LE SUJET DE L’ACTIVITE Ou la théorie de l’activité selon S.L. Rubinshtein К.А. Аbul’khanova Introduction Le présent article propose un commentaire (au sens large du terme) scientifique et théorique des travaux de l’éminent psychologue russe Sergei Leonidovich Rubinshtein, qui sont publiés aujourd’hui en France à l’aimable initiative de nos collègues français. Cette édition offre un échantillon représentatif des travaux que Rubinshtein a produits tout au long de sa carrière. Il nous a semblé indispensable de présenter au lecteur le concept du sujet de l’activité dans sa continuité historique et logique, tel que l’auteur l’a développé et enrichi, et d’en donner les grandes lignes à chaque étape clé de son élaboration. Toute l’originalité et le paradoxe aussi de la théorie de Rubinshtein tient au fait que, contrairement à ce qui est de mise d’ordinaire, il nous livre dès ses tout premiers travaux les fruits d’une réflexion poussée et éprouvée. Philosophe de formation et dans son approche, Rubinshtein était éminemment instruit en sciences humaines, ainsi qu’en sciences naturelles, en mathématique et en physique. Il fut très tôt l’auteur d’une conception philosophique de l’anthropologie et de l’ontologie entièrement nouvelle, qui compte aujourd’hui encore parmi les plus fondamentales. A l’inverse de ce qui se pratique généralement dans le domaine du savoir scientifique, Rubinshtein n’est pas parti du plus simple, du plus élémentaire, du plus descriptif pour aller au plus complexe, au plus élaboré, au plus argumenté. Son cheminement l’a conduit de la philosophie et de son abstraction constitutive à la psychologie et à son aspect concret si complexe et multiforme. C’est ainsi que la théorie du sujet de l’activité a pu prendre la dimension d’un système qui s’est enrichi de nouveaux éclairages et de nouvelles perspectives de recherche. Le développement de cette théorie s’est articulé autour de quatre axes : 1. l’axe de la méthodologie philosophique (celle-ci s’est d’abord appuyée sur Hegel et Kant puis sur les premiers écrits de Marx concernant l’homme, avant d’intégrer les idées de l’existentialisme, la phénoménologie de Husserl, les théories philosophico-anthropologiques et éthiques faisant une critique des derniers travaux de Marx et, enfin, une interprétation socio-philosophique personnelle de la tragédie du « réel socialisme ») ; 2. l’axe logico-scientifique lié à la crise qu’ont traversée la psychologie internationale puis la psychologie soviétique, confrontées aux difficultés de la connaissance du psychisme ; 3. l’axe de la recherche empirique menée sous la direction de Rubinshtein ; et 4. l’axe de la synthèse qui lui a permis d’utiliser, sous une forme nouvelle, tous les résultats de la psychologie internationale en les intégrant dans son nouveau système. On pourrait ajouter un cinquième axe, à la fois positif et négatif par sa portée. C’est le pluralisme intellectuel et scientifique qui a toujours existé en Russie, malgré l’autoritarisme du régime. 1 Héritier des théories et de la pensée de certains psychologues russes (А.F. Lazurskii, N.N. Langе, I.М. Sechenov, М.Ia. Basov et autres), Rubinshtein a développé un consensus scientifique et une relation de coopération avec notamment D.N. Uznadze, B.G. Аnan’ev, V.N. Miasishchev, V.S. Merlin, et a objectivement orienté à travers ses idées les travaux de personnalités telles que A.N. Leont’ev, A.V. Zaporozhets et A.A. Smirnov. C’est dans ce contexte que Rubinshtein a proposé une élucidation du psychisme, de la personnalité et de l’activité, se démarquant ainsi foncièrement de L.S. Vygotskii. Leont’ev a commencé à travailler avec Rubinshtein sur cette dernière question, puis désireux d’acquérir une indépendance scientifique, il s’est tourné vers les idées de Vygotskii, ce qui a débouché sur la création et la confrontation de deux écoles. Aujourd’hui encore, on distingue conceptuellement la théorie de l’activité de Vygotskii et de Leont’ev, entre autres, et celle de « l’activité orientée sujet » de Rubinshtein, Uznadze et Anan’ev notamment, qui reposent sur deux conceptions différentes de l’activité. (Ce débat, qui était à la fois ouvert et latent et dont on doit reconnaître le mérite, reflète la liberté de pensée qui existait sous notre régime totalitaire, tant que les questions en jeu n’avaient pas de caractère idéologique). L’évolution récente nous permet et nous oblige même à présenter au lecteur la théorie de Rubinshtein et à la mettre en regard de celles de Vygotskii et de Leont’ev. Il sera alors possible de tirer des conclusions quant à leur contenu et d’avoir une vision globale de la problématique de l’activité et du sujet de l’activité dans la psychologie soviétique et contemporaine. Il est important de souligner que la structure et la logique du présent article sont dictées par le fait que la théorie de Rubinshtein a, peut-on dire, trois dimensions : 1. son contenu propre, 2. les développements et les applications (c’est-à-dire le prolongement et la concrétisation) qu’elle a trouvés au sein de son école et 3. ses répercussions sur l’élaboration de la question de l’activité qui joue aujourd’hui un rôle paradigmatique central dans le développement de la psychologie russe et dans ses perspectives (aspect que se propose modestement de traiter la seconde partie de cet article). 1. Contexte historique Rubinshtein est l’auteur d’une théorie du sujet de l’activité (de l’unité de la conscience et de l’activité) enracinée dans la philosophie, que l’on peut qualifier de considérable du point de vue de sa portée et de ses perspectives. Cette théorie a su tirer parti de ce que la psychologie internationale offrait de mieux, elle a permis un développement systémique de la psychologie russe et a réussi à conjuguer développements théoriques et développements empiriques à une période critique de notre histoire, celle des années 30-40. Dans les années 50, Rubinshtein a travaillé sur l’approche philosophique de l’homme en tant que sujet ; cette approche, qui recèle un potentiel méthodologique considérable, a défini ce qui est devenu aujourd’hui un nouveau paradigme de la psychologie (qu’il s’agisse de la psychologie générale, sociale, de la personnalité, du travail, de l’ingénierie ou de la créativité) (Abul’khanova, 1973, 2005 ; Anan’ev, 1968 ; Abul’khanova-Slavskaia, Brushlinskii, 1989 et autres). Rubinshtein ayant développé le concept de sujet et le principe de l’unité de la conscience et de l’activité tout au long de sa carrière scientifique, nous présenterons ici les étapes clés et les principales articulations de ce développement. Les années 20 - première étape 2 Partant de son approche originale du sujet, de l’anthropologie et de l’ontologie philosophiques, Rubinshtein analyse la crise que connaît la psychologie internationale au début du siècle et montre qu’elle découle de la rupture et de l’opposition entre conscience et activité, avec d’un côté une absolutisation de la conscience par l’un des courants de la psychologie et, de l’autre, une absolutisation du comportement de la part du behaviourisme qui rompt avec la conscience1. Rubinshtein élabore alors le principe de l’unité de la conscience et de l’activité, qui jouera un rôle crucial dans la résolution de cette crise. Voici ce qu’il dit de cette unité : « La conscience se manifeste et se développe dans l’activité », telle est la position soutenue dans l’article intitulé « Le principe de l’activité du sujet dans sa dimension créative », dont la formulation à elle seule suppose que le sujet possède une conscience et est l’auteur de l’activité (Rubinshtein, 1922). On trouve déjà cette position dans quelques courts extraits de manuscrits datant des années 20 qui n’ont jamais été publiés (Lomov, 1989). Cet énoncé si lapidaire sous-entend : 1. une distinction qualitative dans ce qui fait la spécificité de la conscience et de l’activité ; 2. une interprétation de l’activité en tant qu’activité pratique ; 3. une interaction entre la conscience et l’activité, c’est-à-dire une relation directe et réciproque de l’une à l’autre. « Ne voir dans les actes que les manifestations du sujet, tout en niant la rétroaction qu’ils exercent sur celui-ci, revient par conséquent à détruire l’unité de la personnalité… En effet, par ses actes - ceux de son activité considérée dans sa dimension créative, le sujet non seulement se révèle et se manifeste, mais encore il se crée et se détermine. » (Rubinshtein, 1997, p. 438)2 ; 4. un rôle distinct pour la conscience et pour l’activité qui ont chacune une fonction propre ; 5. la manifestation de la conscience dans l’activité et le rôle de l’activité dans le développement de la conscience, c’est-à-dire un principe de développement en rapport direct avec les idées de Piaget et Janet. Il faut toutefois remarquer qu’à ce stade de son élaboration, le principe de l’unité de la conscience et de l’activité visait essentiellement à trouver une issue à la crise que traversait la psychologie. Les années 30 - deuxième étape Parmi les principaux travaux de cette période, il convient de citer l’article «Problemy psikhologii v trudakh Karla Marksa » (Questions relevant de la psychologie dans les travaux de Karl Marx) (Rubinshtein, 1934) et la monographie « Osnovy psikhologii » (Les fondements de la psychologie) (Rubinshtein, 1935). Les idées qu’ils développent peuvent se résumer ainsi : 1) Rubinshtein fait de la personnalité le maillon qui unit concrètement la conscience et l’activité. Il concrétise et complexifie son tout premier modèle et pose le problème de la relation de la conscience avec la personnalité et de la personnalité avec l’activité. 2) La formule de l’unité de la conscience et de l’activité devient le principe de l’unité de la personnalité (celle-ci ayant une conscience, des capacités, des besoins et des 1 Dans son article « Istoricheskii smysl psikhologicheskogo crizisa » (Réflexion historique sur la crise de la psychologie) rédigé en 1924 et publié en 1981, Vygotskii émet l’hypothèse que cette crise résulte non pas d’une contradiction interne à la psychologie mais au lien entre théorie et pratique. (Vygotskii, 1981, Т.1, p. 291 à 436). 2 . Les travaux de Rubinshtein sont référencés en fonction de l’année de leur parution, mais les citations sont tirées des éditions les plus récentes. 