A Notre-Dame de France La politique française "regnum Galliæ, regnum Mariæ" Ps 126 1 : " Si Dieu ne bâtit pas la cité, ceux qui la bâtissent travaillent en vain " wb wynwb wlme aws tyb hnby-al hwhy-Ma Nous voulons qu'il règne ! A Dieu toute gloire ! Tous, avec Pierre, à Jésus, par Marie !... 6/7 Mes ultimes citations La Cathédrale effondrée, les Cahiers de l'Ordre Français, Henri Massis, Pierre Debray et Louis Daménie, 1er Cahier, 1962, avant-propos de l'Ordre Français, pages 5-9 : " Depuis un siècle et demi, la France était semblable à une cathédrale, dont la Révolution, comme une foudre, aurait détruit le faite. Le noble édifice, désormais découronné, s'ouvrait, par ce grand vide, à toutes les bourrasques de l'histoire. La France était devenue un corps privé de tête, le roi ; dépouillé de son âme, Dieu. " Les murs cependant demeuraient intacts, d'apparence, soutenus par ces arcsboutants qu'étaient l'Eglise, l'Armée, la Justice, l'Administration. Les Français devenaient sans doute stupides, lorsqu'ils se rendaient aux urnes, mais le reste du temps, ils continuaient de pratiquer les antiques vertus. L'existence qu'ils menaient dans leur métier, dans leur commune, dans leur famille, était réglée, comme avant 1789, par les traditions domestiques. L'artisan, le commerçant, la paysan, l'ouvrier conservaient le trésor de leur honneur, le patrimoine de leurs fidélités. Ceux-là mêmes qui se déclaraient pacifistes les jours d'élection se précipitaient aux frontières dès que le tocsin sonnait, pour annoncer que la patrie était en danger. " Pourtant, le libéralisme privait de leurs protections corporatives les travailleurs des fabriques, des mines, et la première révolution industrielle se développait dans l'anarchie. Par centaines de milliers, les hommes, les femmes, les enfants étaient arrachés à la terre, et parqués dans les faubourgs sururbains. Ainsi se constituait une gigantesque armée de déracinés, qui campaient aux abords de la cité, soumis à l'obsession du chômage, ne possédant rien que leurs bras nus, menant l'existence la plus incertaine et la plus précaire. Le sort des serfs était certes plus enviable que le leur, que le seigneur, du moins, ne pouvait pas priver de la glèbe. Et, même celui des esclaves, que son intérêt bien compris interdisait au maître de priver de nourriture. " La bourgeoisie libérale inscrivait la liberté, l'égalité, la fraternité au fronton des monuments publics. Quelle liberté laissait-elle à ces malheureux, sinon celle de mourir de faim, lorsque survenait, avec une effrayante régularité, l'une de ces crises cycliques qui scandaient les progrès de l'industrie ? Alors que les puissances d'argent gouvernaient, l'égalité faisait figure de dérision. La fraternité devenait une insulte pour ces masses affamées et désespérées, dont les insurrections étaient sauvagement réprimées. Aucun régime moins que la république bourgeoise n'a été avare du sang ouvrier. " C'était jeter le prolétariat dans les bras subversifs, plus rigoureux encore que les premiers, puisqu'ils prétendaient faire passer les principes démocratiques de l'abstraction politique dans la réalité sociale. Comment n'aurait-il pas été internationaliste ? On lui refusait sa place dans la nation. Il ne faisait d'ailleurs qu'imiter le capitalisme apatride. Comment n'aurait-il pas été anti-clérical ? M. Thiers, athée notoire et massacreur exemplaire, ne prétendait-il pas employer le clergé comme une gendarmerie supplémentaire ? " Pourtant, le prolétariat avait trouvé, parmi les élites catholiques et monarchistes, des dévouements et des protections. De grandes voix s'élevaient dans le pays qui proposaient des remèdes à ses maux. Pour éviter qu'elles soient entendues, les républicains usèrent de la diversion anticléricale [rien de bien nouveau]. Ce qui présentaient, pour eux, deux avantages : d'une part, ils mystifiaient le peuple, le détournant du catholicisme social, d'autre part, ils reprenaient l'entreprise de déchristianisation arrêtée par le Concordat napoléonien. L'égoïsme, l'avarice, la dureté de cœur du personnel républicain s'additionnaient ainsi de ses préjugés idéologiques pour empêcher la réforme de la société industrielle. En définitive, le dogme qui veut qu'il n'y ait pas d'ennemi à gauche le portait à préférer la révolution socialiste, qui du moins participait, comme lui, de la subversion [qui n'a pas compris cette logique de la Révolution qui est proprement satanique ? ]. " Néanmoins, la résistance des grands contre-révolutionnaires du début du siècle parvint longtemps à sauver l'essentiel. Il fallut, pour venir à bout des structures traditionnelles, le double coup d'accélérateur du gaullisme, celui de 1944 et celui de 1958. Désormais, les arcs-boutants sont fissurés, ébranlés, parfois démantelés. L'Eglise de France ? On mesure aujourd'hui les conséquences de la condamnation de l' " Action Française ", que beaucoup prirent, sur le moment, pour un acte simplement politique. Les prêtres sillonnistes s'introduisirent dans les grands séminaires, les militants démocrates colonisèrent l'action catholique et les syndicats chrétiens. Eux-mêmes considèrent, maintenant, avec effroi leur postérité progressiste. L'Armée ? Le corps des officiers a été disloqué, recru d'humiliations, de répressions, de reniements. Les meilleurs de ses chefs ont été jetés en prison, contraints à l'exil, envoyés dans de lointaines garnisons. Sous prétexte de préparer une guerre atomique, on met en place une armée de robots. La Justice ? Il n'y a plus d'autre droit que l'arbitraire d'une volonté particulière. L'Administration ? Elle se bureaucratise. On pousse aux postes les plus élevés de sa hiérarchie les hommes imbus de l'idéologie technocratique [et animés de naturalisme]. " Il n'y a plus d'esprit public. Tout ce qui conserve, dans la société, une position indépendante est, méthodiquement, soumis aux contraintes étatiques. Tout ce qui garde la volonté d'entreprendre se voit découragé par système. Une politique de centralisation abolit ce qui restait des libertés communales, remplace partout le responsable par le gestionnaire, intervient jusque dans les familles pour disputer aux parents le choix de l'éducation et de l'orientation des enfants. En même temps que les institutions sclérosent, étouffent les cellules vivantes, les mœurs se dégradent. La grande presse, spéculant sur la bassesse de l'âme, exploite tous les scandales et toutes les immoralités. " Dans ces conditions, nous ne saurions purement et simplement reprendre les analyses de nos maîtres, car celles-ci datent d'une époque où la société demeurait saine, si l'Etat était corrompu. Ils opposaient le pays réel au pays légal, le même pays d'ailleurs, mais pris soit dans son abstraction démocratique, soit dans son expression concrète. Au moment où cette distinction passe dans le langage courant, elle tend à perdre sa valeur, puisque la société s'étatise à mesure que l'Etat se socialise. Il n'y a pratiquement plus d'activité qui ne soit de quelque manière contrôlée, réglementée, et à la limite, commandée par la bureaucratie dirigeante. " De même, nos maîtres estimaient que, pour empêcher la ruine de la cathédrale, il suffisait de restaurer la clef de voûte. S'ils y étaient parvenus, tout aurait été, effectivement, sauvé. Ce ne fut pas. Comment jeter une clef de voûte sur une ruine ? Elle s'effondrerait avec elle. Il ne subsiste plus que les fondations, que le dessein général de l'édifice. La France ressemble à ces cités antiques, Glanum ou Amporia, que le barbare a rasées au sol, mais dont on retrouve, en creusant, le plan, inscrit dans la pierre. " Il faut nous contenter, pour l'heure, de jeter sur le chantier une bâche de fortune, et travailler humblement, en partant du bas, de ce qui demeure, qui n'est pas beaucoup. Nous avons à reconstruire la société en même temps que l'Etat. Cette double tâche pose des problèmes nouveaux. " La fidélité à nos maîtres commandes de nous attacher à leur méthode, l'empirisme organisateur, plutôt qu'aux résultats contingents qu'ils ont obtenus, par l'usage, d'ailleurs correct en son temps, de cette méthode. Nous n'avons pas à les répéter, scolairement, en mauvais élèves, mais à les imiter. Etre empirique, cela consiste à constater que le temps fait son œuvre. Pour le pire, comme pour le meilleur. Etre organisateur, cela consiste à partir de ce qui existe, afin d'en conserver les formes et de les projeter dans un avenir qu'il nous appartient d'inventer. " Les cinq essais [d'Henri Massis, de Pierre Debray et de Louis Daménie] reproduits dans cet ouvrage étudient successivement la crise de la civilisation chrétienne, la subversion du droit, le rôle de l'Etat, les conditions de l'unité française, les problèmes de la légalité et de la légitimité. Ce sont donc autant de jalons qui indiquent la direction dans laquelle doit s'engager une réflexion politique qui vise à restaurer la cathédrale effondrée dans sa splendeur primitive [S. Pie X : " Instaurer et restaurer sans cesse la civilisation chrétienne sur ses fondements naturels et divins "], en l'enrichissant de l'effort créateur de l'homme du XXe siècle [présentement du XXIe siècle], ainsi que le firent tous les siècles qui précédèrent le nôtre. " L'ORDRE FRANÇAIS " Louis Daménie, La Cathédrale effondrée, les Cahiers de l'Ordre Français, 1er Cahier, 1962, "Légitimité et légalité", pages 81, 82, 83, 86-88, 90, 91, 92, 94-95 : " Légitime, légal : s'il existe deux mots pour exprimer la notion générale de conformité à la loi, c'est bien qu'ils en traduisent des aspects différents. Il y a en effet lois et lois : celles que les hommes fabriquent à leur guise, et celles dont l'homme n'est pas maître, qui s'imposent à lui parce qu'elles sont les lois de sa nature ou de sa vocation. Est légitime ce qui se rapportent à celles-ci, légal ce qui se rapporte à celles-là. Les lois de la nature et de la civilisation sont intangibles. Vis-à-vis d'elles, l'homme n'a qu'un pouvoir, mais qui ne les affecte pas, celui de les reconnaître ou de les nier. Mais, suivant celle des deux attitudes qu'il adopte quand il légifère, il établit une légalité légitime ou illégitime. " [...] La pérennité des institutions est un facteur essentiel de leur légitimité, d'abord parce qu'elle leur permet de parvenir progressivement et sans heurts à leur pleine efficacité, ensuite parce que le temps est en lui-même une épreuve. Il se conçoit mal qu'un gouvernement dure sans que des services aient été rendus, sinon ou le mécontentement à la longue l'aurait renversé, ou le pays aurait décliné puis disparu. Par ailleurs, l'ancienneté crée des racines qui augurent de la stabilité de l'avenir. La pérennité exige que les hommes puissent se rapporter à des règles précises, d'où le besoin de codifier ce que l'usage a suggéré. La légalité est donc un soutien et un prolongement de la légitimité, mais en aucun cas elle ne saurait la conférer, et, quand elle règle les modalités d'un Pouvoir illégitime, elle n'est que la complice du désordre. C'est une bouffonnerie que de voir des juristes vouloir trancher de la légitimité au moyen des ressources de leur art, autant s'en aller acheter chez le pharmacien les vérités philosophiques. " [...] L'homme ne pouvant vivre qu'en société et la société ne pouvant exister sans autorité, il convient de reconnaître un préjugé favorable de légitimité au Pouvoir de fait. Celui-ci assure au moins l'ordre élémentaire, celui qui, dans nos sociétés modernes, relève des édiles, des cantonniers, des sergents de ville et des pompiers. Cet aspect de l'ordre, en soi préférable à l'anarchie qui accompagnerait la disparition du Pouvoir, confère à celui-ci une valeur que l'on doit reconnaître comme légitime, à moins que le gouvernement en question ne contienne un passif de désordre plus lourd que son actif d'ordre. C'est le cas d'un gouvernement qui serait au service de principes contre nature ou contraires à la civilisation. [...] On ne saurait plus parler d'un gouvernement légitime : le communisme, le nazisme ne sont pas des gouvernements légitimes, pour ne citer que des régimes forts - car les régimes faibles et contre nature prouvent leur illégitimité par leur inefficacité suivie en général de leur autodestruction. " Il n'est peut-être pas inutile de remarquer au passage, quant aux principes, que " contre nature " et " contraire à la civilisation " s'équivalent : la nature de l'homme est d'être social, et la civilisation consiste précisément en ce travail de la société qui élève et embellit l'homme, met un frein à ses mauvais instincts, et grandit ses œuvres en élargissant ses possibilités. " [...] Même consacré par l'Eglise, le souverain issu de l'élection reste tributaire de ceux qui l'ont élu, et cela peut aller jusqu'à la déposition, comme on l'a vu avec Charles le Gros [839-888, roi de France de 884 à 887, carolingien d'Allemagne, rétablit provisoirement l'empire d'Occident]. Tout en respectant les us, Hugues Capet cherche et trouve le remède à cet état de choses en associant de son vivant, son fils aîné à la royauté ; les successeurs immédiats d'Hugues font de même, puis, la tradition de la succession assurée, l'usage tombe en désuétude. La règle de dévolution la plus bénéfique était trouvée, et la France lui devra 800 ans de continuité, fait unique dans l'histoire de notre ère. Conforme à la vocation spirituelle de la France et aux lois naturelles, éliminant toute source de contestation de succession, le régime capétien est un modèle de légitimité, en même temps que de légalité. En se dressant pour chasser l'Anglais, en menant Charles VII à Reims, Jeanne d'Arc défendra à la fois l'une et l'autre : prince anglais, héritier de souverains et chef d'un peuple ennemis du royaume de France, Henri VI ne peut légitimement régner en ce pays ; descendant des rois de France, mais par les femmes, et donc exclu à ce titre de leur succession par la loi salique, il ne peut pas davantage prétendre y régner légalement [et sans cela la France serait passée aux Anglais et aurait vécu]. " La monarchie capétienne a donc apporté à la France une continuité exceptionnelle, à la fois source et fruit de sa légitimité. Elle a même donné à cette notion de légitimité une portée et un sens que la simple durée ne pouvait suffire à lui conférer. Le roi de France du Xe siècle n'est en effet qu'un suzerain, c'est-à-dire le chef suprême d'une hiérarchie de seigneurs pratiquement indépendants dans leur fief. En fait, l'Etat a disparu. Pour reconquérir leur puissance, les Capétiens doivent donc soumettre les seigneurs à leur autorité et par conséquent reconstituer l'Etat à leur profit [profit intimement lié aux intérêts de la France et à ceux de leur dynastie]. Le développement de l'Etat et celui de la puissance monarchique se sont donc confondus. Les théoriciens de la royauté ont complété cette confusion d'abord purement empirique par une construction doctrinale qui identifiait l'Etat et la dynastie en donnant à cette dernière les caractères essentiels du premier : unité, pérennité, indissolubilité. Tel fut l'objet de la loi dite salique qui assurait à la dynastie capétienne un ordre de succession éliminant toute contestation sur la dévolution de la puissance royale et donnant du même coup à la légitimité une assise qu'on ne retrouve pas dans les autres monarchies européennes [les rois actuels ne gouvernant plus et n'étant en réalité que des rois démocrates, c'est-àdire des rois d'opérette]. [...] " Que cette monarchie ait cependant commis des erreurs, des fautes, c'est le fait de la nature humaine ; qu'elle se soit usée, qu'elle ait eu besoin d'une rénovation au temps des derniers Bourbons, il en est ainsi de toute institution humaine, qui appelle de temps en temps une révision, un rajeunissement. Mais tout cela ne change rien au fond : elle fut le modèle des institutions, et la Révolution de 1789 qui la détruisit constitue l'acte le plus illégitime et le plus criminel de l'Histoire des peuples. " Le besoin, incontestable, de rénover certaines institutions vieillies a été l'occasion de la Révolution ; mais sa véritable force motrice était son idéologie, née directement de la philosophie des encyclopédistes. Cette idéologie se caractérise par l'affirmation de postulats touchant la société, à la fois contraire à la réalité observée [rien de nouveau sous le soleil] et à la tradition de l'Eglise. En fait, les " philosophes " du XVIIIe siècle [c'est-à-dire les Francs-Maçons et leurs "moutons" - cf. Barruel, Cochin et Copin-Albancelli] sont animés de la volonté forcenée de contredire la philosophie chrétienne, ce qui les conduit hors des chemins de la réalité et les oblige à négliger ou à nier les règles de la connaissance qui constituaient tout l'acquit rationnel de notre civilisation. La révolte contre Dieu aboutit à la révolte contre la raison (encore qu'on ne l'ait jamais tant invoquée). " [...] L'abdication de Charles X [1757-1836, qui succéda à son frère Louis XVIII en 1824], elle, n'était pas légitime, car la tradition de la monarchie française, nullement contredite sur ce point par la charte constitutionnelle de 1814, ne permettait pas au souverain de renoncer au pouvoir, encore moins de désigner un successeur autre que celui déterminé par la loi salique. La légitimité de Louis-Philippe sera d'autant plus contestable qu'il est le fils d'un des plus puissants artisans de la Révolution, régicide de surcroît, et que lui-même a favorisé, par ses intrigues, l'éviction de son cousin. En fait, la monarchie de juillet ne reposera plus sur les principes traditionnels ; entre elle et la monarchie capétienne, il n'y aura de commun que des apparences. Les Orléans, compromis naguère avec la Révolution et avec ses principes [ce dont ils n'ont pas de quoi être fiers], ne peuvent aujourd'hui les répudier complètement. Par un logique retour des choses, la Révolution les emmènera comme elle les a amenés avant que l'on ait pu parler de dynastie. " [...] Pourtant, le conflit des deux branches va se régler : avant de mourir sans héritier, le comte de Chambord stipule qu'il considère les princes d'Orléans comme ses fils. Aux Français, il avait dit aussi auparavant : " Avec vous et quand vous le voudrez, je reprendrai le grand mouvement de 89 ", reconnaissant ainsi le besoin de réformes qui s'imposait à la monarchie du XVIIIe siècle, rendues nécessaires par l'évolution de la société et du mode de vie. Il lègue donc à la France une situation parfaitement claire en matière de légitimité : il a défini les limites au-delà desquelles la monarchie ne saurait transiger, parce qu'en le faisant, elle cesserait d'être la monarchie qui a fait la France et perdrait donc ses titres à la légitimité. " L'attitude du comte de Chambord confirmant qu'il reconnaît les princes d'Orléans comme ses héritiers, et celle du comte de Paris s'inclinant devant le comte de Chambord éteignent la querelle entre la branche aînée et la branche cadette des Bourbons et donnent ainsi une solution pratique à la restauration. [...] " [...] La Révolution est revenue à ses origines bourgeoises, elle n'est plus sans culotte, elle porte faux-col et montre un visage grave. Ses grands artisans seront au parlement, dans les conseils d'administration des grandes affaires, mais surtout dans l'Université : pour détruire une civilisation, faire oublier ou renier le pouvoir temporel qui en a permis l'épanouissement, l'est-il pas indispensable d'aliéner d'abord l'intelligence ? C'est pourquoi, avant de s'attaquer à l'Eglise, le parti révolutionnaire, qui dispose du Pouvoir de fait, s'efforce de conquérir graduellement l'école. " C'est alors qu'un mouvement se forme qui va prendre la défense de la légitimité en portant son action sur le plan de l'intelligence. Jusqu'ici, les défenseurs de la monarchie étaient mus par un attachement quasi religieux [voire mystique] au roi et se préoccupaient peu de justifier rationnellement leurs sentiments. Le génie de Maurras va démontrer avec une rigueur scientifique que le nationalisme français ne saurait trouver son expression que dans la monarchie qui a édifié la France. Puisque l'attitude du comte de Chambord a rendu possible la restauration d'une authentique monarchie. Maurras, dont la fougue ne le cède pas au génie, se donne cette restauration comme le but de son action politique. " [...] Le très grand mérite de l'Action française [fondée en juillet 1899 par Henri Vaugeois, professeur au Lycée de Coulommiers] a été de combler cette usure de la légitimité royale par une présence intellectuelle, en rappelant les services de mille ans de monarchie, en démontrant que le roi replacé sur le trône était seul capable de rendre à la France, dans le présent et dans le futur, des services comparables, - enfin en maintenant vivante la pensée du comte de Chambord. [...] " Ainsi est légitime le Pouvoir qui assure le service que la nation attend de lui ; à commencer par la défense de son territoire et de sa civilisation. [...] Aujourd'hui [en 1962], on ne peut défendre le sol sans défendre les esprits et la civilisation ; c'est pourquoi au-delà de la durée d'un instant crucial de menace impérieuse sur le plan des armes matérielles. Le Pouvoir ne pourra plus connaître de légitimité que globale comme est globale la menace de notre patrimoine. " Est-ce à dire que nous ne devrons reconnaître qu'une légitimité parfaite ? Non, certes, global et parfait ne sont pas synonymes ; aujourd'hui, comme hier, il faudra savoir faire la part du contingent en matière de légitimité ; aujourd'hui, plus qu'hier car les espoirs de rétablir d'emblée un régime qui aurait tous les caractères de la légitimité, y compris la pérennité, ont maintenant disparu. Nous avons vu comment, au début du siècle, étaient réunies les conditions d'une solution pratique du rétablissement direct d'une monarchie exempte de compromission révolutionnaire ; cet espoir s'autorisait des réalités de l'époque. Celles d'aujourd'hui sont différentes parce que le temps, facteur inexorable, s'est écoulé, émoussant des souvenirs, remplaçant par d'autres les hommes en cause, consommant la détérioration des esprits et le délabrement des structures naturelles. " Au jour où nous sommes, inutile de nous bercer d'illusions. C'est par étapes successives et laborieusement qu'il nous faudra reconstruire un Pouvoir légitime ; la première phase décisive consistera à renverser le mouvement qui depuis deux siècles nous conduit à la décadence et s'accélère maintenant [en 1962!] vertigineusement. " Une telle action comporte trois plans : Défense du territoire par les armes et la diplomatie. Défense de la civilisation contre la Révolution par les idées. Défense de l'homme contre le totalitarisme [1] et l'anonymat par le rétablissement d'institutions protectrices respectant les structures naturelles et fortifiant les cellules intermédiaires entre le citoyen et l'Etat. Ces trois plans sont d'ailleurs indissolublement liés. Qu'un pouvoir central provisoire préside à cette tâche en quelques années, voire en quelques décennies, il aura bien servi le pays, il aura donc été en son temps légitime ; la restauration de la pérennité viendra ensuite, rendue plus aisée par l'œuvre déjà accomplie. La sagesse et la foi populaires qui sont, en la matière, meilleurs guides que les calculs ambitieux des théoriciens ne nous livrent-elles pas deux maximes précieuses : " A chaque jour suffit sa peine " [Mt 6 34] et " aide-toi, le ciel t'aidera "." 