AL Lebeau : Somatisations Les somatisations Lebeau Anne-Lise [email protected] 5 Points clés : La personne âgée se plaint énormément de douleurs physiques Ces douleurs physiques sont en réalité des liés à des troubles psychiques on appelle cela les 10 somatisations. Or on les rencontre énormément chez la personne âgée. MOTS CLEFS: Psychisme- soma- conflits- souffrance. Qu’est ce que la somatisation ? Ce concept de « somatisation » est récent, en effet il n’apparaît pas dans les dictionnaires avant les années 1980. De façon simple, la somatisation peut se 20définir de la sorte : c’est un trouble psychique qui se transforme en trouble somatique. Dans la même lignée, Le petit Robert la définit ainsi : « rendre somatique un trouble psychique ». De 25façon plus approfondie, la somatisation rend compte d’un processus par lequel l’expression du conflit psychique se fait dans et par le corps. L’être humain n’a pas un corps et un esprit, il est tout 30entier un être psychosomatique. 15 De ce point de vue ce sont des traumatismes que le sujet n’a pas pu se représenter qui viennent se jouer dans le corps. Il faut savoir que la 35somatisation touche tout le monde, elle n’a pas d’âge. Elle touche aussi bien le nourrisson, l’enfant, l’adulte ainsi que le sujet âgé. Nous somatisons tous un jour ou l’autre ; par exemple, lorsque nous 40sommes confrontés à un oral d’examen, nous contractons bien souvent des AFDG – Lettre de Psychogériatrie - 2011 maux de ventre ou des diarrhées. Mais lorsque les somatisations deviennent permanentes, le sujet va alors 45développer un mécanisme de dénégation qui est en lien avec le fait que la somatisation représente un mode de défense du Moi. Le processus de somatisation fait irruption lorsque le 50sujet est incapable de traiter mentalement les conflits qui pèsent sur lui. (1). Selon Yves Ranty, il existerait trois grandes catégories de somatisations : 55les somatisations fonctionnelles, les somatisations conversionnelles, et les somatisations lésionnelles. D’après lui, les somatisations fonctionnelles « sont des perturbations des fonctionnements 60somatiques, en règle générale réversibles et ne s’accompagnant pas de lésions des organes. » (1). Les somatisations conversionnelles sont représentées par l’hystérie de 65conversion. Cette dernière est définie par Yves Ranty « comme étant une névrose où le conflit psychique se transpose dans l’innervation somatique Page 1 AL Lebeau : Somatisations en donnant des symptômes moteurs (paralysies, contractures) ou sensitifs (douleurs, anesthésies). » (1). Enfin, les somatisations lésionnelles sont traduites 5par Yves Ranty comme étant un groupe d’affections où il existe des lésions organiques, mais dans lesquelles les facteurs psychiques sont non seulement favorisants mais aussi déterminants. » 10(1). Historique : L’histoire des somatisations L’homme depuis toujours se sert de 15son propre corps pour transmettre ses émotions (désirs, peur, désespoir, violence) ; de nos jours on dira simplement qu’il somatise. Comme le souligne Yves Ranty, les somatisations 20existent depuis la nuit des temps. Elles sont déjà présentes à l’aube du monde mais nommées différemment selon les cultures et les époques qu’elles ont traversées. Ainsi on parle d’esprits dans 25les sociétés primitives, d’humeurs et d’atrabile durant l’antiquité Grecque, de possessions par les démons avec la période biblique, d’envoûtement au Moyen Âge. Les traitements de ces 30somatisations changent aussi beaucoup et sont largement influencés par les avancées de la médecine. (1) La théorie des Humeurs d’Hippocrate (IVème avant JC) est reconnue pour 35être à l’origine de la médecine psychosomatique. En effet, pour Hippocrate, la santé repose sur un équilibre des humeurs nommée la crase. Il existe de ce point de vue quatre 40humeurs : le flegme, le sang, l’atrabile et la bile, qui correspondent aux quatre éléments de la nature : air, terre, eau, feu. Elles correspondent aussi aux qualités : froid, chaud, humide, et sec AFDG – Lettre de Psychogériatrie - 2011 45ainsi qu’aux organes : cerveau, cœur, rate, foie. Ainsi la maladie ou dyscrasie provient soit d’un excès, soit d’une insuffisance, soit d’un déplacement d’une humeur, ce qu’explique bien Yves 50Ranty. Claude Galien (I siècle après JC) reprend la théorie des quatre humeurs d’Hippocrate, selon lui ces dernières représentent également quatre tempéraments : sanguins (personne 55chaleureuse et aimable), flegmatiques (personne lente et apathique), mélancoliques (personne triste et déprimé) et enfin colériques (personne emportée et prompte à réagir) 60 La psychosomatique ; les différentes théories : Freud s’est beaucoup intéressé à l’hystérie particulièrement au début de 65sa vie. C’est notamment à partir de l'étude de l’hystérie, ainsi que des travaux sur les paralysies et sur