Étude de cas en éthique
« La vie de touristes... après le tsunami »
Selon les dernières estimations, le tsunami qui a frappé les côtes de l’Océan Indien le 26 décembre
dernier a provoqué la mort d’au moins 175 000 personnes. En Thaïlande, le bilan approximatif est de
5 300 victimes dont environ la moitié est constituée de touristes présents dans la région de Phuket.
Suivent trois papiers récents publiés dans La Presse :
(1) Le témoignage de Claire Simard, qui était en vacances à Phuket avec sa famille lorsque le
tsunami a déferlé. Madame Simard justifie brièvement la raison pour laquelle sa famille a décidé
de reprendre sa vie de touristes jusqu’à son retour au Québec le 30 décembre dernier.
(2) Une réponse à l’article de madame Simard par Stéphane Rivard.
(3) Une réponse de Harry Grow à Stéphane Rivard.
Des questions sont présentées après les trois extraits.
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La Presse, Forum, vendredi 7 janvier 2005, p. A12
"Nous avons continué notre vie de touristes", par Claire Simard
Je me trouvais à Phuket, en Thaïlande, le 26 décembre, en compagnie de mon conjoint et de
mes quatre enfants. À 10h30, je faisais des courses dans une rue parallèle à la plage de
Karong, avec mon mari et la plus âgée de nos enfants. C'est de là que nous avons vu les gens
courir, tomber et ensuite l'eau et les débris. Nous avons couru comme nous avons pu, dans
des eaux d'égouts pour retourner à l'hôtel où nos trois autres enfants étaient sains et saufs,
mais fort inquiets à notre sujet.
Nous avons eu une chance incroyable, pas de blessé, pas de disparu! Dans les jours qui ont
suivi, j'étais gênée de me montrer avec toute ma famille.
Nous sommes restés après le 26, jusqu'au 30, date prévue de notre retour, parce que c'était la
seule aide que nous pouvions apporter. Laisser les places d'avion à ceux qui en avaient
vraiment besoin. Nous avons continué notre vie de touristes parce que l'économie thaïlandaise
avait et a toujours besoin de cet argent.
Nous sommes retournés à la plage, nous nous sommes baignés, tous ensemble. La plage
était déserte mais le lendemain il y avait déjà un peu plus de monde. Les vendeurs de plage
sont revenus gagner leur vie. Les masseuses de plage sont revenues avec leurs huiles et leur
sourire afin de nourrir leur famille. Ce serait une erreur d'annuler un voyage, les gens sont
restés toujours aussi gentils après le tsunami et ils ont besoin du tourisme. Ils appréciaient
énormément que nous soyons restés.
Croyez-moi, il est moins périlleux d'aller en Thaïlande que dans bien d'autres endroits dans le
monde. J'encourage les gens qui avaient des projets de voyage pour la Thaïlande à ne pas
changer leurs plans.
La Presse, Forum, samedi 8 janvier 2005, p. A19
La "bonté" des touristes (En réponse au texte: "Nous avons continué notre vie de touristes")
Mme Claire Simard nous présente sa grande bonté et son empathie envers le peuple
thaïlandais. En effet, elle nous raconte comment elle et sa famille ont dû vivre les
inconvénients des tsunamis qui ont frappé Phuket, pendant une grosse journée. Mais, dès le
lendemain, alors que les familles thaïlandaises pleuraient leurs morts et tentaient de trouver
une manière de survivre, Mme Simard est retournée à la plage avec sa famille afin de jouer
son rôle si important de touriste. Les vendeurs et les gentilles masseuses sont revenus à la
plage, ce qui a eu pour effet de la réconforter dans son illusion que son rôle de touriste était si
crucial pour le pauvre peuple.
Ma chère madame Simard, les gens qui ont tout perdu lors de ces événements tragiques n'en
avaient que faire de votre bronzage et de vos quelques sous. Vous faites fausse route lorsque
vous vous imaginez qu'ils pensent à l'économie de leur pays dans de tels moments. Si vous
preniez le temps de vraiment rencontrer la population des pays que vous visitez, et je ne parle
pas ici de jaser avec les employés du complexe touristique et de leur laisser un beau
pourboire par la suite, vous feriez la découverte qu'ils ont des valeurs beaucoup plus
humaines que les vôtres. Vous auriez pu marcher quelques dizaines de mètres afin d'aller
aider les villageois qui tentaient de retrouver des membres de leurs familles ou qui tentaient de
nettoyer les dégâts afin d'être en mesure de reconstruire leurs vies. Je peux vous garantir que
ce comportement aurait été apprécié comme vous ne pouvez vous l'imaginer.
Stéphane Rivard, Longueuil
La Presse, Forum, mardi 11 janvier 2005, p. A14
Éviter un tsunami économique
Un lecteur, Stéphane Rivard, désapprouve dans La Presse du 8 janvier le retour des touristes
sur les plages de Phuket, en Thaïlande. Pourtant, beaucoup de Thaïlandais souhaitent que
cela se produise le plus rapidement possible. J’ai reçu deux courriels, de membres de ma
famille vivant à Phuket, qui m’imploraient de transmettre ce message aux gens d’ici : le
nombre de sauveteurs et de bénévoles dépasse les besoins réels, et ce que les habitants de
la ville souhaitent avant tout, c’est le retour des touristes, qui constituent la base de l’économie
locale. On m’a prié de dire que la pire chose qui pourrait se produire, ce serait que les visiteurs
arrêtent de venir. Ce serait un tsunami économique.
Harry Grow
Chelsea
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Questions éthiques à l’étude
1. Est-ce que madame Simard a eu un comportement éthique dans les jours succédant au
tsunami? Ou avait-elle, comme l’affirme monsieur Rivard, une obligation morale de faire plus
afin d’aider les victimes à Phuket?
2. Quels critères utiliser pour évaluer les arguments que madame Simard mobilise pour
justifier le retour à une “vie de touristes”?
3. Admettons que madame Simard avait la possibilité, dans les jours suivants le tsunami, de
faire plus dans le but d’aider les victimes de la tragédie. Alors, la question devient: avait-elle
justement une obligation ou un devoir moral de “faire plus”? Si sa famille était partie en
vacances ailleurs (disons, les îles Fidji), ou était restée à Montréal, aurait-elle eu une
obligation morale d’aider les victimes?
4. Considérons maintenant le cas d’une famille qui a réservé un séjour à Phuket devant
débuter le 1er janvier 2005. (Imaginons qu’aucun vol ne fut annulé et que les structures de
toutes les stations balnéaires furent épargnées par le tsunami.) En quoi consistent les
obligations morales de cette famille? Est-elle “moralement obligée” de maintenir son séjour en
Thaïlande (plutôt que de prendre, par exemple, ses congés dans un autre lieu de villégiature)?
Une fois sur place, est-il moralement envisageable qu’elle poursuive ses vacances selon le
plan originellement fixé (c’est-à-dire celui établi avant la catastrophe)? En prenant en compte
le fait qu’une participation volontaire aux secours est offerte aux personnes qui arrivent sur
place, les membres de notre famille fictive ont-ils le devoir de se porter candidats à de telles
activités plutôt que de poursuivre leurs vacances? Dans quelle mesure, si c’est le cas, leur
situation est-elle moralement différente de celle de madame Simard?
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