1) Michel Schooyans, La face cachée de l'ONU, Le Sarment/Fayard, 2000, page 11 : " L'idéologie totalitaire est la drogue qui tue la capacité de discerner le vrai du faux, le bien du mal, et qui inocule un ersatz de vérité, habituellement sous forme d'utopie." [Avec la tyrannie du consensus ou du monisme matérialiste qui conduit à un système de Pensée unique qui tend à devenir mondial.] ----- Charles Maurras, 1935. Pape saint Pie X ----Pierre Debray, La Cathédrale effondrée, les Cahiers de l'Ordre Français, 1er Cahier, 1962, "L'Etat, pourquoi faire ?", pages 13-14 : " Ainsi que l'écrivait l'un de mes maître, Alexandre Koyré, celui-là même qui m'a appris à aimer Platon : " rien sans doute ne ressemble moins à l'Etat moderne que la Polis antique... et pourtant, en lisant les pages passionnées et sévères, profondes et caustiques à la fois, dans lesquelles Platon nous décrit la décadence de la démocratie athénienne, glissant, par l'anarchie et la démagogie vers la dictature et le despotisme, le lecteur moderne ne peut pas s'empêcher de se dire : de nobis fabula narratur... [c'est une histoire qui nous concerne...] C'est que la Cité antique et la Cité moderne, si différentes soient-elles, sont toutes les deux des cités humaines. Et la nature humaine, quoi qu'on en dise, a peu changé au cours des siècles qui nous sépare de Platon ; ce sont toujours les mêmes mobiles, l'attrait des " bonnes choses " de cette vie, la richesse, le plaisir, l'ambition, honores, divitiæ, voluptates, qui poussent et déterminent ses passions ; ce sont toujours les mêmes motifs, honneur, fidélité, amour du vrai et dévotion au bien qui guident et éclaircissent son action. Et c'est pour cela que la leçon de Platon, que le message de Socrate qui nous atteint à travers les siècles est chargé, pour nous, de signification actuelle. De Platon mais aussi bien d'Aristote et de leurs grands commentateurs médiévaux. " Le meilleur et le pire. " Saint Thomas, résumant la doctrine commune à Platon et à Aristote, affirme que le meilleur gouvernement est le monarchique. Il identifie d'ailleurs monarchie et royauté, conformément à l'usage de son temps. Sans doute faudrait-il désormais les distinguer, car il est des rois qui ne gouvernent pas [ainsi en est-il des rois actuels qui se flattent tous d'être des démocrates et ne sont, par voie de conséquence, que des rois d'opérette tout juste bons à inaugurer les chrysanthèmes et alimenter la rubrique mondaine, laissant passer toutes les lois contraires au droit naturel [César] et divin [Dieu], telles la loi sur l'avortement], et qui, au plein sens du terme, ont cessé d'être des monarques, et à l'inverse, des régimes monarchiques ont existé, ainsi l'Empire Romain tel que le concevait Auguste, dont le Chef, écartant la dignité royale, ne se donnait que pour le premier du Sénat, du corps aristocratique. [...] " Pourquoi le gouvernement monarchique est-il le meilleur ? Parce que " le bien et le salut des hommes, constitués en société, est de conserver cette unité qu'on appelle paix... Aussi dans la mesure où un gouvernement réussira mieux à maintenir cette paix qui résulte de l'unité, il sera plus utile... De même, ce qui est chaud par soi est la cause la plus efficace de la chaleur. Le gouvernement d'un seul est donc plus utile que le gouvernement de plusieurs." Le Docteur angélique apporte la confirmation de la raison, de la nature, de l'expérience. " Les provinces ou les cités qui n'ont pas de monarque, souffrent des dissensions et vont à la dérive en s'écartant de plus en plus de la paix : ainsi se trouve réalisée la plainte que le Seigneur met dans la bouche du prophète Jérémie, XII, 10 : " Les pasteurs (parce que) nombreux ont dévasté ma vigne." " Cependant, " comme le pouvoir d'un seul, quand il est juste, est ce qu'il y a de meilleur, de même, dans le cas contraire, il est ce qu'il y a de pire ". Nul paradoxe dans la pensée de Saint Thomas et pas davantage dans celle d'Aristote dont il s'inspire. " A la république s'oppose la démocratie, l'une et l'autre, comme il appert de ce que nous avons dit, étant le fait d'une collectivité : à l'aristocratie, à son tour, l'oligarchie, l'une et l'autre étant le fait du petit nombre ; la monarchie, enfin, s'oppose à la seule tyrannie, l'une et l'autre étant le fait d'un seul homme. Que la monarchie soit le meilleur régime, nous l'avons montré ci-dessus. Si donc au meilleur s'oppose le pire, il s'ensuit nécessairement que la tyrannie est ce qu'il y a de pire... En conséquence, de même qu'il est plus utile qu'une force opérant en vue du bien ait plus d'unité, pour être plus puissante à faire le bien, de même une force opérant le mal est plus nuisible si elle est une que si elle est divisée. " Rien de plus aisé d'illustrer les thèses de Saint Thomas grâce à des exemples empruntés à l'actualité la plus récente. Hitler disposait d'un pouvoir sans partage. Le Troisième Reich formait sans conteste un Etat fort. Qui oserait nier qu'il ait mis sa force au service du mal ? [...] " Du bien commun. " Il importe de trouver des critères qui permettent de distinguer le gouvernement monarchique du tyrannique. Ils ont en commun de rassembler les énergies de l'Etat dans une volonté unique. Si l'on se situe au seul niveau des réalisations, en faisant abstraction du jugement moral, il est aisé de les confondre. Des esprits exclusivement préoccupés du succès, ce qui est le cas de beaucoup de modernes, sont amenés à se satisfaire de la tyrannie parce qu'elle réussit mieux que la démocratie, alors qu'elle est pire qu'elle. " Cependant le tyran s'oppose au monarque parce qu'il " recherche son bien privé ". Ce qui demande quelques explications, car peu de notions ne plus dégradées que celles du bien commun, au point qu'on a oublié sa signification véritable et qu'on l'emploie à tort et à travers. Tout être tend de lui-même vers son bien, qu'il en soit conscient ou pas, c'est-à-dire vers la réalisation de sa nature. La nature de l'homme implique la vie en société, et sans une autorité, aucune société ne serait capable de durer. D'où l'existence d'un bien commun qui ne se réduit pas à la somme des biens particuliers, puisqu'il est autre, mais qui n'est pas davantage leur négation, puisqu'un bien qui serait contradictoire d'un autre bien essentiel cesserait un bien lui-même. " L'homme est destiné au bonheur, c'est-à-dire à l'accomplissement de fins humaines. Les fins humaines ne pouvant s'accomplir sans la société, et sans un principe directeur de la société et de l'Etat, il faut que la société puisse jouer son rôle propre. Comment y parviendrait-elle si elle était déchirée par la discorde, propre à l'anarchie ? L'Etat a donc pour devoir de maintenir l'harmonie entre les citoyens, de protéger (ou de promouvoir quand elle a disparu) la paix civile. Il n'en reste pas moins que la société et a fortiori l'Etat, ne sont que des instruments et qu'ils ne sauraient sans abus empêcher l'homme d'accomplir ses fins humaines en se prenant eux-mêmes pour des fins. " De la démocratie à la tyrannie. " Le danger de la tyrannie est particulièrement grand dans les périodes qui succèdent à l'effondrement d'un régime démocratique. Il convient de reprendre l'analyse célèbre de Platon. Je sais bien qu'on a souvent reproché à Platon, et cela dès Aristote, de s'être appuyé pour montrer l'enchaînement des diverses formes de gouvernement sur une logique abstraite plutôt que sur les réalités historiques. C'est traiter bien à la légère la riche expérience politique de l'auteur de La République ; il a vécu le désastre militaire d'Athènes, l'avènement de la dictature des Trente et sa chute, les désordres de la démocratie et sa métamorphose. Les deux grands candidats à la tyrannie, que les malheurs des temps avaient fait surgir, le sombre Critias et l'énigmatique Alcibiade étaient des familiers de Socrate et ils ont donné leur nom à des dialogues platoniciens. D'ailleurs au XIXe siècle le processus qui mène de l'oligarchie, la démocratie censitaire, à la démocratie pure, la révolution de 1848, puis de la démocratie pure à la tyrannie, le second empire, ne s'est-il pas déroulé selon le schéma décrit au Ve siècle avant Jésus-Christ dans le VIIIe Livre de La République ? [...] " Pour une cité juste. " [...] A quelles conditions est-il possible d'empêcher le gouvernement d'un seul de tourner au pire, de lui permettre donc d'être le meilleur ? Par la réforme intellectuelle et morale [ce qui n'a absolument aucun rapport avec les qualités d'un bon gestionnaire dont notre société ne manque pas, car il convient de mettre chaque chose à sa place], par l'éducation des citoyens. C'est le vice le plus grave de la démocratie, et là-dessus Aristote s'accorde avec Platon, que d'introduire l'anarchie jusque dans les esprits. Remettre de l'ordre dans les idées, voilà par quoi il faut commencer, car tant que les citoyens se laisseront abuser par les propagandes contradictoires, il n'y aura rien de stable, rien de sûr dans l'Etat. C'est pourquoi le problème de l'éducation a été au centre des méditations de Platon. " Second point, le pouvoir d'un seul doit être tempéré. L'harmonie de la vie sociale exige que les biens particuliers des citoyens ne soient pas soumis à la volonté du prince, sinon son arbitrage dégénérerait en arbitraire. Etat fort donc mais Etat limité, ce qui impose l'existence auprès du souverain d'une représentation nationale. Le monarque ne saurait d'ailleurs se passer d'un conseil. Si perspicace qu'il soit, remarque Saint Thomas, le moyen le meilleur n'est pas toujours celui qui se présente à son esprit, et s'il se fie à son seul jugement [ou à celui d'une oligarchie qui n'a aucun contact avec les forces vives de la nation, car il ne faut pas attendre les réactions violentes de la rue avant de prendre des décisions judicieuses ou de revenir sur celles dont les incidences auraient été catastrophiques], sans prendre l'avis des hommes compétents [c'est- à-dire sages et expérimentés], il s'expose à l'erreur, il s'emprisonne dans son orgueil, et finalement tyrannise. " Troisième point : le monarque doit pratiquer la vertu, ce qui ne signifie nullement qu'il ne soit pas un pécheur lui aussi, mais seulement qu'il reconnaît l'existence au-dessus de lui de lois non écrites, de lois divines qu'il lui est interdit de violer, et qu'il en fait publiquement profession [cf. l'encyclique "Quas Primas"]. Sans cette reconnaissance d'un Bien et d'un Vrai transcendants, le prince est livré à son caprice. Là-dessus Platon a écrit des pages admirables que Saint Augustin a repris dans une perspective chrétienne, la seule qui leur donne tout leur sens. [...] " [...] Pourtant sans la réforme intellectuelle et morale, sans l'établissement d'une authentique représentation nationale, sans la reconnaissance par le prince des lois divines, ce nouveau régime se rendrait vite si odieux au peuple que celui-ci en viendrait à regretter la démocratie, et à juste titre nous enseigne Saint Thomas." Pierre Debray, La Cathédrale effondrée, les Cahiers de l'Ordre Français, 1er Cahier, 1962, "La subversion du droit", pages 31-33, 34-38, 41 : " Sans doute, n'est-ce pas pousser trop loin le paradoxe que de soutenir que le mythe mieux que l'histoire nous livre le droit en quelque sorte à l'état naissant. Eschyle, Sophocle, Hésiode [1] ou Platon nous font saisir, mieux que les pesants travaux de nos sociologues, l'effort obstiné de l'homme occidental pour imposer aux puissances terribles de la nuit la lumineuse majesté de la loi. Minerve, la vierge sage, désarmant les Erynnies, filles furieuses de la vengeance, n'a-t-elle conclu, sur l'Acropole, un pacte entre la sagesse politique et la justice des dieux ? Parfois, il adviendra qu'il soit oublié, jamais il ne sera dénoncé, avant notre âge de fer, qui, pour l'avoir rompu, retourne à la barbarie originelle. " Poursuivi par les Erynnies, Oreste s'était réfugié en suppliant, au pied de l'autel de Minerve. Les Erynnies ne voulaient rien reconnaître des circonstances qui avaient armé son bras. Il avait tué, il fallait qu'il meure à son tour. Cela seul leur importait. Fondatrice de la cité athénienne, Minerve intervint, parce qu'elle était consciente que le sang appelle le sang et qu'il fallait rompre le cycle de la violence, sinon l'anarchie régnerait en maîtresse. Seul, en effet, l'arbitrage souverain d'un tribunal pouvait trancher de façon définitive et créer les conditions de cette amitié, sans laquelle, comme l'écrira plus tard Aristote, il n'est pas de cités. La déesse sut trouver les mots qui désarmaient les Erynnies, les persuadant de porter leur cause devant l'Aréopage. Elles soutinrent l'accusation, Apollon, assumant, pour la première fois, le rôle d'avocat, plaida pour Oreste. Cependant, au moment de rendre le verdict, le tribunal ne parvint pas à se départager. Il y eut le même nombre de voix pour l'acquittement que pour la condamnation, comme si le poète avait voulu montrer que l'acte de juger était si grand qu'il dépassait les forces de l'homme. L'intervention de la déesse fut nécessaire et c'est l'inspiration d'une raison divine qui fit pencher la balance en faveur d'une juste clémence. La leçon est forte et mériterait d'être longtemps méditée. " Néanmoins, il importe davantage à notre propos de constater que l'institution du droit coïncide avec la fondation de la cité, c'est-à-dire d'une société politique, d'une société où les rapports entre les hommes sont réglés par la loi et non plus livrés à la pure violence, au caprice ou à colère. On ne saurait concevoir une cité sans droit et non plus un droit sans cité. Si Athènes n'avait pas disposé d'une autorité légitime, l'Aréopage, dont le pouvoir semblait, aux Erynnies mêmes, indiscutable, jamais l'équité n'aurait prévalu sur la vengeance. " A l'inverse, une cité qui méconnaît le droit se nie elle-même et se condamne à la ruine. Thèbes, qui n'a pas respecté le malheur d'Œdipe, est promise à la guerre civile et quand le vieil homme se réfugie à Colone, dans la banlieue d'Athènes, le roi Thésée, plutôt que de le repousser, préfère prendre le risque d'un conflit avec ses redoutables voisins. Athènes, si elle avait trahi le droit d'asile, aurait attiré la malédiction des dieux tandis que, quoi qu'il arrive, la présence d'Œdipe l'assure de vaincre. " Sophocle, dans Antigone, fournit au reste la preuve a contrario. Polynice, le fils d'Œdipe, qui a porté la guerre contre son peuple, est tombé sur le champ de bataille. Le roi Créon interdit qu'on lui donne une sépulture. Ses raisons sont fortes, du moins en apparence. N'a-t-il pas le devoir de châtier la trahison jusque par delà la mort ? Antigone, pourtant, encore qu'elle sache qu'elle sera emmurée vive, refuse de s'incliner. " Comment as-tu osé désobéir à la loi ?" l'interroge Créon, et elle répond : " Ce n'est pas Zeus qui a promulgué cette défense, mais la justice, compagne des divinité infernales, qui a établi de telles lois parmi les hommes. Je n'ai pas pensé que des décrets avaient un tel pouvoir qu'ils puissent autoriser un mortel à fouler au pied les lois non écrites et stables des dieux. Ces lois ne sont pas d'aujourd'hui, ni d'hier, mais vivent toujours et nul ne sait quelle est leur origine " [seule la Bible en révèle l'origine]. " Nous touchons là le point essentiel, l'opposition que Sophocle reprend d'Hésiode, de Thémis et de Diké. Thémis incarne ce qui fait le fondement même de la loi, ce qu'aucun texte ne saurait contenir, parce que les codifications n'en sont que l'expression contingente. Quant à Diké, c'est la technique judiciaire, simple instrument fabriqué de nos mains débiles. Certes, Diké se révèle indispensable, puisqu'elle est la médiatrice des puissances de la terre et du ciel. Encore convient-il qu'elle reste dans son rôle tout subalterne, servante de Thémis qui, lorsqu'elle s'émancipe et se veut maîtresse à son tour, commet le crime de démesure. Le souverain, eût-il comme Créon la légitimité pour lui, se rend coupable d'impiété, et son autorité s'évanouit, du moment qu'il se persuade que sa seule volonté commande aux lois. " Ainsi, pour les Grecs, il existe deux droits, l'un dont l'origine échappe au temps, parce qu'il a été fondé en même temps que la cité, et de la même main, celle des dieux éponymes, l'autre que le souverain, prince ou assemblée, élabore au gré des besoins [voire de leurs intérêts propres ou de leurs passions]. " [...] Le sophiste se fonde sur la protestation de Clytemnestre et d'Antigone pour rejeter, comme des produits de l'artifice, les contraintes sociales. L'exemple d'Agamemnon et de Créon l'autorise à préférer le succès au respect des ancêtres. " En réalité, aucun des grands tragiques grecs, pas même Euripide, n'a mis sur le même pied Thémis et Diké. Appartenant à deux ordres différents, elles ne sauraient entrer en conflit, à moins qu'une faute ne soit commise. Aussi, Clytemnestre a tort autant qu'Antigone a raison. Elle a tort parce que ce n'est pas l'orgueil qui porte Agamemnon, mais seulement son devoir de chef, qui doit conduire les Hellènes à la victoire. C'est qu'en effet la cité dont émane la législation positive trouve dans la loi naturelle sa finalité propre. Elle n'a été édifiée que pour permettre à l'homme de vivre selon sa nature. Là où il n'y a pas de cité, dans le monde barbare, et c'est tout le thème des " Perses ", il n'y a pas de droit, ni positif, ni naturel. " Le premier tribunal, l'Aréopage, était, nous l'avons vu, d'institution divine. C'était Minerve qui avait appris aux hommes à distinguer le juste de l'injuste. Il importe de prendre le mythe au sérieux ; le juste et l'injuste ne sauraient être définis qu'en fonction de valeurs transcendantes. Le vrai et le bien ne dépendent ni de l'intérêt, ni des humeurs, ni des opinions du moment. Ils existent par eux-mêmes, dans l'absolu ; et l'acte de juger cesse d'être possible dès l'instant où la législation positive est livrée à l'arbitraire du souverain [prince ou assemblée du peuple]. " De fait, la subversion du droit s'instaure dans la Grèce antique lorsque le souverain, en l'occurrence l'assemblée du peuple, se décide en fonction de son humeur. Alors commence le règne des sophistes, qui possèdent l'art de persuader l'opinion, non d'enseigner le vrai et le bien [c'est là le règne de la démocratie au sens étymologique du terme]. Discutant avec le plus fameux d'entre eux, Gorgias, Socrate l'accule à reconnaître que l'acte judiciaire prend le caractère d'une compétition, où c'est celui qui sait le mieux pratiquer l'art de la parole qui l'emporte [l'arme dont se servent nos hommes politiques pour séduire le peuple et parvenir au pouvoir par le jeu électoral]. Sans doute, Gorgias s'évade-t-il derrière de grands mots [qui n'engagent à rien]. Caliclès se mêlant à l'entretien, se moque de ses précautions verbales. Le sophiste ne parle encore de vertu que " pour se conformer à l'usage ". A quoi bon ruser plus longtemps. La loi n'est qu'une convention, qu'il est permis de tourner. Il n'est qu'une loi véritable, celle de la nature et selon la nature, le vrai et le bien, c'est d'être le plus fort, de l'emporter dans la lutte pour la vie [cf. Darwin : tout change, tout évolue, tout n'est que lutte perpétuelle, pas de nature stable ni par conséquent de morale absolue]. L'art oratoire constitue une concession à la lâcheté de la multitude, un moyen oblique pour assurer la victoire du plus habile. " Caliclès, cependant, ne va pas jusqu'au bout de la logique de la sophistique. Le Thrasymaque, que Platon évoque dans la République, ne craint pas, par contre, de soutenir que la loi se contente d'exprimer les rapports réels de domination et de servitude à l'intérieur de la cité. " Chaque gouvernement établit des lois pour son propres avantage [ou les avantages de son parti ou de sa secte] : la démocratie, des lois démocratiques, la tyrannie, des lois tyranniques et les autres de même ; chacun déclare juste ce qui le sert et punit comme coupable d'injustice celui qui transgresse des décrets rédigés à l'avantage des puissants du jour [qui ne veulent pas être dérangés]. Voici donc, mon cher, ce que j'affirme, partout le juste se réduit à ce qui profite aux hommes en place ". Thrasymaque ne craint de prononcer un éloge de l'injustice : " Va, Socrate, jusqu'au comble de l'injustice, celle qui fonde le bonheur de celui qui la commet, l'infortune de ceux qui ont été les victimes pour avoir refusé de la commettre. Ce comble, c'est la tyrannie, Qui, de surprise aussi bien que de force, dérobe, non par petits morceaux, ce qui appartient à autrui, biens sacrés et biens humains, biens des particuliers et biens de l'Etat, mais tous en bloc. Que, sur chaque partie de cet ensemble, l'injustice commise ne soit pas secrète, le coupable est puni, il est chargé des pires opprobes : pilleur de temples, asservisseur d'hommes, perceur de murailles, spoliateur, voleur, voilà les noms que, selon les diverses catégories