3 3) 4) 5) 6) 7) 8) ambitions) et de l’activité. Dans cette nouvelle conceptualisation, Rubinshtein pose le sujet comme celui qui réalise cette unité. Il écrit : « L’homme devient véritablement un sujet et donc une personnalité en devenant sujet de la pratique dans sa relation à l’objet de l’activité qui est toujours une relation sociale médiatisée par sa relation aux autres, » (Rubinshtein, 1935, p. 132).3 Rubinshtein concrétise le concept général d’activité en passant au concept de « travail » (s’appuyant, de toute évidence, pour cela sur la théorie de Marx) ; il définit ce concept à la fois comme la production d’objets et comme les relations sociales entre les individus4. Dans la personnalité entrent non seulement la conscience mais aussi deux forces motrices essentielles, les besoins (ambitions) et les capacités. La conscience de même que la personnalité se développent dans l’activité. Rubinshtein considère que la conscience et l’activité ont plusieurs niveaux : « le niveau de la conscience peut dépasser le niveau de l’activité. » (Rubinshtein, 1997, p. 52). La nature du travail est déterminée non seulement par les relations sociales, mais également par la personnalité qui met en jeu sa propre relation à l’activité, cette relation se développant tout au long de la vie de la personnalité. La personnalité n’est pas déterminée de manière univoque par les relations sociales ; elle les médiatise par son propre rapport aux autres individus. Si, dans les années 20, Rubinshtein écrit dans « Le principe de l’activité du sujet dans sa dimension créative » que la conscience se manifeste et se développe dans l’activité, il s’intéresse dans les années 30 à la façon dont la personnalité douée de conscience se manifeste et se développe dans l’activité. La personnalité s’exprime soi-même dans l’activité, elle est véritablement sujet. « La conscientisation de l’activité – c’est-à-dire des conditions dans lesquelles elle se déroule et des buts que la personnalité se fixe – modifie les conditions de son déroulement ainsi que le cours et la nature de cette activité ». (Rubinshtein, 1997, p. 57)5. On assiste à une complexification des éléments de ce modèle et de leurs liens, ainsi qu’à un élargissement de leur contexte : l’activité en tant que travail s’inscrit dans les rapports sociaux et la personnalité, c’est-à-dire dans tout l’itinéraire de la vie dans lequel l’activité occupe une place définie. Ce modèle très abouti intègre et synthétise une masse considérable de données théoriques et empiriques de la psychologie et révèle tout leur apport. Dans son premier ouvrage, « Les fondements de la psychologie », Rubinshtein écrit : « Notre travail consiste à passer tout un matériel psychologique existant au crible d’une méthodologie unique et à ne la présenter que sur la base de résultats concrets. » Les travaux de Rubinshtein constituent un laboratoire, un atelier de réflexion scientifique et théorique. Le principe de l’unité de la Citation extraite du premier ouvrage de Rubinshtein, qui n’a jamais été réédité. Cette concrétisation a une importance fondamentale : elle montre le caractère objectif et socialement indispensable de l’activité en tant que travail, dans laquelle la personnalité doit s’inclure pour réaliser son activité individuelle. Il faut souligner l’audace dont a fait preuve Rubinshtein en conservant le concept d’activité en tant que travail, alors qu’au milieu des années 30, l’interdiction de la psychotechnique et de la psychologie du travail signifiait l’arrêt de l’étude de l’activité du travail (que de nombreux psychologues soviétiques avaient commencé à analyser) (Umrikhin, 1989). Le fait de considérer l’activité comme travail a revêtu en soi une grande importance, car la majorité des psychologues qui s’étaient tournés vers l’étude de l’activité de l’enfant et du jeu avaient abandonné les caractéristiques liées à la catégorie marxiste du travail . 5 Les première et deuxième éditions (1973 et 1976) de « L’homme et le monde », qui font partie des œuvres complètes de Rubinshtein, contiennent des articles uniques d’un point de vue bibliographique et sont devenues introuvables. Les citations sont donc extraites de la troisième édition (celle de 1997) publiée en un seul volume. 3 4 4 conscience et de l’activité a été d’une grande valeur opérationnelle pour la conduite des recherches expérimentales. Le fait de modifier les conditions de l’activité et de faire varier les tâches au cours des expériences a permis de mettre en évidence la régularité des phénomènes psychiques et de voir ces phénomènes changer de nature et développer une qualité nouvelle. Les collaborateurs de Rubinshtein et de nombreux autres psychologues ont étudié les principes de fonctionnement de la sensorialité, de la mémoire, du langage et des capacités (Rubinshtein, 1940). Dans les années 30, malgré la pression idéologique exercée sur la psychologie et les psychologues, Rubinshtein a pu – grâce au principe de l’unité de la conscience et de l’activité – faire une synthèse de tout le système de connaissances de la psychologie et a ouvert de nouvelles perspectives pour les recherches théoriques et expérimentales. Cependant, on assiste à la même époque à une opposition, en apparence insurmontable, entre les deux grandes théories alors en vigueur, celle de Rubinshtein et celle de Vygotskii, opposition qui marqua la psychologie pendant de nombreuses années. Avec le recul, nous pouvons analyser et comparer ces deux théories à la lumière des idées de la psychologie contemporaine. Vygotskii a fondé sa théorie sur une comparaison du psychisme humain et animal en mettant l’accent, d’une part, sur le développement ontogénétique du psychisme, d’autre part, sur le rôle de la culture dans son développement. Cette théorie avait initialement pour but de définir l’objet de la psychologie (Vygotskii, 1956). La théorie de Rubinshtein visait pour sa part une intégration de tous les niveaux de la psychologie – théorique, empirique et pratique – et cherchait avant tout à élucider le système complexe de la psychologie. Elle voulait enfin proposer une stratégie (une méthodologie au sens large et des méthodes concrètes) d’étude scientifique (Аbul’kanova-Slavskaia, 1980b ; Аbul’khanovaSlavskaia, Brushlinskii, 1989). La première question soulevée par ce débat – qui reste d’actualité – était de savoir si la théorie de Vygotskii était effectivement une théorie de l’activité (comme l’ont soutenu A.N. Leont’ev ainsi que ses collaborateurs et successeurs) et quelle était dans ce cas la théorie de Rubinshtein. La seconde était de savoir si Vygotskii était un expérimentateur et Rubinshtein, un théoricien et méthodologiste. Vygotskii a été considéré comme le tenant de la théorie de l’activité pour deux raisons. Fondant l’origine du psychisme sur la culture, il a fait du concept de signe l’outil spécifique permettant le passage des fonctions inférieures aux fonctions supérieures du psychisme. Parce que Vygotskii avait qualifié d’« activité » l’usage que l’animal fait de l’outil, ses successeurs en sont venus à affirmer que cette représentation incluait aussi l’activité humaine. La seconde raison tient au fait que Leont’ev, dans la théorie qu’il a développée, a placé l’activité en lieu et place de la culture. Leont’ev est effectivement un auteur de la théorie de l’activité. Sa théorie, nous le verrons, se rapproche dans sa première partie (première phase) de celle de Rubinshtein, mais s’en écarte par la suite. Comparaison des modèles de Vygotskii et de Rubinshtein : 5 Rubinshtein Dans ce modèle : Il y a interaction entre la personnalité adulte et l’activité (le travail) (Rubinshtein, 1940). La personnalité a non seulement une conscience, mais aussi des besoins (des motifs), des ambitions et des capacités, c’est-à-dire des qualités qui assurent la réalisation de l’activité et qui se développent dans l’activité. Cela englobe les incitations (ou mobiles) de la personnalité, les mécanismes et les moyens d’effectuer l’activité. La personnalité est tournée vers l’activité, et l’activité ne détermine pas à elle seule la personnalité. Le rapport de la personnalité à l’activité et le développement de la personnalité dans l’activité sont déterminés par l’itinéraire de toute une vie. Vygotskii Dans ce modèle : L’usage du signe, par analogie avec l’outil chez l’animal, assure le développement des fonctions supérieures du psychisme, le passage des fonctions inférieures (naturelles) aux fonctions supérieures. Le psychisme résulte non pas de l’activité, mais de la culture et de son intériorisation6. Il n’y a pas d’interaction, de relation rétroactive entre le psychisme et la culture. L’outil est analogue à un signe, à un une activation mentale, mais n’est pas constitutif de l’activité. La préoccupation majeure de Vygotskii est de définir l’objet de la psychologie et l’origine du psychisme et non l’activité de la personnalité. Rubinshtein estimait que la théorie de Vygotskii portait sur l’origine du psychisme ou le développement de l’intelligence chez l’enfant par la transformation d’un psychisme naturel en un psychisme culturel. L’outil était dès lors assimilé à un signe (au langage), non à un élément constitutif de l’activité.7 En 1940, A.R. Luriia et Leont’ev saluèrent la contribution de Vygotskii aux recherches expérimentales menées dans le domaine de la mémoire, de la pensée et du langage hors du champ de l’activité8. Ils portèrent encore la même appréciation en 1956 (Luriia, Leont’ev, 1956). Néanmoins, naquit plus tard la légende selon laquelle Vygotskii aurait été l’auteur d’une théorie de l’activité9. Rubinshtein développe un système structuro-fonctionnel complexe dans lequel la personnalité – qui a une conscience, des besoins et des capacités – est en interaction avec l’activité. La personnalité réalise une activité dans laquelle elle se développe en fonction du rapport qu’elle entretient avec celle-ci et qui s’est constitué tout au long de sa vie. S’agissant de l’objet de la psychologie et du développement psychique chez l’enfant, Vygotskii met lui en évidence l’origine culturelle du psychisme (la nature de signe pour ce dernier) (Vygotskii, 1956, 1982). Le concept d’intériorisation est resté une espèce de métaphore au sein de l’école de Vygotskii, nul n’ayant défini, ni étudié les mécanismes associés. 7 « Rubinshtein souligne à juste titre que l’absolutisation du mot, du signe en tant que force motrice, démiurge du développement historique et en particulier psychique de l’homme, est largement répandue dans les travaux de E. Cassirer, V. Stern, K. Bühler, H. Delacroix et E. Tolman. » (К.А. Аbul’khanova-Slavskaia, А.V. Brushlinskii. 1989, p. 101) 8 Psikhologiia. BSE. М. 1940. Livre 47, p. 541 à 548. 9 Cela peut s’expliquer par le fait que Leont’ev, qui fut le successeur de Vygotskii, placera l’activité à la place de la culture et qu’il s’intéressera à la structure psychologique de l’activité. 6 6 Qualifier Vygotskii de tenant de la psychologie expérimentale et Rubinshtein de pur théoricien ne résiste pas à l’épreuve des faits. La théorie de Vygotskii repose exclusivement sur les expériences de Sakharov, et on ne peut vraiment pas comparer ces élaborations empiriques mineures (expérimentations du reste artificielles) avec les séries d’études expérimentales menées des années durant sous la direction de Rubinshtein. Les années 40 - troisième étape A cette époque, la question et la catégorie de l’activité prennent une dimension proprement psychologique. L’implication de la personnalité dans l’activité en tant que travail, en tant qu’activité sociale et la façon dont la personnalité exécute cette activité n’est plus ce qui prime. L’intérêt se porte sur ce que l’on pourrait appeler aujourd’hui le mode de réalisation de l’activité lié à l’organisation des mouvements, des actions et des opérations et associé à la structure motrice et corporelle de la personnalité. En collaboration avec Leont’ev, Rubinshtein met au point un modèle de la structure psychologique de l’activité. Toutefois, ces hommes de science vont emprunter des voies différentes pour accomplir la tâche qu’ils se sont fixée. Rubinshtein cherche à découvrir les relations complexes, à plusieurs niveaux et fonctionnellement évolutives entre les composantes de l’activité dans le processus de son déroulement. Il concrétise de manière complète un modèle dynamique de l’activité. Son analyse se déploie dans plusieurs directions et combine plusieurs échelles : la nature de l’activité à l’échelle de l’itinéraire d’une vie, au cours duquel différentes formes d’activité se déroulent ; plus concrètement, l’échelle des tâches que se fixe la personnalité dans l’activité ou qui apparaissent dans la vie et se résolvent dans l’activité ; l’échelle des opérations correspondant aux moyens utilisés pour résoudre les tâches ; et l’échelle de l’organisation de la personnalité dans l’activité, c’est-à-dire des motifs, des buts, des capacités ainsi que des mouvements et des actions. Le modèle de Rubinshtein se présente ainsi : 1. Différentes formes d’activité jalonnent tout l’itinéraire d’une vie et la personnalité résout différentes tâches. 