Le lac de Peirce : une métaphore de la conscience
Extrait du Tome VII des Collected Papers de Charles Sanders Peirce
Traduction de Laurence Fanjoux-Cohen et Thomas Chevrier
7.553. Pour une fois, nous allons choquer les psychologues physiologistes en tentant non
pas une hypothèse sur le cerveau mais en faisant la description d’une image qui
correspondra point par point aux différentes caractéristiques du phénomène de
conscience. La conscience est comme un lac sans fond dans lequel les idées sont
suspendues à différentes profondeurs. En effet, ces idées constituent en elles-mêmes le
milieu propre de la conscience. Les percepts seuls restent à la surface de ce milieu. Nous
devons imaginer qu'il pleut continuellement sur le lac et que cette pluie ressemble au
flux ininterrompu de nos perceptions. Toutes les idées autres que les percepts sont à
plus ou moins grande profondeur et nous pouvons supposer qu’il existe une force de
gravitation telle que plus les idées sont profondes plus le travail pour les amener à la
surface sera important. Ce travail virtuel, que les mathématiciens appellent « les
potentiels » de particules est le négatif de « l’énergie potentielle « ; et l’énergie
potentielle est la représentation du degré de vivacité de l’idée. Nous pourrions aussi
bien dire que le potentiel, ou la profondeur, représente la qualité de concentration
nécessaire pour distinguer l'idée à cette profondeur. Et on ne doit pas penser qu’une
idée doit être réellement amenée à la surface de la conscience pour être discernée.
L’amener à la surface de la conscience reviendrait à produire une hallucination. Non
seulement toutes les idées ont tendance à graviter vers le néant, mais on peut imaginer
que nombre d’idées réagissent les unes avec les autres selon des attractions sélectives.
Cela illustre les associations entre les idées qui tendent à les agglomérer en idées
uniques. De même que notre idée de distance spatiale consiste dans le temps qu’il
faudrait, avec un effort donné, pour passer d’un objet à un autre, de même la distance
entre les idées est mesurée par le temps qu’il faudrait pour les combiner. Ainsi si l’on
cherche le terme français pour shark ou linchpin, le temps nécessaire pour retrouver le
mot oublié dépend de la force d’association entre les idées des mots anglais et français
et de circonstances qui naissent de l’écart entre les deux mots. Ceci, je dois l’avouer, est
excessivement vague ; aussi vague que le serait notre notion de distance spatiale si nous
vivions au sein de l’océan et étions démunis de quoi que ce soit de rigide pour prendre
des mesures, étant nous-mêmes de simples portions de fluides.