Jean-Pierre Minaudier. Lycée La Bruyère, Versailles, avril 16, 2017. Fr 2.2
La situation réelle était sans doute plus difficile encore
qu'à l'époque de Valmy : quatre-vingt cinq mille hommes
avaient capitulé à Sedan ; cent cinquante mille autres, sous
le commandement du maréchal Bazaine, étaient assiégés dans
Metz. La France était isolée en Europe, où l'on s'inquiétait
du retour de la République
; un certain nombre de puissances, à
commencer par le Royaume-Uni, étaient ravies de voir
s'affaiblir un pays dont les velléités de grandeur et
d'expansion semblaient menacer l'équilibre continental.
Surtout, la Prusse ne voulait pas d'une paix blanche, c’est-à-
dire sans vainqueur ni vaincu : elle était fermement décidée à
annexer les territoires germanophones et les gisements de fer
et de charbon de l'est de la France, ainsi qu'à obtenir une
forte indemnité. C'est pourquoi toutes les tentatives de
médiation avec l'ennemi, menées par Favre (qui rencontra
Bismarck à Ferrières fin septembre) puis par Thiers,
échouèrent. Le gouvernement provisoire se vit contraint de
continuer une guerre que les militaires considéraient comme
perdue dès le mois de septembre.
Or il n'avait pas les moyens de mener cette guerre. Il
n'avait pas de vraie légitimité ; les ministres n'avaient
aucune expérience — Gambetta n'avait que trente-deux ans.
Trochu était contesté, car ce n'était pas un républicain très
sincère : il était proche des orléanistes. Facteur additionnel
de fragilité pour le gouvernement, l'extrême-gauche néo-
jacobine était puissante dans les grandes villes. Elle s'était
déjà manifestée en août, au moment des premières défaites : le
8 à Marseille, elle avait tenté de prendre l'hôtel de ville ;
à Lyon le 13, à la suite d'une émeute, était apparue une
éphémère "commune", c'est-à-dire une municipalité centrale
illégale, Lyon, comme Paris et Marseille, n'ayant que des
mairies d'arrondissement. Après le 4 septembre, avec le retour
de la liberté de parole, cette mouvance se fit très vite fort
virulente à Paris. Blanqui lui-même, libéré juste après le
changement de régime, adopta une posture patriote : il
intitula son nouveau journal la Patrie en danger. Il se mit
d'abord au service du gouvernement (« En présence de l'ennemi,
plus de partis ni de nuances. (…) Il n'existe qu'un seul
ennemi, le Prussien »), attitude qui, comme déjà en juillet,
préfigurait en quelque sorte l'Union sacrée de 1914 ; mais
très vite il afficha sa défiance vis-à-vis du "pacifisme" et
du "défaitisme" qu'il croyait déceler dans l'attitude du
gouvernement, notamment au moment de l'entrevue de Ferrières.
Or le peuple parisien était armé : la garde nationale,
dissoute à la fin de la IIe République et rétablie (avec
moults garde-fous) par la loi Niel sous le nom de garde
mobile, s'était beaucoup développée, plus ou moins
spontanément, pendant l'été ; réorganisée systématiquement
dans toute la capitale en septembre, elle comptait désormais
trois cent mille hommes en armes. Le gouvernement était bien
En 1870, un seul pays européen ne vivait pas en monarchie, la Suisse ; et la
dernière proclamation de la République en France avait coïncidé avec une vague
révolutionnaire dans toute l'Europe.