bernard Metayer,
revue et corrigée par le Docteur Jean-Pierre Eudier, Lux Diffusion, 302, rue de
Charenton, 75012 - Paris, Tél. : 01.44.87.09.05, Fax : 01.44.87.04.29, Epilogue,
page 631 :
Etude du rapport rédigé par Henry Kissinger en 1974 et achevée sous
l'Administration Bush - le Mémorandum 200 sur la Sécurité nationale.
" On y lit que pour la première fois, les Etats-Unis considèrent les
populations du Tiers-monde comme un ennemi menaçant les intérêts de la
sécurité nationale américaine." " Note 9. En fait, c'est une citation tout droit
sortie du rapport NSSM 200 de Kissinger sur le contrôle démographique dans le
Tiers-monde qui comprend ; 1) " la réduction des populations devrait être la
première des priorités de la politique américaine en matière d'Affaires
étrangères envers le Tiers-monde " ; 2) " la réduction du taux de natalité des
Etats-Unis est un problème vital pour la sécurité nationale des Etats-Unis ", etc.
- Voir National Security Council. NSSM 200 - Implications of Worldwide
Population Growth for U.S. Security and Overseas Interests. Washington, D.C. :
The White House, 10 décembre 1974. Rapport confidentiel rendu public le 3
juillet 1989, NSAID-ROX 89-4. Voir aussi : Rense J. AIDS Exposed : Secrets,
Lies & Myths. Goleta, CA : BioAlert Press, 1996, pp. 51 et 52."
- 2) Cf. Bible, l'Ecclésiastique, sur la liberté humaine, 15 : 14 ; Jean, 7 : 7 (les
œuvres de ce monde) ; 9 : 39 ; 14 : 27 (la paix, non comme le monde la donne),
30 (le Prince de ce monde) ; 17 : 9 (Jésus : " Je ne prie pas pour le monde ") ; I
Jean, 2 : 15-17 ; 3 : 1, 13, 17 ; 4 : 1, 3-5 ; 5 : 4-5, 19 ;
- 3) Coran, 2 : 216 ; 5 : 33 ; 8 : 17, 39, 67 ; 9 : 5, 29, 41, 111, 123 ; 47 : 4, 35 ;
sur le butin pris par les combattants du jihad : 8, 69 et 41, sur l'importance
stratégique du facteur démographique : 2 : 223 ;
- 4) Livre de Zacharie, VIII, 19 : " Veritatem tantùm, et pacem diligite."
- 5) St Thomas, 2a-2æ, 29, art. I, ad. I ; St Augustin, De civ. Dei, lib. 19, c. XIII,
n. I ; Pape Pie XII, Radio-mess. au monde entier, 24 décembre 1942, in Les
Enseignements Pontificaux, La Paix intérieure des Nations, Desclée & Cie,
Editeurs Pontificaux, 1962 ;
- 6) Cf. Jean, 1 : 14 ;
- 7) Id. 8 : 32 ; 14 : 6. ;
- 8) Contra Constant., 1 ;
- 9) Matthieu, 24 : 6-8, 14 ; Marc, 13 : 7-9 ; Luc, 21 : 9 ;
- 10) Luc, 11 : 17 ; Marc, 3 : 24 ; Matthieu, 12 : 25 ; Psaumes, 126 : 1 ;
- 11) Cf. Jacques, 4 : 1 ;
- 12) Cf. Jacques, 2 : 24 ; I Jean, 3 : 9.] [...]
" [...] A mesure qu'approcheront les derniers temps, la scission deviendra
plus profonde, et l'immixtion des chrétiens dans la conduite des sociétés
deviendra de plus en plus périlleuse pour leur honneur comme pour leur
salut. Alors retentira de nouveau ce cri d'Isaïe, répété si énergiquement par saint
Paul : " Retirez-vous, retirez-vous ; sortez de là ; ne mettez pas le doigt à ce qui
est impur " (Isaïe 52 11 Ap 18 4 II Co 6 14-18). Je suis loin de croire [en 1863],
Messieurs, que nous touchions à des temps qui nécessitent un parti si extrême. Il
nous reste encore trop de sens chrétien dans les esprits [Dieu seul lit dans nos
pensées et connaît l'état de notre vie intérieure], trop d'habitudes chrétienne dans
la vie publique [cela nous paraît de moins en moins évident], pour que nous
ayons à redouter les derniers excès. [...] Entendez saint Hilaire (v. 315-v. 367),
parlant à vos pères. C'était sous le règne de Constance ou de Julien. Expliquant
le premier verset du premier psaume, le pieux évêque, attentif aux besoins de
son auditoire, exprimait en ces termes : " Le Psalmiste a dit : Heureux l'homme
qui ne s'en est point allé dans le conseil des impies, qui ne s'est point arrêté
dans le chemin des pécheurs, et qui ne s'est point assis dans la chaire de
pestilence ! Je connais des hommes, dit le pontife, qui ne sont pas pécheurs,
mais réguliers dans leur vie ; des hommes qui sont pénétrés de la crainte de
Dieu, mais que l'amour de la gloire [l'orgueil n'est-il pas le premier des sept
péchés capitaux ?], de l'avancement, des positions avantageuses du siècle place
dans l'occasion prochaine et comme inévitable de la séduction. Soumis aux lois
de l'Eglise, ils jugent d'après les lois du for profane. Et, bien qu'ils apportent à
leurs fonctions elles-mêmes une volonté religieuse [nos hommes politiques n'en
sont plus là], en se montrant bienveillants et modérés, il arrive néanmoins que le
milieu dans lequel ils sont placés les touche de son atteinte pestilentielle. L'ordre
légal, la raison d'état ne leur permet pas, malgré leur bon vouloir, de demeurer
dans la sainteté de la loi enseignée par l'Eglise. Et quoiqu'ils soient résolus à ne
pas renier leur baptême, cependant, par les exigences du siège obtenu, ils sont, à
regret et à leur corps défendant, conduits à ce qu'ils ne voudraient pas. La
nécessité s'impose à eux ; et, n'étant pas de ceux qui répandent la contagion [et
l'exemple ?], ils en subissent au moins l'influence morbide. Le prophète a
donc raison d'appeler leur chaire une chaire de pestilence, puisqu'elle souille
par son contact le sanctuaire même d'une âme religieuse et chrétienne (S.
Hilar. In Psalm. I, 5)."
" S'il en était ainsi, Messieurs et chers Coopérateurs, sous le régime d'un droit
christianisé, mais non suffisamment expurgé de paganisme, les mêmes
symptômes ne renaîtraient-ils pas sous le régime d'un droit chrétien sur lequel
aurait passé de nouveau le souffle de l'infidélité ? Concluons donc qu'il n'est pas
sans intérêt pour l'avenir des sociétés chrétiennes de sauvegarder le principe
dont nous avons pris la défense.