l’aphasie, qu’il découvre la dynamique de l’inconscient. Dans son œuvre 70Études sur l’hystérie (2), il expose sa théorie selon laquelle l’origine de l’hystérie est à rechercher dans les conflits infantiles refoulés dans l’inconscient. Les symptômes de 75l’hystérie sont le résultat de la transformation, de la conversion d’une excitation corporelle en innervation somatique. Freud souligne deux formes 80d’hystéries : l’hystérie d’angoisse dont le symptôme majeur est la phobie, les troubles fonctionnels étant la manifestation somatique d’angoisses non représentées, et l’hystérie de 85conversion où les représentations sexuelles refoulées s’expriment par le corps. Par conversion Freud entend une transposition d’un conflit psychique et Page 2 AL Lebeau : Somatisations une tentative de résolution de celui-ci dans les symptômes somatiques (moteurs : paralysie ou sensitifs : anesthésie ou douleurs localisées). 5Freud a donc beaucoup travaillé sur la conversion hystérique où, comme on vient de le voir, le corps exprime des représentations refoulées. Toutefois, pour Freud, le trouble ou symptôme 10somatique seul est dénué de sens ; en effet, selon lui il attaquerait le corps et ainsi pourrait le conduire jusqu’à sa perte. Rosine Débrayage explique que c’est une logique du corps située 15topiquement hors psyché. Ainsi, même si Freud ne s’est pas beaucoup intéressé à la psychosomatique, il en paraît tout de même son investigateur. 20 Georg Groddeck, médecin et psychanalyste allemand, est aussi un psychothérapeute original pour son temps : il ouvrit un sanatorium à Baden 25Baden en 1900 où ses méthodes de traitements étaient plutôt atypiques pour l’époque. En effet ses traitements étaient fondés sur l’hydrothérapie, le régime alimentaire, les massages ainsi 30que sur des entretiens entre soignants et soignés. On comprend donc qu’il a très vite admis l’importance du corps dans la thérapie et le fait que le soma et la psyché soient complètement liés. 35C’est pourquoi il est souvent désigné comme le père de la psychosomatique. Il invente le concept du ça que Freud reprendra quelques années plus tard dans sa deuxième topique en 1920. C’est dans son œuvre, Le livre du ça (3), qu’il présente son concept du ça dans une correspondance fictive. « Le ça est un principe vital, universel et unificateur animé d’une force 45symbolisante, un message codé qui 40 AFDG – Lettre de Psychogériatrie - 2011 obéit aux même lois que le rêve. » (4). « Le ça vit l’homme ; c’est la force qui le fait agir, pense, grandir, être bien portant et malade en un mot qui le vit. » 50(3). Le ça est une instance qui décide de tout chez le sujet, qui « décide du vêtement que l’on portera aujourd’hui ou demain. » (3) Il entretiendra une correspondance 55pendant de nombreuses années avec Freud. Dans sa première lettre à Freud du 27 mai 1917 il écrit : « La conviction s’était arrêtée en moi que la distinction de l’âme et du corps est uniquement une 60distinction de mots, non pas d’essence ; que le corps et l’âme sont quelque chose de commun ; qu’il s’y trouve un ça, une force par laquelle nous sommes vécus cependant que nous croyons vivre.[…] en d’autres 65termes, j’ai refusé d’emblée la séparation de maux du corps et maux de l’âme ; j’ai tenté de traiter l’être individuel en soi, le ça en lui. » (5) Pour lui, il n’existe pas de maladie 70psychique pas plus que de maladie physique car corps et âme tombent malades conjointement. Il a donc largement contribué à ouvrir une voie psychosomatique. 75 Frantz Alexander est à l’origine de la théorie de la spécificité, et de la correspondance qui définit qu’à chaque émotion correspond un symptôme 80spécifique (par exemple la migraine correspondrait à l’obsession). Comme Freud, cet auteur différencie la maladie somatique de la conversion hystérique. Cette dernière n’a pas de 85lésion anatomique mais pour lui le symptôme à une valeur symbolique. La somatisation en revanche est en deçà du symbolique. Cela rend compte d’un processus par lequel l’expression du 90conflit se fait dans et par le corps. Page 3 AL Lebeau : Somatisations Ce sont des traumatismes que le sujet n’a pas pu se représenter tandis que dans la conversion il y a eu représentation. A Chicago, là où il s’est installé après avoir beaucoup voyagé, il développe l’un des principaux courants du freudisme américain connu aujourd’hui sous le nom d'École de Chicago. 10L'École de Chicago (dont les origines remontent aux années 1930) a mis l’accent sur l’existence d’un lien structurel entre certaines personnalités et des maladies organiques ; par 15exemple il semble y avoir une « fréquence des traits dépressifs chez les gens souffrants de la vésicule biliaire. » (6). A cette époque, il semble que tous les efforts soient centrés sur le 20souci d’établir des liens entre maladies et personnalités. 