de semblables méfaits, on donne à ceux qui commettent l'injustice. Mais, lorsqu'un homme, sans parler des fortunes confisquées, a en outre asservi ses concitoyens eux-mêmes, plutôt que des noms honteux, il reçoit ceux d'heureux et de fortuné, non seulement des citoyens, mais encore de tous ceux qui apprennent qu'il a porté l'injustice à son extrémité. C'est qu'ils ne craignent pas de tomber eux-mêmes dans l'injustice, ceux qui la blâment ; ils n'ont peur que de la souffrir. Vois-tu, Socrate, l'injustice, à condition d'être portée au degré convenable, est plus forte, plus libre, plus digne d'un maître, plus libre enfin que la justice ". " Platon décrit les jeunes gens qui entouraient Socrate troublés par l'argumentation de Thrasymaque. L'un d'eux, Adimante, interroge le philosophe, non sans quelque pathétique : " Il importe, lui dit-il, de prouver que la justice est bonne et désirable en elle-même, et comment y parvenir si l'on ne trouve pas un critère du juste et de l'injustice ? Ce critère où le chercher sinon pardelà l'homme, dans le vrai et le bien ? Ne te contente pas, s'écria Adimante, de nous expliquer que la justice est supérieure à l'injustice, va plus loin, montrenous quelle sorte d'action chacune d'elles exerce sur celui qui en est le sujet, afin que rien que par elle-même, et fût-ce à l'insu des dieux et des hommes, l'une d'elles soit une chose bonne et l'autre mauvaise ". Là, en effet, est la question, que Socrate s'efforcera de résoudre. C'est alors qu'il construira l'utopie du roi philosophe, c'est-à-dire du souverain qui n'exerce l'autorité politique qu'après avoir dégagé par l'étude, des valeurs indiscutables. Cette utopie, Platon tentera de la traduire dans le réel, en formant un disciple appelé à régner. Dion, neveu et beau-frère du tyran de Syracuse, Denys. L'expérience échouera avant même que d'avoir commencé. " Du moins, Socrate témoignera-t-il par l'exemple de sa mort de la transcendance du droit. On connaît la scène fameuse. Criton qui le visite dans sa prison, lui annonce que tout a été préparé pour son évasion. Pourquoi hésiterait-il ? N'a-t-il pas été condamné par des juges partiaux ? Là n'est pas le problème, rétorque Socrate, et il imagine les lois se dressant devant lui et lui disant : " Ce que tu te prépares à faire tend à nous ruiner et avec nous l'Etat tout entier. Crois-tu donc possible à cet Etat de durer et de n'être pas de fond en comble renversé, si les jugements qui sont rendus ont si peu d'autorité qu'il suffit de la volonté d'un simple particulier pour les bafouer ".Qu'importe au fond que les juges soient mauvais si les lois sont justes. La malfaisance des hommes reste affaire contingente, la bienfaisance des lois, chose nécessaire. " En donnant sa vie, Socrate n'est pas mort en vain. Bien sûr, si l'on se fie aux apparences, sa propre cité n'a pas été sauvée, faute d'avoir entendu l'avertissement qu'il lui donnait. Pourtant, le droit disparaissait, non l'idée du droit. Cet héritage, l'Europe chrétienne l'a recueilli. Comme les Grecs de la grande époque, elle sait que le droit positif repose sur le droit naturel et que l'acte judiciaire suppose une autorité légitime, donc indépendante de l'opinion et des intérêts. " A partir du XVIe siècle cependant, on assiste à un mouvement de subversion de plus en plus rapide, qui n'est pas sans présenter de troublantes analogies avec celui qu'avait jadis connu les Grecs. En 1575, Théodore de Bèze publie Du Droit des Magistrats qui affirme le droit du peuple à se révolter contre une loi qui ne lui paraît pas conforme à la " pure religion ". Rien là, en soi, de révolutionnaire. N'empêche que pour Théodore de Bèze c'est chaque conscience qui a autorité pour déterminer si la religion est pure ou pas. Du libre examen en matière religieuse découle le libre examen en matière politique. La pente est fatale, et Bossuet n'aura pas de peine à en apporter la preuve dans sa célèbre polémique avec le pasteur Jurieu. " Cependant, comme cela arrive pourtant trop souvent, c'est un homme que l'on classerait à droite, si l'on osait cet anachronisme, qui reprendra la position de Thrasymaque et lui donnera son expression moderne. Hobbes [1588-1679], défenseur de la monarchie des Stuart, ne craint de soutenir que l'homme étant un loup pour l'homme, le vaincu, par crainte de la mort, se remet au vainqueur du soin de dicter la loi. Fondée sur la force, et partant sur la crainte, plutôt que sur le respect de valeurs transcendantes, la souveraineté ne connaît plus les limites que lui assignait l'Occident chrétien. On oublie trop, en effet, que la monarchie ne se donnait pour absolue qu'au sens latin du terme. Ce qui signifiait uniquement qu'elle était indépendante en tant que pouvoir. Nullement qu'elle était capable de faire ce qui lui plaisait. Bien au contraire, le respect de la loi divine et des communautés naturelles contraignait le Prince à n'agir selon son gré que dans un étroit domaine, celui qui tenait à la conservation de l'Etat. Et encore l'Etat n'était-il pour lui qu'un héritage, dont il ne pouvait disposer. " [...] Le droit naturel marche par devant, le droit positif suit. Les lois non écrites qui vont les premières, où en trouverons-nous le dépôt sinon dans la tradition même de notre patrie, comme les Athéniens le trouvaient dans la leur. Cette tradition, osons le dire, est d'abord une tradition chrétienne [c'est encore heureux d'oser le dire ! Il est vrai que maintenant tous nos hommes politiques n'osent plus parler de valeurs chrétiennes, mais de valeurs tout court (c'est moins compromettant...) - il ne nous reste plus que des lâches - cf. Ap 3 15-16]." 1) Hésiode (VIIIe - VIIe s. av. J.-C.), Les travaux et les jours, n° 250 : " La Justice. " [...] Et vous aussi, rois, méditez sur cette justice ! Tout près de vous, mêlés aux hommes, des Immortels sont là, observant ceux qui, par des sentences torses, oppriment l'homme par l'homme et n'ont souci de la crainte des dieux." Louis Daménie, La Révolution, phénomène divin, mécanisme social, ou complot diabolique ? Les Cahiers de l'Ordre Français, 5e Cahier, 1968, pages 3-4, 11-13, 13-14, 15-16, 16-17, 17-18, 18, 19, 22, 23, 24-25, 27-29, 30-31 : Michelet, romancier, prêtre et prophète de la Révolution Le prêtre officiel d'une religion officielle. " Je ne cesse d'être frappé de la persistance dans les esprits des idées fausses, des préjugés, du fatras de vieux clichés touchant la Révolution française. Persistance est peu dire car je crois que les nouvelles générations en son encore plus imprégnées que les anciennes, d'où la difficulté de plus en plus grande à faire comprendre et admettre les véritables mécanismes révolutionnaires. " Que l'enseignement soit le véhicule essentiel de cette intoxication, cela ne fait point de doute ; quant à l'inspiration, il me semble que Michelet [17981874] y tient une place de choix. M'interrogeant sur ce point, je voulus me remettre en mémoire le petit livre intitulé : Trois idées politiques où Maurras consigne en un style admirable [et inimitable] les fortes idées que les commémorations de l'année 1898 lui ont suggéré (centenaire de la naissance de Michelet particulièrement carillonné, cinquantenaire de la mort de Chateaubriand, érection du buste de Sainte-Beuve) et dont voici celles qui se rapportent au rôle d'éducateur officiel que réserve au premier la république. " Il est vrai que l'Etat veille sur Michelet depuis longtemps. Il en fait son affaire et comme sa religion. Outre les quatre cultes reconnus par l'Etat, en voilà un cinquième de privilégié. Partout où il le peut sans se mettre dans l'embarras ni causer de plaintes publiques, l'Etat introduit les œuvres et l'influence de son docteur ; voyez, notamment, dans les écoles primaires, les traités d'histoire de France, les manuels d'inspiration civique et morale [et quelle morale !] : ces petits livres ne respirent que les " idées " de Michelet. A Sèvres, à Fontenay, les jeunes normaliennes ont Michelet pour aumônier ; il est le Fénelon de ces nouveaux Saint-Cyr... " On a de la peine à penser que cet annaliste d'une France décapitée, ce philosophe d'une humanité sans cerveau, représente l'essence de l'esprit national, ou même l'esprit de l'Etat. Je concède que nos pouvoirs publics, en tant que démocrates, aient parfois intérêt à choisir ce héros-là : mais en tant que Français ? en tant qu'hommes ? en tant que gardiens de la civilisation ? en tant que parti de gouvernement ? Si j'étais à leur place, le souvenir de ce centenaire ne me laisserait point très paisible. " Ils en auront des remords avant peu de temps. Tout ce bouillonnant Michelet, déversé dans des milliers d'écoles, sur des millions d'écoliers, portera son fruit naturel : il multiplie, il accumule sur nos têtes les chances de prochain obscurcissement (à vrai dire, d'obscurantisme), les menaces d'orage, de discorde et de confusion. Si nos fils réussissent à paraître plus sots que nous, plus grossiers, plus proches voisins de la bête, la dégénérescence trouvera son excuse dans les leçons qu'on leur fit apprendre de Michelet." " Et Maurras de noter qu'au 14 juillet, le gouvernement fit distribuer gratuitement dans toutes les écoles une brochure de morceaux choisis de Michelet intitulée : Hommage à Jules Michelet, 21 août 1798 - 9 février 1874. " Ce sont les prévisions les plus pessimistes de Maurras qui se sont réalisées au cours des soixante années écoulées depuis qu'il les a formulées ; les hommes de gouvernement en ont-ils pour autant conçu quelque remords en tant que Français, en tant que gardiens de la civilisation? Il faudrait pour cela qu'ils distinguent la patrie de la Révolution de la patrie française, l'anti-civilisation de la Révolution de la civilisation ; s'ils avaient cette faculté, ils cesseraient d'être les instruments de la Révolution et par conséquent de faire partie de ce fief qu'ailleurs Maurras a justement appelé le pays légal. [...] Haine du catholicisme, haine du prêtre. " De quelles affabulations n'était pas capable l'homme soumis à toutes les impulsions du tempérament et dénué de tout contrôle intellectuel que viennent de nous décrire et Maurras et Henri Lasserre, lorsqu'il était en proie à une furie. Or tel est bien le terme qui convient à la passion anti-catholique de Michelet. Comme le fait encore entendre Henri Lasserre, celle-ci vint en 1843 ; c'est à l'époque où, arrivé à la fin du règne de Louis XI, il interrompt son Histoire de France pour entreprendre l'Histoire de la Révolution. C'est aussi le moment où la lutte devient violente entre catholiques et libéraux au sujet de l'Université, le moment où les cours de Michelet et de Quinet au Collège de France sont supprimés. " Henri Lasserre situe ; dans le courant intellectuel révolutionnaire du moment, la décision de Michelet d'abandonner la rédaction de l'Histoire de France. Il notre que les deux premiers volumes de l'Histoire de la Révolution de Michelet, les deux premiers volumes de l'Histoire de la Révolution de Louis Blanc, l'Histoire des Girondins de Lamartine paraissent la même année, en 1847, que ces ouvrages eurent tous un grand retentissement à commencer par celui de Lamartine. " Les trois ouvrages eurent, celui de Lamartine par-dessus tous, un retentissement violent et assuré d'avance. Un commun courant les porta, que ces natures de lyriques et d'orateurs multiplièrent et échauffèrent, mais qu'ils avaient senti le plus puissant de l'heure présente. Les trois auteurs s'étaient mis à l'œuvre, pour ainsi dire, le même jour et ils furent prêts au même instant. Par des voies un peu différentes, mais par les mêmes moyens ils travaillèrent au même but et parvenaient au même résultat, de créer dans les imaginations la religion révolutionnaire. Elle date d'eux ; ils l'ont faite ; elle n'a produit depuis aucun monument apologétique de cette importance. Resterait à expliquer l'origine de ce courant d'opinion et de passion publique. Il nous suffit de constater son existence d'ailleurs bien connue. Un savant, un bénédiction poursuit, loin du bruit, le travail commencé. Les poètes de la multitude courent au-devant de ses vœux comme le soldat au canon." " Telles sont donc les circonstances qui virent se développer la passion antireligieuse de Michelet qui dorénavant ne dira plus que jésuite pour catholique comme Voltaire disait fanatisme pour religion. Il n'y aura de bassesse et de sottise dont Michelet se dispensera à l'égard des jésuites et des prêtres dans son Histoire de la Révolution, sans parler de son livre Du Prêtre, écrit spécialement à l'effet d'exhaler sa haine. " Voici d'abord l'explication de la perversité du prêtre. " La première raison que j'en trouvai naguère, dans mon livre Du Prêtre, c'est le prodigieux enivrement d'orgueil que cette croyance donne à son élu. Quel vertige ! Tous les jours, amener Dieu sur l'autel, se faire obéir de Dieu !... Le dirais-je (j'hésitais, croyant blasphémer) faire Dieu !... Celui qui chaque jour accomplit des miracles, comment le nommer lui-même ? Un Dieu ? Ce ne serait pas assez. [...] Que voulez-vous que devienne un pauvre homme [ici, comme précédemment, ce n'est plus un Dieu ou même plus qu'un Dieu] à qui tous les jours cent femmes viennent raconter leur cœur, leur lit, leur secret ? [...] Il peut garder les petites facultés d'intrigue et de manège, mais les grandes facultés viriles, surtout l'invention, ne se développent jamais dans cet état maladif [et saint Jean Népomucène, saint Jean-Marie Vianney, saint Joseph Cafasso, saint Léopold de Castelnuovo et le bienheureux Padre Pio, le fondateur d'un hôpital unique en son genre, ces apôtres extraordinaires du confessionnal, pour ne parler que des plus connus ?] ; elles veulent l'état sain, naturel, légitime et loyal. Depuis cent cinquante ans surtout, depuis que le SacréCœur, sous le voile d'équivoques [il s'agit là de la dévotion pour le Sacré-Cœur de Jésus révélée à sainte Marguerite-Marie], a rendu si aisé ce jeu fatal, le prêtre s'y est énervé et n'a plus rien produit ; il est resté eunuque dans les sciences [ces lignes de Michelet sont proprement sataniques ou lucifériennes]." " Engagé dans le roman nauséabond, Michelet s'y vautre indéfiniment, son imagination vicieuse que le mystère du confessionnal excite tout particulièrement ne cessant d'inspirer ses intarissables développements et les forgeries historiques les plus insensées : " Si le mariage est l'union des âmes, le vrai mari c'était le confesseur. Ce mariage spirituel était très fort, là surtout où il était pur. Le prêtre était souvent aimé de passion, avec un abandon, un entraînement, une jalousie qu'on dissimulait peu. [...] L'Assemblée fut obligée de lancer ce décret du 27 novembre 91, qui envoyait au chef-lieu les prêtres réfractaires, les éloignait de leur commune, de leur centre d'activité, du foyer du fanatisme et de rébellion où ils soufflaient le feu. Elle les transportait dans la grande ville, sous l'œil, sous l'inquiète surveillance des sociétés patriotiques. " [...] Qui peut dire les scènes douloureuses de ces départs forcés ? Tout le village assemblé, les femmes agenouillées pour recevoir encore la bénédiction, noyées de larmes, suffoquées de sanglots ?... Telle pleurait jour et nuit. Si le mari s'en étonnait un peu, ce n'était pas pour l'exil du curé qu'elle pleurait, c'était pour telle église qu'on allait vendre, tel couvent qu'on allait fermer... " On connaît maintenant les moyens, les agents de cette guerre impie. Le côté politique, le Roi et la noblesse y furent très secondaires. Le prêtre y fut presque tout." " Voici la conclusion à laquelle il fallait aboutir, voici comment Michelet écrit l'histoire car il suffit d'ouvrir ses livres à peu près au hasard pour y trouver des pages de la veine de celles qui viennent d'être citées. On comprend d'où le petit instituteur primaire anticlérical tire, depuis, ses arguments. La Révolution, religion exclusive. " Henri Lasserre nous dit que Michelet est totalement dénué de philosophie ; pourtant deux idées sont persistantes dans l'œuvre de Michelet, l'une est une vérité, l'autre une contre vérité : Révolution et Catholicisme sont exclusifs l'un de l'autre, telle est la vérité ; le peuple est le moteur de la Révolution, telle est la contre vérité. " Je veux d'abord laisser à Michelet le soin de présenter sa religion de la Révolution, celle de l'Homme et du droit abstrait. " La Révolution, a-t-on dit, a eu un tort. Contre le fanatisme vendéen et la réaction catholique, elle devait s'armer d'un Credo de secte chrétienne, se réclamer de Luther ou Calvin. " Je réponds : Elle eût abdiqué. Elle n'adopta aucun Eglise. Pourquoi ? C'est qu'elle était une Eglise elle-même. " Comme agape et Communion, rien ne fut ici-bas comparable à 90, à l'élan des Fédérations. L'absolu, l'infini du Sacrifice en sa grandeur, le don de soi qui ne réserve rien, parut au plus sublime dans l'élan de 92 : guerre sacrée pour la paix, pour la délivrance du monde. " Et s'écroulent en même temps toutes les petites barrières où s'enfermait chaque église, se disant universelle et voulant faire périr les autres. Elles tombent devant Voltaire, pour faire place à l'église humaine, à la catholique église qui les recevra, les contiendra toutes dans la justice et dans la paix. " Cette religion de la Révolution n'est pas une religion quelconque, elle est la seule. Il n'y a qu'un Dieu, celui de l'égalité et de l'équité. Les droits de l'homme sont le décalogue de cette religion, la Marseillaise son cantique. " Elle se dit non pas chrétienne mais plus, attaquée comme impie, elle était ultra chrétienne... On a reproché à la Révolution de n'être pas chrétienne : elle fut davantage. Ce qu'elle fut, c'est la religion de l'homme et de la justice telle que l'orgueil de la raison humaine, pour peu qu'elle soit de mauvaise qualité et livrée à ellemême, est capable de la concevoir, c'est-à-dire sous forme d'égalitarisme simpliste. " Il fallait, avant toute chose, revendiquer le droit de l'homme si cruellement méconnu, rétablir cette vérité, trop vraie, et pourtant obscurcie : " L'Homme a droit, il est quelque chose ; on ne peut le nier, l'annuler, même au nom de Dieu ; il répond, mais pour ses actions, pour ce qu'il fait de mal ou de bien ". Ainsi disparaît du monde la fausse solidarité : l'injuste transmission du bien, perpétuée dans la noblesse ; l'injuste transmission du mal, par le péché originel, ou la flétrissure civile des descendants du coupable [Adam]. La Révolution les efface." " [...] Ce que Michelet a senti c'est le caractère personnel et du catholicisme et des institutions qu'indubitablement il a façonnées, caractère personnel qui ne laisse pas de place aux généralités abstraites, aux idéologies déifiées. A l'appui de cette inconciliable opposition du christianisme avec le droit et la Révolution, Michelet n'hésite pas à se réclamer tout aussi bien de Bonald et de Maistre que de Proudhon. " Royalisme et catholicisme sont choses identiques, deux formes du même principe ; incarnation religieuse, incarnation politique. " Le christianisme même, démocratique extérieurement dans sa légende historique, est en son essence, en son dogme, fatalement monarchique. Le monde perdu par un seul [Adam] est relevé par un seul [Jésus-Christ, le nouvel Adam]. Le monde perdu par un seul [Adam] est relevé par un seul [Jésus-Christ, le nouvel ou le second Adam]. Dieu y dit aux rois : " Vous êtes mes Christs ". Bossuet établit admirablement contre les protestants, contre les républiques catholiques, que le christianisme donné, la royauté en ressort comme se forme logique et nécessaire dans l'ordre temporel. " La vie du catholicisme, c'est la mort de la République. La vie de la République, c'est la mort du catholicisme. [...]." " Il est de la plus haute importance pour nous contre-révolutionnaires de savoir que la pensée fondamentale de celui dont la Révolution a fait son prophète, réside dans cette incompatibilité du Catholicisme et de la Révolution, et que ces deux forces sont les seules à se partager le monde. J'ai souvent cité la déclaration d'Henri Lefebvre proclamant cette même exclusivité en ce qui concerne le catholicisme et le marxisme, et j'ai déjà fait remarquer qu'elle n'était vraie que si l'on admettait que le marxisme était destiné à absorber l'ensemble de la Révolution, ce qui n'est pas démontré malgré les apparences contemporaines ; la formule de Michelet est plus juste et plus générale : " Il y a deux choses et non pas une, nous ne pouvons le méconnaître, deux principes, deux esprits, l'ancien, le nouveau. " Donc, malgré les développements que les théories ont pu prendre, malgré les formes nouvelles et les mots nouveaux, je ne vois encore sur la scène que deux grands faits, deux principes et deux personnes, le Christianisme, la Révolution." " Ces phrases sont extraites de l'introduction de l'Histoire de la Révolution Française ; le fait que celle-ci ait comme centre cette idée de l'irréductible opposition Catholicisme-Révolution, atteste de l'importance primordiale que lui attribue Michelet et par conséquent ceux qui l'ont choisi pour grand-prêtre. Aussi citerai-je quelques autres passage de cette profession de foi. " La Révolution continue le Christianisme, et elle le contredit. Elle en est à la fois l'héritière et l'adversaire. " Dans ce qu'ils ont de général et d'humain, dans le sentiment, les deux principes s'accordent. Dans ce qui fait la vie propre et spéciale, dans l'idée mère de chacun d'eux, ils répugnent et se contrarient. " Ils s'accordent dans le sentiment et la fraternité humaine. Ce sentiment, né avec l'homme, avec le monde, commun à toute société, n'en a pas moins été étendu, approfondi par le Christianisme. A son tour, la Révolution, fille du Christianisme, l'a enseigné pour le monde, pour toute race, toute religion qu'éclaire le soleil. " Voilà toute la ressemblance. Et voici la différence : " La Révolution fonde la fraternité sur l'amour de l'homme pour l'homme [la "philanthropie de l'enfer" : la philanthropie sans la charité, vertu théologale - cf. Don Guéranger, dans L'Année Liturgique, le temps après la Pentecôte, tome IV, saint Camille de Lellis et saint Vincent de Paul, cinquième édition, pages 173 et 181], sur le devoir mutuel, sur le droit et la justice. Cette base est fondamentale, et n'a besoin de nulle autre [naturalisme absolu et intégral]. " Elle n'a point cherché à ce principe certain un principe douteux historique. Elle n'a point motivé la fraternité par une parenté commune [par Adam et Eve, nos premiers parents], une filiation qui, du père aux enfants, transmettrait avec le sang la solidarité du crime [le péché originel]." " [...] Donnons-nous ce grand spectacle : " I. - Le point de départ est celui-ci : Le crime vient d'un seul, le salut d'un seul ; Adam a perdu, le Christ a sauvé. " Il a sauvé, pourquoi ? Parce qu'il a voulu sauver. Nul autre motif. Nulle vertu, nulle œuvre de l'homme, nul mérite humain ne peut mériter ce prodigieux sacrifice d'un Dieu qui s'immole. Il se donne, mais pour rien ; c'est là le miracle d'amour ; il ne demande à l'homme nulle œuvre, nul mérite antérieur. " II. - Que demande-t-il, en retour de ce sacrifice immense ? Une seule chose : qu'on y croie, qu'on se croie en effet sauvé par le sang de Jésus-Christ. [...] " Plusieurs esprits éminents, dans une louable pensée de conciliation et de paix, ont affirmé de nos jours que la Révolution n'était que l'accomplissement du Christianisme, qu'elle venait le continuer, le réaliser, tenir tout ce qu'il a promis [quel aveuglement!]