" [...] Oui, cette Europe " sécularisée ", ces nations et ces institutions devenues "
laïques ", le jour n'est pas éloigné [en 1863] où elles redemanderont au vicaire
de Jésus les paroles de salut et de vie [vers qui d'autre, sur cette terre, pourrionsnous nous tourner ?]. Le droit chrétien avait formé la société européenne ; ce
même droit, avec les modifications nécessaires que le temps apporte au
détail des choses, procurera la solution de tant de problèmes reconnus
insolubles désormais sans le secours de l'Eglise."
Id., tome VIII, Homélie prononcée à la Messe pontificale du jour de Noël, sur le
caractère de l'autorité dans le christianisme (25 décembre 1873), pages 62-63 :
" [...] A ceux, par exemple, qui s'obstinent à nier l'autorité sociale du
christianisme, voici la réponse que nous donne saint Grégoire le Grand
[Grégoire Ier le Grand, v. 540-604, pape et docteur de l'Eglise]. Il commente ce
chapitre de l'Evangile où est racontée l'adoration des mages, c'est-à-dire
l'accomplissement des prophéties qui promettaient au Messie l'adoration de tous
les rois et la soumission de toutes les nations de la terre. Expliquant le mystère
des dons offerts à Jésus par ces représentants de la gentilité, le saint docteur
s'exprime en ces termes :
" " Les mages, dit-il, reconnaissent en Jésus la triple qualité de Dieu, d'homme et
de roi : ils offrent au roi l'or, au Dieu l'encens, à l'homme la myrrhe. Or,
poursuit-il, il y a d'aucuns hérétiques : sunt vero nonnulli hæretici, qui croient
que Jésus est Dieu, qui croient également que Jésus est homme, mais qui se
refusent absolument à croire que son règne s'étende partout " : sunt vero
nonnulli, qui hunc Deum credunt, sed ubique regnare nequadam credunt.
" Mon frère, vous avez la conscience en paix, me dites-vous, et, tout en
acceptant le programme du catholicisme libéral, vous entendez demeurer
orthodoxe [il y aura beaucoup de surprises au jugement dernier], vous
entendez demeurer orthodoxe, attendu que vous croyez fermement à la divinité
et à l'humanité de Jésus-Christ, ce qui suffit à constituer un christianisme
inattaquable. Détrompez-vous. Dès le temps de saint Grégoire [à la fin du VI e
siècle et au début du VIIe], il y avait " d'aucuns hérétiques " : nonnulli hæretici,
qui croyaient ces deux points comme vous ; et leur " hérésie " consistait à ne
vouloir point reconnaître au Dieu fait homme une royauté qui s'étendit à tout :
sed hunc ubique regnare nequadam credunt. Non, vous n'êtes point
irréprochable dans votre foi ; et le pape saint Grégoire, plus énergique que le
Syllabus, vous inflige la note d'hérésie si vous êtes de ceux qui, se faisant un
devoir d'offrir à Jésus l'encens, ne veulent point y ajouter l'or [et en l'an
2002 ils sont légion] : hi profecto ei thus offerunt, sed offere etiam aurum
nulunt (S. Gregor., homil. X, in Evang.).
Id., tome III, chap. XXVII : Discours pour la solennité de la réception des
reliques de saint Émilien, évêque de Nantes, prononcé dans l'église cathédrale de
Nantes le VIII novembre 1859 (en présence des évêques d'Angers, de Bruges,
d'Angoulême, de Blois, de Luçon et d'Amiens), Poitiers, Henri Oudin, LibrairieEditeur, Paris, Victor Palmé, Librairie-Editeur, 1872, pages 497-498, 498-499,
500, 501-502, 504, 505, 506-507, 508-509, 310-515, 515, 516, 517, 518, 519,
519-520, 521-522, 523, 524-525, 525-529 :
" Monseigneur (S.G. Mgr l'évêque de Nantes),
" Jamais le divin fondateur du christianisme n'a mieux révélé à la terre ce que
doit être un chrétien, que quand il a enseigné à ses disciples la façon dont ils
devaient prier. En effet, mes frères, la prière étant comme la respiration
religieuse de l'âme, c'est dans la formule élémentaire qu'en a donnée J.-C. qu'il
faut chercher tout le programme et tout l'esprit du christianisme. Écoutons donc
la leçon textuelle du Maître. J'en ai récité le commencement tout à l'heure selon
le texte plus concis de saint Luc. Je le dirai maintenant d'après saint Matthieu,
tels que les enfants le balbutient et que tous les chrétiens le répètent depuis
bientôt deux mille ans. Vous prierez donc ainsi, dit J.-C. : Sic ergo vos orabitis :
" Notre Père, qui êtes dans les cieux, que votre nom soit sanctifié, que votre
règne arrive, que votre volonté soit faite sur la terre comme au ciel (Matth., VI,
9) ". L'intelligence de mon sujet n'exige pas que j'ajoute le reste.
" [...] Qu'il soit grand ou petit, lettré ou ignorant, prêtre ou laïque, qu'il prie en
public ou en particulier, cela n'importe pas ; l'Évangile suppose même qu'il est
seul dans sa chambre, la porte fermée (Ibid., 6). [...] Avant toute autre chose, sa
triple préoccupation, c'est la glorification du nom de Dieu sur la terre, c'est
l'établissement du règne de Dieu sur la terre, c'est l'accomplissement de la
volonté de Dieu sur la terre. Et ces trois aspirations, qui peuvent être ramenées à
une seule, ne sont pas sans ordre et sans gradation. Il existe ici-bas des
supériorités qui n'ont que l'excellence du nom et la préséance du rang. Il en est
d'autres qui joignent à la dignité le pouvoir, mais qui n'en ont pas l'exercice, qui
règnent et ne gouvernent pas. Enfin il en est qui trône, qui règnent et qui
gouvernent ; et là seulement sont les véritables rois, les véritables monarques.
Telle est éminemment la royauté suprême de notre Dieu dans les cieux. [...] Le
chrétien, c'est un homme public et social par excellence ; son surnom l'indique :
il est catholique, ce qui signifie universel. [...] Et comme assurément les œuvres
de l'homme doivent être coordonnées avec sa prière, il n'est pas un chrétien
digne de ce nom qui ne s'emploie activement, dans la mesure de ses forces, à
procurer ce règne temporel de Dieu, et à renverser ce qui lui fait obstacle. [...]
Voyons donc comment, en l'an de grâce sept cent vingt-cinq, les braves Nantais,
guidés par leur évêque, ont compris et pratiqué les premiers mots de leur Pater :
et nous tâcherons d'en conclure ce que nous devons être, ce que nous devons
faire nous-mêmes, je dis nous tous, fidèles, prêtres, évêques, sous peine de
donner le démenti à notre oraison dominicale et aux exemples de nos pères. [...]