2. La structure de l’activité fait intervenir des actions de différents types et de différents niveaux qui, par les mouvements et les opérations, assurent l’exécution des tâches. 3. La tâche est la conjonction des buts, des conditions et des exigences de l’activité. 4. L’activité se compose d’un ensemble de tâches résolues par la personnalité au moyen d’actions10. Il faut préciser que Rubinshtein a essayé non seulement de bâtir un système fonctionnel de l’activité (avec ses dimensions et ses échelles différentes), mais aussi de trouver la « molécule » matérialisant ce système, son « mécanisme » en quelque sorte. Il appelait cette molécule « l’unité » de l’activité et considérait qu’il s’agissait de l’action. Toutefois, comme le montre le développement ultérieur de sa théorie de l’activité, Rubinshtein a totalement abandonné ce principe d’analyse pour les raisons suivantes : le concept même d’« unité » suppose une approche analytique et exclut le système dans son intégralité ; l’action ne rend absolument pas compte de la diversité ni de la complexité de tous les éléments du système, ni – ce qui est plus important - des différentes échelles auxquelles sont examinées l’activité. Nous pensons que cette démarche était effectivement peu constructive, même si la constitution d’un tout à partir d’un élément est apparue appropriée à un certain nombre 10 7 5. Les tâches et leur nature dépendent des ambitions de la personnalité, de ses motifs et du jugement qu’elle porte sur ses réalisations, ses réussites et ses échecs (Rubinshtein, 1940, p. 469 à 474) ; elles dépendent également de la multiplicité des conditions (le devoir, l’affirmation de soi, les valeurs morales, etc. font partie des motifs de la personnalité et sont liés à ses ambitions). Dans « Les fondements de la psychologie générale » (1940), Rubinshtein introduit un concept nouveau et véritablement constructif, « l’acte », ce qui mérite d’être souligné. L’acte n’est pas une unité de l’ordre du comportement ou de l’activité. L’acte est la réalisation d’une position de la personnalité dans sa vie et de sa relation aux autres (individus et situations) ainsi qu’un changement radical de cette personnalité. Le concept d’acte renvoie essentiellement à la relation active de la personnalité aux autres, et pas seulement à la relation aux objets (produits, etc.) de l’activité. L’acte est à l’initiative du sujet, il reflète la volonté, l’audace, la liberté de la personnalité par rapport aux conditions, il change objectivement la « répartition des forces vitales ». Pour Rubinshtein, l’élément déterminant de l’activité est la personnalité. Pour Leont’ev, c’est l’objet qui définit la nature de l’activité. Avec la mise en avant de l’objet, Leont’ev (à la suite des philosophes) insiste sur la transformabilité de la nature par l’homme et non sur sa réalité, sa naturalité (Leont’ev, 1965). Comparaison des modèles de Rubinshtein et de Leont’ev Rubinshtein Construction d’un système fonctionnellement dynamique, avec : Diversité des ambitions de la personnalité ; Influence des ambitions sur la diversité des motifs ; Enchaînements de mouvements, d’actions, d’opérations, de tâches ; Variabilité des conditions et, comme résultat de leur combinaison avec les buts, multiplicité des tâches dans Leont’ev Description de la structure de l’activité soulignant : Son orientation objet (predmetnost’) et le caractère incitatif des motifs11; La non-implication de la personnalité dans les buts, donc l’absence du sujet ; La rigidité du schéma (la structure de l’activité s’articulant autour du but, du moyen et du résultat). de psychologues et a été associée à ce que Pavlov présentait comme « l’unité » de toute sa théorie, à savoir le réflexe conditionné, et à ce que Marx a appelé la marchandise. 11 Leont’ev en vient à assimiler le motif et l’objet de l’activité. Il écrit : « dans la terminologie que je propose, l’objet de l’activité est son motif réel » (Leont’ev, 1975, p. 102-103.. Cette assimilation manifeste, à notre avis, une incompréhension de la part de Leont’ev qui ne distingue pas l’orientation objet, qui est une propriété de l’activité humaine et sociale, et le motif qui est un élément constitutif de l’organisation de la personnalité, une faculté qui donne à la personnalité son caractère actif. Les caractéristiques psychologique et socio-philosophique de l’activité sont ici mêlées. Les motifs sont d’une telle diversité qu’il est impossible de les corréler avec des objets (le motif « acheter » ne dit rien de l’objet visé par l’achat, sans parler de motifs tels que « se venger », « progresser », etc.). Cette assimilation montre également à l’évidence que Leont’ev ne lie pas l’activité aux relations entre les individus, ce sur quoi Rubinshtein n’a cessé d’insister (même si dans « Essai sur le développement du psychisme », Leont’ev utilise le concept de « division du travail » pour caractériser les relations sociales. Cf. Leont’ev, 1947). Il a confirmé cette position des années plus tard, affirmant que la communication a la même structure que l’activité. Comme l’a montré Lomov, la communication est effectivement liée à l’activité par des relations des plus complexes et d’un type différent. (Lomov, 1981, 1984). 8 l’activité. Il est particulièrement notable que pour Rubinshtein, la personnalité n’est pas fermée sur soi ; elle est ouverte sur l’activité à travers ses motifs, ses buts et ses orientations (de jugement, de réussite, etc.), de même que l’activité est ouverte sur la personnalité. Il met ainsi en lumière le système personnalité-activité. La question qui se pose alors est de savoir quelle est la place du sujet dans ce système. La multiplicité des relations fonctionnelles et l’introduction dans ce modèle du concept de tâche résolue par la personnalité permettent de parler du sujet comme un moyen de réalisation de l’activité (ou, pour employer la terminologie actuelle, un moyen d’organisation de l’activité en tant que qualité nouvelle de la personnalité dans l’activité). La personnalité devient sujet lorsqu’elle résout plusieurs tâches. Elle ordonne la hiérarchie, la succession des tâches selon leur importance, leur niveau, etc., de sorte que l’activité acquiert son intégrité, devient un système en développement. L’unité de la personnalité et de l’activité se manifeste ainsi dans les multiples liens et l’interaction qu’assure le sujet entre l’une et l’autre. Les années 50 - quatrième étape Si dans les années 20 et 30 Rubinshtein s’interroge essentiellement sur la façon dont se manifestent et se développent le psychisme puis la personnalité dans l’activité, il les considère à partir des années 40 comme des éléments à part entière de l’unité de la conscience et de l’activité. Comment expliquer alors que l’accent ait été mis au départ sur l’activité en tant que le psychisme et la personnalité ne feraient que s’y manifester ? Cela correspond à un temps plus ancien de la psychologie où l’on considérait naïvement, au regard des connaissances de l’époque, que le psychique comme le subjectif ne pouvaient s’étudier qu’à partir de quelque chose d’objectif dans leur manifestation, et que donc l’activité humaine n’était que l’une de ces manifestations objectives.12 On peut penser que l’élucidation du psychisme, de la conscience n’avait pas encore totalement résolu la question du subjectivisme et que leur nature ontologique, leur essence n’avaient pas été découvertes. De cette nature ontologique on ne pouvait juger, semble-t-il, qu’à travers les manifestations de quelque chose de plus objectif, soit dans l’activité soit en référence aux processus physiologiques. Dans les années 50, Rubinshtein pose le problème de l’objectivité du psychisme, c’està-dire de son essence propre. Il le résout dans un premier temps en proposant une nouvelle conception du principe du déterminisme (nouvelle par rapport à l’interprétation que donne la philosophie du déterminisme, c’est-à-dire une relation de cause à effet). Nous sommes désormais à la fin de la décennie (Rubinshtein, 1957). Selon cette conception, les causes extérieures se médiatisent dans les conditions internes spécifiques, les lois de tel corps ou tel phénomène sur lequel elles exercent une influence. En d’autres termes, les conditions internes (Rubinshtein entendant par conditions internes l’organisation psychique) modifient 12 A partir des années 30, la psychologie se pose très clairement la question de la méthode de connaissance des phénomènes psychiques. Même Teplov, l’un des psychologues russes faisant à l’époque autorité, estime que l’objectivité de la méthode d’étude du psychisme est possible à condition de se limiter aux phénomènes physiologiques qui sont les plus objectifs, les mieux observables et mesurables en situation d’expérience (Teplov, 1953). C’est pourquoi à la fin des années 40 (sous l’influence de la théorie pavlovienne), certains ont tenté de remplacer la psychologie par une physiologie de l’activité nerveuse supérieure favorable, elle, à une étude objective. 9 objectivement ce qui exerce une influence sur elles de l’extérieur. Les conditions internes deviennent à leur tour des causes qui modifient les conditions extérieures. De cette conception du déterminisme il s’ensuit que le psychisme, la conscience sont actifs et possèdent une sélectivité propre ; ils ne se contentent pas de se manifester dans l’activité, ils en changent le cours et la nature. Les phénomènes psychiques opèrent en tant qu’ils sont conditionnés (par exemple, par des causes ou des phénomènes physiologiques ou sociaux) mais aussi en tant qu’ils conditionnent, c’est-à-dire en tant qu’ils interviennent activement et objectivement comme causes d’autres phénomènes (Rubinshtein, 1957). C’est peu de temps après que Rubinshtein apportera une réponse philosophique au problème de l’objectivité du psychisme. Dans « L’homme et le monde » (1973), il développe une conception originale de l’anthropologie philosophique qui met en lumière la nature et la spécificité ontologique et donc objective de l’être de l’homme. Il affirme ainsi que toutes les sphères de l’être ont une nature interne spécifique propre (Rubinshtein, 1973). Cette conception du déterminisme qu’expose Rubinshtein dans « L’homme et le monde » trouve son fondement dans la philosophie : sont objectifs à la fois les choses, les objets et la nature – considérés comme objectifs et matériels par le marxisme – mais aussi tout ce qui est de l’ordre de l’esprit, du psychisme, de la conscience, c’est-à-dire du subjectif. Pour Rubinshtein, la multiplicité des manifestations de l’homme, toutes ses qualités, y compris ses qualités subjectives et psychiques sont objectives. L’activité pratique se distingue de l’activité idéelle ou théorique de la conscience, mais toutes deux ont une essence ontologique objective. Parce qu’elle modifie la réalité, la pratique était la seule à être jugée objective. Rubinshtein étend donc le concept d’objectivité à l’activité à la fois théorique, psychique et pratique. L’activité idéelle (théorique) et pratique sont deux capacités de l’homme en tant que sujet. Cet éclairage de la philosophie a permis à Rubinshtein de démontrer qu’en psychologie, le psychisme, la conscience se manifestent dans l’activité en la régulant, mais ont aussi une essence propre et précieuse en soi. Le paradoxe de cette démonstration tient à ce que Rubinshtein a prouvé l’objectivité du subjectif et de l’idéel en se fondant sur sa théorie ontologique et philosophique. Dans « L’homme et le monde », il démontre l’objectivité