. " Si cette assertion est fondée, le dix-huitième siècle, les philosophes, les précurseurs, les maîtres de la Révolution se sont trompés, ils ont fait tout autre chose que ce qu'ils ont voulu faire. Généralement, ils ont un tout autre but que l'accomplissement du Christianisme [c'est évident]." " [...] Ce qui oppose surtout Louis et Michelet, c'est Robespierre ; d'après Michelet, Louis Blanc ne lui pardonne pas d'avoir scruté son idole ; cette opposition n'est pas surprenante et Michelet nous l'expose : " Il est demi-chrétien à la façon de Rousseau et de Robespierre. L'Etre suprême, l'Evangile, le retour à l'Eglise primitive : c'est le Credo vague et bâtard par lequel les politiques croient atteindre, embrasser les partis opposés, philosophes et dévots." […] " Un siècle s'est écoulé qui nous permet de mesurer combien, hélas ! était vain le zèle que Michelet déployait contre les révolutionnaires disposés à pactiser : les fils spirituels de Grégoire, les démocrates chrétiens exprimant eux-mêmes dans leur dénomination la contradiction dénoncée par Michelet, se montrèrent les agents les plus pernicieux de la diffusion révolutionnaire. [...] " Michelet quant à lui est logique avec lui-même : croyant la Révolution la vraie religion, il condamne les partisans de compromis [...]. Logique et malhonnêteté intellectuelle ne sont pas incompatibles. Michelet ne pèche pas par l'enchaînement des syllogismes ; seulement, comme le monde de son idéologie ne se raccorde pas au monde réel, il bâtit une fausse image de celui-ci, qui, cette fois, est compatible avec celui-là ; non sans peine, non sans faille comme nous allons le voir. Le peuple dieu. " J'ai dit que la seconde idée de Michelet est le rôle fondamental du peuple en tant qu'entité collective dans le développement de la Révolution. Cette idée est une contradiction flagrante avec les faits mais logique par rapport à sa religion qu'il nous expose dans son introduction à l'Histoire de la Révolution à propos de Voltaire et de Rousseau. " "Solve, coagula" [dissous et recompose] est l'éternelle devise de la Révolution. Mais cette Révolution, elle est en fait profondément divisée ; son unité consiste dans la haine du catholicisme ; de l'ordre temporel qu'il a suscité, et dans toute action tendant à détruire l'un et l'autre. Ainsi la conception de Michelet quoiqu'il en dise est en contradiction avec celle et de Voltaire et de Rousseau. Au demeurant Voltaire et Rousseau s'opposent l'un à l'autre bien que Michelet ne veuille les voir ni rivaux ni ennemis et place sur le même piédestal ces deux apôtres de la Révolution. " Voltaire n'a qu'un mobile : " écraser l'infâme " [i.e. la religion chrétienne] ; il ne compte pas pour cela sur le peuple qu'il méprise, il compte sur les rois, sur la littérature et sur l'organisation de la propagande ; le système politique de Rousseau, il a beau jeu de le réduire en pièces en dégageant les contradictions dans lesquelles s'empêtre l'auteur du Contrat Social depuis la première ligne. Michelet rend gloire à Voltaire pour avoir été le champion de l'irréligion et de la justice abstraite, cela suffit à le rendre aveugle sur les autres aspects de celui-ci. " Quant à Rousseau, Michelet se sent d'abord avec lui en affinité de tempérament par la sentimentalité débridée comme par la bassesse du caractère ; il lui doit le romantisme mais son système est bâti sur la mésinterprétation [sic] de Rousseau. La volonté générale dans l'esprit de Rousseau n'a jamais été celle du grand nombre mais celle des citoyens vertueux, c'est-à-dire des citoyens inaccessibles aux intérêts particuliers et entièrement dévoués à la cause de la Révolution [i.e. des personnes pratiquement introuvables ou se trouvant sur la lune, peut-être] ; le type même de ces hommes, le vrai disciple de Rousseau, c'est Robespierre, que Michelet accuse de trahir la Révolution. [...] " En fait, le dieu de Michelet est trinitaire ; sa première personne est l'Homme abstrait qui n'a que des droits ; la deuxième personne est l'homme collectif, le peuple qui renverse l'ordre ancien et bâtit l'Ordre nouveau ; la troisième personne est l'esprit de la Révolution qui procède à la fois de l'homme individuel idéal et de l'homme collectif. Ainsi nous sommes en pleine théocratie puisque le même peule est dieu et souverain. [...] " Dans mon premier volume (1847), j'avais indiqué à quel point les idées d'intérêt, de bien-être, qui ne peuvent manquer en nulle Révolution, en la nôtre pourtant sont restées secondaires, combien il faut la tordre, la fausser, pour y trouver déjà les systèmes d'aujourd'hui. Sur ce point, le beau livre de Quinet confirme le mien. Oui, la Révolution fut désintéressée. C'est son côté sublime et son signe divin." " Ainsi, dans sa préface de 1868, écrivait Michelet qui semble ignorer qu'Orléans avait fait distribuer des modèles de cahiers dans toute la France, où la campagne d'élection des députés aux Etats Généraux avait été conduite partout en sous-main par la maçonnerie. " Une chose qu'il faut dire à tous, qu'il est trop facile d'établir, c'est que l'époque humaine et bienveillante de notre Révolution a pour acteur le peuple même, le peuple entier, tout le monde. Et l'époque des violences, l'époque des actes sanguinaires ou plus tard le danger la pousse, n'a pour acteur qu'un nombre d'hommes minime, infiniment petit." [...] " Ecoutez donc ce peuple chanter la Marseillaise : " Quand ces pauvres gens arrivèrent au passage : Liberté chérie ! il se fit un grand bruit. Touchant spectacle ! tout ce peuple était tombé à genoux : il achevait ainsi le cantique et la terre était inondée de pleurs." [Et même si cela était vrai, n'aurions-nous pas plutôt à faire à des actes de folie mystique que l'on a déjà vus sous les régimes communistes et nazis ? Attention aux réactions de la foule ! Elles ne sont pas nécessairement dues à de bons esprits. Il faut encore savoir les discerner par leurs fruits ou leur fin.] " C'est le peuple que l'Esprit saint de cette pentecôte illumine et non les scribes ! " [...] Au savant, au prêtre, au légiste, la Révolution a opposé l'homme, l'a mis de niveau avec eux. Cet homme qu'ils avaient dédaigné, que le Christianisme lui-même leur avait mis sous les pieds comme une créature gâtée, impuissante, obscurcie en sa raison par le péché originel, mineur à jamais sous le prêtre, cet homme dont le prêtre en lois, le légiste, se fait ensuite tuteur, la Révolution proclama sa majorité." [...] " Il faut bien qu'il a ait eu intervention de l'Esprit [ou de Lucifer] pour que le peuple fît ces grandes choses spontanément puisque avec une certaine ingénuité, Michelet nous le définit jusqu'ici content de son sort, plein de tendresse pour ses maîtres. " A l'esprit de fédération, d'union, à la nouvelle foi révolutionnaire, on ne pouvait opposer que l'ancienne foi, si elle existait encore. " Au défaut du vieux fanatisme éteint, ou tout au moins profondément assoupi, le Clergé avait une prise qui ne manque guère, la facile bonté du peuple, sa sensibilité aveugle, sa crédulité pour ceux qu'il aimait, son respect invétéré pour le prêtre et pour le Roi... le Roi, cette vieille religion, ce mystique personnage, mêlé des deux caractères du prêtre et du magistrat, avec un reflet de Dieu ! " Toujours le peuple avait adressé là ses vœux, ses soupirs ; avec quel succès, quel triste retour, on le sait de reste. La royauté avait beau le fouler, l'écraser, comme une machine impitoyable ; il l'aimait comme une personne... " J'entends ce mot sortir des entrailles de l'ancienne France, mot tendre, d'accent profond : " Mon Roi ! ". " [...] Ce qui (...) étonne encore plus, c'est la résignation de ce peuple, son respect pour ses maîtres, laïques, ecclésiastiques, son attachement idolâtrique pour ses rois... Qu'il garde, parmi de telles souffrances, tant de patience et de douceur, de bonté, de docilité, si peu de rancune pour l'oppression, c'est là un étrange mystère..." " Voilà, tout est simple, quand les vues de l'esprit sont en contradiction avec la réalité, on se contente de constater le mystère - puisque la Révolution est une religion pourquoi n'aurait-elle pas de mystères ? " Mais à regarder les choses positivement, il est bien évident que ce peuple soumis au Roi, respectueux des prêtres n'a pas fait la Révolution tout seul ; au demeurant que signifie cette fiction de la volonté générale encore plus absurde dans la conception Michelet que dans celle de Rousseau ? Rien, car la volonté est une faculté psychique d'un homme et une masse en est encore plus dénuée qu'une oligarchie. " Non les choses ne se sont pas passées comme le voudrait Michelet ; j'aurai l'occasion de revenir sur cette question essentielle quant à la compréhension des mécanismes révolutionnaires dans un autre article. Pour l'instant, je me contenterai de noter le désaccord qui existe sur ce point entre Michelet et son rival en tant qu'historien révolutionnaire ; il me suffit de faire parler Louis Blanc. " Il importe d'introduire le lecteur dans la mine que creusaient alors sous les autels, des révolutionnaires bien autrement profonds et agissants que les encyclopédistes. Une association composée d'hommes de tous pays, de toute religion, de tout rang, liés entre eux par des conventions symboliques, engagés sous la foi du serment à garder d'une manière inviolable le secret de leur existence intérieure, soumis à des épreuves lugubres, s'occupant de fantastiques cérémonies, mais pratiquant d'ailleurs la bienfaisance et se tenant pour égaux quoique répartis en trois classes, apprentis, compagnons et maîtres : c'est en cela que consiste la Franc-maçonnerie. Or, à la veille de la révolution française, la Franc-maçonnerie se trouvait avoir pris un développement immense ; répandue dans l'Europe entière, elle secondait le génie méditatif de l'Allemagne, agitait sourdement la France et présentait partout l'image d'une société fondée sur des principes contraires à ceux de la société civile." [...] " C'est à peine si Michelet consacre quelques lignes aux sociétés secrètes ; quant aux clubs, c'est comme une émanation du peuple qu'il nous les présente. " Michelet, l'instrument de propagande idéal de la Révolution. " La Révolution n'a pas renié Louis Blanc mais sans conteste, elle lui a préféré Michelet ; à celui qui a cyniquement dévoilé la machinerie et l'envers du décor [ce qui déplaît beaucoup à l'ennemi de la nature humaine qui veut agir en cachette, sans être découvert - cf. Exercices spirituels de S. Ignace, n° 326, 13e règle], elle préfère [bien sûr !] celui qui a embelli le décor ; au montreur de marionnettes, elle préfère leur habilleur. " La raison de ce choix est évidente ; est-ce que le spectacle ne perd pas de son attrait lorsque les artifices des coulisses sont dévoilés [surtout lorsque l'on sait par là que l'auteur du spectacle est l'esprit malin ou Satan lui-même] ? Si les machinistes doivent parfaitement connaître leur métier, ils sont les seuls à le devoir connaître ; quant au public ce que l'on attend de lui c'est l'enthousiasme qu'aucun truquage apparent ne doit ternir, ce sont les applaudissements qui accréditent la qualité du spectacle. " De toutes les thèses révolutionnaires, celle de Michelet est, jusqu'à l'avènement du marxisme (qui n'a pas été sans lui emprunter), celle qui a le plus de capacité de mobilisation des forces populaires [c'est actuellement le communisme qui a pris la relève en France), du fait du rôle flatteur qu'elle attribue au peuple [la démocratie ! le mot magique] ; qu'importe qu'elle soit fausse, qu'importe que le processus révolutionnaire soit tout autre, inverse même de celui où s'est complu Michelet ; ceux qui s'en servent comme instrument de propagande ne sont pas dupes. " C'est le cas du gouvernement qui, en 1898, répand les œuvres de Michelet dans les écoles ; celui-ci est entièrement aux mains des Francs-maçons ; les sociétés secrètes [la société maçonnique ou la secte de la Franc-Maçonnerie] continuent de faire avancer l'œuvre révolutionnaire comme elles l'ont fait au cours du XVIIIe siècle ; leur force est d'être secrète ; le régime sera d'autant plus solide que d'une part, en tant que régime, il apparaîtra comme moins lié à la Révolution, que, d'autre part, l'opinion publique sera révolutionnaire avec plus de ferveur. " Devant la montée des forces révolutionnaires [ou du naturalisme inhérent à la Franc-Maçonnerie], les catholiques ne seront-ils pas tentés de voir dans le gouvernement un arbitre neutre qu'il a intérêt à appuyer plutôt qu'à bouder ? Si Léon XIII avait su que le régime était une forteresse maçonnique inexpugnable [il l'a su vers la fin de sa vie terrestre], il n'aurait pas prié les catholiques français de s'y rallier ; et les catholiques français, s'ils avaient su la vérité, n'auraient pas suivi le Pape dans un domaine ou leur religion ne leur en faisait nulle obligation. Plus tard le masque sera levé, mieux cela ne vaudra-t-il pas pour la cause de la Révolution ; en 1898, l'équivoque est encore payante puisque le jeune Marc Sangnier n'a pas encore commencé sa carrière. Michelet n'a pas encore fini la sienne ; de la semence qu'il a répandue, sont encore à venir ; comme Maurras le redoutait à l'époque [et comme le voyait le Pape Saint Pie X] , bien des fruits empoisonnés [et actuellement nous sommes complètement submergés par la marée moderniste] ; si vous voulez vous en convaincre, lisez les manuels dans lesquels la jeunesse des écoles de la République et de celles dites libres apprend aujourd'hui l'histoire. Ceux-là sont plus délétères encore que les œuvres mêmes de Michelet parce que plus perfides. A Michelet, dont on prononce beaucoup moins le nom, ils ont pris la vision de la Révolution présentée comme une réaction du peuple sacro-saint contre un ancien régime caricaturé ; mais ils se gardent bien de faire savoir que cette vision n'est que partie intégrante d'un système dans lequel la Révolution est une religion exclusive, dont le catholicisme est évidemment le plus irréductible ennemi ; ceci mettrait en éveil trop de ceux qui semblent heureux de dormir et de rêver. " L'intoxication du grand nombre ne saurait empêcher l'existence d'une élite réfléchie. L'absurdité des thèses révolutionnaires éveillera les esprits épris de vérité. Taine réhabilitera l'honnêteté et démystifiera l'histoire présentée par Michelet ; il préparera ainsi la voie à Augustin Cochin qui entreprendra de démontrer les mécanismes secrets de la Révolution. Ceci fera l'objet d'un prochain chapitre." Cardinal Pie (1815-1880) [évêque de Poitiers (1849) qui contribua au concile Vatican I à la définition de l'infaillibilité pontificale (1870) et fut créé cardinal par le Pape Léon XIII en 1879], Œuvres de Mgr l'Evêque de Poitiers, 10 volumes, tome V, chap. IV : Troisième instruction synodale sur les principales erreurs de notre temps, juillet 1862 et août 1863, Poitiers, Henri Oudin, Librairie-Editeur, Paris, Victor Palmé, Librairie-Editeur, 1872, pages 41-42, 44, 46-47 : " Or, si l'on cherche le premier et le dernier mot de l'erreur contemporaine, on reconnaît avec évidence que ce qu'on nomme l'esprit moderne, c'est la revendication du droit, acquis ou inné, de vivre dans la pure sphère de l'ordre naturel : droit moral tellement absolu, tellement inhérent aux entrailles de l'humanité, qu'elle ne peut, sans signer sa propre déchéance, sans souscrire à sa honte et à sa ruine, le faire céder devant aucune intervention quelconque d'une raison et d'une volonté supérieures à la raison et à la volonté humaine, devant aucune révélation ni aucune autorité émanant directement de Dieu. " Cette attitude indépendante et répulsive de la nature à l'égard de l'ordre surnaturel et révélé, constitue proprement l'hérésie du naturalisme : mot consacré par le langage bientôt séculaire de la secte [i.e. la Franc-Maçonnerie cf. l'enc. Humanum Genus du Pape Léon XIII] qui professe ce système impie, non moins que par l'autorité de l'Eglise qui le condamne. " Cette séparation systématique, on l'a aussi appelée, et non sans fondement, l'antichristianisme. Par le fait, elle est entièrement destructive de toute l'économie chrétienne. En ne laissant subsister ni l'incarnation du Fils naturel [et unique] de Dieu, ni l'adoption divine de l'homme [par la grâce], elle supprime le christianisme à la fois par son faîte et par sa base, elle l'atteint à sa source et dans toutes ses dérivations. " Pour assigner à ce naturalisme impie et antichrétien son origine première et son premier auteur, il faudrait pénétrer jusque dans les mystérieuses profondeurs du ciel des anges. Celui que Lucifer, constitué dans l'état d'épreuve, n'a pas voulu adorer, n'a pas voulu servir, celui auquel il a prétendu s'égaler, il serait difficile de croire que ce fut le Dieu du ciel [cf. le Palladisme ou le culte de Satan-Lucifer]. Une nature si éclairée, un esprit originairement si droit et si bon, ne semble pas susceptible d'une révolte si gratuite et si insensée. Quelle fut donc la pierre d'achoppement pour Satan et pour ses anges ? David commenté par saint Paul, l'Ecriture interprétée par les plus illustres docteurs, versent d'admirables lumières d'où découlent tant de conséquences. [...] " Du reste, en dehors de toute opinion concernant ce caractère spécial du péché des mauvais anges, il est certain, ainsi que l'enseigne saint Thomas, que " le crime du démon a été ou bien de mettre sa fin dernière dans ce qu'il pouvait obtenir par les forces seules de la nature [par la Science], ou bien de vouloir parvenir à la béatitude glorieuse par ses facultés naturelles sans le secours de la grâce " (Somme théologique, Ire Partie, qu. 63, art. 3, Concl.). Il faut donc, dans toute hypothèse, remonter jusqu'à Satan pour la découvrir dans son origine et pour la saisir dans son fond, cette odieuse impiété du naturalisme qui, à l'aide d'axiomes et de programmes plus ou moins habiles et savants, glisse ses ombres détestables jusque dans l'esprit des chrétiens de nos jours, décorant aussi faussement que fastueusement du nom d'esprit moderne ce qui est le plus vieux des esprits, l'esprit de l'ancien serpent, l'esprit du vieil homme, l'esprit qui fait vieillir toutes choses qui les précipité vers la décadence et la mort, et qui prépare insensiblement les effroyables catastrophes de la dissolution dernière. [...] " IV. Mais cette œuvre du diable leur père (cf. Jn 8 44), les faux sages de notre époque ne la conçoivent pas tous de la même façon : ils l'embrassent et l'opèrent diversement selon les inspirations diverses qu'ils reçoivent de lui. Le naturalisme a des degrés : absolu chez les uns, partiel chez les autres ; là niant les principes premiers, ici écartant seulement quelques conséquences. Mais comme tout se tient, comme tout est fortement lié dans l'œuvre de Dieu, la négation des moindres conséquences fait remonter logiquement à la négation des principes. Le poison du naturalisme n'est donc inoffensif à aucun degré, il n'est supportable à aucune dose. Si les esprits moins imprégnés du venin courent moins de dangers pour leur propre compte, ils ne sont guère moins redoutables quant à la portée et aux effets contagieux de leur erreur. Cette influence mauvaise doit donc être dévoilée et combattue partout où elle se trouve. " Les plus mitigés sont assurément ceux qui, acceptant la présence et l'autorité de Jésus-Christ dans l'ordre des choses privées et religieuses, l'évincent seulement des choses publiques et temporelles. Le Verbe, de qui saint Jean nous dit énergiquement qu' " il s'est fait chair " (Jn 1 14), ils veulent qu'il n'ait guère pris de l'humanité que les côtés spirituels ; et, tandis que le symbole enseigne qu' " il est descendu du ciel et s'est incarné pour les hommes " (Symbole de Nicée : Propter nos homines), c'est-à-dire pour des êtres essentiellement composés d'un corps et d'une âme et appelés à la vie sociale, ils insinuent que les conséquences de l'incarnation n'ont trait qu'aux âmes séparées de leur enveloppe corporelle, ou du moins qu'aux individus pris en dehors de la vie civile et publique. De là une séparation formelle entre les devoirs du chrétien et les devoirs du citoyen, de là des remontrances plus ou moins respectueuses à l'Epouse de Jésus-Christ, des théories qui lui font sa part, qui déterminent sa compétence et son incompétence ; de là enfin toute cette école nouvelle qui, avec des nuances diverses, entreprend de faire l'éducation de l'Eglise sur un certain nombre de questions pratiques, et s'intitule plus ou moins ouvertement l'école des " catholiques sincères et indépendants ". " Le naturalisme de certains autres revêt un autre caractère. Soit qu'ils admettent ou qu'ils refusent d'examiner les questions de possibilité et d'existence de l'ordre surnaturel et révélé, ils posent en principe que cet ordre étant de surérogation et comme de luxe, demeure