PREMIÈRE PARTIE
" Le règne visible de Dieu sur la terre, M.T.C.F., c'est le règne de son Fils
incarné, J.-C. ; et le règne visible du Dieu incarné, c'est le règne permanent de
son Église [et là où est visiblement l'Église, là est le Christ]. [...] Là Dieu est
connu ; là son nom est révéré et glorifié, là est sa royauté est acclamée, là sa loi
est observée ; en un mot, selon la belle définition du catéchisme de Trente,
expliquant le début de l'oraison dominicale, " le règne de Dieu et du Christ, c'est
l'Église " : Regnum Christi quod est Ecclesia (Catéchisme du Concile de Trente,
P. IV, ch. 41, § IV).
" [...] La raison en est que l'Église est ici-bas militante, et non pas triomphante ;
elle est dans la voie, et non pas dans le terme. Il est vrai, il lui a été dit régner
déjà, mais de régner au milieu de ses ennemis : Dominare in medio inimicorum
tuorum (Psaumes, CIX, 2). Et sa domination sera ainsi partagée, disputée,
quelquefois balancée, jusqu'au jour où tous ses ennemis seront placés sous ses
pieds : Oportet autem illum regnare, donec ponat omnes inimicos ejus sub
pedibus ejus (I Corinthiens, XV, 25). C'est dans cette lutte que se
manifesteront les secrets des cœurs, et que se fera dès ici-bas le
discernement des bons et des mauvais, le partage des braves et des lâches,
ce qui veut dire le partage des élus et des réprouvés, puisque ni les
méchants ni les lâches n'entreront dans le royaume des cieux [cf.
Apocalypse, XXI, 8 ; I Samuel, VIII, 7 ; Luc, XIX, 27]. Heureux donc les
hommes qui n'auront jamais hésité entre le camp de la vérité et celui de l'erreur
[et plus précisément celui du naturalisme] ! Heureux ceux qui, dès le premier
signal de la guerre, se seront incontinent rangés sous l'étendard de Jésus-Christ !
[et qui ne se contenteront pas de pleurer]
" Or, à l'époque qui nous occupe, il avait paru sur la terre, depuis bientôt deux
siècles, un fils de Bélial à qui il était réservé de tenir en haleine la chrétienté tout
entière durant une période de plus de mille ans. L'islamisme, " religion
monstrueuse ", dit Bossuet [qui n'était quand même pas un âne...] dans son
beau panégyrique de saint Pierre Nolasque, " religion qui se dément elle-même,
qui a pour toute raison son ignorance [ou sa " logique du Coran "], pour route
persuasion sa violence et sa tyrannie, pour tout miracle ses armes " (Éd. de
Lebel, T. XVI, p. 62), et j'ajouterai, pour tout attrait ses excitations voluptueuses
et ses promesses immorales, l'islamisme avait déjà envahi d'immenses contrées.
Que le schisme, que l'hérésie tombassent sous ses coups [ce qui nous pend au
nez de nouveau !], c'était un grand malheur sans doute : toutefois c'est la loi de
l'histoire et c'est un ordre accoutumé de la Providence que, pour punir les
peuples pervers, Dieu se sert d'autres peuples plus pervers encore ; et cette
mission, l'islamisme en était investi pour longtemps. Mais voici que la chrétienté
n'est plus seulement atteinte dans ces races dégénérées qui ont décomposé en
elles le principe de la vie par l'altération du principe de l'unité et de la vérité :
c'est l'Europe dans ses parties les plus vitales, c'est le cœur même des races
catholiques qui est menacé ; c'est le boulevard de l'orthodoxie, c'est le royaume
très chrétien, c'est la France, et, derrière le rempart de la France, c'est la
Métropole du christianisme, c'est le monde entier qui aura tout à redouter de ces
nouveaux et implacables barbares. [...]
" [...] Nous pouvons succomber dans la lutte ; mais c'est le cas de dire, avec
Judas Macchabée : " Mieux vaut mourir que voir le désastre de notre patrie,
et de supporter la profanation des choses saintes et l'opprobre de la loi que
nous a donnée la majesté divine " (cf. Ier Livre des Maccabées, III, 59. Bolland., T. V Junii, ad diem 25, p. 81, n. 2).
" [...] Là, un admirable spectacle commence : c'est vraiment le prélude de nos
plus saintes croisades, le début de nos plus magnifiques guerres chrétiennes.
Émilien n'était pas de ces pontifes guerriers, comme on en vit alors quelquesuns, qui, sous le froc ecclésiastique, ne portaient qu'une âme laïque et séculière.
Avant tout, Émilien est évêque ; il veut que l'expédition ait un caractère
exclusivement religieux. Il se revêt donc des ornements sacrés, et il célèbre les
saints mystères, durant lesquels il va bénir et ensuite communier tous ses
compagnons d'armes [un chrétien doit-il se coucher devant ceux qui le
combattent et veulent s'emparer de sa patrie et détruire même sa religion,
c'est-à-dire son âme ? Et qu'a fait sainte Jeanne d'Arc ? - pour ne citer
qu'elle. N'a-t-elle pas sauvé son pays et sa foi par les armes ? Sommes-nous
des lâches ? En vérité, nous avons capitulé : les barbares sont au milieu de
nous - avec leur fun culture ou la "culture" commerciale afro-américaine]. Rien
ne manque à cette imposante solennité : l'homélie même n'y est pas omise, et je
crois entendre retentir à mes oreilles ces accents du sacrificateur [...]
" [...] Trois premières batailles, engagées avec habileté et soutenues avec
courage, sont couronnées par autant de brillantes victoires. Saint-Forgeot, SaintPierre-l'Étrier, Creuse-d'Auzy voient leurs champs abreuvés du sang des
infidèles. La fortune semblait se fixer dans le rang des chrétiens, quand bientôt,
à la suite d'un quatrième fait d'armes, une nouvelle et plus formidable armée de
Sarrasins vient les surprendre à l'improviste. Le pontife fait sonner de la
trompette, rallie ses soldats, les anime une dernière fois par sa parole inspirée.
Mais, tandis qu'il parle, il est enveloppé lui-même par les bataillons infidèles ; il
fait, jusqu'aux derniers moments, des prodiges de bravoure. Accablé par le
nombre, criblé de cent coups d'épées et de lances, entouré de morts et de
mourants, il exhortait encore les siens : " O généreux soldats, soyez constants
dans votre foi et dans votre courage ; reprenez force et haleine contre ces cruels
païens... Enfants, vous êtes les soldats, non pas des hommes, mais de Dieu. Vous
combattez pour votre véritable mère, la sainte Église, dont la voix crie
vengeance vers Dieu pour le sang des saints. Là-haut, avec le Christ, un meilleur
sort nous attend : là est notre victoire, là est notre récompense " (Bolland., T. V
Junii, ad diem 25, p. 82, n. 8). Ces derniers mots furent aussi le dernier soupir du
guerrier ; son âme, reçue par les mains des anges, était introduite dans les joies
éternelles [et l'Eglise catholique, l'Église de Jésus-Christ, l'a canonisé à juste
titre. Doit-on en avoir honte ?]. [...] Vous le voyez donc, mes Frères, l'histoire de
votre évêque guerrier n'a pas fini avec sa vie.