de l’être de l’homme en tant que niveau supérieur de l’organisation de l’être dans son ensemble. L’homme à qui jusqu’ici l’on substituait la conscience et que l’on opposait à l’objet, fait désormais partie de l’être. On peut comparer les théories de Rubinshtein et de Leont’ev des années 50 à partir de la représentation schématique suivante : Rubinshtein Leont’ev Il maintient le principe de l’interaction de la conscience et de l’activité, c’est-à-dire leur fonctionnement et leur rôle distinct. La conscience (ou le psychisme) et l’activité sont définies comme deux capacités du sujet. La conscience (ou le psychisme) est tout aussi objective que l’activité pratique, mais a une autre qualité, d’autres fonctions et possède un caractère actif. La théorie de Leont’ev remonte aux années 50. Elle se présente en deux volets : Le premier présente l’origine du psychisme, de la conscience qui est extérieure, qui découle de l’activité sociale : l’individu est au départ une « feuille vierge » (tabula rasa). Dans le second, l’activité sociale devient idéelle et est assimilée à l’activité réelle. Mais à cette époque, il n’y a pas chez Leont’ev de relation allant en sens inverse : du psychisme à la pratique. L’activité est 10 orientée uniquement vers l’objet et n’a pas de sujet13. La théorie de l’activité de Leont’ev comporte une contradiction qui n’a toujours pas été mise au jour et qui mérite d’être soulignée. Désireux d’appliquer l’approche marxiste à la psychologie, Leont’ev souligne le rôle crucial et décisif des déterminants sociaux et de l’activité sociale dans l’origine du psychisme, allant même jusqu’à identifier le psychisme (et plus tard la personnalité) avec l’activité sociale. Or, si le psychisme est effectivement cette activité (uniquement idéelle et intérieure), son implication, son rôle dans l’activité sociale qui l’a généré ne sont pas clairs. Ayant généré le psychisme, l’activité sociale s’efface en tant que réalité, ce qui annule son rôle. Notre analyse permet de tirer les conclusions suivantes : 1. Dans la phase initiale d’élaboration du principe de l’unité de la conscience et de l’activité, cette unité visait un but précis, comme Rubinshtein l’a lui-même fait remarquer ; elle posait un postulat bien avant de rendre compte d’une démonstration ou d’une découverte. Sa finalité était de trouver une élucidation et une sortie à la crise que traversait la psychologie mondiale, confrontée à la rupture entre conscience et activité. Ce postulat était toutefois implicitement sous-tendu par la conception que se faisait philosophiquement Rubinshtein du sujet, du lien entre conscience et activité. Cette conception est développée dans « Le principe de l’activité du sujet dans sa dimension créative », article paru en 1922 dont le titre annonce à lui seul la présence du sujet (Rubinshtein, 1922). Toutefois, il était impossible à l’époque de recourir au concept de sujet, puisqu’il était même interdit d’employer les concepts de personnalité et d’homme dans le domaine de la philosophie et dans une société où le prolétariat et les masses régnaient en maîtres. En outre, Rubinshtein devait encore passer de la catégorie philosophique du sujet à sa concrétisation dans la psychologie. 2. Chaque étape ultérieure fut l’occasion pour Rubinshtein de continuer à concrétiser sa conception des fonctions de la conscience (ses rôles de régulation et de reflet et ses qualités en tant qu’idéelle et subjective) et de l’activité en tant que travail (travail du scientifique, de l’inventeur, etc., c’est-à-dire les différentes formes d’activité professionnelle). Ce travail de concrétisation était toutefois encore insuffisant pour découvrir plus avant la relation entre conscience et activité. Cette relation n’a été mise au jour que lorsque la conscience a été considérée comme appartenant à la personnalité (sa capacité) et l’activité comme pouvant être réalisée par la conscience. La personnalité est alors devenue le fondement de la relation entre conscience et activité, prises non pas comme deux substances, mais comme différentes formes de la manifestation du caractère actif de la personnalité, à savoir la forme subjective, idéelle (conscience) et la forme pratique. Ce sont deux types différents de relations et d’interactions entre l’homme et le monde. Comme nous l’avons déjà souligné, ce travail de concrétisation a permis à la psychologie soviétique de devenir une discipline véritablement scientifique. Se basant sur le principe de l’unité de la conscience et de l’activité, de nombreuses recherches ont été menées pour étudier le rôle de l’activité (de ses En 1975, Leont’ev a « complété » sa théorie avec l’« extériorisation » qui désigne la relation réciproque entre la conscience et l’activité, l’influence exercée par la première sur la seconde, la manifestation de la conscience dans l’activité (Leont’ev, 1975). Dès les années 20, Rubinshtein a affirmé la manifestation, l’objectivisation, c’est-à-dire l’« extériorisation » du psychisme dans l’activité. C’est précisément ce que fait remarquer avec humour Brushlinskii, élève de Rubinshtein, en disant : Leont’ev a « complété » Rubinshtein…et de concert ( !) avec Rubinshtein, il a complété ainsi sa propre conception des idées de Rubinshtein. (Brushlinskii), 1994). 13 11 transformations et de ses tâches) dans son influence sur le psychisme (langage, mémoire, pensée, etc.) et sur le développement de ce dernier.14 3. La comparaison des théories de Rubinshtein avec celles de Vygotskii et de son successeur, Leont’ev, montre que : Vygotskii n’a pas développé une théorie de l’activité. Il a analysé l’origine du psychisme (par le biais de son intériorisation) qu’il a localisée dans la culture, dans le cadre d’une réflexion sur l’objet de la psychologie et sur le développement du psychisme de l’enfant. Le concept d’outil a pour lui valeur de signe dans la structure de la conscience. Leont’ev, à l’inverse, a défini et souligné le rôle déterminant de l’activité sociale dans l’origine de l’activité psychique, idéelle et intérieure, proposant comme composantes de la structure de l’activité, le but, le moyen et le résultat.15 Cependant, il n’a pas entrevu l’interaction entre l’activité extérieure (pratique) et l’activité intérieure (psychique, idéelle), puisqu’il a identifié la conscience avec l’activité, et n’a pas mis au jour le sujet, qui leur était si précisément associé. Nous en voulons pour preuve l’analyse de contenu que nous avons conduite sur l’emploi du terme « sujet » dans le livre de Leont’ev « Activité, conscience et personnalité » (1975). Cette analyse montre que pour cet auteur, le sujet est : 1) le sujet de la pensée, 2) le sujet de la pratique, 3) le sujet matériel, 4) ce qui est intérieur, 5) le sujet dans son appartenance à une classe, 6) le sujet biologique, etc. On ne trouve pas le concept psychologique général de sujet, ni les critères le définissant, pas plus que la notion de sujet de la conscience et de l’activité (Abul’khanova-Slavsakaia, 1980a). L’intérieur est semblable à l’extérieur (« une copie »), n’est que son « appropriation » (de l’expression même de Leont’ev) ; il est donc fermé sur lui-même (Leont’ev, 1975). Leont’ev ne s’est pas intéressé au rôle du psychisme, de la conscience dans l’activité pratique réelle. Celle-ci « engendre » le psychisme puis « disparaît ». Cette conception de l’activité est donc restée abstraite. A la différence de Rubinshtein, Leont’ev considère, d’une part, que l’activité sociale, l’activité pratique réelle, est initialement dépourvue de toute composante psychique, d’autre part, que l’activité psychique une fois apparue, là encore n’intervient nullement dans la réalisation de l’activité pratique16. Le principe de l’unité de la conscience et de l’activité a eu une valeur opérationnelle et non abstraite, à la fois pour la théorie et pour l’expérimentation. Partant des principes de la méthode dite d’expérience naturelle mise au point par Lazurskii (1911), Rubinshtein a organisé les recherches de son équipe de sorte que les chercheurs mettent en évidence non seulement les particularités des processus et des fonctions psychiques en conditions naturelles, mais aussi les conditions et les tâches de l’activité effectivement réalisée qu’ils avaient pour tâche de contrôler. Malheureusement, cette méthode a longtemps été négligée (pendant plusieurs décennies) et n’a pas été utilisée en psychologie. Même dans les cas où il fallait vérifier des connaissances dans des situations concrètes, les données étaient d’abord recueillies en laboratoire, puis « appliquées » dans une activité. Il a fallu attendre ces dernières années pour voir des projets dans lesquels l’expérience et ses résultats sont directement « intégrés » à l’activité réelle, ce qui exige des modèles expérimentaux de haut niveau et de grande efficience (cf., par exemple, Lahlou, Nosulenko et Samoylenko, 2000). 15 Il faut préciser que la structure de l’activité proposée par Leont’ev est en fait empruntée à la philosophie ; il n’a fait que lui adjoindre le motif. 16 Dans le livre « Deiatel’nost’ i psikhologiia lichnosti » (« L’activité et la psychologie de la personnalité ») datant de 1980 (Аbul’khanova-Slavskaia, 1980а), nous avons analysé la théorie de l’activité de Leont’ev à la lumière de l’approche systémique alors utilisée en psychologie (dont Lomov était le promoteur). Nous pouvons dire en résumé que Leont’ev est parti d’un principe monocentrique de construction des catégories psychologiques pour définir l’activité, la conscience, la personnalité et la communication, tandis que Lomov, 14 12 Rubinshtein a développé une théorie du sujet de l’activité, riche par la multiplicité de ses facettes, de ses plans et de ses niveaux (tout en examinant l’activité à différentes échelles). Avec cette théorie - et là est son grand mérite -, Rubinshtein a su articuler harmonieusement l’activité sociale (avec ses caractéristiques en termes de travail), sa place dans la vie de la personnalité et l’activité individuelle dans l’organisation du psychisme et de la personnalité (dans son mode de réalisation), en recourant à la catégorie du sujet. Il s’agit ici du sujet que devient la personnalité lorsqu’elle intègre ses ambitions, ses motifs, ses capacités, ses buts et ses ressources (possibilités) dans les tâches et lorsqu’elle les résout par ses actions et ses actes. La personnalité en tant que sujet de l’activité est douée de capacités et de cette faculté d’être active qui lui permettent de se développer en tant que sujet en améliorant (objectivement) l’activité. Mais grâce à la capacité de conscience, la personnalité est aussi à l’origine d’une complexification des activités (et pas seulement de la production d’objets) ; ce n’est pas simplement un consommateur, c’est également l’auteur (comme l’on dit aujourd’hui) d’innovations, de créations d’œuvres et d’objets nouveaux et de son propre mode d’interaction finalisée avec le monde et autrui. 