nécessairement facultatif ; que chacun peut licitement refuser de s'y engager, ou, après y être entré, en sortir à son gré ; que l'ordre de nature subsiste dans son intégrité et sa perfection propre, avec ses vérités, ses préceptes, sa sanction, et qu'il offre toujours à la créature raisonnable une fin assortie à la pure nature, et des moyens suffisants pour atteindre cette fin. Pour ces hommes, la question de religion positive n'étant qu'une affaire de choix et de goût, l'Etat, tout en assurant aux citoyens qui appartiennent à un culte quelconque la liberté de le suivre, doit, pour sa part, exercer le sacerdoce de l'ordre naturel, et poser l'éducation nationale, l'enseignement des lettres, de l'histoire, de la philosophie, de la morale, en un mot, toute la législation et toute l'organisation sociale, sur un fondement neutre, ou plutôt sur un fondement commun, et résoudre ainsi en dehors de tout élément révélé le problème de la vie humaine et du gouvernement public. C'est ce que le jargon du jour nomme l'Etat laïque, la société sécularisée, tenant en réserve la qualification de " clérical " à l'adresse de tout laïque et séculier qui n'est pas renégat de son baptême et transfuge de son Eglise." Cardinal Pie (1815-1880) [évêque de Poitiers (1849) qui contribua au concile Vatican I à la définition de l'infaillibilité pontificale (1870) et fut créé cardinal par le Pape Léon XIII en 1879], Œuvres de Mgr l'Evêque de Poitiers, 10 volumes, tome II, chap. XXVIII : Première instruction synodale sur les principales erreurs de notre temps, 7 juillet 1855, Poitiers, Henri Oudin, Librairie-Editeur, Paris, Victor Palmé, Librairie-Editeur, 1872, pages 388-393 : " Les docteurs les plus illustres des premiers siècles vous fourniront de magnifiques développements sur cette matière [le naturalisme]. Vous ne sauriez surtout assez interroger saint Augustin [354-430]. " XIV. Ce beau génie, que la philosophie actuelle daigne honorer de son estime particulière, vous sera d'un grand secours. Parmi les docteurs du christianisme, un trait distinctif caractérise saint Augustin, c'est qu'il est de tous le plus philosophe, nous dit un récent traducteur de la Cité de Dieu (M. Saisset, Revue des Deux-Mondes, 15 mai 1855, p. 870). Je veux bien souscrire à cet éloge. Voyons donc si le théologien philosophe se montrera plus accommodant que les autres pères de l'Eglise, quand il s'agit de la nécessité de la foi et de la grâce surnaturelle pour parvenir au bonheur de l'autre vie et pour échapper aux peines éternelles. Je tombe sur son commentaire du quinzième chapitre de saint Jean. On ne peut disconvenir que les paroles du divin Sauveur soient assez directes contre l'erreur que nous avons en vue, contre l'erreur de ceux qui accordent que le chrétien uni à Jésus-Christ par la foi et par la grâce peut produire des fruits plus abondants, plus exquis peut-être, mais qui prétendent que le sarment détaché du cep, la nature séparée de la grâce, peut produire des fruits à tout le moins convenables et suffisants. Jésus leur dit : " Je suis la vigne et vous êtes les branches ; si le sarment adhère à la tige, il produira beaucoup ; sinon, rien ; on le mettra dehors, et il séchera, et on le jettera au feu, et il brûlera " (Jn 15 4-6). L'évêque d'Hippone, qu'on nous représente comme un fidèle disciple de Platon, va-t-il, dans sa tolérance philosophique, retrancher quelque chose de cette rigueur et de cette intolérance théologique ? Ecoutez-le : " De peur, dit-il, que le sarment ne crût pouvoir produire quelque petit fruit par lui-même, le Sauveur, après avoir dit que le rameau uni au cep produira de grands fruits, n'ajoute pas que sans cette union il en produira peu, mais il ne produira rien. Ni peu, ni beaucoup, rien n'est possible à l'homme pour le salut qu'à la condition rigoureuse de son union avec le Christ, qui est la vigne ; s'il n'est adhérent au cep, s'il ne puise sa sève dans la racine, il ne peut porter le moindre fruit par lui-même... Et comme, sans cette vie qui procède de l'union avec le Christ, il n'est pas au pouvoir de l'homme de mourir ou de ne pas mourir, celui qui ne demeure pas dans le Christ sera mis dehors, et il sèchera, et on le jettera au feu et il brûlera ". Ici le saint docteur remarque, après le prophète Ezéchiel, que " le sarment a cela de particulier, qu'étant retranché de la vigne il n'est propre à aucun usage, ni pour les travaux de l'agriculture, ni pour les travaux de construction (Ez 15 1-8). Autant ce bois, qui se serait couvert de pampres et de raisins, et qui aurait produit le vin généreux, c'est-à-dire la plus noble des substances, aurait acquis de gloire en demeurant dans la vigne, autant il devient méprisable s'il n'y demeure pas. L'alternative inévitable pour le sarment, c'est la vigne ou le feu. S'il n'est pas dans la vigne, il sera dans le feu : afin de n'être pas dans le feu, qu'il reste donc uni à la vigne..." Entendez ce langage, vous qui vous complaisez en vous-mêmes, vous qui ne craignez pas de dire : " C'est de Dieu que nous tenons notre nature, notre raison ; mais notre nature et notre raison nous étant données, c'est de notre propre fonds que nous pouvons tirer notre vertu et notre justice ". Telle est notre vaine présomption ; mais voyez ce qui vous attend, et s'il vous reste quelque sentiment, frémissez d'horreur ! Celui qui croit porter du fruit par lui-même, n'est pas dans la vigne, c'est-à-dire n'est pas dans le Christ ; s'il n'est pas dans le Christ, il n'est pas chrétien : voilà la profondeur de votre abîme ." Or, autant la nature humaine enrichie de la sève surnaturelle qu'elle eût puisée dans la racine qui est le Christ, aurait été glorifiée, autant sa destinée devient humiliante quand elle s'isole de la grâce : Tanto contemptibiliora si in vite non manserint, quanto gloriosiora si manserint. Le Père céleste, qui est le grand laboureur et le grand architecte, n'en saura tirer aucun parti. Præcisa, nullis agricolarum usibus prosunt, nullis fabrilibus operibus depuntantur. Pour la nature humaine, dans sa condition présente, il n'y a pas de destinée intermédiaire : ou le Christ ou le feu : Unum de duobus palmiti congruit, aut vitis aut ignis. Si elle ne veut pas puiser la vie et la gloire dans le Christ, elle trouvera l'opprobre et le supplice dans la flamme : Si in vite non est, in igne erit. Pour éviter la flamme, qu'elle demeure donc fidèlement unie au Christ : Ut ergo in igne non sit, in vite sit. Ailleurs le même saint docteur [saint Augustin] explique une autre parabole, c'est celle où le Sauveur dit : " Je suis la porte, si quelqu'un entre par moi dans le bercail, il sera sauvé, et il aura ses entrées et ses sorties, et il trouvera d'abondants pâturages ; mais si quelqu'un n'entre pas par la porte, et veut escalader par ailleurs, c'est un ravisseur, qui ne vient que pour dérober, pour massacrer et pour détruire " (Jn 10 1 9 10). " En effet, reprend saint Augustin, il est bon nombre de gens qui, d'après certaine coutume de la vie humaine, sont appelés des gens de bien, des hommes de bien, des femmes de bien : secundum quamdam vitæ hujus consuetudinem, dicuntur boni homines, boni viri, bonæ feminæ, gens réguliers qui semblent observer ce qui est commandé dans la loi : rendant honneur à leurs parents, ne commettant ni la fornication, ni l'homicide, ni le vol ; ne portant de faux témoignage contre personne, et accomplissant à peu près les autres points de la loi ; mais ils ne sont pas chrétiens : Christiani non sunt. Or, comme tout ce qu'ils font ainsi, ils le font inutilement, ne sachant pas à quelle fin ils doivent le rapporter, c'est à leur sujet que le Seigneur propose la similitude de la porte par laquelle on entre dans le bercail. Que les païens disent donc : Nous vivons bien. S'ils n'entrent par la porte, à quoi leur sert ce dont ils se glorifient ? Car le motif de bien vivre pour chacun, c'est l'espérance de toujours vivre : Ad hoc enim debet unicuique prodesse bene vivere ut datur illi semper vivere. A quoi bon en effet une vie régulière, si elle n'est le moyen d'obtenir une vie sans fin : Nam cui non datur semper vivere, quid prodest bene vivere? On ne peut dire que ceux-là vivent bien, qui sont assez aveugles pour ignorer la raison qu'ils ont de bien vivre, ou assez orgueilleux pour la mépriser. Or, personne n'a une assurance vraie et certaine de vivre toujours, s'il ne connaît la véritable vie, qui est Jésus-Christ, et s'il n'entre dans le séjour de la vie par cette porte... Il y a donc certains philosophes qui dissertent avec subtilité sur les vices et les vertus ; ils divisent, ils définissent, ils raisonnent, ils concluent, ils emplissent les livres, ils enflent leurs joues pour vanter leur sagesse... Les hommes de cette trempe cherchent le plus souvent à persuader leurs semblables de bien vivre sans pour cela devenir chrétiens. Mais ces hommes n'entrent pas par la porte qui est Jésus-Christ ; ils veulent monter par ailleurs ; ils n'aboutiraient qu'à ravir, à ravager, à perdre les âmes." " Vous le voyez, Messieurs et chers Coopérateurs, ce grand homme et ce grand évêque, en qui l'on se complaît à célébrer la fusion intime et complète des deux plus grandes forces de l'esprit humain, la raison et la foi (Revue des cours publics, 24 juin 1855, p. 55), est loin de considérer comme indifférent que l'homme fasse le bien au nom de sa raison et de sa conscience, ou qu'il le fasse au nom de sa foi. Il ne conteste pas à l'honnêteté naturelle sa bonté morale : mais il ne reconnaît point dans la raison humaine une discipline assez forte pour suffire à tous les devoirs ; il n'admet pas de juste milieu philosophique et paisible entre le scepticisme et l'orthodoxie, où qui que ce soit puisse trouver le repos de sa conscience. Quiconque ne veut pas entrer par la porte chrétienne, il n'hésite pas à lui fermer le ciel et à lui montrer l'abîme qui l'attend. Puisse l'autorité de ce grand théologien et de ce grand philosophe ne rencontrer aucun entêtement d'orgueil, mais exciter plutôt une reconnaissance singulière chez ceux de nos frères en Jésus-Christ qui nous ont interpellés (J. Rigault, Journal des Débats, loc. cit.) ! Il est écrit au Livre des Proverbes : " Celui qui veut instruire le railleur, se fait injure à lui-même ; ne raisonnez pas le moqueur, de peur qu'il ne vous haïsse " (Pr 9 7). Mais il est écrit aussi : " Répondez au sage, et il vous aimera " (v. 8). C'est la grand saint Augustin qui a répondu à notre interrogateur : il trouvera dans son âme docilité et amour." Id., tome V, chap. IV : Troisième instruction synodale sur les principales erreurs de notre temps, juillet 1862 et août 1863, pages 151, 152, 153, 154-155 : " Le naturalisme part de ce faux supposé que l'homme aurait été constitué d'abord dans un état d'intégrité purement naturelle, avec une fin purement naturelle, et des facultés et puissances capables d'atteindre cette fin [à l'époque actuelle, c'est-à-dire en l'an 2002, on en est même plus là, mais la science, soutiennent les prétendus savants de notre monde en folie, grâce à ses progrès, prouve maintenant incontestablement que l'homme descend du singe ou qu'il n'était à l'origine qu'une bête sans intelligence ni raison - comme si la conscience, l'intelligence et la maîtrise humaine étaient sorties d'un inconscient inintelligent en nous poussant aveuglément. Et de s'abrutir sur la recherche et l'étude de quelques vieux os pour confirmer leurs doctrines insensées et diaboliques sur l'origine de l'homme et inonder les écoles de leurs écrits ou de leurs conclusions par des ouvrages que l'éducation nationale impose dans ses programmes de sciences naturelles, et ce avec la complicité tacite de tout le corps enseignant. On appelle cela un progrès. Voilà en effet qui élève l'homme et qui donne à la jeunesse des raisons d'espérer en une fin plus glorieuse !]. En cela, le naturalisme confond ce qui aurait pu être avec ce qui a été, et il prend l'hypothèse pour l'histoire. [...] Mais la vérité est, nous l'avons vu, que le décret de notre exaltation est antérieur à notre apparition, que la bénédiction spirituelle en Jésus-Christ nous a été octroyée avant la constitution du monde ; que nous avons été créés en lui (cf. Eph. 2 10) comme nous avons été rachetés par lui ; que toutes choses ont été faites en lui comme elles ont été restaurées en lui (cf. Col. 1 15-16) ; que non seulement la justice originelle, mais l'intégrité même naturelle nous a été conférée par sa grâce. La nature donc, si elle est dépouillée des dons gratuits, est par là même blessée dans ce qui lui est propre (cf. II Cor. 5 4). [...] Et comme le fabricateur souverain avait voulu l'humanité enrichie de privilèges, comme il avait simultanément créé en elle la nature et infusé la grâce, comme il avait mêlé son Esprit sanctificateur au premier souffle dont il l'avait animée, comme il avait empreint dans son âme et jusque sur son visage la marque de ressemblance avec son Verbe incarné, en un mot, comme il l'avait prédestinée à l'adoption déifique, elle est désormais défectueuse, elle est laide, elle est réprouvée devant lui, parce qu'elle manque d'un ordre de perfection, de beauté, de mérite auquel étaient attachés la grâce et le salut. De là la parole énergique de l'apôtre qui déclare que nous sommes " par nature, enfants de colère " : natura filii iræ (Eph. 2 3). Non pas en ce sens que la nature soit mauvaise et criminelle de son propre chef [n'oublions quand même pas que le Fils unique de Dieu a pris chair de la Vierge Marie], et que tout ce qu'elle fait par elle-même soit péché : ce qui serait contre la foi aussi bien que contre la raison (cf. Bulla Leon. X, Exsurge, Domine, contra Luther). ; mais en ce sens que, s'étant librement détournée de la fin unique et surnaturelle que Dieu lui avait assignée, elle est constituée en dehors de la volonté divine, et qu'ainsi continuant d'être bonne dans son essence, ce qui est vrai de la nature même des démons (cf. S. Thomas, S. th., Ire P., qu. LXIII, art. 4), elle est mauvaise dans son état. [...] Séparée, et dépouillée du Christ ; la nature humaine constitue pleinement ce que les saintes Ecritures appellent " le monde " ; ce monde dont Jésus-Christ n'est pas (cf. Jn 8 23), pour lequel il ne prie pas (cf. Ibid. 17 9), auquel il a dit malheur (cf. Mtt 18 7) ; ce monde dont le diable est le prince et la tête (cf. Ibid. 16 11), et dont la sagesse est ennemie de Dieu (Rm 8 7) à ce point que, vouloir être ami de ce siècle, c'est être constitué adversaire de Dieu (Jac 4 4) ; ce monde qui, parce qu'il ignore le Christ sauveur, sera ignoré du Christ rémunérateur : Qui ignorat, ignorabitur (I Cor. 14 : 38), et recueillera la terrible sentence : " Je ne vous connais pas " (Lc 13 25, 27) ; ce monde enfin dont les voies aboutissent à l'enfer (cf. Si 21 10). Tant que dure la vie présente, c'est l'œuvre de la grâce, par conséquent l'œuvre de l'Eglise, de retirer les créatures de cet état de mondanité, en le rendant à Jésus-Christ, et, par Jésus-Christ, à leur destination bienheureuse (cf. Jn 17 6 15-16). [...] A considérer son état actuel et réel, et nonobstant la bonté persistante de ses éléments essentiels, la nature est " péché ". Qu'on parle tant qu'on voudra des droits de l'homme : il en est deux qu'il ne faudrait point oublier. L'homme apporte en naissant le droit à la mort et le droit à l'enfer. Ce n'est que par Jésus-Christ qu'il peut revendiquer le droit à la résurrection et à la vie bienheureuse. Quant à replacer l'homme en dehors de Jésus-Christ, de façon à lui refaire un ordre de pure nature, avec une fin purement naturelle et un droit à la béatitude naturelle, tous les efforts du naturalisme n'y parviendront jamais. On ne changera pas les plans primitifs du Tout-Puissant. Bien plutôt, au péché de son origine, l'homme de la pure nature ajoutera le péché actuel et personnel, puisqu'en fermant son oreille à la révélation et son cœur à la grâce divine, il se rendra coupable de la plus grave de toutes les fautes qui est le péché d'infidélité. Et alors, par un juste jugement de Dieu, n'ayant pas voulu comprendre le degré d'honneur auquel il était appelé il descendra au niveau des êtres sans raison [l'homme du XXI e siècle s'y met déjà par sa théorie sur son origine, justifiant ainsi sa conduite bestiale et se préparant à être jeté pour l'éternité dans l'étang de feu (cf. Ap 20 13-15 ; 21 8 ; 22 15], et, par plus d'un côté, il leur deviendra semblable (Ps 48 13). C'est de cette sorte d'hommes que l'apôtre saint Jude a parlé. Blasphémateurs des choses surnaturelles qu'ils ignorent et veulent systématiquement ignorer, ils se corrompent dans les choses naturelles qu'ils connaissent par un instinct animal plutôt que véritablement raisonnable... Nuées sans eau qui sont promenées au gré des vents, des vents des opinions et des vents des passions ; arbres d'automne, qui poussent des fleurs incapables de donner des fruits, arbres doublement morts, et quant à la vie de la foi et quant à la vie de la raison, arbres déracinés et destinés au feu ; étoiles errantes, auxquelles une tempête noire et ténébreuse est réservée pour l'éternité (cf. Jude 10 12 13). Cela demeure donc établi : il n'y a pas de refuge pour la nature en dehors de Jésus-Christ. " Il faut choisir entre les deux, dit le martyr saint Ignace : ou le courroux éternel de Dieu dans l'autre vie, ou sa grâce dans la vie présente " (Epist. ad Ephes.)." Id., pages 170, 171, 172, 176-177, 188-189, 191-192, 193, 207 : " L'erreur naturaliste a conçu l'ambition de devenir un dogme public ; si elle ne peut régir toutes les existences individuelles, elle aspire à devenir la loi des Etats, le principe régulateur du monde moderne [en l'an 2002, cette erreur n'aspire plus à devenir la loi des Etats : elle est le principe régulateur du monde moderne]. Des bancs du portique, elle s'efforce de monter jusque sur le marchepied des trônes et ne désespère pas de s'y asseoir définitivement ; des discours et des livres, elle vise à s'installer dans les constitutions et dans les lois. L'édifice du naturalisme philosophique attend son couronnement du naturalisme politique. " J'appelle de ce nom le système d'après lequel l'élément civil et social ne relève que de l'ordre humain et n'a aucune relation de dépendance envers l'ordre surnaturel. Le chef de l'Eglise [le bienheureux Pie IX] le définit en ces termes : " Ils ne craignent pas d'affirmer dit-il, que les législations civiles, comme les sciences philosophiques et morales, peuvent et doivent décliner la révélation divine et l'autorité de l'Eglise ;... ils avancent, dans leur extrême impudence, non seulement que la révélation divine ne sert de rien, mais qu'elle nuit à la perfection humaine, qu'elle est elle-même imparfaite, et par conséquent soumise à un progrès continu et indéfini [progressisme], qui doit répondre au progrès de la raison de l'homme ;... ils ajoutent que cette raison, sans tenir aucun compte de la parole de Dieu, est l'unique arbitre du vrai et du faux, du bien et du mal ; qu'elle est à elle-même sa loi, et qu'elle suffit par ses forces naturelles à procurer le bonheur des hommes et des peuples " (Al. au Consistoire, 9 juin 1862 : La source du droit). [...] " Aux yeux du déiste, combien plus à ceux du panthéiste, du matérialiste, du fataliste, toute influence de la religion sur la politique est une domination usurpée, une tutelle humiliante, une entrave apportée au libre développement des forces de la société. Quand ils sont imprégnés de ces doctrines, il est naturel que les rois de la terre et les peuples se liguent ensemble contre Dieu et contre son Christ, qu'ils aspirent à briser leurs liens et à semer le joug de ce qu'ils appellent la superstition (cf. Psaumes, 2 1-3). " Mais, par une de ces inconséquences dont l'esprit humain est susceptible, il est des hommes qui, sans révoquer en doute le caractère divin du christianisme [c'est-à-dire tous nos hommes politiques qui sont de confession catholique], enseignent que l'autorité de Jésus-Christ, l'autorité de sa doctrine, de sa loi, de son Eglise, s'arrête au seuil de la vie publique des chrétiens. En tant qu'elle procède de certaines maximes familières à l'ancien gallicanisme de la cour et du parlement, nous avons eu l'occasion de réfuter directement cette prétention incompatible avec la saine croyance chrétienne (cf. tome IV, p. 228). [...] " En effet, tandis que la presse impie et rationaliste [ou franc-maçonne] proclame la sécularisation désormais absolue des lois, de l'éducation, du régime administratif, des relations internationales et de toute l'économie sociale, comme étant le fait et le principe dominant de la société nouvelle, de cette société émancipée de Dieu, du Christ et de l'Eglise [objectif pleinement atteint en l'an 2002], nous avons vu surgir, sous l'empire de préoccupations honnêtes et estimables, des adeptes inattendus de ce système nouveau. Des chrétiens ont paru penser que les nations n'étaient pas tenues, au même titre que les particuliers, de s'assimiler et de professer les principes de la vérité chrétienne [l'œuvre par excellence des démocrates chrétiens] ; [...] enfin que la génération héritière de celle qui aurait accompli, en tout ou en partie, cette œuvre de déchristianisation légale et sociale, pouvait et devait l'accepter, non pas seulement comme une nécessité, mais comme un progrès des temps nouveaux, que dis-je, comme un bienfait même du christianisme, lequel après avoir conduit les peuples à un certain degré de civilisation, devait se prêter volontiers à l'acte de leur émancipation, et s'effacer doucement de leurs institutions et de leurs lois [à la grande satisfaction des francs-maçons qui voyaient leur plan diabolique se réaliser d'une façon inespérée], comme la nourrice s'éloigne de la maison quand le nourrisson a grandi." [...] " [...] Enfin, ce n'était pas des princes de Juda seulement que le Seigneur disait, pour expliquer les châtiments dont il les avait écrasés : " Ils ont régné par euxmêmes et non par moi ; ils ont été princes, et je ne les ai pas connus " (Osée, 8 : 4). Remarquez ces derniers mots, Messieurs. Une plume qui n'avait pas conscience de son impiété écrivait : " La loi moderne IGNORE