" [...] Et quant à son expédition, loin qu'elle ait fini avec lui, il est beaucoup plus
vrai de dire qu'il en a seulement donné le signal. Ce farouche ennemi de la
chrétienté, auquel la Bretagne catholique a porté les premiers coups et sur lequel
elle a remporté de premiers, attendez seulement sept ans, et il sera tellement
broyé dans les champs de Poitiers, qu'il reparaîtra plus jamais sur le sol de la
France [ce n'est pas si sûr]. Et parce qu'il est écrit que ces deux généreuses
provinces, la Bretagne et le Poitou, doivent toujours se donner la main dans les
grands combats de la religion et du droit, un autre évêque de Nantes, successeur
d'Émilien, figurera dans la bataille à côté de Charles Martel. Un de vos
devanciers, Monseigneur, avait été à la peine : il était juste qu'un autre fût à
l'honneur. Mais ce n'est point assez. Le Sarrasin, chassé de nos rivages, exerce
ailleurs ses cruautés et ses impiétés. Ce n'est plus seulement de notre sol qu'il
faut l'éloigner, c'est chez lui, c'est dans son propre empire qu'il faut désormais le
poursuivre. L'orient, Jérusalem, les lieux saints nous convient à leur défense. Un
pape français, Sylvestre II, pousse, au nom de la cité sainte, le premier cri de
détresse : au autre pape, français encore, Urbain II, lance de premier cri de
guerre. Les accents généreux de ces deux pontifes émeuvent le monde, et leurs
discours volent de bouche en bouche. [...]
" [...] Il serait par trop cruel, en effet, que l'héritage de Mahomet devînt la proie
de ces races perfides qui ont toujours abandonné nos braves à l'heure de l'action,
et dont la trahison a tant de fois retardé nos succès. [...]
" Mais je m'aperçois, mes Frères, que je touche aux questions brûlantes de notre
temps [déjà !]. Évitons de marcher sur ces charbons ardents, et néanmoins
tâchons de demeurer les fils de nos pères et de savoir combattre comme eux
pour le nom, pour le règne et pour la loi de Dieu. Ce sera l'objet d'une seconde
réflexion.
SECONDE PARTIE
" Jésus-Christ est roi, M.T.C.F. ; il est roi non seulement du ciel, mais
encore de la terre, et il lui appartient d'exercer une véritable et suprême
royauté sur les sociétés humaines : c'est un point incontestable de la
doctrine chrétienne (1). Ce point, il est utile et nécessaire de le rappeler en ce
siècle. On veut bien de Jésus-Christ rédempteur, de Jésus-Christ sauveur, de
Jésus-Christ prêtre, c'est-à-dire sacrificateur et sanctificateur ; mais de JésusChrist roi, on s'en épouvante ; ou on y soupçonne quelque empiètement, quelque
usurpation de puissance, quelque confusion d'attribution et de compétence.
Établissons donc rapidement cette doctrine, déterminons-en le sens et la portée,
et comprenons quelques-uns des devoirs qu'elle nous impose dans le temps où
nous vivons.
" Jésus-Christ est roi ; il n'est pas un des prophètes, pas un des évangélistes et
des apôtres qui ne lui assure sa qualité et ses attributions de roi. Jésus est encore
au berceau, et déjà les Mages cherchent le roi des Juifs : Ubi est qui natus est,
rex Judeorum ? (Matthieu, II, 2) Jésus est à la veille de mourir : Pilate lui
demande : Vous êtes donc roi : Ergo rex es tu ? (Jean, XVIII, 37) Vous l'avez
dit, répond Jésus. Et cette réponse est faite avec un tel accent d'autorité, que
Pilate, nonobstant toutes les représentations des Juifs, consacre la royauté de
Jésus par une écriture publique et une affiche solennelle (Jean, XIX, 19-22). "
Écrivez donc, s'écrie Bossuet [l'évêque de Meaux], écrivez, ô Pilate, les paroles
que Dieu vous dicte et dont vous n'entendez pas le mystère. Quoi que l'on puisse
alléguer et représenter, gardez-vous de changer ce qui est déjà écrit dans le ciel.
Que vos ordres soient irrévocables, parce qu'ils sont en exécution d'un arrêt
immuable du Tout-Puissant. Que la royauté de Jésus-Christ soit promulguée en
la langue hébraïque, qui est la langue du peuple de Dieu, et en la langue grecque,
qui est la langue des doctes et des philosophes, et en la langue romaine, qui est
la langue de l'empire et du monde, la langue des conquérants et des politiques
[langues véhiculant les trois valeurs de l'Occident ou de l'Europe avec ses
trois villes : Athènes, Rome et Jérusalem, la première symbolisant la raison
et la mesure des choses, la seconde, la loi et le droit, et la dernière,
l'adoration en esprit et en vérité]. Approchez maintenant, ô Juifs héritiers des
promesses ; et vous, ô Grecs, inventeurs des arts ; et vous, Romains, maîtres de
la terre ; venez lire cet admirable écriteau : fléchissez le genoux devant votre Roi
(Bossuet, 1er discours pour la Circoncision. Éd. Lebel, T. XI, p. 467)."
