Claude Julien pour moi, le marxisme actuellement représente la plus valable des méthodes pour arriver à une transformation des structures. » Et vous ? J. C. -- Il n'est pas question pour Alors, pour moi, ce qui est fondamental, ce qui fait que je crois JésusChrist, ce qui Me fait spécifiquement chrétien, et ce qui fait que je ne peux pas être autre chose, c'est que je ne vois aucune issue nulle part, parce que Jésus-Christ tranche avec toutes les représentations humaines de la divinité. moi de traiter maintenant des rapports du marxisme et de la foi en Jésus-Christ. Je voudrais uniquement noter que l'identification du marxisme avec le communisme matérialiste et athée me paraît fausse. Certaines grandes intuitions de Marx et d'Engels, comme certaines de Freud, ne sont pas incompatibles avec PEvangile. C'est souvent une réaction de classe qui se dissimule sous les condamnations sommaires du marxisme. Ce que je crois la plus féconde intuition de Marx et d'Engels, mais, hélas, souvent méconnue, c'est l'idée de l'union intime de la théorie et de la pratique. Je voudrais traiter un jour « Praxis, Foi et Théologie ». Quand Marx écrit que les philosophies se sont efforcées de contempler le monde, de l'expliquer, alors qu'il faut le transformer, pour moi ce propos s'accorde au caractère dialectique de la foi selon le Christ : « Celui qui fait la vérité vient à la lumière. » La vérité ne se contemple pas, elle se fait, elle s'invente. Les hommes sont poètes du verbe, ait sens profond de la parole. Quand tous les hommes s'expriment dans le verbe unique, ils inaugurent, ils innovent le monde. • Quelle est la relation du Christ avec Dieu, dans votre conception ? Mon intuition théologique L C. centrale serait à peu près celle-ci tout est une question d'expression, eh bien je dis que le Dieu qui s'exprime dans la solidarité totale, c'est-à-dire la rupture avec tous les stimulants matériels, le retour à soi, ce Dieu-là ne peut pas être l'expression du Père dominateur. Pour moi Jésus-Christ Dieu, c'est celui qui n'a pas la divinité, au sens où il ferait main basse sui la divinité, où il aurait le monopole de la divinité, mais c'est celui qui introduit dans le monde une vision de Dieu qui n'a aucune commune mesure avec les représentalions religieuses, au point qu'il vaut mieux souvent ne pas dire le mot « Dieu ». En bref, Jésus-Christ ne fait propriété, capital de rien. Il n'a rien et il n'est rien qu'il ne donne, qu'il ne mette en commun Dieu est caché dans l'immense labeur des,jtommes pour briser leurs frontières et former l'humanité. Dieu ne fabrique pas des créatures mais suscite et ressuscite des créateurs, un peuple créateur. Si je n'ai pas l'appui d'un foyer, c'est pour être célébrant de la liturgie d'amitié des hommes, de leur solidarité, de leur communion, qui est le Christ même. — - • Comment expliquez-vous, à ce moment-là, que PEglise, à :travers les siècles, ait été absente de toute cette transformation sociale, qu'elle a même combattu les valeurs nouvelles et qu'elle continue àle faire, comme par exemple les régimes communistes, qui sont encore condamnés par PEglise ? Dans la mesure où vous refusez cela, comment vous situez-vous dans cette Eglise? J. C. Ce que je pense, c'est que — tout un travail critique est à faire, mais qu'il faut le mener, au coeur d'une action. Il s'agit d'un travail critique du christianisme, du catholicisme, de l'idéologie chrétienne, de la religion chrétienne, de la chrétienté, de la gangue idéaliste et de la gangue spiritualiste, de tout ce qui concerne Jésus-Christ. J'appellerai cette entreprise one décantation révolutionnaire de la foi » — pour arriver à mettre en relief le fait christique. Si vous voulez, j'emploie une expression quelquefois, qui pour moi rend raison de la foi : nous avons été pendant des siècles substantiellement déistes et accidentellement chrétiens, c'est-à-dire que finalement JésusChrist a été emprisonné dans la gangue du déisme. Pour mieux me faire comprendre, je dirai volontiers que l'on a donné pour père à Jésus-Christ Zeus, et que l'on a reconstitué un Olympe chrétien. Du même coup, toutes les théologies traînent une anthropologie, et cette anthropologie c'est une conception méprisante des hommes. Ils sont sujets, même quand ils arrivent à s'émanciper, à se libérer. Ils sont les esclaves du Tout-Puissant, du Tout-Autre. . • Revenons à la politique... N'y a-t-il pas affinité » entre les événements de Prague et le congrès de Bogota ? J. C. Si. D'abord Prague. On dirait qu'il n'est possible au monde, aux hommes, de s'unifier, de se rassembler que par la puissance. Très marquée par le stalinisme, l'Union soviétique ne se libère pas d'une attitude colonisatrice à l'égard des autres pays socialistes. Aussi les partis communistes parlent-ils de régler les conflits dans un esprit qui respecte à la fois l'indépendance nationale et l'internationalisme prolétarien. Mais n'y a-t-il pas opposition entre l'indépendance nationale regardée comme norme suprême et l'éveil des hommes à l'internationalisme, plus largement A la conscience de former une seule et commune humanité ? Jusqu'à maintenant, faute d'un approfondissement des racines de l'oppression et des possibilités de libération des hommes, le mouvement ouvrier oscille entre la voie propre à chaque pays pour le développement du socialisme, avec, au terme, le risque des national-socialismes et le maintien artificiel de l'unité sous la botte d'un seul. Parce que les hommes, laissés à eux-mêmes, ne voient d'autre critère, d'autre finalité que le profit, le retour à soi, le bonheur privé, sécrétant d'ailleurs le malheur d'une foule, le socialisme ne se conçoit pas sans contrainte. La liberté alors est celle — Suite page 8 L'EMPIRE AMERICA N Le document de l'année. NOUVEL OBSERVATEUR Les Etats-Unisdoivent leurs privilèges à leur empire. Ils ne peuvent avoir valeur d'exemple. Georges BALANDIER LE MONDE L'impérialisme au nom de la liberté.., la démonstration est convaincante. Jean-François REVEL L'EXPRESS La naissance, l'influence, l'avenir de l'empire le plus original du monde : les U.S.A. Un livre qui donne beaucoup à penser. Roger GIRON FRANCE-SOIR PRIX AUJOURD'HUI GRASSET Le Nouvel Observateur Page 5