4. Les théories de Rubinshtein et de Leont’ev ont été confrontées dans le cadre du premier Congrès de la Société des psychologues de l’U.R.S.S. qui s’est tenu en 1957 et qui avait pour thème les capacités (Rubinshtein, 1960). La divergence de vues concernant les capacités reposait sur la différence fondamentale sous-tendant les théories de l’activité et l’évaluation du rôle de la détermination sociale dans ces théories. Rubinshtein a considéré l’origine naturelle des capacités et a soutenu que celles-ci appartenaient à la personnalité, au sujet. Leont’ev a réfuté, quant à lui, l’idée de conditions préalables naturelles, biologiques et a avancé que la conscience découle des moyens sociaux de l’activité orientée vers l’objet, donc de l’extérieur, en les mettant sur un même plan que les opérations (Leont’ev, 1965). Tous deux ont reconnu l’orientation objet (predmetnost’) de l’activité ainsi que le rôle du social. Rubinshtein, en revanche, a mis l’accent sur le rôle de la personnalité, de ses capacités et de ses dispositions. Leont’ev lui a totalement rejeté les capacités, comme on peut le voir dans l’ouvrage « Activité, conscience et personnalité » publié plus de dix ans après la mort de Rubinshtein où il n’en est nulle part question (Leont’ev, 1975). Rubinshtein a, pour sa part, mis en évidence les conditions préalables naturelles et les mécanismes de fonctionnement des capacités liés à la généralisation, dans son livre « L’être et la conscience » (1957). Traditionnellement, la généralisation est considérée comme un mécanisme d’acquisition de connaissance, de pensée. Or selon Rubinshtein, elle est inhérente aux capacités : c’est un mécanisme, un moyen dont se sert la personnalité pour révéler ce qui est pertinent pour elle. On comprend par conséquent qu’à l’image de la conscience qui détermine l’orientation essentielle de l’activité (en premier lieu le but), les capacités sont pour la personnalité un moyen essentiel et optimal de réaliser l’activité. Et ce moyen est individuel. poursuivant les idées de Rubinshtein, a choisi une pluralité de catégories et a mis en évidence leur spécificité, appliquant ainsi un principe polycentrique (Lomov, 1984). 13 Les années 1957-1959 - cinquième étape17 En incluant l’homme dans le monde et en mettant en évidence son être, sa vie, Rubinshtein a soutenu une affirmation paradoxale, celle de l’objectivité du subjectif, du sujet, lequel était jusqu’alors opposé à l’objet dans l’idéologie marxiste et échappait à la réalité objective. Considérer l’être du sujet, c’est le considérer dans le processus temporel de sa vie. On voit ici le point d’appui sur l’existentialisme et, en même temps, le point d’achoppement. Toutefois, l’idée même de l’existence – et chez Rubinshtein du moyen d’être – a été indubitablement impulsée par l’existentialisme (Sartre, Heidegger, etc.). Exister, c’est vivre, c’est être, c’est donc se réaliser objectivement. Mais la vie pour Rubinshtein n’est pas seulement l’existence, c’est aussi la réalisation par l’homme de son essence dans la vie (Rubinshtein, 1973). La catégorie du sujet est ainsi liée au moyen et à la dimension propres à l’homme de se réaliser, ce qui est plus global que l’activité. Elle est liée à l’être, à la vie dans laquelle l’activité occupe telle ou telle place. Le sujet, au sens de sujet d’un moyen d’être, occupe un rang « plus élevé » que les concepts plus concrets de sujet de l’activité, sujet de la communication ou sujet de la connaissance. On peut dire schématiquement que le sujet se trouvait sur un seul plan, avec la conscience et l’activité. Il est désormais placé à un niveau supérieur. Le sujet est une catégorie philosophique et une catégorie psychologique, par sa concrétisation : la personnalité est le sujet de tout l’itinéraire de sa vie, sujet auquel sont reliés de manière définie le sujet de l’activité, le sujet de la connaissance (de la pensée) et le sujet de la communication. Ces derniers sont des concepts de sujet différentiels. Ils possèdent non seulement cette faculté d’être actif inhérente au sujet, mais se distinguent aussi par leurs qualités (Abul’khanova, 1973, Abul’khanova-Slavskaia, 1980a). Il se produit ainsi un changement de paradigme tant dans la philosophie que dans la psychologie : on passe de « conscience et activité (travail) » à un autre paradigme : « le sujet (l’homme, la personnalité) doué de conscience qui réalise une activité, laquelle fait à son tour partie de son moyen d’être ». La catégorie de l’activité s’étend philosophiquement au concept de « la pratique en tant que moyen d’être de l’homme », elle se développe psychologiquement et se concrétise théoriquement dans le concept du sujet de l’activité, l’activité occupant une place définie dans la vie de la personnalité, laquelle devient à son tour un sujet par rapport à l’itinéraire de sa vie. Parce que la vie est soumise à des lois objectives (sociales, etc.) et que s’y mêlent des conditions dépendantes et indépendantes de l’homme, elle ne peut pas être totalement régie par les buts et les aspirations du sujet. Pour reprendre l’expression de Pierre Rabardel, la vie en tant qu’objet « résiste » au sujet (Rabardel, 1995, 2005, 2006). A leur tour, l’activité (le travail et d’autres formes d’activité), la communication et la connaissance « s’instaurent » dans la vie selon des rapports variables (en volume, en temps, en importance, en quantité de S’agissant de la dernière étape du travail d’élaboration scientifique de Rubinshtein, il est difficile d’établir une comparaison entre les idées de cet auteur et celles de Leont’ev. En effet, la théorie développée par Rubinshtein dans ses écrits de 1959 n’a été publiée qu’en 1973 sous le titre « L’homme et le monde » (ouvrage préparé par nos soins), et le livre de Leont’ev, « Activité, conscience et activité », est paru en 1975 alors que Rubinshtein n’était plus de ce monde. Il aurait été possible, comme l’a fait Leont’ev, de prendre les idées de Rubinshtein pour « retoucher » et étoffer la théorie de Leont’ev, ce qui n’aurait pas manqué de déformer et d’affaiblir la pensée de Rubinshtein. Qui aurait pu y voir une objection ?…Nous avons choisi en conséquence d’éclairer les derniers travaux de Rubinshtein sans les mettre en parallèle avec la théorie de Leont’ev. 17 14 travail). Toutefois, la personnalité en tant que sujet de l’itinéraire de sa vie n’accumule pas simplement ces « formes » d’activité, elle n’est pas juste prise dans le tourbillon des événements et des situations de la vie qui exigent des actions ; elle est aussi capable, en adoptant une position donnée, d’organiser sa vie, c’est-à-dire de structurer les tâches, les projets et les initiatives de premier et de second plan. La personnalité réagit donc d’une certaine façon par rapport aux circonstances de la vie ; elle les accepte, les rejette ou les modifie. Si antérieurement Rubinshtein (avec V.N. Miasishchev, 1960) soulignait le rôle de la relation de la personnalité à l’activité (intérêt, indifférence, etc.), il met désormais en jeu son précédent principe de l’activité du sujet. Il considère que la personnalité est l’artisan de sa vie et responsable de tout ce qu’elle « commet et manque » (Rubinshtein, 1957). Critiquant l’idée d’une activité sans sujet comme abstraction, Rubinshtein écrit : « Il y a l’activité, le but, les moyens et les outils de l’activité, et il n’y aurait pas d’acteur ou plutôt d’acteurs ! » (Rubinshtein, 1997, p. 60.) La lecture de Rubinshtein peut faire émerger une question, même si elle ne se formule pas d’emblée. N’a-t-il pas réfuté le principe de l’unité de la conscience et de l’activité en lui substituant le principe du déterminisme, puis l’approche ontologique de la question de l’homme, du sujet ? Dans « L’être et la conscience » (1957), Rubinshtein utilise les concepts d’« extérieur » et d’« intérieur », en mettant clairement l’accent sur le dernier. Dans « L’homme et le monde » (1973), apparaissent des concepts tels que « pâtir de », ce qui veut dire être assujetti à des influences, et « agir », (être pour autrui la cause de ses actions) et « être pour soi-même la cause de ». Même d’un point de vue purement terminologique, la catégorie du sujet de l’activité est formulée en des termes et par des concepts de causalité, de détermination. Autrement dit, le principe de l’unité de la conscience et de l’activité est organiquement combiné et se développe avec le principe du déterminisme et la catégorie du sujet. Le sujet est représenté par trois relations au monde, celles de la connaissance, de la contemplation et de l’action pratique. Ne craignant pas la critique marxiste du matérialisme contemplatif, Rubinshtein inclut dans la contemplation, la relation éthique et esthétique aux autres et à tout ce qui existe (Rubinshtein, 1973). L’analyse des relations éthiques entre les individus est un des axes majeurs des derniers travaux de Rubinshtein. Les relations éthiques sont les relations du sujet à l’autre en tant que sujet, ce qui suppose de reconnaître la spécificité et l’essence de cet autre sujet (c’est pourquoi Lomov les a désignées comme étant des relations sujet-sujet). Rubinshtein oppose parfois les relations éthiques aux relations sociales. Dans les relations sociales, les individus (dans certaines sociétés) apparaissent sous couvert de « masques », de fonctions, ils sont coupés de leur essence humaine. Cela leur ferme toute possibilité de se réaliser en tant que personnalité à travers ces relations, le comportement et l’activité. En outre, dans le cadre de relations sociales de cette nature, un homme peut être utilisé par un autre comme moyen (pour la réalisation d’un but), comme « outil ». Rubinshtein s’oppose catégoriquement à ce type de relation qui réduit l’homme à sa fonction, au « masque », niant et récusant par là l’humanité, l’essence humaine de l’autre (en la ramenant à une espèce d’utilité). Il s’agit là d’une question centrale non seulement sur le plan éthique et psychologique, mais aussi sur le plan social, à savoir ce que permettent d’accomplir des relations interhumaines respectant humanité, justice et bien. Rubinshtein soutient ici non pas l’activité au sens restrictif du terme, mais la « défense » d’un régime social dans lequel ces valeurs deviendraient réalité ; c’est pourquoi derrière la contemplation se dissimulent la force morale, la bravoure et le combat en faveur de l’homme et de l’humanité. Là est la clé pour découvrir l’essence de l’activité et du sujet de l’activité. 15 Dans les années 20, Rubinshtein a commencé à réfléchir à l’activité du sujet en se plaçant sous l’angle de la liberté et de la création. Cet esprit de liberté, il l’a puisé dans sa famille, en Europe occidentale et même dans sa vision optimiste et romantique de la révolution russe. Les conclusions auxquelles il est parvenu au terme de sa vie s’éclairent de la dure réalité des relations sociales instaurées par le socialisme. Cette réalité aurait pu le conduire à nier le sujet, à nier aussi la liberté et la création dans l’activité, négation dont il a eu lui-même à faire l’expérience. Cependant, il est resté fidèle au principe du sujet, non seulement en tant qu’idéal abstrait, mais aussi en tant que moyen d’être de l’homme en dépit de conditions lui niant sa liberté. Ainsi, l’objet résiste à l’activité, aux conditions du sujet, et le sujet russe résiste aux conditions sociales qui nient sa liberté, ses buts et sa création. Ce paradigme de sujet, si abstrait en apparence, renferme en fait tout l’aspect concret et réel de sa propre vie dans la société et a permis aux psychologues et à tout un chacun de trouver une réponse à la question de savoir comment résoudre le conflit entre liberté et coercition, entre création, d’une part, et ce qui la nie, d’autre part, à savoir la réglementation, la normativité. Cette réponse, c’est le sujet. 