" Elle date de loin, mes Frères, et elle remonte haut cette universelle royauté du
Sauveur. En tant que Dieu, Jésus-Christ était roi de toute éternité ; par
conséquent, en entrant dans ce monde, il apportait avec lui déjà sa royauté [et
c'est pourquoi cette royauté n'est pas de ce monde ou originaire de ce monde. Cf. Jean, XVIII, 36]. Mais ce même Jésus-Christ, en tant qu'homme, a conquis
sa royauté à la sueur de son front, au prix de tout son sang. " Le Christ, dit saint
Paul, est mort et il est ressuscité à cette fin d'acquérir l'empire sur les morts et
sur les vivants " : In hoc Christus mortuus est et resurrexit, ut et mortuorum et
vivorum dominetur (Romains, XIV, 9). Aussi le grand apôtre [des Gentils ou
des non Juifs] fonde-t-il sur un même texte le mystère de la résurrection et le
titre de l'investiture royale du Christ : " Le Seigneur a ressuscité Jésus, ainsi
qu'il est écrit au psaume second : Vous êtes mon Fils ; je vous ai engendré
aujourd'hui (Actes, XIII, 33 ; Psaumes, II, 7)." Ce qui veut dire : De toute
éternité, je vous avais engendré de mon propre sein [et c'est pourquoi Jésus est le
Fils unique de Dieu] ; dans la plénitude des temps, je vous ai engendré [en tant
qu'homme] du sein de la Vierge votre mère ; aujourd'hui je vous engendre en
vous retirant du sépulcre, et c'est une nouvelle naissance que vous tenez encore
de moi. Premier-né d'entre les vivants, j'ai voulu que vous fussiez le premier-né
d'entre les morts, afin que vous teniez partout la première place : Primogenitus
ex mortuis, ut sit in omnibus ipse primatum tenens (Colossiens, I, 18). Vous
êtes donc mon Fils ; vous l'êtes à tous les titres puisque je vous ai triplement
enfanté, de mon sein, du sein de la Vierge, et du sein de la tombe. Or, à tous ces
titres, je veux que vous partagiez ma souveraineté, je veux que vous y
participiez désormais comme homme, de même que vous y avez éternellement
participé comme Dieu. " Demandez donc, et je vous donnerai les nations pour
héritage, et j'étendrai vos possessions jusqu'aux extrémités de la terre
(Psaumes, II, 8)."
" Et Jésus-Christ a demandé, et son Père lui a donné, et toutes choses lui ont été
livrées (Luc, X, 22). Dieu l'a fait tête et chef de toutes choses, dit saint Paul
(Éphésiens, I, 22), et de toutes choses sans exception : In eo enim omnia ei
subject, nihil dimisit non subjectum (Colossiens, II, 10). Son royaume
assurément n'est pas de ce monde, c'est-à-dire, ne provient pas de ce monde :
Regnum meum non est de hoc mundo (Jean, XVIII, 36) ; et c'est parce qu'il
vient d'en haut, et non d'en bas : regnum meum non est hinc (Ibid.), qu'aucune
main terrestre ne pourra le lui arracher. Entendez les derniers mots qu'il adresse
à ses apôtres avant de remonter au ciel : " Toute puissance m'a été donnée au
ciel et sur la terre. Allez donc, et enseignez toutes les nations " (Matthieu,
XXVIII, 18-19). Remarquez, mes Frères, Jésus-Christ ne dit pas tous les
hommes, tous les individus, toutes les familles, mais toutes les nations. Il ne dit
pas seulement : Baptisez les enfants, catéchisez les adultes, mariez les époux,
administrez les mourants, donnez la sépulture religieuse aux morts. Sans doute,
la mission qu'il leur confère comprend tout cela, mais elle comprend plus que
cela : elle a un caractère public, un caractère social. Et, comme Dieu envoyait
les anciens prophètes vers les nations et vers leurs chefs pour leur reprocher
leurs apostasies et leurs crimes, ainsi le Christ envoie ses apôtres et son
sacerdoce vers les peuples, vers les empires, vers les souverains et les
législateurs, pour enseigner à tous sa doctrine et sa loi. Leur devoir, comme
celui de Paul, est de porter le nom de Jésus-Christ devant les nations, et " les
rois, et les fils d'Israël " : Ut portet nomen meum coram gentibus, et regibus,
et filiis Israel (Actes, IX, 15).
" Mais je vois venir l'objection triviale, et j'entends élever contre ma doctrine
[directement déduite des divines Écritures] une accusation aujourd'hui à la mode
[et qui persiste en notre temps ou plus précisément en l'an 2002]. La thèse que
vous développez, me crie-t-on, c'est celle de la théocratie toute pure. La réponse
est facile, et je la formule ainsi : " Non, Jésus-Christ n'est pas venu fonder la
théocratie sur la terre, puisqu'au contraire il est venu mettre fin au régime
plus ou moins théocratique qui faisait toujours le fond du mosaïsme, encore
que ce régime eût été notablement modifié par la substitution des rois aux
anciens juges d'Israël ". Mais, pour que cette réponse soit comprise de nos
contradicteurs, il faut, avant tout, que le mot même dont il s'agit soit défini : la
polémique exploite trop souvent avec succès, auprès des hommes de notre
temps, des locutions dont le sens est indéterminé [ce qui est de plus en plus
fréquent à notre époque et rend vain tout dialogue sérieux]. Qu'est-ce donc que
la théocratie ? La théocratie, c'est le gouvernement temporel d'une société
humaine par une loi politique divinement constituée. Or, cela étant, comme
Jésus-Christ n'a point imposé de code politique aux nations chrétiennes, et
comme il ne s'est pas chargé de désigner lui-même les juges et les rois des
peuples de la nouvelle Alliance, il en résulte que le christianisme n'offre pas
de théocratie. [...] Trêve donc, par égard pour la langue française et pour les
notions les plus élémentaires du droit, trêve à cette accusation de théocratie qui
se retournerait en accusation d'ignorance contre ceux qui persisteraient à la
répéter [et ils sont légion !].
" Le contradicteur insiste, et me dit : Laissons la question de mots. Toujours estil que, dans votre doctrine, l'autorité temporelle ne peut pas secouer le joug de
l'orthodoxie [nous y voilà !] ; elle reste forcément subordonnée aux principes de
la religion révélée [et même aux principes premiers de la raison spéculative avec
ses motifs de crédibilité], ainsi qu'à l'autorité doctrinale et morale de l'Église : or,
c'est là ce que nous appelons le régime théocratique. Nous appelons, au
contraire, régime laïque ou régime séculier, celui qui peut s'affranchir à son gré
de ces entraves [qui va jusqu'aux entraves de la raison], et qui relève que de luimême.- L'aveu est précieux, M.T.C.F. C'est-à-dire que la société moderne
n'entend plus reconnaître pour ses rois et pour ses princes que ceux " qui ont
pris les armes et qui se sont ligués contre Dieu et contre son Christ ", que ceux
qui ont dit hautement : " Brisons leurs liens et jetons leur joug loin de nous "
(Psaumes, II, 2-3). [Ce qui est proprement satanique.] C'est-à-dire qu'il faut
supprimer la notion séculaire de l'État chrétien, de la loi chrétienne, du prince
chrétien, notion si magnifiquement posée dès les premiers âges du christianisme,
et spécialement par saint Augustin (cf. La Cité de Dieu, Livre V, ch. 24). [...]
