e45ba5ea-0 B L`Apologie de Socrate

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L’Apologie de Socrate
Introduction
1)
Faire l’apologie de quelqu’un, c’est en faire l’éloge.
C’est aussi prendre sa défense. Or, ce texte de Platon
se présente comme un document historique, c’est-àdire un document brut.
En effet, nous sommes censés lire le texte même de la
plaidoirie que Socrate présenta lors de son procès,
en 399 avant Jésus-Christ.
Or, cela est surprenant dans la mesure où Socrate n’a
jamais écrit et s’est même refusé à le faire. En
d’autres termes, Socrate est un des ces rares
philosophes à n’avoir laissé derrière lui aucune
trace.
Tout se passe donc ici comme si Platon s’était fait le
secrétaire de Socrate……. Il y a donc lieu de
s’interroger : a-t-il été un secrétaire fidèle ? Peut-on
répondre à cette question ?.............
2)
Par ailleurs, ce texte pose aussi problème dans la
mesure où Socrate y apparaît comme un sage
admirable. Mais, dans ces conditions, comment
expliquer qu’il se soit trouver assez d’Athéniens
pour le condamner comme impie et corrupteur ?
Ainsi, parmi les différents témoignages qui nous ont été
laissés sur Socrate, on relèvera la pièce
d’Aristophane qui a pour titre les Nuées. Elle fut
jouée en 423 (c’est-à-dire longtemps avant le procès).
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- L’apologie de Socrate -
Socrate y est présenté comme un maître à penser
obscur, ridicule et dangereux. Bref, comme un
charlatan, une caricature de sophiste. Nous y
reviendrons……
Du coup, on est en droit de s’interroger : qui était le
véritable Socrate ? De Platon ou d’Aristophane, qui
faut-il croire ?……. Socrate, celui-là même qui est à
l’origine de toute la tradition philosophique de
l’Occident, reste un parfait mystère..........
C’est néanmoins ce mystère que nous allons nous
efforcer de sonder.............
I. Les circonstances politiques
1)
Le procès de Socrate a lieu alors que la démocratie
vient d’être rétablie à Athènes, au termes de troubles
violents qui ont déchiré la Cité.
Suite à sa défaite face à Spartes, Athènes connaît une
période de dictature. Les « Trente » dirigent la Cité
en dénonçant la démocratie qui serait à l’origine du
déclin. Avec l’appui des Spartiates, ils font régner la
terreur et se signalent par leur corruption.
La tyrannie des Trente est renversée en 403 et la
démocratie est rétablie. Or, il semble que Socrate ait
eu des liens avec certains des Trente. En tout cas, il
connaissait deux d’entre eux : Critias et Charmide.
Par ailleurs, on trouve dans l’entourage de Socrate
un autre personnage inquiétant : Alcibiade, général
brillant mais corrompu, et qui aura été indirectement
responsable de la défaite d’Athènes. Réfugié à
l’étranger, Alcibiade est assassiné sur l’ordre des
Trente.
Il ne faut donc pas oublier que le procès de Socrate
est aussi un procès politique (vraisemblablement un
règlement de compte……).
-2-
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- L’apologie de Socrate -
Par conséquent, il s’agit pour Socrate de se
démarquer de ses amitiés compromettantes. C’est
pourquoi il s’efforce de montrer qu’il n’a jamais fait de
politique et qu’il a dénoncé aussi bien les abus des
Trente que ceux de la démocratie.
2)
On le sait, le procès aboutit à la mort de Socrate. Or,
Athènes ne condamnait à mort que ses généraux
vaincus et ses hommes politiques corrompus. Mais
Socrate n’est ni un soldat ni un politique…….
Au mieux, c’est une sorte d’« orateur des rues »......
Dans ces conditions, comment lui attribuer une
responsabilité quelconque dans la décadence de la
Cité ?
C’est qu’il faut voir en lui une des première figures
(en fait, « la » première figure….) de ce qu’on
appellerait aujourd’hui un « intellectuel ». Qu’est-ce
qu’un intellectuel ?