DIEU ". Eh bien ! nous ne craignons pas de le dire : A un tel ordre de choses, partout où il existera, Dieu répondra par cette peine du talion qui est une des grandes lois du gouvernement de sa providence. Le pouvoir qui comme tel ignore Dieu, sera comme tel ignoré de Dieu : si quis autem ignorat, ignorabitur (I Co 14 38). Or, être ignoré de Dieu, c'est le comble du malheur ; c'est l'abandon et le rejet le plus absolu [i.e. la damnation éternelle]. La sentence d'éternelle réprobation ne sera pas formulée en d'autres termes : " Je ne vous connais pas, je ne sais pas d'où vous êtes " (Lc 13 25). De là, ces transformations si fréquentes, ces changements périodiques des gouvernements et des dynasties. [...] " [...] Par exemple, après l'expérience de dix-huit siècles de christianisme, comment s'obstiner à mettre quotidiennement sur les lèvres de tous les chrétiens des vœux aussi irréalisables que ceux qui sont exprimés dans l'oraison dominicale ? N'y a-t-il pas lieu d'opérer la radiation définitive de ces mots : " Que votre règne arrive et que votre volonté soit faite sur la terre comme au ciel " ? Appliquée aux nations, cette même règle serait la condamnation, non pas seulement du principe de la politique chrétienne, mais de toute la législation mosaïque. Car nous ne craignons pas de l'affirmer, l'histoire à la main : les temps et les pays chrétiens ont vu plus de grands règnes, des règnes plus purs, plus saints, que les temps d'Israël. Qu'on compare les Livres des Juges, des Rois et des Maccabées avec les annales des nations catholiques, et qu'on lise si le désavantage est du côté qui offre ici les Charlemagne et les saint Louis, là les saint Henri d'Allemagne, les saint Etienne de Hongrie, les saint Wenceslas de Bohème, les saint Ferdinand de Castille, les saint Edouard d'Angleterre, enfin tant de princes et de princesses non moins illustres par l'éclat religieux de leurs règnes Que par leurs grandes et royales qualités. Qu'on ne l'oublie pas : le droit chrétien a été, pendant mille ans, le droit général de l'Europe. Beaucoup de crimes, assurément, ont été commis alors comme aujourd'hui. L'humanité, depuis les jours de Caïn et Abel, a été et sera toujours divisée en deux camps. Parfois même les passions ont été plus violentes, plus énergiques, en face des vertus plus fortes et de la sainteté plus éclatante. Mais personne de sensé ne le niera : tout ce qui subsiste aujourd'hui encore de vraie civilisation, de vraie liberté, de vraie égalité et fraternité, a été le produit du christianisme européen ; l'affaiblissement du droit chrétien de l'Europe a été le signal de la décadence et de l'instabilité des pouvoirs humains ; enfin, ce que l'œuvre d'ailleurs si négative et si désastreuse des révolutions modernes pourra laisser de bon et de salutaire après elle, aura été la réaction contre des excès et des abus que réprouvait le régime chrétien. " [...] Quand l'Eglise pose ses principes, encore bien qu'ils impliquent une perfection qui ne sera jamais atteinte ici bas, elle en veut les conséquences, toutes les conséquences : les conséquences extrêmes seront le ciel. Quand la révolution pose ses principes, elle ne veut qu'une partie de leurs conséquences ; elle arrête, elle enchaîne les conséquences trop générales et trop étendues : la conséquences extrême et totale sera l'enfer. La révolution ne peut pas et ne veut pas être logique jusqu'au bout. L'Eglise peut et veut l'être toujours : rien au monde n'est donc plus pratique et n'est moins chimérique. " [...] Disons-le : il est des nations tellement créées pour Jésus-Christ qu'elles ont l'heureuse impuissance de trouver leur assiette fixe en dehors de lui. Du sein de la gloire, les veillants et les saints s'emploient à ce qu'il en soit de la sorte (cf. Daniel, 4 : 14) : les temps se passent dans d'humiliantes épreuves ; les révolutions, les craquements des trônes, des sociétés, des institutions se succèdent, jusqu'à ce que le droit suprême de Dieu soit proclamé (cf. Ibid., 21-22), et qu'il soit reconnu que la puissance vient du ciel (Ibid., 23). Jusque là, toute la prudence des prudents, toutes les habiletés des habiles, tous les discours des orateurs, tous les livres des écrivains n'aboutissent à rien de fonder de stable et de solide. Les vertus, les actes généreux des particuliers ne profitent guère qu'à eux-mêmes. C'est la société publique qui a péché et qui périt par l'ulcère d'un naturalisme injurieux à Dieu [cf. Enc. Humanum Genus du Pape Léon XIII sur la Secte des Francs-Maçons] ; c'est à la société qu'il est urgent et nécessaire, quoiqu'on dise, de présenter le remède. Le remède est en JésusChrist, il est dans l'acceptation sociale des principes révélés [cf. Enc. Quas Primas du Pape Pie XI instituant la fête de la Royauté du Christ]. Hors de là, la religion pourra jusqu'à un certain point vivifier les individus, vivifier les familles ; les sociétés et les pouvoirs resteront sous le coup de la réprobation d'en haut [la seconde partie de ce passage, que nous reprenons ici étant donné son importance, a déjà été citée plus haut]. " [...] Je vous adressais, dans cette même enceinte, il y a sept ans, Messieurs et chers Coopérateurs, une Instruction synodale sur la papauté ; et je vous disais : " Aussi longtemps que la grande famille occidentale s'est appelée la Chrétienté, et que le pontife romain en a été l'oracle, il n'a jamais manqué aux devoirs que lui imposait la confiance des rois et des peuples. Depuis que cette grande unité sociale du monde chrétien a été rompue, depuis que les royautés même orthodoxes ont déclaré n'avoir besoin que de Dieu et de leur épée, le pontife de Rome, qui va chercher partout les âmes pour les gagner au ciel, mais qui n'impose pas ses conseils et son concours aux empires de la terre lorsqu'ils paraissent les redouter, s'est noblement renfermé dans l'administration temporelle de ses propres Etats et dans le gouvernement spirituel de l'Eglise. [...] " En face de cette œuvre universelle de destruction, que reste-il, sinon " l'Eglise du Dieu vivant qui est la colonne et le rempart de la vérité " (I Tim., 3 : 15) ! Et cette Eglise, cette colonne, ce rempart, le monde ne l'a jamais mieux compris, c'est principalement la papauté [ce que prouve manifestement notre présente étude qui s'appuie sur de nombreux textes pontificaux], incarnation vivante de tout l'ordre surnaturel et chrétien, seule force morale capable de préserver la raison contre ses propres excès, la société contre ses tendances subversives. Id., pages 182-185, 200-201, 202, 208 : " Ecoutez ces admirables accents d'un poète de Pologne : " Les nations, dit-il, sont voulues de Dieu, et conçues dans votre grâce, ô Jésus-Christ ! A chacune d'elles vous avez donné une vocation. En chacune d'elles vit une idée profonde qui vient de vous, qui est la trame de ses destinées. Or, parmi les nations, il en est qui ont la mission de défendre la cause de la vérité et de la beauté céleste, de racheter les crimes du monde et de lui donner un évangélique exemple en portant, pendant de longs jours, leur lourde croix sur la route inondée de sang, jusqu'à ce que, par une lutte sublime, elles aient inspiré aux hommes une idée plus divine, une charité plus sainte, une plus large fraternité, en échange du glaive qu'on a plongé dans leur poitrine. Telle est votre Pologne, ô JésusChrist ! (L'Aurore, par Krasinski)." " Mais cette prédestination catholique que les fils de la Pologne revendiquent à juste titre pour leur patrie, le monde entier n'est-il pas d'accord pour la décerner surtout à la France ? O peuple des Francs, remonte le cours des siècles, consulte les annales de tes premiers règnes, interroge les gestes de tes ancêtres, les exploits de tes pères, et ils te diront que, dans la formation du monde moderne, à l'heure où la main du Seigneur pétrissait de nouvelles races occidentales pour les grouper, comme une garde d'honneur, autour de la seconde Jérusalem, le rang qu'il t'a marqué, la part qu'il t'a faite te placent à la tête des nations catholiques [Seigneur, où en sommes-nous, maintenant, en l'an 2002 ? C'est vraiment l'abomination de la désolation : la Franc-Maçonnerie a tout envahi. La France, Fille aînée de l'Eglise, a renié les promesses de son baptême en ayant exclu Jésus-Christ de la législation et des affaires publiques, l'autorité ne tirant plus son origine de Dieu, mais des hommes.]. Tes plus vaillants monarques se sont proclamés les " sergents de Jésus-Christ " ; et l'Eglise reconnaissante de tes services chevaleresques t'a adjugé la plus glorieuse de toutes les primogénitures. " Après cela, n'est-ce pas évident, Messieurs et chers Coopérateurs, que le devoir de toute nation chrétienne, combien plus le devoir de la nation très-chrétienne, est de pénétrer en toutes choses et avant tout de l'esprit chrétien ? Saint Ambroise a dit : " Celui-là s'exile de sa patrie, qui se sépare du Christ " (Exposit. in Luc. L. VII, 214). Où cette maxime sera-t-elle plus vraie qu'en France ? La France est originairement chrétienne et substantiellement chrétienne : aucune révolution ne changera sa nature, sa constitution, son tempérament, sa mission, son histoire, sa destinée, ses aspirations. " O Dieu, s'écriait le plus religieux de tous les monarques, le roi se réjouira dans votre force, et il éprouvera un vif transport des progrès de votre règne salutaire " (Ps 20 1). Oui, le roi trouvant sa joie dans le libre déploiement de la force divine, dans le libre exercice des droits suprêmes de Jésus-Christ, le roi tressaillant avec ardeur quand l'œuvre du salut des hommes s'accomplit dans ses Etats : c'est là le type de la vraie royauté, de la royauté baptisée et sacrée en JésusChrist. Pour être délaissé, honni, rejeté, ce programme n'en reste pas moins le programme de tout pouvoir régulier au sein des nations chrétiennes. Qu'on l'appelle " idéal " tant qu'on voudra ; au-dessous de cet idéal, nul programme n'est digne de la France, parce que rien de ce qui est au-dessous de la vérité n'est au niveau du rôle que la nature et la grâce ont donné à cette nation dans le monde. " Mais je lis sur les lèvres de quelques-uns de vous, Messieurs, les objections que vous avez si souvent entendues et qui m'ont été plus d'une fois adressés à moi-même. Ne craignons pas de les formuler ici tout haut avant d'y répondre. " XXIII. Le programme est beau, nous dit-on ; il n'a que le défaut d'être chimérique, inopportun et, par suite, dangereux. A quoi bon maintenir des théories désormais sans application ? L'absolutisme et la théocratie ont fini leur temps. Le seul régime possible du monde moderne, c'est le régime de la démocratie et de la liberté. Les chrétiens n'ont qu'à gagner à se montrer hommes pratiques et positifs, et, pour cela, hommes de leur temps. C'est ainsi qu'ils exerceront une action puissante et qu'ils réconcilieront l'Eglise avec la société moderne, etc., etc. " Combien il est douloureux, Messieurs et chers Coopérateurs, d'entendre ainsi les enfants de l'Eglise répéter les paroles les plus malheureuses, reproduire les lieux communs les moins sérieux, les expressions les plus irritantes, les suppositions les plus confuses, les accusations les plus injustes, enfin tout ce qui constitue la polémique la moins loyale de leurs adversaires ! [...] Toutefois, nous voulons croire et nous croyons sincèrement qu'il n'y a là que des malentendus qui procèdent, du moins en partie, de l'absence des études théologiques indispensables à quiconque veut aborder et trancher des questions si complexes et où tant de principes sont engagés. Et puisque nous parlons surtout ici pour de jeunes intelligences, dont vous nous avez signalé les doutes et les irrésolutions, résignons-nous à réfuter quelques-unes de ces allégations qui tendent à effacer de l'esprit des gens de bien un point de doctrine qu'il est et qu'il sera toujours impossible d'abandonner sans trahir à la fois le droit chrétien et le droit naturel, en même temps que les intérêts les plus considérables de la société religieuse et civile. [Sur la prétendue théocratie de la monarchie française, précisons que l'Evangile de Jésus-Christ n'impose pas de code politique aux nations chrétiennes et par conséquent que les princes chrétiens naturellement constitués n'ont donc jamais pu gouverner la société française par des lois politiques divinement révélées. Cf. supra. Nous ne sommes pas des musulmans pour qui la religion et la politique ne font qu'un en vertu des textes coraniques ! Cf. Coran et Alexandre del Valle, Islamisme et États-Unis, L'Age d'Homme, 2001, pages 47-51 : La théocratie au détriment de la foi - travail précis et sérieux qui repose sur des faits vérifiables et sur une documentation d'une richesse exceptionnelle, et qui nous révèle l'inconscience, voire la folie ou le machiavélisme, et même le satanisme, de ceux qui mènent le monde, ne pensant qu'à leur propre gloire et à l'argent ou à leurs seuls intérêts économico-financiers et énergétiques, provoquant ainsi entre les nations des conflits inéluctables qui nourrissent fort à propos leurs ambitions d'hégémonie (1). Et ce n'est certes pas seulement en priant pour la paix que l'on va changer l'antagonisme irréductible entre le christianisme et l'islamisme et que les chefs d'Etat vont devenir des sages en arrêtant les guerres ou en supprimant leurs causes et en réconciliant tous les belligérants par un coup de baguette magique. Les hommes jouissent de leur libre arbitre qui fait la responsabilité de leurs actes et dont ils sont libres de profiter (2). De leur côté, le Coran et les Hadiths ("dits", dits et gestes de Mahomet), sources de la Charià ("voie", loi tirée du Coran et des Hadiths), existent et proclament explicitement la guerre sainte (3). La prière peut-elle les changer ou les faire disparaître ? La loi naturelle, elle aussi, est de Dieu. Il ne faut quand même pas rêver et surtout faire le jeu de l'ennemi au nom de la liberté d'expression en encourageant la propagande des Islamistes qui, conformément au Coran, ou à leur Livre prétendu divin et éternel, projettent de soumettre l'Europe et la planète à la " vraie religion " et au " vrai Dieu " ; " via les minorités musulmanes issues de l'immigration et de la diaspora " (voir Islamisme et États-Unis, op. cit. supra, p. 216). Et, dans tout cela, que fait-on de la vérité et du salut des âmes ? Et qu'est-ce que la paix sans la vérité ? La véritable paix est le fruit de la vérité, car l'amour de la vérité doit passer avant l'amour de la paix (4). Pour cela, ne serait-il pas temps de diffuser la vraie connaissance et de réfuter les arguments de nos adversaires qui propagent dans le monde des doctrines pernicieuses ? N'oublie-t-on pas que la paix est la " tranquille communauté dans l'ordre " ? (5) " Il s'agit aujourd'hui," disait déjà le Pape Pie XII dans son Radio-message du 24 décembre 1942, " si Nous pouvons nous exprimer ainsi, d'une nouvelle Croisade, bravant la mer des erreurs du jour et du temps, pour délivrer la terre sainte spirituelle, destinée à être le soutien et le fondement de normes et de lois immuables pour des reconstructions sociales d'une intérieure et solide stabilité." Et rappelons que selon Jésus, le Verbe qui s'est fait chair (6), la vérité a pour fonction de libérer les âmes (7). Disons avec saint Hilaire (v. 315-v. 367), évêque de Poitiers et Docteur de l'Eglise, l'un des plus vaillants champions de l'Occident : " Il est temps de parler, parce que le temps de se taire est désormais passé " : Tempus est loquendi, quia jam præteriit tempus tacendit (8). Certes ! nous demandons à Dieu qu'il impose la paix aux nations, mais sans solliciter pour autant une paix achetée au détriment de la vérité et de la justice, car il faut auparavant que l'Evangile soit prêché à toutes les nations (9), puisque nulle cité divisée contre elle-même ne peut se maintenir (10) ; et étant donné que la guerre est le résultat de nos péchés (11), commençons donc d'abord par nous amender nous-mêmes en nous en déchargeant par une confession sincère et une vraie pénitence suivie d'œuvres vivifiées par la grâce (12). Que cherchons-nous en premier lieu ? La pacification politique et économique du monde ou le Royaume de Dieu et sa justice ? Jésus ne nous a-t-il pas dit : " Cherchez premièrement le Royaume de Dieu et sa justice, et tout le reste vous sera donné par surcroît " (Matthieu, VI, 33) ? N'appelons pas " reste " ce que Jésus appelait " Royaume " en tenant pour le " Royaume " ce que Jésus tenait pour le " reste ". La méprise est de taille ! Et celui qui la commet se moque vraiment de Dieu. Gustave Thibon, Nietzsche ou le déclin de l'Esprit, Ed. Fayard, 1948, AvantPropos, pp. X-XI : " [...] Un dernier mot. Il y a peut-être beaucoup de poison dans l'œuvre de Nietzsche [ou dans celle de M. Alexandre del Valle cité plus haut]. Mais ne savons-nous pas que c'est dans les pires poisons, convenablement dosés et intégrés à d'autres substance, qu'on fait les élixirs les plus toniques et les remèdes les plus efficaces [et à plus forte raison si nous extrayons des ouvrages de certains auteurs douteux quelques vérités que les mass media nous dissimulent] ? " Tout ce qui ne me fait pas mourir me rend plus fort ", disait Zarathustra. N'est-ce pas encore plus vrai pour nous à qui le Christ a promis l'immunité contre les breuvages mortels (cf. Marc, XVI, 18) ? C'est précisément à cette œuvre de lente et prudente intégration dans la synthèse chrétienne des vérités psychologiques les plus intolérables pour notre faiblesse et pour notre orgueil que nous voudrions avoir un peu contribué par ce livre." - 1) La guerre des virus : Sida et Ebola. Emergence naturelle ou manipulation humaines ? Accident ou intention ? Léonard G. Horowitz D.M.D., M.A., M.P.H., Préface W. John Martin, M.D., Ph.D., Traduction de Bernard Metayer, revue et corrigée par le Docteur Jean-Pierre Eudier, Lux Diffusion, 302, rue de Charenton, 75012 - Paris, Tél. : 01.44.87.09.05, Fax : 01.44.87.04.29, Epilogue, page 631 : Etude du rapport rédigé par Henry Kissinger en 1974 et achevée sous l'Administration Bush - le Mémorandum 200 sur la Sécurité nationale. " On y lit que pour la première fois, les Etats-Unis considèrent les populations du Tiers-monde comme un ennemi menaçant les intérêts de la sécurité nationale américaine." " Note 9. En fait, c'est une citation tout droit sortie du rapport NSSM 200 de Kissinger sur le contrôle démographique dans le Tiers-monde qui comprend ; 1) " la réduction des populations devrait être la première des priorités de la politique américaine en matière d'Affaires étrangères envers le Tiers-monde " ; 2) " la réduction du taux de natalité des Etats-Unis est un problème vital pour la sécurité nationale des Etats-Unis ", etc. - Voir National Security Council. NSSM 200 - Implications of Worldwide Population Growth for U.S. Security and Overseas Interests. Washington, D.C. : The White House, 10 décembre 1974. Rapport confidentiel rendu public le 3 juillet 1989, NSAID-ROX 89-4. Voir aussi : Rense J. AIDS Exposed : Secrets, Lies & Myths. Goleta, CA : BioAlert Press, 1996, pp. 51 et 52." - 2) Cf. Bible, l'Ecclésiastique, sur la liberté humaine, 15 : 14 ; Jean, 7 : 7 (les œuvres de ce monde) ; 9 : 39 ; 14 : 27 (la paix, non comme le monde la donne), 30 (le Prince de ce monde) ; 17 : 9 (Jésus : " Je ne prie pas pour le monde ") ; I Jean, 2 : 15-17 ; 3 : 1, 13, 17 ; 4 : 1, 3-5 ; 5 : 4-5, 19 ; - 3) Coran, 2 : 216 ; 5 : 33 ; 8 : 17, 39, 67 ; 9 : 5, 29, 41, 111, 123 ; 47 : 4, 35 ; sur le butin pris par les combattants du jihad : 8, 69 et 41, sur l'importance stratégique du facteur démographique : 2 : 223 ; - 4) Livre de Zacharie, VIII, 19 : " Veritatem tantùm, et pacem diligite." - 5) St Thomas, 2a-2æ, 29, art. I, ad. I ; St Augustin, De civ. Dei, lib. 19, c. XIII, n. I ; Pape Pie XII, Radio-mess. au monde entier, 24 décembre 1942, in Les Enseignements Pontificaux, La Paix intérieure des Nations, Desclée & Cie, Editeurs Pontificaux, 1962 ; - 6) Cf. Jean, 1 : 14 ; - 7) Id. 8 : 32 ; 14 : 6. ; - 8) Contra Constant., 1 ; - 9) Matthieu, 24 : 6-8, 14 ; Marc, 13 : 7-9 ; Luc, 21 : 9 ; - 10) Luc, 11 : 17 ; Marc, 3 : 24 ; Matthieu, 12 : 25 ; Psaumes, 126 : 1 ; - 11) Cf. Jacques, 4 : 1 ; - 12) Cf. Jacques, 2 : 24 ; I Jean, 3 : 9.] [...] " [...] A mesure qu'approcheront les derniers temps, la scission deviendra plus profonde, et l'immixtion des chrétiens dans la conduite des sociétés deviendra de plus en plus périlleuse pour leur honneur comme pour leur salut. Alors retentira de nouveau ce cri d'Isaïe, répété si énergiquement par saint Paul : " Retirez-vous, retirez-vous ; sortez de là ; ne mettez pas le doigt à ce qui est impur " (Isaïe 52 11 Ap 18 4 II Co 6 14-18). Je suis loin de croire [en 1863], Messieurs, que nous touchions à des temps qui nécessitent un parti si extrême. Il nous reste encore trop de sens chrétien dans les esprits [Dieu seul lit dans nos pensées et connaît l'état de notre vie intérieure], trop d'habitudes chrétienne dans la vie publique [cela nous paraît de moins en moins évident], pour que nous ayons à redouter les derniers excès. [...] Entendez saint Hilaire (v. 315-v. 367), parlant à vos pères. C'était sous le règne de Constance ou de Julien. Expliquant le premier verset du premier psaume, le pieux évêque, attentif aux besoins de son auditoire, exprimait en ces termes : " Le Psalmiste a dit : Heureux l'homme qui ne s'en est point allé dans le conseil des impies, qui ne s'est point arrêté dans le chemin des pécheurs, et qui ne s'est point assis dans la chaire de pestilence ! Je connais des hommes, dit le pontife, qui ne sont pas pécheurs, mais réguliers dans leur vie ; des hommes qui sont pénétrés de la crainte de Dieu, mais que l'amour de la gloire [l'orgueil n'est-il pas le premier des sept péchés capitaux ?], de l'avancement, des positions avantageuses du siècle place dans l'occasion prochaine et comme inévitable de la séduction. Soumis aux lois de l'Eglise, ils jugent d'après les lois du for profane. Et, bien qu'ils apportent à leurs fonctions elles-mêmes une volonté religieuse [nos hommes politiques n'en sont plus là], en se montrant bienveillants et modérés, il arrive néanmoins que le milieu dans lequel ils sont placés les touche de son atteinte pestilentielle. L'ordre légal, la raison d'état ne leur permet pas, malgré leur bon vouloir, de demeurer dans la sainteté de la loi enseignée par l'Eglise. Et quoiqu'ils soient résolus à ne pas renier leur baptême, cependant, par les exigences du siège obtenu, ils sont, à regret et à leur corps défendant, conduits à ce qu'ils ne voudraient pas. La nécessité s'impose à eux ; et, n'étant pas de ceux qui répandent la contagion [et l'exemple ?], ils en subissent au moins l'influence morbide. Le prophète a donc raison d'appeler leur chaire une chaire de pestilence, puisqu'elle souille par son contact le sanctuaire même d'une âme religieuse et chrétienne (S. Hilar. In Psalm. I, 5)." " S'il en était ainsi, Messieurs et chers Coopérateurs, sous le régime d'un droit christianisé, mais non suffisamment expurgé de paganisme, les mêmes symptômes ne renaîtraient-ils pas sous le régime d'un droit chrétien sur lequel aurait passé de nouveau le souffle de l'infidélité ? Concluons donc qu'il n'est pas sans intérêt pour l'avenir des sociétés chrétiennes de sauvegarder le principe dont nous avons pris la défense. " [...] Oui, cette Europe " sécularisée ", ces nations et ces institutions devenues " laïques ", le jour n'est pas éloigné [en 1863] où elles redemanderont au vicaire de Jésus les paroles de salut et de vie [vers qui d'autre, sur cette terre, pourrionsnous nous tourner ?]