C'est-à-dire, enfin, que la philosophie sans foi et sans loi a passé désormais des
spéculations dans l'ordre pratique, qu'elle est constituée la reine du monde, et
qu'elle a donné le jour à la politique sans Dieu. La politique ainsi sécularisée,
elle a un nom dans l'Évangile : on l'appelle " le prince de ce monde (Jean, XII,
31 ; XIV, 30), le prince de ce siècle " (1 Corinthiens, II, 6, 8), ou bien encore "
la puissance du mal, la puissance de la bête " (Apocalypse, IX, 10 ; XIII, 4) ; et
cette puissance a reçu un nom aussi dans les temps modernes, un nom
formidable qui depuis soixante-dix ans a retenti d'un pôle à l'autre : elle
s'appelle la Révolution. [...] Vous savez, mes Frères, à quelle suprême tentation
le Christ fut soumis. Satan le transporta sur une haute montagne, et lui dit : " Tu
vois toutes ces choses ? Eh bien ! je te donnerai tout cela si tu tombes à
genoux et si tu m'adores " : Hœc omnia tibi dabo, si cadens adoraveris me
(Matthieu, IV, 9). Grand Dieu, viendra-t-il un jour dans la série des siècles où la
même épreuve sera infligée à votre Église par le prince de ce monde ? [la
tentation n'est-elle pas grande à notre époque de se mettre à genoux devant
le monde avec ses organismes internationaux qui prétendent tout régler en
se passant de Dieu ?] La puissance du mal s'approchera-t-elle jamais pour lui
dire : Toutes ces possessions terrestres, toute cette pompe et cette gloire
extérieure, je te les donnerai, je te les maintiendrai, pourvu que tu t'inclines
devant moi, que tu sanctionnes mes maximes en les adoptant, et que tu me payes
ton hommage : Hœc omnia tibi dabo, si cadens (quelle chute !) adoraveris me.
A la parole du séducteur le Christ avait répondu : " Arrière, tentateur, car il est
écrit : Tu adoreras le Seigneur, et tu ne serviras que lui seul ". Et le tentateur
s'était éloigné de Jésus, et les anges s'approchant étaient venus le servir
(Matthieu, IV, 10-11). Mes Frères, l'Église, placée dans les mêmes conditions
que son Maître, ne saurait pas trouver d'autre réponse. [...] En face de certains
principes fondamentaux du droit public chrétien, elle est et elle sera toujours
inébranlable. Ce n'est pas elle qui substituera jamais, même dans ses institutions
purement temporelles, les prétendus droits de l'homme aux droits
imprescriptibles de Dieu. [...]
" Je ne m'écarte point du plan de mon discours, M.T.C.F.. Au temps de votre
évêque Émilien, le grand ennemi du nom, du règne et de la loi de Dieu,
c'était l'islamisme. Émilien et vos pères ont eu la gloire de s'enrôler contre lui
[et non de s'en faire les complices ou des alliés par peur ou par intérêt], de lui
résister, de le combattre, et ils y ont noblement sacrifié leur vie. Aujourd'hui [en
1859] l'ennemi capital du nom, du règne et de la loi de Dieu revêt une autre
forme et s'appelle d'un autre nom. Sa tendance est la même, et sa devise est
toujours celle de la populace déicide (cf. Luc, XXIII, 18) : Nolumus hunc
regnare super nos : " Nous ne voulons pas que le Christ règne sur nous "
(Luc, XIX, 14) [cf. l'encyclique Quas Primas, cinquième partie]. [...] Il ne s'agit
pas, du moins encore à cette heure [en 1859], de prendre les armes. La lutte est
principalement une lutte de doctrines. [...]
" [...] D'où vient donc ce symptôme si grave de l'affaiblissement des caractères ?
Ah ! ne serait-il pas vrai qu'il est la conséquence naturelle et inévitable de
l'affaiblissement des doctrines, de l'affaiblissement des croyances, et, pour dire
le mot propre, de l'affaiblissement de la foi ? Le courage, après tout, n'a sa
raison d'être qu'autant qu'il est au service d'une conviction. La volonté est
une puissance aveugle lorsqu'elle n'est pas éclairée par l'intelligence. [...]
Nos pères, en toute chose, cherchaient leur direction dans l'enseignement de
l'Évangile et de l'Église : nos pères marchaient dans le plein jour. Ils savaient ce
qu'ils voulaient, ce qu'ils repoussaient, ce qu'ils aimaient, ce qu'ils haïssaient, et,
à cause de cela, ils étaient énergiques dans l'action. Nous, nous marchons dans la
nuit ; nous n'avons plus rien de défini, rien d'arrêté dans l'esprit, et nous ne nous
rendons plus compte du but où nous tendons. Par suite, nous sommes faibles,
hésitants. [...] Ne vous arrêtez pas à ces doctrines de milieu que je ne sais quel
tiers parti, né d'un caprice d'hier, invente chaque jour en matière religieuse. Estce que ce christianisme appauvri, débilité, le seul qui trouve grâce devant
certains sages du Portique moderne, refera jamais les caractères vigoureux,
les tempéraments fortement organisés des anciens âges ? Non, avec les
doctrines amoindries, avec les vérités diminuées, on n'obtiendra que des
demi-chrétiens ; et, avec les demi-chrétiens, ni la société religieuse, ni la
société civile n'auront jamais raison de l'ennemi redoutable que je vous ai
signalé.
" J'entends encore quelques objections qui me sont faites : Il faut être de son
pays et de son temps. Il ne faut pas se heurter à des impossibilités.
" Il faut être de son pays : Oui, et mille fois oui surtout quand ce pays c'est la
France. Or, vous serez davantage de votre pays, M.F., à mesure que vous serez
plus chrétiens. Est-ce que la France n'est pas liée au christianisme par toutes ses
fibres ? N'avez-vous pas lu, en tête de la première charte française, ces mots tant
de fois répétés par l'héroïne d'Orléans : " Vive le Christ qui est roi des Francs " ?
N'avez-vous pas lu le testament de saint Rémi, le père de notre monarchie et de
toutes ses races régnantes ? N'avez-vous pas lu les testaments de Charlemagne et
de saint Louis, et ne vous souvenez-vous pas comment ils s'expriment
concernant la sainte Église romaine et le vicaire de Jésus-Christ ? Le programme
national de la France est là ; on est Français quand, à travers les vicissitudes des
âges, on demeure fidèle à cet esprit. [...] Les apostats de la France, ce sont les
ennemis de Jésus-Christ. Quoi qu'on fasse, il n'y aura jamais de national en
France que ce qui est chrétien. [...] Ce n'est pas la Bretagne qui me donnera
le démenti si j'affirme que rien ne sera jamais décidément national en
France que ce qui est franc.
" [...] Loin donc d'être atteint d'incapacité, l'homme perfectionné par la grâce et
instruit par la longue expérience de l'Église, possède un tact plus exercé, un sens
plus sûr pour le discernement du bien et du mal (Hébreux, V, 14). Nul ne juge
mieux les choses selon leur vraie valeur que celui qui les pèse dans la balance de
la foi et au poids du sanctuaire. Faute de ce régulateur, nous voyons tous les
jours que les hommes les plus habiles et les plus renommés ne sont, hélas ! ni à
la hauteur des destinées de leur pays, ni au niveau des besoins et des difficultés
de leur temps.
