Le phénomène Michelet

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Plus de 250 000 lecteurs ont répondu à « lAppel des engoulevents », un méga-seller
Claude Michelet sera le 21 l'invité de « Caractères»
a Corrèze est une
pure invention
des géographes.
On ne la trouve
qu'en perdant
son chemin. Les romanciers en ont tiré grand
profit. Rompant le
charme, Claude Michelet
n'a fait que la rendre
vraie. Qu'y a-t-il de plus
vrai qu'une terre sur le
déclin de son âge, de ses
ressources, de sa pente
même ? Elle ne descend
pas d'Auvergne, elle en
glisse par un tropisme
fatal, pour se rompre le tuf
dans maintes cavernes où
des préhistoriens agenouillés la recueillent à la
petite cuiller et en tamisent les reliquats étudiés
au Muséum. Depuis
l'homme de Neandertal,
surgi tout tuméfié de la
pioche de l'abbé Bouyssonie, la Corrèze vacille
sur ses bases et endure les
caprices où l'expose la
célébrité confuse qu'atteindraient pareillement
la Zambie et son Zambèze, s'ils étaient traversés par la nationale 20. Au reste, c'est une province
complexe. Du fait de la gravité de son profil et des
lois de l'attraction, les vaches y sont encore
limousines mais les bolets déjà périgourdins. Elle
sent le confit d'oie et le manque à gagner. Au coin
du village, paysagé dans les façons de la haute
époque, la ruine capétienne se souvient parfaitement du Cartel des Gauches. La pauvreté n'y a
d'égal que la richesse, dans les proportions admises par le code féodal.
Les suzerains les mieux établis y portent même
un nom assez lourd pour les dispenser de ce
complément d'identité direct que l'administration postale appelle, dans son jargon poétique, une
adresse. Eloigmez-vous de Brive-la-Gaillarde : en
quelque endroit du canton que vous héliez un taxi,
il suffit d'indiquer au chauffeur : « Chez Claude
Michelet »pour qu'il vous y mène les yeux fermés,
malgré les virages, avec l'air désoccupé de qui
exécute la routine. On étonnerait beaucoup un
L
104 LE NOUVEL OBSERVATEUMMES
ClaudeMichelet
taxi corrézien, semble-t-il, en lui désignant un
autre monument à visiter. Dans sa thébaïde
exposée aux vents et aux terreurs du solstice,
Claude Michelet est devenu à lui seul le chef-lieu
d'un département qui a tout de même produit le
petit père Queuille, la dentelle de Tulle et la
moutarde violette selon la recette de Clément VI.
Mais le pèlerin nouveau, tout à son aveugle
passion, a-t-il encore la mémoire des choses et le
sens des valeurs ? Parmi les 15 000 lettres auxquelles a répondu en dix ans l'inlassable missionnaire des solitudes agricoles, quelques-unes,
expédiées de Pont-l'Evêque ou de Romorantin,
étaient simplement libellées : « Claude Michelet,
à Saint-Libéral ». Cette localité imaginaire n'appartient qu'à ses romans. Le courrier arrive
quand même, aux vitesses garanties par l'affranchissement. La Corrèze, on l'a dit, est une fiction.
Claude Michelet, entre « Des grives aux loups))
et « Les palombes ne passeront plus », l'a fait
partager à 3 600 000 lecteurs français, ce qui force
le respect, ce qui l'épuise même au sens exact que
les gens de vénerie donnent 'au verbe forcer.
« L'Appel des engoulevents » —270 000 exemplaires débités à ce jour chez le détaillant— suggère au
glossateur fourbu par une longue poursuite des
causes et des motifs de décrocher son cor de chasse
et de sonner lui-même l'hallali de la raison
critique. On suppose que la saga, considérée dans
son ensemble, restaure la mémoire du pays perdu,
cristallise les déceptions, les rancoeurs et les
nostalgies que fait naître, à raison de quatrevingt-deux fermes rayées chaque jour des comices, la liquidation de la société rurale et de la
France des clochers. Georges-Emmanuel Clancier, qui a défriché naguère la mythologie que
laboure aujourd'hui son cadet, a mangé son « Pain
noir » trop tôt, au bord d'une closerie que ne
menaçait pas encore la conquérante barbarie des
Golf et des Disneyland.
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