. Le droit chrétien avait formé la société européenne ; ce même droit, avec les modifications nécessaires que le temps apporte au détail des choses, procurera la solution de tant de problèmes reconnus insolubles désormais sans le secours de l'Eglise." Id., tome VIII, Homélie prononcée à la Messe pontificale du jour de Noël, sur le caractère de l'autorité dans le christianisme (25 décembre 1873), pages 62-63 : " [...] A ceux, par exemple, qui s'obstinent à nier l'autorité sociale du christianisme, voici la réponse que nous donne saint Grégoire le Grand [Grégoire Ier le Grand, v. 540-604, pape et docteur de l'Eglise]. Il commente ce chapitre de l'Evangile où est racontée l'adoration des mages, c'est-à-dire l'accomplissement des prophéties qui promettaient au Messie l'adoration de tous les rois et la soumission de toutes les nations de la terre. Expliquant le mystère des dons offerts à Jésus par ces représentants de la gentilité, le saint docteur s'exprime en ces termes : " " Les mages, dit-il, reconnaissent en Jésus la triple qualité de Dieu, d'homme et de roi : ils offrent au roi l'or, au Dieu l'encens, à l'homme la myrrhe. Or, poursuit-il, il y a d'aucuns hérétiques : sunt vero nonnulli hæretici, qui croient que Jésus est Dieu, qui croient également que Jésus est homme, mais qui se refusent absolument à croire que son règne s'étende partout " : sunt vero nonnulli, qui hunc Deum credunt, sed ubique regnare nequadam credunt. " Mon frère, vous avez la conscience en paix, me dites-vous, et, tout en acceptant le programme du catholicisme libéral, vous entendez demeurer orthodoxe [il y aura beaucoup de surprises au jugement dernier], vous entendez demeurer orthodoxe, attendu que vous croyez fermement à la divinité et à l'humanité de Jésus-Christ, ce qui suffit à constituer un christianisme inattaquable. Détrompez-vous. Dès le temps de saint Grégoire [à la fin du VI e siècle et au début du VIIe], il y avait " d'aucuns hérétiques " : nonnulli hæretici, qui croyaient ces deux points comme vous ; et leur " hérésie " consistait à ne vouloir point reconnaître au Dieu fait homme une royauté qui s'étendit à tout : sed hunc ubique regnare nequadam credunt. Non, vous n'êtes point irréprochable dans votre foi ; et le pape saint Grégoire, plus énergique que le Syllabus, vous inflige la note d'hérésie si vous êtes de ceux qui, se faisant un devoir d'offrir à Jésus l'encens, ne veulent point y ajouter l'or [et en l'an 2002 ils sont légion] : hi profecto ei thus offerunt, sed offere etiam aurum nulunt (S. Gregor., homil. X, in Evang.). Id., tome III, chap. XXVII : Discours pour la solennité de la réception des reliques de saint Émilien, évêque de Nantes, prononcé dans l'église cathédrale de Nantes le VIII novembre 1859 (en présence des évêques d'Angers, de Bruges, d'Angoulême, de Blois, de Luçon et d'Amiens), Poitiers, Henri Oudin, LibrairieEditeur, Paris, Victor Palmé, Librairie-Editeur, 1872, pages 497-498, 498-499, 500, 501-502, 504, 505, 506-507, 508-509, 310-515, 515, 516, 517, 518, 519, 519-520, 521-522, 523, 524-525, 525-529 : " Monseigneur (S.G. Mgr l'évêque de Nantes), " Jamais le divin fondateur du christianisme n'a mieux révélé à la terre ce que doit être un chrétien, que quand il a enseigné à ses disciples la façon dont ils devaient prier. En effet, mes frères, la prière étant comme la respiration religieuse de l'âme, c'est dans la formule élémentaire qu'en a donnée J.-C. qu'il faut chercher tout le programme et tout l'esprit du christianisme. Écoutons donc la leçon textuelle du Maître. J'en ai récité le commencement tout à l'heure selon le texte plus concis de saint Luc. Je le dirai maintenant d'après saint Matthieu, tels que les enfants le balbutient et que tous les chrétiens le répètent depuis bientôt deux mille ans. Vous prierez donc ainsi, dit J.-C. : Sic ergo vos orabitis : " Notre Père, qui êtes dans les cieux, que votre nom soit sanctifié, que votre règne arrive, que votre volonté soit faite sur la terre comme au ciel (Matth., VI, 9) ". L'intelligence de mon sujet n'exige pas que j'ajoute le reste. " [...] Qu'il soit grand ou petit, lettré ou ignorant, prêtre ou laïque, qu'il prie en public ou en particulier, cela n'importe pas ; l'Évangile suppose même qu'il est seul dans sa chambre, la porte fermée (Ibid., 6). [...] Avant toute autre chose, sa triple préoccupation, c'est la glorification du nom de Dieu sur la terre, c'est l'établissement du règne de Dieu sur la terre, c'est l'accomplissement de la volonté de Dieu sur la terre. Et ces trois aspirations, qui peuvent être ramenées à une seule, ne sont pas sans ordre et sans gradation. Il existe ici-bas des supériorités qui n'ont que l'excellence du nom et la préséance du rang. Il en est d'autres qui joignent à la dignité le pouvoir, mais qui n'en ont pas l'exercice, qui règnent et ne gouvernent pas. Enfin il en est qui trône, qui règnent et qui gouvernent ; et là seulement sont les véritables rois, les véritables monarques. Telle est éminemment la royauté suprême de notre Dieu dans les cieux. [...] Le chrétien, c'est un homme public et social par excellence ; son surnom l'indique : il est catholique, ce qui signifie universel. [...] Et comme assurément les œuvres de l'homme doivent être coordonnées avec sa prière, il n'est pas un chrétien digne de ce nom qui ne s'emploie activement, dans la mesure de ses forces, à procurer ce règne temporel de Dieu, et à renverser ce qui lui fait obstacle. [...] Voyons donc comment, en l'an de grâce sept cent vingt-cinq, les braves Nantais, guidés par leur évêque, ont compris et pratiqué les premiers mots de leur Pater : et nous tâcherons d'en conclure ce que nous devons être, ce que nous devons faire nous-mêmes, je dis nous tous, fidèles, prêtres, évêques, sous peine de donner le démenti à notre oraison dominicale et aux exemples de nos pères. [...] PREMIÈRE PARTIE " Le règne visible de Dieu sur la terre, M.T.C.F., c'est le règne de son Fils incarné, J.-C. ; et le règne visible du Dieu incarné, c'est le règne permanent de son Église [et là où est visiblement l'Église, là est le Christ]. [...] Là Dieu est connu ; là son nom est révéré et glorifié, là est sa royauté est acclamée, là sa loi est observée ; en un mot, selon la belle définition du catéchisme de Trente, expliquant le début de l'oraison dominicale, " le règne de Dieu et du Christ, c'est l'Église " : Regnum Christi quod est Ecclesia (Catéchisme du Concile de Trente, P. IV, ch. 41, § IV). " [...] La raison en est que l'Église est ici-bas militante, et non pas triomphante ; elle est dans la voie, et non pas dans le terme. Il est vrai, il lui a été dit régner déjà, mais de régner au milieu de ses ennemis : Dominare in medio inimicorum tuorum (Psaumes, CIX, 2). Et sa domination sera ainsi partagée, disputée, quelquefois balancée, jusqu'au jour où tous ses ennemis seront placés sous ses pieds : Oportet autem illum regnare, donec ponat omnes inimicos ejus sub pedibus ejus (I Corinthiens, XV, 25). C'est dans cette lutte que se manifesteront les secrets des cœurs, et que se fera dès ici-bas le discernement des bons et des mauvais, le partage des braves et des lâches, ce qui veut dire le partage des élus et des réprouvés, puisque ni les méchants ni les lâches n'entreront dans le royaume des cieux [cf. Apocalypse, XXI, 8 ; I Samuel, VIII, 7 ; Luc, XIX, 27]. Heureux donc les hommes qui n'auront jamais hésité entre le camp de la vérité et celui de l'erreur [et plus précisément celui du naturalisme] ! Heureux ceux qui, dès le premier signal de la guerre, se seront incontinent rangés sous l'étendard de Jésus-Christ ! [et qui ne se contenteront pas de pleurer] " Or, à l'époque qui nous occupe, il avait paru sur la terre, depuis bientôt deux siècles, un fils de Bélial à qui il était réservé de tenir en haleine la chrétienté tout entière durant une période de plus de mille ans. L'islamisme, " religion monstrueuse ", dit Bossuet [qui n'était quand même pas un âne...] dans son beau panégyrique de saint Pierre Nolasque, " religion qui se dément elle-même, qui a pour toute raison son ignorance [ou sa " logique du Coran "], pour route persuasion sa violence et sa tyrannie, pour tout miracle ses armes " (Éd. de Lebel, T. XVI, p. 62), et j'ajouterai, pour tout attrait ses excitations voluptueuses et ses promesses immorales, l'islamisme avait déjà envahi d'immenses contrées. Que le schisme, que l'hérésie tombassent sous ses coups [ce qui nous pend au nez de nouveau !], c'était un grand malheur sans doute : toutefois c'est la loi de l'histoire et c'est un ordre accoutumé de la Providence que, pour punir les peuples pervers, Dieu se sert d'autres peuples plus pervers encore ; et cette mission, l'islamisme en était investi pour longtemps. Mais voici que la chrétienté n'est plus seulement atteinte dans ces races dégénérées qui ont décomposé en elles le principe de la vie par l'altération du principe de l'unité et de la vérité : c'est l'Europe dans ses parties les plus vitales, c'est le cœur même des races catholiques qui est menacé ; c'est le boulevard de l'orthodoxie, c'est le royaume très chrétien, c'est la France, et, derrière le rempart de la France, c'est la Métropole du christianisme, c'est le monde entier qui aura tout à redouter de ces nouveaux et implacables barbares. [...] " [...] Nous pouvons succomber dans la lutte ; mais c'est le cas de dire, avec Judas Macchabée : " Mieux vaut mourir que voir le désastre de notre patrie, et de supporter la profanation des choses saintes et l'opprobre de la loi que nous a donnée la majesté divine " (cf. Ier Livre des Maccabées, III, 59. Bolland., T. V Junii, ad diem 25, p. 81, n. 2). " [...] Là, un admirable spectacle commence : c'est vraiment le prélude de nos plus saintes croisades, le début de nos plus magnifiques guerres chrétiennes. Émilien n'était pas de ces pontifes guerriers, comme on en vit alors quelquesuns, qui, sous le froc ecclésiastique, ne portaient qu'une âme laïque et séculière. Avant tout, Émilien est évêque ; il veut que l'expédition ait un caractère exclusivement religieux. Il se revêt donc des ornements sacrés, et il célèbre les saints mystères, durant lesquels il va bénir et ensuite communier tous ses compagnons d'armes [un chrétien doit-il se coucher devant ceux qui le combattent et veulent s'emparer de sa patrie et détruire même sa religion, c'est-à-dire son âme ? Et qu'a fait sainte Jeanne d'Arc ? - pour ne citer qu'elle. N'a-t-elle pas sauvé son pays et sa foi par les armes ? Sommes-nous des lâches ? En vérité, nous avons capitulé : les barbares sont au milieu de nous - avec leur fun culture ou la "culture" commerciale afro-américaine]. Rien ne manque à cette imposante solennité : l'homélie même n'y est pas omise, et je crois entendre retentir à mes oreilles ces accents du sacrificateur [...] " [...] Trois premières batailles, engagées avec habileté et soutenues avec courage, sont couronnées par autant de brillantes victoires. Saint-Forgeot, SaintPierre-l'Étrier, Creuse-d'Auzy voient leurs champs abreuvés du sang des infidèles. La fortune semblait se fixer dans le rang des chrétiens, quand bientôt, à la suite d'un quatrième fait d'armes, une nouvelle et plus formidable armée de Sarrasins vient les surprendre à l'improviste. Le pontife fait sonner de la trompette, rallie ses soldats, les anime une dernière fois par sa parole inspirée. Mais, tandis qu'il parle, il est enveloppé lui-même par les bataillons infidèles ; il fait, jusqu'aux derniers moments, des prodiges de bravoure. Accablé par le nombre, criblé de cent coups d'épées et de lances, entouré de morts et de mourants, il exhortait encore les siens : " O généreux soldats, soyez constants dans votre foi et dans votre courage ; reprenez force et haleine contre ces cruels païens... Enfants, vous êtes les soldats, non pas des hommes, mais de Dieu. Vous combattez pour votre véritable mère, la sainte Église, dont la voix crie vengeance vers Dieu pour le sang des saints. Là-haut, avec le Christ, un meilleur sort nous attend : là est notre victoire, là est notre récompense " (Bolland., T. V Junii, ad diem 25, p. 82, n. 8). Ces derniers mots furent aussi le dernier soupir du guerrier ; son âme, reçue par les mains des anges, était introduite dans les joies éternelles [et l'Eglise catholique, l'Église de Jésus-Christ, l'a canonisé à juste titre. Doit-on en avoir honte ?]. [...] Vous le voyez donc, mes Frères, l'histoire de votre évêque guerrier n'a pas fini avec sa vie. " [...] Et quant à son expédition, loin qu'elle ait fini avec lui, il est beaucoup plus vrai de dire qu'il en a seulement donné le signal. Ce farouche ennemi de la chrétienté, auquel la Bretagne catholique a porté les premiers coups et sur lequel elle a remporté de premiers, attendez seulement sept ans, et il sera tellement broyé dans les champs de Poitiers, qu'il reparaîtra plus jamais sur le sol de la France [ce n'est pas si sûr]. Et parce qu'il est écrit que ces deux généreuses provinces, la Bretagne et le Poitou, doivent toujours se donner la main dans les grands combats de la religion et du droit, un autre évêque de Nantes, successeur d'Émilien, figurera dans la bataille à côté de Charles Martel. Un de vos devanciers, Monseigneur, avait été à la peine : il était juste qu'un autre fût à l'honneur. Mais ce n'est point assez. Le Sarrasin, chassé de nos rivages, exerce ailleurs ses cruautés et ses impiétés. Ce n'est plus seulement de notre sol qu'il faut l'éloigner, c'est chez lui, c'est dans son propre empire qu'il faut désormais le poursuivre. L'orient, Jérusalem, les lieux saints nous convient à leur défense. Un pape français, Sylvestre II, pousse, au nom de la cité sainte, le premier cri de détresse : au autre pape, français encore, Urbain II, lance de premier cri de guerre. Les accents généreux de ces deux pontifes émeuvent le monde, et leurs discours volent de bouche en bouche. [...] " [...] Il serait par trop cruel, en effet, que l'héritage de Mahomet devînt la proie de ces races perfides qui ont toujours abandonné nos braves à l'heure de l'action, et dont la trahison a tant de fois retardé nos succès. [...] " Mais je m'aperçois, mes Frères, que je touche aux questions brûlantes de notre temps [déjà !]. Évitons de marcher sur ces charbons ardents, et néanmoins tâchons de demeurer les fils de nos pères et de savoir combattre comme eux pour le nom, pour le règne et pour la loi de Dieu. Ce sera l'objet d'une seconde réflexion. SECONDE PARTIE " Jésus-Christ est roi, M.T.C.F. ; il est roi non seulement du ciel, mais encore de la terre, et il lui appartient d'exercer une véritable et suprême royauté sur les sociétés humaines : c'est un point incontestable de la doctrine chrétienne (1). Ce point, il est utile et nécessaire de le rappeler en ce siècle. On veut bien de Jésus-Christ rédempteur, de Jésus-Christ sauveur, de Jésus-Christ prêtre, c'est-à-dire sacrificateur et sanctificateur ; mais de JésusChrist roi, on s'en épouvante ; ou on y soupçonne quelque empiètement, quelque usurpation de puissance, quelque confusion d'attribution et de compétence. Établissons donc rapidement cette doctrine, déterminons-en le sens et la portée, et comprenons quelques-uns des devoirs qu'elle nous impose dans le temps où nous vivons. " Jésus-Christ est roi ; il n'est pas un des prophètes, pas un des évangélistes et des apôtres qui ne lui assure sa qualité et ses attributions de roi. Jésus est encore au berceau, et déjà les Mages cherchent le roi des Juifs : Ubi est qui natus est, rex Judeorum ? (Matthieu, II, 2) Jésus est à la veille de mourir : Pilate lui demande : Vous êtes donc roi : Ergo rex es tu ? (Jean, XVIII, 37) Vous l'avez dit, répond Jésus. Et cette réponse est faite avec un tel accent d'autorité, que Pilate, nonobstant toutes les représentations des Juifs, consacre la royauté de Jésus par une écriture publique et une affiche solennelle (Jean, XIX, 19-22). " Écrivez donc, s'écrie Bossuet [l'évêque de Meaux], écrivez, ô Pilate, les paroles que Dieu vous dicte et dont vous n'entendez pas le mystère. Quoi que l'on puisse alléguer et représenter, gardez-vous de changer ce qui est déjà écrit dans le ciel. Que vos ordres soient irrévocables, parce qu'ils sont en exécution d'un arrêt immuable du Tout-Puissant. Que la royauté de Jésus-Christ soit promulguée en la langue hébraïque, qui est la langue du peuple de Dieu, et en la langue grecque, qui est la langue des doctes et des philosophes, et en la langue romaine, qui est la langue de l'empire et du monde, la langue des conquérants et des politiques [langues véhiculant les trois valeurs de l'Occident ou de l'Europe avec ses trois villes : Athènes, Rome et Jérusalem, la première symbolisant la raison et la mesure des choses, la seconde, la loi et le droit, et la dernière, l'adoration en esprit et en vérité]. Approchez maintenant, ô Juifs héritiers des promesses ; et vous, ô Grecs, inventeurs des arts ; et vous, Romains, maîtres de la terre ; venez lire cet admirable écriteau : fléchissez le genoux devant votre Roi (Bossuet, 1er discours pour la Circoncision. Éd. Lebel, T. XI, p. 467)." " Elle date de loin, mes Frères, et elle remonte haut cette universelle royauté du Sauveur. En tant que Dieu, Jésus-Christ était roi de toute éternité ; par conséquent, en entrant dans ce monde, il apportait avec lui déjà sa royauté [et c'est pourquoi cette royauté n'est pas de ce monde ou originaire de ce monde. Cf. Jean, XVIII, 36]. Mais ce même Jésus-Christ, en tant qu'homme, a conquis sa royauté à la sueur de son front, au prix de tout son sang. " Le Christ, dit saint Paul, est mort et il est ressuscité à cette fin d'acquérir l'empire sur les morts et sur les vivants " : In hoc Christus mortuus est et resurrexit, ut et mortuorum et vivorum dominetur (Romains, XIV, 9). Aussi le grand apôtre [des Gentils ou des non Juifs] fonde-t-il sur un même texte le mystère de la résurrection et le titre de l'investiture royale du Christ : " Le Seigneur a ressuscité Jésus, ainsi qu'il est écrit au psaume second : Vous êtes mon Fils ; je vous ai engendré aujourd'hui (Actes, XIII, 33 ; Psaumes, II, 7)." Ce qui veut dire : De toute éternité, je vous avais engendré de mon propre sein [et c'est pourquoi Jésus est le Fils unique de Dieu] ; dans la plénitude des temps, je vous ai engendré [en tant qu'homme] du sein de la Vierge votre mère ; aujourd'hui je vous engendre en vous retirant du sépulcre, et c'est une nouvelle naissance que vous tenez encore de moi. Premier-né d'entre les vivants, j'ai voulu que vous fussiez le premier-né d'entre les morts, afin que vous teniez partout la première place : Primogenitus ex mortuis, ut sit in omnibus ipse primatum tenens (Colossiens, I, 18). Vous êtes donc mon Fils ; vous l'êtes à tous les titres puisque je vous ai triplement enfanté, de mon sein, du sein de la Vierge, et du sein de la tombe. Or, à tous ces titres, je veux que vous partagiez ma souveraineté, je veux que vous y participiez désormais comme homme, de même que vous y avez éternellement participé comme Dieu. " Demandez donc, et je vous donnerai les nations pour héritage, et j'étendrai vos possessions jusqu'aux extrémités de la terre (Psaumes, II, 8)." " Et Jésus-Christ a demandé, et son Père lui a donné, et toutes choses lui ont été livrées (Luc, X, 22). Dieu l'a fait tête et chef de toutes choses, dit saint Paul (Éphésiens, I, 22), et de toutes choses sans exception : In eo enim omnia ei subject, nihil dimisit non subjectum (Colossiens, II, 10). Son royaume assurément n'est pas de ce monde, c'est-à-dire, ne provient pas de ce monde : Regnum meum non est de hoc mundo (Jean, XVIII, 36) ; et c'est parce qu'il vient d'en haut, et non d'en bas : regnum meum non est hinc (Ibid.), qu'aucune main terrestre ne pourra le lui arracher. Entendez les derniers mots qu'il adresse à ses apôtres avant de remonter au ciel : " Toute puissance m'a été donnée au ciel et sur la terre. Allez donc, et enseignez toutes les nations " (Matthieu, XXVIII, 18-19). Remarquez, mes Frères, Jésus-Christ ne dit pas tous les hommes, tous les individus, toutes les familles, mais toutes les nations. Il ne dit pas seulement : Baptisez les enfants, catéchisez les adultes, mariez les époux, administrez les mourants, donnez la sépulture religieuse aux morts. Sans doute, la mission qu'il leur confère comprend tout cela, mais elle comprend plus que cela : elle a un caractère public, un caractère social. Et, comme Dieu envoyait les anciens prophètes vers les nations et vers leurs chefs pour leur reprocher leurs apostasies et leurs crimes, ainsi le Christ envoie ses apôtres et son sacerdoce vers les peuples, vers les empires, vers les souverains et les législateurs, pour enseigner à tous sa doctrine et sa loi. Leur devoir, comme celui de Paul, est de porter le nom de Jésus-Christ devant les nations, et " les rois, et les fils d'Israël " : Ut portet nomen meum coram gentibus, et regibus, et filiis Israel (Actes, IX, 15). " Mais je vois venir l'objection triviale, et j'entends élever contre ma doctrine [directement déduite des divines Écritures] une accusation aujourd'hui à la mode [et qui persiste en notre temps ou plus précisément en l'an 2002]. La thèse que vous développez, me crie-t-on, c'est celle de la théocratie toute pure. La réponse est facile, et je la formule ainsi : " Non, Jésus-Christ n'est pas venu fonder la théocratie sur la terre, puisqu'au contraire il est venu mettre fin au régime plus ou moins théocratique qui faisait toujours le fond du mosaïsme, encore que ce régime eût été notablement modifié par la substitution des rois aux anciens juges d'Israël ". Mais, pour que cette réponse soit comprise de nos contradicteurs, il faut, avant tout, que le mot même dont il s'agit soit défini : la polémique exploite trop souvent avec succès, auprès des hommes de notre temps, des locutions dont le sens est indéterminé [ce qui est de plus en plus fréquent à notre époque et rend vain tout dialogue sérieux]. Qu'est-ce donc que la théocratie ? La théocratie, c'est le gouvernement temporel d'une société humaine par une loi politique divinement constituée. Or, cela étant, comme Jésus-Christ n'a point imposé de code politique aux nations chrétiennes, et comme il ne s'est pas chargé de désigner lui-même les juges et les rois des peuples de la nouvelle Alliance, il en résulte que le christianisme n'offre pas de théocratie. [...] Trêve donc, par égard pour la langue française et pour les notions les plus élémentaires du droit, trêve à cette accusation de théocratie qui se retournerait en accusation d'ignorance contre ceux qui persisteraient à la répéter [et ils sont légion !]