" Enfin, ajoute-t-on, il est des faits accomplis dont il faut savoir prendre son parti
; l'esprit moderne ne permet plus d'espérer jamais le triomphe social des
principes chrétiens : il ne faut pas se heurter à des impossibilités. - Des
impossibilités ? Mais c'est dit bien vite. L'Église, qui a pour elle cette grande
ressource qui se nomme le temps, n'accepte pas ce mot tout d'un coup. Le divin
Sauveur, J.-C., a prononcé cet oracle : " Ce qui est impossible auprès des
hommes n'est pas impossible auprès de Dieu " (Matthieu, XIX, 26) ; et l'Épouse
de J.-C., durant sa carrière de dix-huit siècles, a expérimenté souvent
l'accomplissement de cette parole. L'énumération serait longue de ces
revirements subits de l'opinion, de ces retours inattendus des choses, de ces
interventions manifestes de la Providence, qui ont fait revivre tout à coup, au
sein de la société chrétienne, les institutions et les principes dont le
rétablissement avait été déclaré impossible. En particulier, quand l'Église
s'interroge elle-même aujourd'hui et qu'elle se compare avec les choses de ce
temps, elle croit sentir en elle-même une vitalité, une fécondité, une force
d'expansion et une richesse d'avenir qu'elle n'aperçoit nulle part ailleurs.
" Des impossibilités ? Ah ! ce qui pourrait les créer ici-bas au profit du mal, c'est
cette facilité des bons à y croire et à se les exagérer, c'est cette disposition à
douter d'eux-mêmes et de la valeur de leurs principes, c'est cette promptitude à
rendre les armes à l'ennemi de Dieu et de l'Église ; que dis-je ? c'est cet
empressement à proclamer son triomphe lorsqu'il est loin encore d'être définitif.
[...]
" Il ne faut pas se heurter à des impossibilités, dites-vous ? Et moi je vous
réponds que la lutte du chrétien avec l'impossible est une lutte commandée, une
lutte nécessaire. Car dites-vous donc chaque jour : " Notre Père qui êtes dans les
cieux, que votre nom soit sanctifié, que votre règne arrive, que votre volonté soit
faite sur la terre comme au ciel " : Sicut in cœlo et in terra ? Sur la terre comme
au ciel, mais c'est impossible ! Oui, c'est l'impossible ; et cet impossible, il faut
travailler ici-bas, chacun selon nos forces, à en obtenir toute la réalisation qui est
en notre pouvoir. Une seule génération ne fait pas tout, et l'éternité sera le
complément du temps [si l'on peut dire...]. Nos pères, les anciens Gaulois,
avaient une telle foi dans la vie à venir, qu'il leur arrivait de renvoyer la
conclusion de leurs affaires à l'autre monde, et de prêter de l'argent recouvrable
après la mort (Pompon. Mela, De situ orbis, L. III, n. 2). Ce qu'ils faisaient en
païens, sachons le faire en chrétiens. Encore un coup, ce que nous
commencerons, d'autres le continueront, et le dénouement final l'achèvera. [...]
Le mal s'est produit depuis lors, il se produira jusqu'à la fin sous mille formes
diverses. Le vaincre entièrement ici-bas, le détruire de fond en comble, et
planter sur ses ruines l'étendard désormais inviolable du nom, du règne et de la
loi de Dieu, c'est un triomphe définitif qui ne sera donné à aucun de nous, mais
que chacun de nous n'en doit pas moins ambitionner avec espérance contre
l'espérance même : Contra spem in spem (Romains, IV, 18).
" Oui, avec cette espérance contre l'espérance même. Car je veux le dire à ces
chrétiens pusillanimes, à ces chrétiens qui se font esclaves de la popularité,
adorateurs du succès, et que les moindres progrès du mal déconcertent : Ah !
affectés comme ils sont, plaise à Dieu que les angoisses de l'épreuve dernière
leur soient épargnées ! Cette épreuve est-elle prochaine, est-elle éloignée ? Nul
ne le sait, et je n'ose rien augurer à cet égard ; car je partage l'impression de
Bossuet, qui disait : " Je tremble mettant les mains sur l'avenir " (Explication de
l'Apocalypse, ch. 20, Éd. Lebel, T. III, p. 478). Mais ce qui est certain, c'est qu'à
mesure que le monde approchera de son terme, les méchants et les séducteurs
auront de plus en plus l'avantage : Mali autem et seductores proficient in pejus
(II Timothée, III, 13). On ne trouvera quasi plus la foi sur la terre (cf. Luc,
XVIII, 8), c'est-à-dire, elle aura presque complètement disparu de toutes les
institutions terrestres. Les croyants eux-mêmes oseront à peine faire une
profession publique et sociale de leurs croyances [en 2002, en France, nous y
sommes arrivés]. La scission, la séparation, le divorce des sociétés avec Dieu,
qui est donné par saint Paul comme un signe précurseur de la fin : nisi venerit
discessio primum (II Thessaloniciens, I, 3), ira se consommant de jour en jour.
L'Église, société sans doute toujours visible, sera de plus en plus ramenée à des
proportions simplement individuelles et domestiques. Elle qui disait à ses débuts
: " Le lieu m'est étroit, faites-moi de l'espace où je puisse habiter " : Angustus
est mihi locu, fac spatium mihi ut habitem (Isaïe, LXXI, 20), elle se verra
disputer le terrain pied à pied ; elle sera cernée, resserrée de toutes parts ; autant
les siècles l'ont faite grande, autant on s'appliquera à la restreindre. Enfin il y
aura pour l'Église de la terre comme une véritable défaite : " Il sera donné à la
Bête de faire la guerre aux saints et de les vaincre " (Apocalypse, XIII, 7).
L'insolence du mal sera à son comble.
" Or, dans cette extrémité des choses, dans cet état désespéré, sur ce globe livré
au triomphe du mal et qui sera bientôt envahi par la flamme (cf. II Pierre, III,
10-11), que devront faire encore tous les vrais chrétiens, tous les bons, tous les
saints, tous les hommes de foi et de courage ? S'acharnant à une impossibilité
plus palpable que jamais, ils diront avec un redoublement d'énergie, et par
l'ardeur de leurs prières, et par l'activité de leurs œuvres, et par l'intrépidité de
leurs luttes : O Dieu, ô notre Père, qui êtes dans les cieux, que votre nom soit
sanctifié sur la terre comme au ciel, que votre règne arrive sur la terre comme au
ciel, que votre volonté soit faite sur la terre comme au ciel : Sicut in cœlo et in
terra ! Sur la terre comme au ciel... ! Ils murmureront encore ces mots, et la
terre se dérobera sous leurs pieds. [...] Et alors, cet idéal impossible, que tous les
élus de tous les siècles avaient obstinément poursuivi, deviendra enfin une
réalité. Dans ce second et dernier avènement, le Fils remettra le royaume de ce
monde à Dieu son Père, la puissance du mal aura été évacuée à jamais au fond
des abîmes (I Corinthiens, XV, 24) ; tout ce qui n'aura pas voulu s'assimiler,
s'incorporer à Dieu par J.-C., par la foi, par l'amour, par l'observation de la loi,
sera relégué dans le cloaque des immondices éternelles. Et Dieu vivra, et il
régnera pleinement et éternellement, non seulement dans l'unité de sa nature et
la société des trois Personnes divines, mais dans la plénitude du Corps mystique
de son Fils incarné, et dans la consommation de ses saints (cf. Éphésiens, IV,
12).