5 D’ailleurs, à cette même période Flanders Dunbar, élève et ancienne analysée de Frantz Alexander, a décrit 25des profils de personnalité. Elle décrit par exemple le profil psychologique des diabétiques qu’elle établit à partir de six rubriques qui sont les suivantes : hérédité, état de santé antérieur, vie 30familiale, attitudes hors de la maison, comportement individuel, réaction à la maladie. (7). Mais Alexander réfutait cette notion de profils de personnalité ; cependant il a souligné une corrélation 35entre somatisations et types de conflits psycho-émotionnels qu’il a appelée « constellation Psychodynamique ». Pour chaque situation émotionnelle de base existe un syndrome de 40modifications corporelles, c’est à dire de réactions psychosomatiques (le rire, les pleurs, le changement du rythme cardiaque). AFDG – Lettre de Psychogériatrie - 2011 La théorie du stress à été élaborée en 1956 par le médecin physiologiste canadien Hans Selye et exposée dans son ouvrage Le stress de la vie(8). Néanmoins cette théorie a été facilitée 50par les recherches antérieures de Walter Cannon (1871-1945). Selye définit le concept de stress comme étant un état de tension aiguë de l’organisme, obligé de mobiliser ses défenses pour 55faire face à une situation menaçante. Le mécanisme physiologique de défense est désigné par le syndrome général d’adaptation (SGA). En s’inspirant de Walter Cannon, il mentionne trois 60phases d’adaptation générale de l’organisme qui sont : 45 La phase d’alarme ; la phase de résistance ; et enfin la phase d’épuisement. Avec ce concept de 65maladie de l’adaptation, il influence largement les recherches suivantes. Enfin, Pierre Marty prône l’abandon de la dichotomie psyché/soma 70impliquant que l’individu humain doit être appréhendé comme un tout ; « une totalité complexe dont l’équilibre général résulte d’une infinité d’ajustements, variés et variables dans le temps. » (7). Il fonde en 1958 l'École de Paris avec ses collègues Christian David, Michel Fain, Michel de M’Uzan, Léon Krersler et Michel Soulè. Pierre Marty apporte un nouveau point de vue sur la 80psychosomatique notamment avec son concept de mentalisation. C’est une idée qui reposerait sur la façon dont l’individu gère ses excitations. Marty est aussi à l’origine du concept de la 85pensée opératoire qui deviendra vie opératoire quelques années plus tard. Le concept de vie opératoire est un mode de pensée linéaire. Quelque chose au niveau du fantasmatique est 75 Page 4 AL Lebeau : Somatisations court-circuité. Le sujet va se centrer sur le concret, le factuel, l’actuel. On observe également chez ce sujet une pauvreté de la rêverie. « Les activités 5fantasmatiques et oniriques permettent d’intégrer les tensions pulsionnelles et protègent ainsi la santé physique individuelle. La pensée opératoire qui met en évidence la carence fonctionnelle de ces 10activités va naturellement de pair avec des perturbations somatiques. » (9). De même on lui doit le concept de dépression essentielle emblématique de la théorie psychosomatique. C’est une 15dépression sans signes psychopathologiques visibles. On emploie souvent le terme de « dépression silencieuse », et effectivement cette dépression passe 20inaperçue. On la repère après coup et on constate qu’elle a précédé les troubles somatiques. Le risque de dépression essentielle et donc de somatisation existe, a minima, chez tout 25un chacun. Ainsi le symptôme corporel est donc la traduction d’une souffrance psychique non mentalisée, traduction d’un traumatisme tardif qui fait écho à des 30traumatismes anciens en les réactualisant. 45REFERENCES: 1- Ranty, Y, (1994), Les Somatisations, Paris, l'Harmatan Ed, 292p. 2- Freud, S, (1867), Études sur 50l'hystérie, Paris Presses Universitaires de France Ed 2002, 254 p. 3-Groddeck, G, (1923), Le livre du ça, Paris, Gallimard Ed, 326p. 4-Kamieniecki, A, (1994), Histoire de la 55psychosomatique, Paris, Presses Universitaires de France Ed, 128 p. 5-Groddeck, G, (1977), ça et moi, Paris, Gallimard Ed, 235 p. 6-Alexander, F, (1950), La médecine 60psychosomatique, Paris, Payot Ed, 335p. 7-Debray, R, Dejours, C, Felida, P, (2005), Psychothérapie de l’expérience du corps, Paris, Dunod Ed, 170p. 658-Seyle, H, (1962), Le stress de la vie, Paris, Gallimard Ed,400p. 9Marty, P, (1990), La psychosomatique de l’adulte, Paris, Presses Universitaires de France Ed, 70127 p. Faire parler son corps plutôt que dire, exprimer sa souffrance est quelque chose qui est présent depuis l’aube des 35temps. Et tout cela s’explique par le fait que l’être humain est un être tout entier psychosomatique. Or, pendant longtemps, on a cru en la dichotomie psyché/soma et ce n’est que récemment 40que l’on a compris le lien indissociable du corps et de l’esprit ; ainsi tout paraît plus clair et plus saisissable. AFDG – Lettre de Psychogériatrie - 2011 Page 5