2. La conception contemporaine du sujet de l’activité Le concept de sujet a connu un réel essor dans la psychologie (et au-delà) grâce aux idées de Rubinshtein et à la conception du monde renouvelée par la démocratisation de la société russe (Anan’ev, 1968 ; Brushlinskii, 1989, 1994, 1996, 2002, 2003 ; Barabanshchikov, 2002, 2005 ; Petrovskii, 1996; Selivanov, 2000; Selivanova, 2001 ; Slobodnikov, 1994 ; Slavskaia, 2002; Tatenko, 1996 et autres). La psychologie russe n’a cessé d’étudier l’activité dans des domaines différents tels que l’apprentissage, le travail, la gestion, etc., et ces études se sont fortement appuyées sur une approche de sujet. (Markova, 1996 ; Ponomarenko, 1997 ; Anokhin, Rubakhin, Eds., 1976). Cette approche a ouvert des perspectives pour concrétiser l’activité, ses formes et les différents aspects de son étude (Lomov, 1984). Elle a commencé à se développer même dans des branches telles que la psychophysique, la psychologie de l’ingénierie et l’ergonomie (cf., par exemple, Bardin, 1976 ; Golikov, Kostin, 1999 ; Nosulenko, 2004 ; Nosulenko et Samoylenko, 2000). Une nouvelle question s’est alors posée : selon quels critères distinguer les divers concepts de sujet (le sujet collectif et individuel, le sujet de l’activité et le sujet de la communication, le sujet de la connaissance et le sujet dans l’itinéraire de sa vie). Cette question doit être abordée sous trois angles, méthodologique, théorique et empirique. La nécessité de faire ressortir les qualités spécifiques du sujet par une mise en corrélation des « concepts de sujet » et de « personnalité » nous semble constituer l’aspect essentiel de la question du sujet. Nous considérons le sujet de l’activité comme une qualité spécifique de la personnalité que celle-ci acquiert en réalisant, dans l’itinéraire de sa vie, une activité (un travail) conforme aux normes professionnelles, sociales, etc. Les propriétés, les capacités, les possibilités initiales que possède la personnalité évoluent et se transforment à mesure qu’elle acquiert une dimension professionnelle, qu’elle devient l’acteur de sa vie, l’auteur de créations scientifiques ou artistiques. Des qualités professionnellement importantes (QPI) se développent dans l’activité : on voit apparaître un ensemble de qualités psychologiques individuelles de la personnalité et de caractéristiques professionnelles liées à l’activité (Shadrikov, 1994). Le sujet est le régulateur, le coordinateur de deux systèmes dynamiques 16 qualitativement différents : d’un côté, la personnalité avec sa conscience et ses caractéristiques psychiques, naturelles et psychophysiologiques, de l’autre, l’activité sociale, pratique (professionnelle, théorique, etc.) avec ses exigences, ses normes et ses situations. Le sujet résout les conflits entre, d’une part, les exigences et les conditions de toute activité pratique et professionnelle et, d’autre part, ses possibilités (limitations) et ses ambitions personnelles. Le caractère normatif d’une activité comme le travail présente des exigences pour la personnalité en général auxquelles une personnalité donnée peut ne pas être en mesure de répondre. La personnalité ne se contente pas de s’adapter à ces exigences. En qualité de sujet, elle résout le conflit qui se présente. Le caractère actif, qui consiste à résoudre les conflits par la conciliation, la coordination de deux systèmes distincts, celui de la personnalité et celui de l’activité, est la première qualité et le premier critère qui caractérisent le sujet de l’activité. Cette faculté d’être actif constitue un « troisième » axe de conciliation des possibilités de la personnalité et des caractéristiques de l’activité pratique. Si Rubinshtein a commencé par considérer l’activité dans sa dimension créative, celle qui est réalisée uniquement à l’initiative du sujet, l’introduction du concept de « travail » dans « Les fondements de la psychologie générale » (1940) et la prise en compte des différentes formes de travail l’ont conduit à s’intéresser à la notion de la nécessité sociale du travail et à la réalité du travail. Ses successeurs ont posé une limite à sa thèse du développement de la conscience (et de la personnalité dans son ensemble) à travers l’activité (Abul’khanova, 1991 ; 1997 ; 2005). Toutes les formes de travail (par exemple, les travaux de routine et d’exécution) ne développent pas l’être humain. C’est la raison pour laquelle nous avons voulu définir plus concrètement encore l’activité : si l’on considère l’activité comme un système (et pas seulement comme une structure !), il faut, d’une part, tenir compte des conditions de l’activité, de ses circonstances, etc., d’autre part, mettre en évidence les exigences propres à cette activité qui concernent tout exécutant et que sont globalement les normes (Abul’khanova-Slavskaia, 1980а). Dans cette approche, on voit que le sujet met en rapport, met en relation deux systèmes, la personnalité et l’activité, qui à l’origine ne coïncident pas et sont même contradictoires. Les formes de manifestation de cette contradiction sont diverses, comme le sont les voies et les moyens permettant de la résoudre. L’une de ces voies est l’auto-organisation de la personnalité et la transformation des ses qualités de base. Prenons l’exemple d’une personnalité mélancolique dite de type introverti. Elle pourra néanmoins choisir une profession dans l’enseignement ou le journalisme qui exige des qualités en communication et d’autres capacités plus spécifiques. Généralement, la question de savoir par quels moyens la personnalité surmonte ses propres limites pour devenir un bon professionnel ne se pose même pas. Ceux qui le deviennent ne possèdent pas nécessairement les capacités naturelles ou personnelles, les « dispositions » requises. Certaines personnalités y parviennent en compensant des propriétés « faibles », d’autres en combinant, en ajustant au mieux leurs différentes qualités et d’autres encore au prix d’une surtension qui se paye d’un lourd tribut psychologiquement. Sachant que l’activité est le résultat non pas d’une propriété psychique ou même d’une capacité particulière mais de toute une personnalité, c’est le sujet même qui, grâce à la faculté de la personnalité d’être active, organise, ordonne et structure l’activité selon des paramètres définis. Le premier critère définissant le sujet de l’activité est donc la résolution des contradictions par la mise en accord de deux systèmes, la personnalité et l’activité. La qualité 17 spécifique de la personnalité en tant que sujet de l’activité est sa faculté d’être active (faculté d’agir, paternité, initiative et responsabilité). Cette faculté est une capacité fonctionnelle du sujet de l’activité, liée au besoin général de la personnalité de se réaliser. Ce besoin et les motifs qui en sont l’expression ne sont pas tant un besoin axé sur l’objet (comme l’a maintes fois souligné Leont’ev, assimilant le motif et l’objet de l’activité), mais un besoin qui se porte sur une activité, une activité initiée par le sujet, un besoin de réalisation du sujet (Abul’khanova, 1991). Ce besoin de se réaliser s’exprime dans les ambitions de la personnalité. La possibilité de s’accomplir dans une activité, dans une profession constitue le besoin fondamental de la personnalité (ce que A. Maslow appelle self-actualization, 1954, 1994), lequel se distingue des motifs concrets particuliers. Ce besoin est beaucoup plus élevé et plus complexe que ne le supposait Leont’ev quand il désignait comme motif et but principal de l’activité l’obtention (ou la création) d’un objet, d’un résultat. Rubinshtein a mis particulièrement l’accent sur le rôle des ambitions et la tendance à réussir ou à échouer comme manifestations de la personnalité, en se référant aux recherches expérimentales de l’école de Kurt Lewin (Dembo, Hoppe et autres) (Rubinshtein, 1940 p. 469 à 474). Dans les ambitions, on trouve le jugement que porte le sujet sur ses possibilités d’accomplir quelque chose de difficile, la façon de se représenter son individualité, son autonomie (réaliser quelque chose par ses propres moyens). Ce qui caractérise la personnalité en tant que sujet est sa prise de conscience d’être la cause de changements possibles, de l’importance de ces changements et de la valeur de ses accomplissements (ou du vécu correspondant). Le sujet est l’acteur, pas nécessairement un acteur de la scène politique ou culturelle, mais l’acteur de sa propre vie. Il détermine l’importance des différentes formes d’activité et des différentes tâches ainsi que leur succession ; il définit la qualité de l’activité (Abul’khanova-Slavskaia, 1980а ; Аbul’khanova, 1991, 1997). Les ambitions prennent en compte la complexité (difficulté) de l’activité, la qualité de sa réalisation, les efforts et la tension requis, l’équilibre entre ce qui est souhaité et ce qui est nécessaire. Elles incluent l’appréciation personnelle et sociale du résultat, ainsi que les moyens individuels ou collectifs nécessaires à la réalisation de l’activité (moyens propres, soutien des autres ou les deux à la fois). Par sa faculté d’être actif, le sujet coordonne deux systèmes : d’une part, il construit par autorégulation le système de la personnalité avec ses ambitions, ses intérêts, ses motifs, ses capacités, sa volonté et ses particularités, propriétés et processus psychiques, d’autre part, il organise les caractéristiques de l’activité – normes, situations, durées, qualités, etc. - dans le système des tâches. Selon les professions, les particularités et les exigences objectives sont plus ou moins strictes (dans un travail à la chaîne, par exemple, le temps d’exécution et la précision des opérations à effectuer à un rythme donné ou leur séquence sont strictement imposés, alors que pour une activité scientifique, les exigences en matière de recherche et de conceptualisation doivent être fixées par le chercheur lui-même ou existent de manière implicite dans la branche considérée). Moins ces normes et ces exigences sont strictes, plus il est intéressant pour le sujet de structurer les tâches, de définir leur hiérarchie en fonction de leur importance et de leur enchaînement. La coordination de ces systèmes constitue le moyen de résoudre leurs contradictions (leurs discordances) ainsi que le deuxième critère applicable au sujet de l’activité. 18 La faculté d’être actif, qui a un rôle centralisateur et directeur pour la personnalité en tant que sujet de l’auto-organisation, est assurée par le mécanisme d’autorégulation (Konopkin, qui a étudié le mécanisme d’autorégulation de l’activité sensorimotrice, a introduit ce concept dans le domaine de la psychologie en 1997). L’autorégulation consiste à intégrer et à concilier des motifs différents - et parfois contradictoires de notre point de vue (une rémunération élevée pouvant compenser le manque de prestige d’un travail), ainsi que des motifs et des capacités ou encore des besoins et des capacités. Elle permet une optimisation des possibilités psychiques et personnelles, une compensation des manques et une régulation des états psychiques par la volonté. Elle permet aussi au psychisme de rester continuellement actif dans la conduite d’une activité personnellement importante. L’autorégulation est la capacité d’associer de manière cohérente et optimale tous les niveaux de régulation de l’activité : niveau purement psychique (émotionnel, etc.), niveau de la personnalité et niveau professionnel. Elle est optimale en fonction de deux critères : 1) celui de la personnalité proprement dite et 2) celui de la qualité du processus et des résultats de l’activité. Cependant, l’autorégulation n’aboutit pas toujours à l’optimisation nécessaire. Fatigue, ennui, surtension sont les manifestations d’une autorégulation qui n’est pas optimale. Lorsque le sujet doit surmonter des difficultés, la volonté et la motivation peuvent s’épuiser et ne plus soutenir le but, d’où un effondrement du système de l’activité. Si la personnalité fait preuve d’une autorégulation qui n’est pas optimale (l’anxiété conduit à la précipitation, à l’incapacité de mesurer ses forces, de faire face à l’imprévu, etc.), le sujet de l’activité, grâce à une réflexion sur ses erreurs