Jean-Pierre Minaudier. Lycée La Bruyère, Versailles, octobre 17, 2004. Fr 4.3
Or le peuple parisien était armé: la garde nationale, dissoute à la fin de la IIe
République et rétablie (avec moults garde-fous) par la loi Niel sous le nom de garde mobile,
s'était beaucoup développée, plus ou moins spontanément, pendant l'été; en septembre elle fut
réorganisée systématiquement dans toute la ville, et comptait désormais trois cent mille
hommes en armes. Le gouvernement était obligé de tolérer ces milices que l'extrême-gauche
noyautait en grande partie, au nom des souvenirs de 1792 et de la première garde nationale.
Les troupes régulières stationnées à Paris étaient constituées de marins (les fantassins étaient
occupés ailleurs), ce qui n'était pas un gage d'efficacité. Toujours dans l'esprit de la grande
Révolution, l'extrême-gauche suscita l'apparition, dans chaque arrondissement de Paris, d'un
Comité de Défense nationale, qui n'était pas élu (ou de manière fort obscure) ni reconnu par
le gouvernement, mais qu'il fallut bien tolérer car il y avait d'autres urgences et que l'heure
n'était pas à affaiblir le camp des patriotes. Dès le 11 septembre, apparut un "Comité central
des vingt arrondissements" pour chapeauter l'ensemble1. Le rôle qu'il revendiquait était de
seconder les autorités en assurant le ravitaillement, le fonctionnement des écoles, la police,
etc.; mais il essayait aussi de faire pression sur le gouvernement, réclamant une "levée en
masse" et des réquisitions. On vit également se multiplier les journaux et les clubs plus ou
moins extrémistes.
Pendant ce temps les Prussiens avançaient très vite: le 19 septembre, Paris était
encerclée. Début octobre Gambetta quitta la capitale en ballon et gagna Tours où il prit en
charge, seul, la défense du pays; il renonçait ainsi à l'antimilitarisme du programme de
Belleville2. Il organisa une véritable dictature de salut public, ne laissant aucune liberté
aux administrations locales, restreignant la liberté de presse et plaçant des hommes à lui aux
postes clefs; avec ces méthodes il se rendit durablement impopulaire, mais il parvint à
imposer une mobilisation effective de l'ensemble de la population mâle adulte (elle n'eut pas
lieu complètement à cause de la défaite; mais Gambetta parvint à mobiliser au total six cent
mille hommes, soit deux fois les armées de Napoléon III). Hélas, ce n'était pas un grand
stratège; en particulier, comme tout le monde, il était obsédé par Paris qu'il tenta en vain de
libérer (telle était la force de l'identification de la capitale à la nation): de toute façon, les
armées nouvellement constituées manquaient fatalement d'expérience. Surtout, Bazaine
capitula fin octobre, ce qui libéra les troupes prussiennes qui encerclaient Metz; les
républicains considérèrent cette capitulation comme une trahison dictée par les sympathies
royalistes de Bazaine.
1 Cette appellation de "Comité central", qui apparaissait pour la première fois, a eu une impressionnante
postérité, par l'intermédiaire de la mémoire de la Commune de Paris dans la gauche française et européenne, et
tout particulièrement du léninisme.
2 Il est vrai que le pays était envahi, comme en 1792… Antimilitaristes de principe, hommes de guerre
efficaces quand il le fallut: tels furent encore les républicains de gauche en 1914.