C’est quelqu’un qui exerce une autorité, laquelle ne
s’appuie pas sur le pouvoir institutionnel. Cette
autorité est donc purement morale....... Or, c’est
précisément en cela que le procès de Socrate est un
procès historique.
Par conséquent, le procès de Socrate pose le
problème de la vocation politique du philosophe et
de la philosophie en général.
Or, pour un Grec, le problème politique n’est pas un
problème parmi d’autres, c’est-à-dire une question
qui serait certes importante mais d’un rang secondaire.
Au contraire, le problème politique est essentiel dans la
mesure où l’homme et le citoyen se confondent. En
effet, pour un Grec, on ne peut être homme que pour
autant qu’on est citoyen.
C’est pourquoi la définition qu’Aristote donne de
l’homme est la suivante : c’est un « animal politique »,
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- L’apologie de Socrate c’est-à-dire un animal qui vit dans des cités.
Cependant, jusqu’où peut aller cette confusion entre
l’homme et le citoyen ? Jusqu’où doit aller la solidarité
entre l’individu et sa communauté ? Car la question
implicite que nous pose Socrate est bien la suivante :
comment peut-on être juste dans une Cité qui ne
l’est pas ?
En effet, sa vie durant, Socrate a enseigné afin
d’exhorter ses concitoyens à devenir meilleurs. Or, sa
mise en accusation consacre son échec en tant que
citoyen. Elle apporte la preuve que la Cité est
irréformable.
Dans ces conditions, Socrate ne peut témoigner de
son attachement à la justice qu’en acceptant de
sacrifier sa vie.
C’est pourquoi accepter le verdict injuste de ses
concitoyens est une ultime manière de protester
contre l’injustice.
C’est en cela que le procès de Socrate va bien audelà du simple contexte politique athénien et prend
une portée véritablement universelle.
Par conséquent, avant d’être citoyen, Socrate est
homme. Et c’est bien parce qu’il est avant tout
homme (c’est-à-dire plus homme que citoyen…..) qu’il
peut condamner les mœurs politiques de son
temps.
Remarque.
Mais, du coup, la place que Socrate revendique au
sein de la Cité est bien ambiguë…….......
En effet, d’un côté, il prétend être le seul à faire
authentiquement de la politique : ainsi, il s’efforce de
rendre les Athéniens meilleurs !!!............
Mais de l’autre, il refuse toute participation aux
affaires de la Cité (si ce n’est en acceptant
passivement un verdict de mort…….).
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- L’apologie de Socrate -
Le paradoxe que pointe l’attitude de Socrate serait
donc le suivant : on ne peut être fidèle à la Cité qu’en
étant fidèle à soi-même (c’est-à-dire à la voix de sa
conscience……).
3)
Cependant, si Socrate connaît lui-même l’échec,
Platon ne renonce pas à la volonté socratique de
réformer de la Cité.
Dans une de ses œuvres de la maturité, la République,
il entend tirer les leçons de l’ambiguïté socratique.
La question très concrète que se pose Platon sera
donc la suivante : à qui faut-il confier la tâche de
commander les hommes ?…..
La réponse lui paraît assez évidente: à ceux qui
réfléchissent, qui assument par conséquent la tâche
difficile de penser, c’est-à-dire aux philosophes…..
La grande idée de la République serait donc la
suivante : il faut donner la charge de l’Etat…… à
ceux qui précisément n’en ont aucune envie
(rappelons que Socrate refuse de faire de la
politique…..). En d’autres termes, il faut confier le
pouvoir à ceux qui le fuient.
En effet, seul le philosophe est exempt de toute
ambition personnelle (car la pensée seule lui
suffit…..). C’est pourquoi il est le seul en mesure
d’assumer le pouvoir comme un service de la Cité.
C’est pourquoi, le philosophe aura à « descendre
jusqu’au trône »….... Alors que tant d’autres
s’imaginent qu’il faut y monter !!!!….....….
4)
Dans ces conditions, par son détachement, Socrate
constitue un exemple pour la Cité. Cependant, ce
détachement fait de Socrate un personnage assez
déconcertant.