et ses particularités individuelles, s’efforce d’optimiser son régime d’activité en palliant ses manques. Il résout alors des tâches spécifiques en dépassant ces états négatifs – passivité, impulsivité des actions, lutte des motifs, etc. La conscience représente le niveau le plus élevé de l’organisation interne du sujet, niveau où l’intention, la projection et la finalité sont assurées. Hormis l’autocontrôle (niveau supérieur de l’autorégulation), la conscience remplit une fonction d’interaction indispensable à la coordination. Elle reflète les exigences et les conditions objectives de l’activité et exprime celles qui sont internes. C’est elle qui parvient à un « équilibre », à un « consensus » entre l’extérieur et l’intérieur, ce qui a véritablement de la valeur pour la personnalité en tant que sujet de l’activité. Si les valeurs s’avèrent en contradiction avec la motivation de la personnalité, l’activité perd son caractère défini et n’est pas soutenue par un sentiment de confiance. La personnalité devient sujet, ce qui signifie que tout le système de l’activité est unifié, si elle résout consciemment cette contradiction en développant une relation appropriée avec l’activité, en lui accordant une place définie dans sa vie. La coordination opérée par le sujet entre le système de la personnalité (avec sa capacité d’autorégulation et de conscience) et le système de l’activité s’effectue dans le temps en fonction du déroulement du processus de l’activité. Prenons l’exemple de l’activité consistant à donner un cours : au motif ou à l’intérêt initial (qui est précisément de faire cours) succèdent le développement cognitif de la thématique, le suivi du plan et enfin les efforts de volonté nécessaires pour surmonter la fatigue. Dans d’autres formes d’activité, le motif peut s’appuyer au départ sur une capacité et être relayé ensuite par le professionnalisme, ce qui inclut la pratique acquise et les connaissances. Prendre part à une activité exige du sujet qu’il évalue, rationnellement ou intuitivement, les forces requises pendant toute la durée de l’activité (un cours ou une négociation de deux heures, une journée ou une semaine de travail), en tenant compte des possibles obstacles ou difficultés imprévus (dans le cas d’un cours, il est utile de garder des forces pour répondre à des questions). Selon les activités, le sujet doit déterminer de manière opportune le pic d’activation, de tension qui se produira soit au début, soit au milieu, soit à la 19 fin de l’activité. Par l’autorégulation, la personnalité stabilise, si nécessaire, sa faculté d’activation, indépendamment de la variation des états psychiques à tel ou tel stade de l’activité. Si la tâche revêt une importance vitale, la régulation des états courants (fatigue, stress, etc.) ne mobilise pas les forces de la volonté qui sont employées à d’autres fins plus importantes. Certaines formes d’activité sollicitent au maximum la faculté d’être actif à des moments imprévus (c’est le cas des opérations militaires). Dans ce cas, la question qui se pose est de savoir comment la personnalité peut maintenir durablement cette faculté au plus haut pour se préparer à ces imprévus. Le sujet organise simultanément l’activité sur deux niveaux, le concret et le général (le tout pris dans sa globalité), ou sur deux échelles, celui du présent et, à partir des caractéristiques générales de l’activité, celui de l’expérience du passé ou de la prévision de sa vie future. Par conséquent, la corrélation entre le concret (le particulier) et le général (le système de l’activité dans son ensemble) suppose chez le sujet des capacités telles que la représentation mentale des actions futures, la planification, la prévision, etc. En qualité de sujet, la personnalité organise son activité : elle détermine, à l’avance ou dans le cours même de l’activité, les opérations, les actions et les échanges (contacts, etc.) nécessaires à la réalisation de l’activité en question. Elle sélectionne le système de critères permettant d’établir la qualité de cette réalisation, ce qui inclut en somme les critères personnels, professionnels et sociaux. La psychologie russe a développé tout un ensemble de concepts qui rendent effectivement compte des mécanismes de coordination que le caractère actif du sujet met en jeu : la disponibilité à agir, le choix du principe d’action ou la prise de décision, l’autocontrôle et enfin le « coût » de l’activité (Barabanshchikov, 2002 ; Zhuravliev, 1999 ; Lomov, 1984 ; Mukhametzianova, 2004 ; Ponomarenko, 1997 ; Karpov, 2000 ; Sajko, 2001 et al.). Le principe d’action, les moyens choisis individuellement et la prise de décision représentent un système optimal que le sujet élabore au cours de l’activité et qui caractérise sa position par rapport à cette activité. La prise de décision modifie le rapport entre les étapes antérieures et ultérieures de l’activité, elle définit le moment critique (décisif) et le pic d’activation ou les périodes de stabilisation (automatisation, stéréotypisation). La capacité de déterminer le moment décisif de l’activité est l’opportunité, c’est-à-dire le choix du moment où les efforts du sujet et le déroulement de l’activité coïncident au mieux. La notion de « coût » de l’activité, qui est d’abord apparue dans le domaine de la psychologie de l’ingénierie, est d’une importance capitale pour définir le sujet de l’activité. Le « coût » de l’activité est la proportionnalité (ou la disproportion) que fixe la personnalité entre les efforts consentis et le résultat de l’activité ; c’est une évaluation sociale ou personnelle, comme quand on dit : « ça valait (ou ne) valait (pas) la peine ». Le coût de l’activité est un facteur qui est souvent latent pour la personnalité (ou la société). L’homme fait consciencieusement son travail et fournit avec succès un travail de qualité, mais c’est au prix chaque jour d’une forte tension psychique et nerveuse. Le résultat est un état de fatigue permanent ou la perte subite de sa capacité d’agir. Le sujet de l’activité est donc le régulateur, le coordinateur de deux systèmes dynamiques qualitativement différents : l’organisation psychique et naturelle de sa personnalité (ce qui inclut son organisation interne et son autorégulation) et le système de l’activité (pratique, théorique, professionnelle, etc.). Le caractère actif du sujet, comme nous l’avons souligné, se manifeste dans la résolution du conflit (de la discordance) entre ces deux systèmes. La conciliation, c’est-à-dire la coordination, se manifeste dans la résolution des tâches ainsi que dans les tâches et les 20 problèmes spécifiques posés par le sujet, ce qui inclut les conditions objectives et subjectives de l’activité. Comme nous l’avons également signalé, le sujet organise l’activité comme un tout qui englobe les différents aspects de l’activité (le psychologique, la personnalité, le professionnel, l’économique, la production, la communication, etc.). Sachant que le système intégrant l’activité et la personnalité comprend les motifs (les besoins), les ambitions, la volonté, les intérêts, les capacités, etc., la tâche consistant à coordonner ce système avec celui qui regroupe les situations, les conditions, la durée et les exigences de l’activité en vue de trouver le moyen de réaliser l’activité et d’en assurer la qualité, est un critère caractéristique du sujet. Le sujet réalise l’activité avec diligence ou virtuosité. Il détermine lui-même le niveau de complexité, la qualité de l’activité. Il développe un professionnalisme, acquiert une compétence, mais peut toujours faire preuve de créativité dans sa façon d’aborder la tâche centrale de l’activité. Chaque personnalité, en sa qualité de sujet, ajuste, réorganise d’une manière précise ses caractéristiques selon la nature de l’activité. D’une manière qui individuellement lui convient, le sujet actualise, transforme et oriente le système de qualités qu’il possède en tant que personnalité, dans un sens subjectivement intéressant. Il utilise les possibilités, les capacités psychiques, individuelles et naturelles de la personnalité comme moyens d’organisation, de réalisation de l’activité. C’est le troisième critère caractérisant le sujet. Les capacités sont, parmi les qualités, celles qui occupent le premier plan. Ce sont elles qui garantissent une réalisation optimale de l’activité. Toutefois, cet optimum ne doit pas se définir uniquement en termes de productivité, c’est-à-dire par rapport à un résultat socialement significatif (ce qu’a longtemps fait la psychologie russe en matière de capacités). L’optimum, c’est aussi la facilité, l’aisance subjective qui caractérise la réalisation de l’activité, sa qualité élevée et la satisfaction du sujet (la satisfaction subjective que procurent le processus et le résultat) (Abul’khanova-Slavskaia, 1980; Shadrikov, 1994). Nous possédons tous un intellect, une capacité de penser. Mais, si l’on nous demande dans quelle mesure nous utilisons consciemment notre pensée, nous serons pour la plupart bien en peine de répondre ! Notre pensée vagabonde, elle nous traverse, mais ce n’est pas nous qui pensons. En sa qualité de sujet, la personnalité est réflexive : elle bâtit consciemment la cohérence de son raisonnement, parfois en se concentrant le plus possible sur le problème posé, en le résolvant avec détermination ; parfois aussi elle élargit son approche du problème en s’efforçant de considérer tous les aspects (Rubinshtein, 1958, p. 98-99), et organise ainsi sa réflexion. Cela vaut également pour les autres capacités psychiques. Le quatrième critère distinctif du sujet est la responsabilité, en tant que capacité de la personnalité de conjuguer sa liberté, son initiative et la nécessité (les exigences) de l’activité, la normativité de l’activité. Il n’existe pas de personnes totalement irresponsables, mais la responsabilité peut revêtir un aspect de passivité, d’exécution qui nous empêche alors de nous référer à la qualité de sujet de l’activité. La responsabilité du sujet est la nécessité d’organiser de manière autonome tout le canevas de l’activité et d’intégrer ses composantes ; c’est aussi la garantie, en cas de difficultés imprévues, d’obtenir un résultat correspondant au niveau de qualité que s’est fixé le sujet. Une personnalité responsable garantit par avance de pouvoir obtenir, avec ses ressources propres, le résultat, la qualité escomptés. En ce sens, la responsabilité n’a pas pour fonction d’endosser des conséquences négatives (comme on le pense d’ordinaire), c’est une ressource et une réserve de la personnalité (Dementii, 2005). Cela n’exclut pas de se tourner vers d’autres et de collaborer à plusieurs pour mener à bien 21 une activité, mais la personnalité demeure juste la personne responsable18. Il est paradoxal qu’au lieu de limiter, de paralyser la personnalité, la responsabilité lui donne confiance en soi du fait même de cette capacité d’affronter les difficultés et d’être autonome. Avant toute chose, la personnalité doit donc connaître ses capacités, ses ressources et ses limites et avoir une idée de la nature des difficultés qui l’attendent (même si elles sont souvent inattendues et peuvent ne ressembler à rien de connu). Le fait d’aspirer à l’autonomie est un motif supplémentaire pour la personnalité responsable, il soutient l’initiative. La réalisation de cette aspiration est source de satisfaction. Cette responsabilité et ce qui lui est associé, à savoir une indépendance par rapport à un contrôle extérieur, une autosuffisance et une maîtrise de tout le canevas de l’activité, donnent au sujet une marge de manœuvre qui lui est propre, c’est-à-dire la possibilité d’élaborer