. " Le contradicteur insiste, et me dit : Laissons la question de mots. Toujours estil que, dans votre doctrine, l'autorité temporelle ne peut pas secouer le joug de l'orthodoxie [nous y voilà !] ; elle reste forcément subordonnée aux principes de la religion révélée [et même aux principes premiers de la raison spéculative avec ses motifs de crédibilité], ainsi qu'à l'autorité doctrinale et morale de l'Église : or, c'est là ce que nous appelons le régime théocratique. Nous appelons, au contraire, régime laïque ou régime séculier, celui qui peut s'affranchir à son gré de ces entraves [qui va jusqu'aux entraves de la raison], et qui relève que de luimême.- L'aveu est précieux, M.T.C.F. C'est-à-dire que la société moderne n'entend plus reconnaître pour ses rois et pour ses princes que ceux " qui ont pris les armes et qui se sont ligués contre Dieu et contre son Christ ", que ceux qui ont dit hautement : " Brisons leurs liens et jetons leur joug loin de nous " (Psaumes, II, 2-3). [Ce qui est proprement satanique.] C'est-à-dire qu'il faut supprimer la notion séculaire de l'État chrétien, de la loi chrétienne, du prince chrétien, notion si magnifiquement posée dès les premiers âges du christianisme, et spécialement par saint Augustin (cf. La Cité de Dieu, Livre V, ch. 24). [...] C'est-à-dire, enfin, que la philosophie sans foi et sans loi a passé désormais des spéculations dans l'ordre pratique, qu'elle est constituée la reine du monde, et qu'elle a donné le jour à la politique sans Dieu. La politique ainsi sécularisée, elle a un nom dans l'Évangile : on l'appelle " le prince de ce monde (Jean, XII, 31 ; XIV, 30), le prince de ce siècle " (1 Corinthiens, II, 6, 8), ou bien encore " la puissance du mal, la puissance de la bête " (Apocalypse, IX, 10 ; XIII, 4) ; et cette puissance a reçu un nom aussi dans les temps modernes, un nom formidable qui depuis soixante-dix ans a retenti d'un pôle à l'autre : elle s'appelle la Révolution. [...] Vous savez, mes Frères, à quelle suprême tentation le Christ fut soumis. Satan le transporta sur une haute montagne, et lui dit : " Tu vois toutes ces choses ? Eh bien ! je te donnerai tout cela si tu tombes à genoux et si tu m'adores " : Hœc omnia tibi dabo, si cadens adoraveris me (Matthieu, IV, 9). Grand Dieu, viendra-t-il un jour dans la série des siècles où la même épreuve sera infligée à votre Église par le prince de ce monde ? [la tentation n'est-elle pas grande à notre époque de se mettre à genoux devant le monde avec ses organismes internationaux qui prétendent tout régler en se passant de Dieu ?] La puissance du mal s'approchera-t-elle jamais pour lui dire : Toutes ces possessions terrestres, toute cette pompe et cette gloire extérieure, je te les donnerai, je te les maintiendrai, pourvu que tu t'inclines devant moi, que tu sanctionnes mes maximes en les adoptant, et que tu me payes ton hommage : Hœc omnia tibi dabo, si cadens (quelle chute !) adoraveris me. A la parole du séducteur le Christ avait répondu : " Arrière, tentateur, car il est écrit : Tu adoreras le Seigneur, et tu ne serviras que lui seul ". Et le tentateur s'était éloigné de Jésus, et les anges s'approchant étaient venus le servir (Matthieu, IV, 10-11). Mes Frères, l'Église, placée dans les mêmes conditions que son Maître, ne saurait pas trouver d'autre réponse. [...] En face de certains principes fondamentaux du droit public chrétien, elle est et elle sera toujours inébranlable. Ce n'est pas elle qui substituera jamais, même dans ses institutions purement temporelles, les prétendus droits de l'homme aux droits imprescriptibles de Dieu. [...] " Je ne m'écarte point du plan de mon discours, M.T.C.F.. Au temps de votre évêque Émilien, le grand ennemi du nom, du règne et de la loi de Dieu, c'était l'islamisme. Émilien et vos pères ont eu la gloire de s'enrôler contre lui [et non de s'en faire les complices ou des alliés par peur ou par intérêt], de lui résister, de le combattre, et ils y ont noblement sacrifié leur vie. Aujourd'hui [en 1859] l'ennemi capital du nom, du règne et de la loi de Dieu revêt une autre forme et s'appelle d'un autre nom. Sa tendance est la même, et sa devise est toujours celle de la populace déicide (cf. Luc, XXIII, 18) : Nolumus hunc regnare super nos : " Nous ne voulons pas que le Christ règne sur nous " (Luc, XIX, 14) [cf. l'encyclique Quas Primas, cinquième partie]. [...] Il ne s'agit pas, du moins encore à cette heure [en 1859], de prendre les armes. La lutte est principalement une lutte de doctrines. [...] " [...] D'où vient donc ce symptôme si grave de l'affaiblissement des caractères ? Ah ! ne serait-il pas vrai qu'il est la conséquence naturelle et inévitable de l'affaiblissement des doctrines, de l'affaiblissement des croyances, et, pour dire le mot propre, de l'affaiblissement de la foi ? Le courage, après tout, n'a sa raison d'être qu'autant qu'il est au service d'une conviction. La volonté est une puissance aveugle lorsqu'elle n'est pas éclairée par l'intelligence. [...] Nos pères, en toute chose, cherchaient leur direction dans l'enseignement de l'Évangile et de l'Église : nos pères marchaient dans le plein jour. Ils savaient ce qu'ils voulaient, ce qu'ils repoussaient, ce qu'ils aimaient, ce qu'ils haïssaient, et, à cause de cela, ils étaient énergiques dans l'action. Nous, nous marchons dans la nuit ; nous n'avons plus rien de défini, rien d'arrêté dans l'esprit, et nous ne nous rendons plus compte du but où nous tendons. Par suite, nous sommes faibles, hésitants. [...] Ne vous arrêtez pas à ces doctrines de milieu que je ne sais quel tiers parti, né d'un caprice d'hier, invente chaque jour en matière religieuse. Estce que ce christianisme appauvri, débilité, le seul qui trouve grâce devant certains sages du Portique moderne, refera jamais les caractères vigoureux, les tempéraments fortement organisés des anciens âges ? Non, avec les doctrines amoindries, avec les vérités diminuées, on n'obtiendra que des demi-chrétiens ; et, avec les demi-chrétiens, ni la société religieuse, ni la société civile n'auront jamais raison de l'ennemi redoutable que je vous ai signalé. " J'entends encore quelques objections qui me sont faites : Il faut être de son pays et de son temps. Il ne faut pas se heurter à des impossibilités. " Il faut être de son pays : Oui, et mille fois oui surtout quand ce pays c'est la France. Or, vous serez davantage de votre pays, M.F., à mesure que vous serez plus chrétiens. Est-ce que la France n'est pas liée au christianisme par toutes ses fibres ? N'avez-vous pas lu, en tête de la première charte française, ces mots tant de fois répétés par l'héroïne d'Orléans : " Vive le Christ qui est roi des Francs " ? N'avez-vous pas lu le testament de saint Rémi, le père de notre monarchie et de toutes ses races régnantes ? N'avez-vous pas lu les testaments de Charlemagne et de saint Louis, et ne vous souvenez-vous pas comment ils s'expriment concernant la sainte Église romaine et le vicaire de Jésus-Christ ? Le programme national de la France est là ; on est Français quand, à travers les vicissitudes des âges, on demeure fidèle à cet esprit. [...] Les apostats de la France, ce sont les ennemis de Jésus-Christ. Quoi qu'on fasse, il n'y aura jamais de national en France que ce qui est chrétien. [...] Ce n'est pas la Bretagne qui me donnera le démenti si j'affirme que rien ne sera jamais décidément national en France que ce qui est franc. " [...] Loin donc d'être atteint d'incapacité, l'homme perfectionné par la grâce et instruit par la longue expérience de l'Église, possède un tact plus exercé, un sens plus sûr pour le discernement du bien et du mal (Hébreux, V, 14). Nul ne juge mieux les choses selon leur vraie valeur que celui qui les pèse dans la balance de la foi et au poids du sanctuaire. Faute de ce régulateur, nous voyons tous les jours que les hommes les plus habiles et les plus renommés ne sont, hélas ! ni à la hauteur des destinées de leur pays, ni au niveau des besoins et des difficultés de leur temps. " Enfin, ajoute-t-on, il est des faits accomplis dont il faut savoir prendre son parti ; l'esprit moderne ne permet plus d'espérer jamais le triomphe social des principes chrétiens : il ne faut pas se heurter à des impossibilités. - Des impossibilités ? Mais c'est dit bien vite. L'Église, qui a pour elle cette grande ressource qui se nomme le temps, n'accepte pas ce mot tout d'un coup. Le divin Sauveur, J.-C., a prononcé cet oracle : " Ce qui est impossible auprès des hommes n'est pas impossible auprès de Dieu " (Matthieu, XIX, 26) ; et l'Épouse de J.-C., durant sa carrière de dix-huit siècles, a expérimenté souvent l'accomplissement de cette parole. L'énumération serait longue de ces revirements subits de l'opinion, de ces retours inattendus des choses, de ces interventions manifestes de la Providence, qui ont fait revivre tout à coup, au sein de la société chrétienne, les institutions et les principes dont le rétablissement avait été déclaré impossible. En particulier, quand l'Église s'interroge elle-même aujourd'hui et qu'elle se compare avec les choses de ce temps, elle croit sentir en elle-même une vitalité, une fécondité, une force d'expansion et une richesse d'avenir qu'elle n'aperçoit nulle part ailleurs. " Des impossibilités ? Ah ! ce qui pourrait les créer ici-bas au profit du mal, c'est cette facilité des bons à y croire et à se les exagérer, c'est cette disposition à douter d'eux-mêmes et de la valeur de leurs principes, c'est cette promptitude à rendre les armes à l'ennemi de Dieu et de l'Église ; que dis-je ? c'est cet empressement à proclamer son triomphe lorsqu'il est loin encore d'être définitif. [...] " Il ne faut pas se heurter à des impossibilités, dites-vous ? Et moi je vous réponds que la lutte du chrétien avec l'impossible est une lutte commandée, une lutte nécessaire. Car dites-vous donc chaque jour : " Notre Père qui êtes dans les cieux, que votre nom soit sanctifié, que votre règne arrive, que votre volonté soit faite sur la terre comme au ciel " : Sicut in cœlo et in terra ? Sur la terre comme au ciel, mais c'est impossible ! Oui, c'est l'impossible ; et cet impossible, il faut travailler ici-bas, chacun selon nos forces, à en obtenir toute la réalisation qui est en notre pouvoir. Une seule génération ne fait pas tout, et l'éternité sera le complément du temps [si l'on peut dire...]. Nos pères, les anciens Gaulois, avaient une telle foi dans la vie à venir, qu'il leur arrivait de renvoyer la conclusion de leurs affaires à l'autre monde, et de prêter de l'argent recouvrable après la mort (Pompon. Mela, De situ orbis, L. III, n. 2). Ce qu'ils faisaient en païens, sachons le faire en chrétiens. Encore un coup, ce que nous commencerons, d'autres le continueront, et le dénouement final l'achèvera. [...] Le mal s'est produit depuis lors, il se produira jusqu'à la fin sous mille formes diverses. Le vaincre entièrement ici-bas, le détruire de fond en comble, et planter sur ses ruines l'étendard désormais inviolable du nom, du règne et de la loi de Dieu, c'est un triomphe définitif qui ne sera donné à aucun de nous, mais que chacun de nous n'en doit pas moins ambitionner avec espérance contre l'espérance même : Contra spem in spem (Romains, IV, 18). " Oui, avec cette espérance contre l'espérance même. Car je veux le dire à ces chrétiens pusillanimes, à ces chrétiens qui se font esclaves de la popularité, adorateurs du succès, et que les moindres progrès du mal déconcertent : Ah ! affectés comme ils sont, plaise à Dieu que les angoisses de l'épreuve dernière leur soient épargnées ! Cette épreuve est-elle prochaine, est-elle éloignée ? Nul ne le sait, et je n'ose rien augurer à cet égard ; car je partage l'impression de Bossuet, qui disait : " Je tremble mettant les mains sur l'avenir " (Explication de l'Apocalypse, ch. 20, Éd. Lebel, T. III, p. 478). Mais ce qui est certain, c'est qu'à mesure que le monde approchera de son terme, les méchants et les séducteurs auront de plus en plus l'avantage : Mali autem et seductores proficient in pejus (II Timothée, III, 13). On ne trouvera quasi plus la foi sur la terre (cf. Luc, XVIII, 8), c'est-à-dire, elle aura presque complètement disparu de toutes les institutions terrestres. Les croyants eux-mêmes oseront à peine faire une profession publique et sociale de leurs croyances [en 2002, en France, nous y sommes arrivés]. La scission, la séparation, le divorce des sociétés avec Dieu, qui est donné par saint Paul comme un signe précurseur de la fin : nisi venerit discessio primum (II Thessaloniciens, I, 3), ira se consommant de jour en jour. L'Église, société sans doute toujours visible, sera de plus en plus ramenée à des proportions simplement individuelles et domestiques. Elle qui disait à ses débuts : " Le lieu m'est étroit, faites-moi de l'espace où je puisse habiter " : Angustus est mihi locu, fac spatium mihi ut habitem (Isaïe, LXXI, 20), elle se verra disputer le terrain pied à pied ; elle sera cernée, resserrée de toutes parts ; autant les siècles l'ont faite grande, autant on s'appliquera à la restreindre. Enfin il y aura pour l'Église de la terre comme une véritable défaite : " Il sera donné à la Bête de faire la guerre aux saints et de les vaincre " (Apocalypse, XIII, 7). L'insolence du mal sera à son comble. " Or, dans cette extrémité des choses, dans cet état désespéré, sur ce globe livré au triomphe du mal et qui sera bientôt envahi par la flamme (cf. II Pierre, III, 10-11), que devront faire encore tous les vrais chrétiens, tous les bons, tous les saints, tous les hommes de foi et de courage ? S'acharnant à une impossibilité plus palpable que jamais, ils diront avec un redoublement d'énergie, et par l'ardeur de leurs prières, et par l'activité de leurs œuvres, et par l'intrépidité de leurs luttes : O Dieu, ô notre Père, qui êtes dans les cieux, que votre nom soit sanctifié sur la terre comme au ciel, que votre règne arrive sur la terre comme au ciel, que votre volonté soit faite sur la terre comme au ciel : Sicut in cœlo et in terra ! Sur la terre comme au ciel... ! Ils murmureront encore ces mots, et la terre se dérobera sous leurs pieds. [...] Et alors, cet idéal impossible, que tous les élus de tous les siècles avaient obstinément poursuivi, deviendra enfin une réalité. Dans ce second et dernier avènement, le Fils remettra le royaume de ce monde à Dieu son Père, la puissance du mal aura été évacuée à jamais au fond des abîmes (I Corinthiens, XV, 24) ; tout ce qui n'aura pas voulu s'assimiler, s'incorporer à Dieu par J.-C., par la foi, par l'amour, par l'observation de la loi, sera relégué dans le cloaque des immondices éternelles. Et Dieu vivra, et il régnera pleinement et éternellement, non seulement dans l'unité de sa nature et la société des trois Personnes divines, mais dans la plénitude du Corps mystique de son Fils incarné, et dans la consommation de ses saints (cf. Éphésiens, IV, 12). " Alors, ô Émilien, nous vous reverrons, vous et votre magnanime phalange ; et, après avoir travaillé comme vous ici-bas, dans la mesure de nos forces, à la glorification du nom de Dieu sur la terre, à l'avènement du règne de Dieu sur la terre, à l'accomplissement de la volonté de Dieu sur la terre, éternellement délivrés du mal, nous dirons avec vous l'éternel Amen : " Cela est, cela est ". Telle est la grâce que je vous souhaite à tous, M.T.C.F., au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit." 1) Ier Concile du Vatican, Constitution Pastor æternus, c. 4 ; Collectio Lacensis, t. 7, Acta et decreta sacrosancti œcumenici concilii Vaticani, Fribourg en Br., 1890,486 ; Denz., 1836, Dum., 481 : " Car le Saint Esprit n'a pas été promis aux successeurs de Pierre pour qu'ils fassent connaître, sous sa révélation, une nouvelle doctrine, mais pour qu'avec son assistance, ils gardent saintement et exposent fidèlement la révélation transmise par les apôtres, c'est-à-dire le dépôt de la foi." En effet, le dépôt de notre foi doit être gardé saintement et exposé fidèlement tout en pouvant cependant être développé d'une manière organique, c'est-à-dire sans contredire ce qui a déjà été formulé, car si le vicaire du Christ se permettait d'avancer un point de doctrine infirmant celui de l'un de ses prédécesseurs, qui pourrait alors nous assurer qu'il ne se trompe pas à son tour ? Et s'il n'en tenait aucun compte, c'en serait fini de l'autorité de son magistère. Il s'introduirait ainsi un désordre épouvantable dans l'Eglise jusqu'à provoquer de graves dissensions, voire des schismes. Et c'est pourquoi on ne doit jamais oublier les critères du magistère ordinaire et universel de l'Eglise pour reconnaître les doctrines qui s'imposent à notre foi et pouvoir ainsi demeurer dans la charité, la joie et la paix en attendant patiemment des jours meilleurs ou le jour où nous verrons la cité mystique de Dieu descendre du ciel d'auprès de Dieu, brillante de la gloire de Dieu, et s'établir en nous et parmi nous pour l'éternité (1), sachant que, selon les promesses du Christ, les portes de l'enfer ne prévaudront pas contre son Eglise (2). A la vue de tant de scandales et d'hérésies dans l'Eglise, ne la quittons pas pour en rejoindre une autre qui prétendrait être la seule vraie sur la terre comme le font bien des sectes qui égarent des personnes de bonne volonté mais doctrinalement peu formées et psychologiquement vulnérables ou déstabilisées et par conséquent affaiblies dans leur foi, car si l'apôtre Pierre a reçu de Jésus-Christ l'assurance de l'indéfectibilité de l'Eglise bâtie sur lui, comment se pourrait-il qu'une autre Eglise puisse faire mieux qu'elle sans une telle promesse contenue dans la Sainte Ecriture ? Ne lâchons donc pas la proie pour l'ombre ou n'imitons pas Gribouille en nous jetant à l'eau pour éviter la pluie. Patientons ! Laissons passer l'orage. 1) Cf. Apocalypse, XXI, 3-4, 8, 10, 23 ; XXII, 3-5, 14-15. 2) Cf. Matthieu, XVI, 18. Jean-Paul II, Lettre apostolique en forme de Motu Proprio AD TUENDAM FIDEM par laquelle sont insérées plusieurs normes dans le Code de Droit canonique et dans le Code des Canons des Églises orientales, Rome, le 18 mai 1998 : " Pour défendre la foi de l'Église catholique contre les erreurs formulées par certains fidèles, surtout ceux qui s'adonnent aux disciplines de la théologie, il m'a semblé absolument nécessaire, à moi dont la fonction première est de confirmer mes frères dans la foi (cf. Lc 22, 32), que, dans les textes en vigueur du Code de Droit canonique et du Code des Canons des Églises orientales, soient ajoutées des normes qui imposent expressément le devoir d'adhérer aux vérités proposées de façon définitive par le Magistère de l'Église, mentionnant aussi les sanctions canoniques concernant cette matière. " [...]A) Le canon 750 du Code de Droit canonique aura désormais deux paragraphes, le premier comprenant le texte du canon actuellement en vigueur, le second comportant un nouveau texte; le texte complet de ce canon 750 sera donc le suivant : Can. 750, § 1. On doit croire de foi divine et catholique tout ce qui est contenu dans la parole de Dieu écrite ou transmise par la tradition, c'est-à-dire dans l'unique dépôt de la foi confié à l'Église et qui est en même temps proposé comme divinement révélé par le Magistère solennel de l'Église ou par son Magistère ordinaire et universel, à savoir ce qui est manifesté par la commune adhésion des fidèles sous la conduite du Magistère sacré; tous sont donc tenus d'éviter toute doctrine contraire. § 2. On doit aussi adopter fermement et faire sien tous les points, et chacun d'eux, de la doctrine concernant la foi ou les mœurs que le Magistère de l'Église propose comme définitifs, c'est-à-dire qui sont exigés pour conserver saintement et exposer fidèlement le dépôt de la foi; celui qui repousse ces points qui doivent être tenus pour définitifs s'oppose donc à la doctrine de l'Église catholique." -----En ayant accompli son plan de Rédemption par Jésus-Christ (1), son Fils unique, Dieu a mis en échec et mat (tm : mort) le naturalisme de Lucifer, odieuse impiété qui est incapable de conduire à la vie éternelle (2) et n'aboutit en réalité qu'au néant ou à l'absurde en précipitant toutes choses vers la décadence et la mort. 1) Cf. Jn 19 30 ; 2) Ibid., 1 12 ; Ec 21 9-10 ; Jn 8 23 ; 17 9 ; Lc 13 25 27 ; I Co 14 38.