" Alors, ô Émilien, nous vous reverrons, vous et votre magnanime phalange ; et,
après avoir travaillé comme vous ici-bas, dans la mesure de nos forces, à la
glorification du nom de Dieu sur la terre, à l'avènement du règne de Dieu sur la
terre, à l'accomplissement de la volonté de Dieu sur la terre, éternellement
délivrés du mal, nous dirons avec vous l'éternel Amen : " Cela est, cela est ".
Telle est la grâce que je vous souhaite à tous, M.T.C.F., au nom du Père, du Fils
et du Saint-Esprit."
1) Ier Concile du Vatican, Constitution Pastor æternus, c. 4 ; Collectio
Lacensis, t. 7, Acta et decreta sacrosancti œcumenici concilii Vaticani, Fribourg
en Br., 1890,486 ; Denz., 1836, Dum., 481 :
" Car le Saint Esprit n'a pas été promis aux successeurs de Pierre pour
qu'ils fassent connaître, sous sa révélation, une nouvelle doctrine, mais pour
qu'avec son assistance, ils gardent saintement et exposent fidèlement la
révélation transmise par les apôtres, c'est-à-dire le dépôt de la foi."
En effet, le dépôt de notre foi doit être gardé saintement et exposé fidèlement
tout en pouvant cependant être développé d'une manière organique, c'est-à-dire
sans contredire ce qui a déjà été formulé, car si le vicaire du Christ se
permettait d'avancer un point de doctrine infirmant celui de l'un de ses
prédécesseurs, qui pourrait alors nous assurer qu'il ne se trompe pas à son
tour ? Et s'il n'en tenait aucun compte, c'en serait fini de l'autorité de son
magistère. Il s'introduirait ainsi un désordre épouvantable dans l'Eglise jusqu'à
provoquer de graves dissensions, voire des schismes. Et c'est pourquoi on ne
doit jamais oublier les critères du magistère ordinaire et universel de l'Eglise
pour reconnaître les doctrines qui s'imposent à notre foi et pouvoir ainsi
demeurer dans la charité, la joie et la paix en attendant patiemment des jours
meilleurs ou le jour où nous verrons la cité mystique de Dieu descendre du ciel
d'auprès de Dieu, brillante de la gloire de Dieu, et s'établir en nous et parmi nous
pour l'éternité (1), sachant que, selon les promesses du Christ, les portes de
l'enfer ne prévaudront pas contre son Eglise (2). A la vue de tant de scandales et
d'hérésies dans l'Eglise, ne la quittons pas pour en rejoindre une autre qui
prétendrait être la seule vraie sur la terre comme le font bien des sectes qui
égarent des personnes de bonne volonté mais doctrinalement peu formées et
psychologiquement vulnérables ou déstabilisées et par conséquent affaiblies
dans leur foi, car si l'apôtre Pierre a reçu de Jésus-Christ l'assurance de
l'indéfectibilité de l'Eglise bâtie sur lui, comment se pourrait-il qu'une autre
Eglise puisse faire mieux qu'elle sans une telle promesse contenue dans la Sainte
Ecriture ? Ne lâchons donc pas la proie pour l'ombre ou n'imitons pas Gribouille
en nous jetant à l'eau pour éviter la pluie. Patientons ! Laissons passer l'orage.
1) Cf. Apocalypse, XXI, 3-4, 8, 10, 23 ; XXII, 3-5, 14-15.
2) Cf. Matthieu, XVI, 18.
Jean-Paul II, Lettre apostolique en forme de Motu Proprio AD TUENDAM
FIDEM par laquelle sont insérées plusieurs normes dans le Code de Droit
canonique et dans le Code des Canons des Églises orientales, Rome, le 18 mai
1998 :
" Pour défendre la foi de l'Église catholique contre les erreurs formulées
par certains fidèles, surtout ceux qui s'adonnent aux disciplines de la
théologie, il m'a semblé absolument nécessaire, à moi dont la fonction
première est de confirmer mes frères dans la foi (cf. Lc 22, 32), que, dans les
textes en vigueur du Code de Droit canonique et du Code des Canons des
Églises orientales, soient ajoutées des normes qui imposent expressément le
devoir d'adhérer aux vérités proposées de façon définitive par le Magistère
de l'Église, mentionnant aussi les sanctions canoniques concernant cette
matière.
" [...]A) Le canon 750 du Code de Droit canonique aura désormais deux
paragraphes, le premier comprenant le texte du canon actuellement en
vigueur, le second comportant un nouveau texte; le texte complet de ce
canon 750 sera donc le suivant :
Can. 750, § 1. On doit croire de foi divine et catholique tout ce qui est contenu
dans la parole de Dieu écrite ou transmise par la tradition, c'est-à-dire dans
l'unique dépôt de la foi confié à l'Église et qui est en même temps proposé
comme divinement révélé par le Magistère solennel de l'Église ou par son
Magistère ordinaire et universel, à savoir ce qui est manifesté par la commune
adhésion des fidèles sous la conduite du Magistère sacré; tous sont donc tenus
d'éviter toute doctrine contraire.
§ 2. On doit aussi adopter fermement et faire sien tous les points, et chacun
d'eux, de la doctrine concernant la foi ou les mœurs que le Magistère de
l'Église propose comme définitifs, c'est-à-dire qui sont exigés pour
conserver saintement et exposer fidèlement le dépôt de la foi; celui qui
repousse ces points qui doivent être tenus pour définitifs s'oppose donc à la
doctrine de l'Église catholique."
-----En ayant accompli son plan de Rédemption par Jésus-Christ (1), son Fils unique,
Dieu a mis en échec et mat (tm : mort) le naturalisme de Lucifer, odieuse
impiété qui est incapable de conduire à la vie éternelle (2) et n'aboutit en réalité
qu'au néant ou à l'absurde en précipitant toutes choses vers la décadence et la
mort.
1) Cf. Jn 19 30 ;
2) Ibid., 1 12 ; Ec 21 9-10 ; Jn 8 23 ; 17 9 ; Lc 13 25 27 ; I Co 14 38.
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