différentes stratégies. La stratégie renvoie à la capacité de combiner avec souplesse les différentes composantes, étapes, tâches, etc. de l’activité et de les faire varier dans le temps et dans l’espace de ladite activité, en fonction de l’évolution des événements extérieurs, de la position du sujet dans la vie et du sens qu’il donne à sa vie. Le sujet dispose du canevas de l’activité pour combiner avec flexibilité toutes ses composantes, toutes ses conditions (en termes d’économie, de production, d’organisation, de personnel ou de collaborateurs). La stratégie est une capacité de compensation et de composition optimale, et c’est en même temps la mise en avant de son point de vue et la mise en œuvre du moyen qui lui est propre pour réaliser l’activité. La stratégie garantit la qualité de la réalisation de l’activité qui correspond, d’une part, aux ambitions de la personnalité et à sa conception de « soi », d’autre part, à l’anticipation de la faisabilité des résultats et aux exigences de la société. Lorsqu’il élabore une stratégie, le sujet détermine non seulement la séquence des tâches et des étapes, l’ampleur et les difficultés de l’activité, mais aussi le rapport de cette activité avec son individualité, son « coût » psychologique, c’est-à-dire le rapport entre les efforts et la satisfaction tirée du résultat. Maîtriser le canevas de l’activité répond à un besoin d’autonomie, au besoin du sujet d’être actif et aussi à la nécessité de limiter au minimum le contrôle extérieur (Abul’khanova-Slavaskaia, 1980b). Le sujet peut se fier à lui seul ou se faire aider et, pour cela, recourir à d’autres ou utiliser les contacts et les relations dont il dispose, mais le choix lui appartient. La stratégie suppose d’organiser et d’alterner les phases de l’état actif du sujet (bref ou prolongé) qui est normatif et optimal, d’avoir à sa disposition les ressources nécessaires (personnelles, professionnelles, liées à son statut dans la société, etc.), d’intégrer toutes les conditions et exigences, de tenir compte des conditions nouvelles, d’assurer la qualité de l’activité à réaliser, etc. Comme dans le cas de la responsabilité, la pratique de la stratégie améliore la compétence globale du sujet de l’activité sur le plan professionnel et social ; la personnalité prend ainsi davantage confiance dans ses possibilités, dans sa valeur et dans ses chances de réussite. La stratégie confère par conséquent une liberté de manœuvre dans l’activité qui s’inscrit à la fois dans l’espace et le temps de la vie du sujet et dans le temps imparti par l’extérieur ou par le sujet lui-même à l’exécution et l’accomplissement de cette activité. Tel un chef d’orchestre, le sujet fait une composition de morceaux différents qu’il agence à sa Les critères présentés jusqu’ici et dans la suite du document concernent le sujet individuel de l’activité, notre propos étant celui de la personnalité. Rubinshtein s’est lui aussi (principalement) intéressé à l’activité du sujet individuel. Il y a plusieurs raisons à cela. Tout d’abord, le lien entre l’organisation psychique et la réalisation des mouvements, des actions, des opérations, etc. est plus directement opérante dans ce type d’activité. Ensuite, la question du sujet collectif ou de l’activité conjointe relève, strictement parlant, de la psychologie sociale. Enfin, Rubinshtein a toujours souligné dans son approche du sujet de l’activité individuelle, du sujet du travail, le caractère social de cette activité et le rôle des relations avec les autres comme moyen de réalisation de cette activité. 18 22 façon : il n’est pas un simple exécutant, mais bel et bien l’auteur de l’œuvre exécutée. Là est la valeur subjective de la réalisation de l’activité. Le moyen choisi pour surmonter les difficultés liées à la place d’une profession donnée dans la société, à sa place dans l’existence du sujet et à sa place et son statut au sein d’une communauté professionnelle, joue un rôle déterminant dans la stratégie. Vivre pour travailler, travailler dur pour gagner de l’argent ou travailler et gagner de l’argent pour avoir une vie intéressante relève de stratégies, de principes de vie et de décisions conscientes différents. Ne pas ménager sa peine, consacrer sa vie à une cause au prix de privations personnelles (par exemple, en sacrifiant sa famille, tout son temps libre et les relations avec ses amis) est une stratégie que suivent bon nombre de représentants de l’ancienne génération de la société russe. La stratégie et la position professionnelle sont guidées par des principes éthiques. Sinon trouverait-on aujourd’hui encore autant de médecins payés une misère, qui travaillent dans des conditions difficiles et sans compter leurs heures pour venir en aide aux malades et accomplir leur devoir. Grâce à la stratégie qu’il met en place, le sujet résout la contradiction entre la nécessité de l’activité (ses exigences, ses normes, ses conditions) et son initiative (sa liberté). Certains acceptent les exigences en jeu, qu’elles que soient les conditions, tandis que d’autres posent leurs exigences et leurs conditions (à l’égard de l’entreprise, de la société). Toutefois, cela n’est possible que si la personne concernée a atteint un certain statut (sans doute même à la fois dans sa profession et dans la société). Rubinshtein présente ainsi la stratégie de son existence : lorsque les conditions sociales et idéologiques ont fait obstacle à son travail de création, il « a battu en retraite mais n’a pas abandonné » (Rubinshtein, 1957). Il a fait son entrée dans la science en qualité de philosophe. Alors qu’on lui mettait des bâtons dans les roues, il est devenu psychologue. Bien qu’établi dans ce domaine, il a poursuivi sa réflexion philosophique. Et lorsque vers la fin de sa vie, il a joui d’un peu plus de liberté, il a endossé à nouveau l’habit du philosophe. Ce n’est en réalité qu’une seule et même route qu’il a réussi à suivre en dépit des circonstances. Cela montre clairement que la stratégie de l’activité, placée dans le contexte de la vie du sujet, suppose que celui-ci maintienne sa position même dans les situations les plus difficiles. Cette singularité du sujet est un trait caractéristique de la personnalité appartenant à la société russe, de la mentalité russe. La dureté des conditions sociales (servage, révolution et totalitarisme) et la violence n’ont pas eu raison de l’âme, du talent, de l’esprit de la personnalité russe, grâce précisément aux différentes stratégies (lutte ouverte, non-violence, dissidence, etc.) qu’elle a su mettre en œuvre. Le cinquième et dernier critère caractérisant le sujet est l’amélioration, ce qui veut dire améliorer la qualité, le moyen et le niveau de l’activité, ainsi que la personnalité, ces deux aspects étant liés. Comme nous l’avons indiqué, la faculté du sujet d’être actif ne répond pas (ou pas seulement) à un besoin d’objet, mais à un besoin d’activité. D’où l’aspiration du sujet de s’améliorer soi-même et d’améliorer l’activité. Cette aspiration se manifeste dans le moyen utilisé pour organiser l’activité. Toutefois, la créativité s’exprime non seulement dans le produit, dans le résultat de l’activité, mais aussi dans le moyen mis en œuvre pour la réaliser (ce qui donne un travail parfaitement réalisé, un projet conduit avec brio et originalité). Les capacités, la motivation de la personnalité dans l’activité et la synthèse individuelle des capacités psychiques, professionnelles et cognitives deviennent le fondement du développement de la personnalité dans l’activité, elles en constituent le système. La synthèse de la motivation et des capacités (le « je veux » et « je peux » de Rubinshtein, 1940, p. 516) débouche sur le besoin d’une activité de dimension créative, le besoin d’améliorer cette activité et de la porter à des sommets. Le sujet tire alors sa satisfaction de la qualité et du 23 niveau de complexité de l’activité et des succès qu’il a remportés face aux difficultés à surmonter. Le développement de la personnalité en tant que sujet apparaît clairement lorsqu’on resitue l’activité (travail, études, profession) dans l’itinéraire tout entier de la personnalité. La conscience de la personnalité - c’est-à-dire les valeurs, les orientations et les représentations sociales à partir desquelles s’effectue l’« énorme » travail du sujet - détermine l’engagement du sujet dans telle ou telle activité, son moyen d’être et sa réalisation dans une profession. Dans tout le système que constituent les relations de l’existence, et dans ce contexte, le sujet se définit par la forme d’activité qu’il choisit, par la place qu’il choisit d’occuper dans sa profession et par le moyen qu’il choisit pour se réaliser dans cette activité. Le développement ou l’amélioration est possible si le choix de l’individualité est en accord avec ses capacités, ses possibilités. Il se produit si ce choix correspond au sens que la personnalité donne à sa vie et à sa vision du monde, quand le travail devient le sens de la vie. Il se produit si l’œuvre de la vie du sujet répond aux idéaux sociaux ou moraux de la personnalité et si elle se mue en une cause servie avec abnégation. La liste des trajectoires ou des formes de développement possibles dans le cadre de l’activité n’est pas exhaustive. Pour comprendre ce qu’est fondamentalement le développement dans l’activité, il suffit de voir comment il se concrétise dans la société russe : ce n’est pas seulement la totale liberté de se réaliser soi-même, la garantie par le société des conditions nécessaires au développement de la personnalité (cf. Allport, 1937), c’est aussi le développement par le dépassement des contradictions, dépassement propre au sujet. Le développement s’entend ici à la fois comme un progression graduelle allant dans le sens d’une amélioration et comme un axe central à l’intérieur de la personnalité qui donne force et cohérence à ses accomplissements. Comment devenir véritablement sujet de l’activité ? Telle est la question cruciale qui se pose à la personnalité russe. En répondant à cette question, la personnalité est non seulement en mesure d’organiser l’activité, mais en devient aussi l’auteur, l’acteur dans une conjoncture qui est donnée ou doit être dépassée. L’amélioration de la personnalité, si on veut la définir, oblige à se demander s’il existe en la matière des critères sociaux ou communs à tous les hommes ? A cette question, la psychologie peut répondre de la façon suivante : il s’agit du développement optimal de l’individualité, du développement par lequel ses capacités se matérialisent dans la vie, dans la culture, dans les valeurs humaines. C’est le niveau le plus élevé : la personnalité avec ses capacités et toute son individualité ; une personnalité en harmonie avec l’humanité, avec son époque. Elle y parvient en devenant sujet. 24 Bibliographie Abul’khanova K.А. (1973) О sub’’ekte psikhicheskoi deiatel’nosti. (Le sujet de l’activité psychique) М. Nauka. Abul’khanova K.А. (1991) Strategiia zhizni (La stratégie dans la vie). М. «Mysl’». Abul’khanova K.А. (1997) Mirovozzrencheskii smysl i nauchnoie znachenie kategorii sub’’ekta (Le sens de la vision du monde et l’importance scientifique de la catégorie du sujet). In : Rossiiskii mentalitet. М. Nauka, p. 56 à 74. Abul’khanova K.А. (2005) Sostoianie sovremennoi psykhologii : sub’’ektnaia paradigma. Situation de la psychologie contemporaine : le paradigme du sujet. In : Predmet i metod psikhologii.Antologia. М, p. 428 à 450. Abul’khanova-Slavskaia K.А. (1980b) Kategoria deiatel’nosti v sovetskoi psikhlogii. La catégorie de l’activité dans la psychologie soviétique. 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