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- L’apologie de Socrate -
En effet, pour une fois, le portrait que nous dressent
Platon et Aristophane est assez concordant.
Socrate est laid. Il va nu-pieds et est vêtu sans soins.
Il aime les discussions et est indifférent aux plaisirs
de la table (c’est un ascète…..). Enfin, il est capable de
s’absorber dans une pensée au point de tout oublier
de ce qui se passe autour de lui.
On pourrait voir là aussi bien l’excentricité
complaisante d’un décadent que la marque d’une
intégrité sans compromis. En d’autres termes, le
personnage de Socrate peut lui-même être interprété
de manière ambiguë.
II. Les chefs d’accusation
Le procès de Socrate est l’aboutissement d’une
procédure par laquelle tout citoyen pouvait déposer
une plainte pour dénoncer une conduite incivique
ou impie. En d’autres termes, il semble que les
institutions politiques athéniennes favorisaient les
pratiques de délation.
L’accusation est portée par Mélétos, Anytos et Lycon.
En voici le libellé : « Socrate est coupable de
corrompre les jeunes gens, de ne pas croire aux
dieux auxquels croit la Cité et de leur substituer des
divinités nouvelles ».
Elle porte donc sur deux questions qui restent
aujourd’hui encore des questions essentielles :
l’éducation et la religion. Comment comprendre ces
accusations à la lumière de l’histoire ?
a) Socrate corrupteur de la jeunesse
Cette accusation trouve à s’alimenter dans la
caricature dessinée par Aristophane dans les
Nuées. Résumons l’action.
Strepsiade, un honorable citoyen, a un fils qui lui
cause beaucoup de souci, qui vit à la dernière mode
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- L’apologie de Socrate et est couvert de dettes. Celui-ci invite son père à se
faire disciple de Socrate pour échapper à ses
créanciers.
En effet, Socrate détient le discours qui permet de
faire triompher l’injuste comme le juste. Mais
lorsqu’il apparaît, il a la pause d’un gourou ridicule. En
d’autres termes, on ne comprend rien à ce qu’il
raconte, il traite les simples mortels avec hauteur et se
fait hisser jusqu’au plafond dans un panier pour être
plus près des idées.
Dans ce contexte, le fils débauché et rendu
prétentieux perd tout respect filial. Il va jusqu’à
rouer son père de coups. On voit donc ici ce que veut
dire « corrompre la jeunesse » : c’est lui faire perdre
le sens du respect et des valeurs établies.
La charge d’Aristophane est drôle, mais elle est aussi
très grave. En effet, desserrer les liens de l’autorité
parentale, n’est-ce pas défaire la société ellemême ?
Or, cette accusation (à savoir que les intellectuels, les
professeurs corrompent la jeunesse) n’est pas
nouvelle. Mais, du coup, elle nous amène à nous
poser la question suivante: qui doit éduquer les
jeunes gens? Est-ce que ce sont les parents ?
Car rien ne dit que les parents ont compétence pour
éduquer. En effet, en quoi consiste l’autorité des
parents?
On pourrait dire qu’elle s’appuie sur un mélange
hétéroclite de savoir, d’affection et de contrainte. En
d’autres termes, les parents éduquent de manière
empirique (sans avoir de connaissances précises en
matière d’éducation.........). C’est pourquoi aussi
beaucoup de parents assument mal leur autorité.
En effet, chacun sait qu’il n’y a pas d’école des
parents….. Et que, par conséquent, le premier
imbécile venu peut engendrer et éduquer ses enfants
comme bon lui semble, personne ne pourra lui faire le
moindre reproche……. Or, cet empirisme laisse
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- L’apologie de Socrate chacun mécontent.
D’un côté, les adultes croient mieux savoir que les
enfants ce qui est bon pour eux, ils s’impatientent de
leurs échecs et, en fin de compte, ils sont déçus de
ne pas les trouver conformes à leur idéal.
De l’autre, les enfants ont vite fait de mettre à jour
les limites de leurs éducateurs. C’est pourquoi ils
s’irritent d’être trop longtemps sous leur joug. En
d’autres termes, eux aussi s’impatientent (car
l’éducation, c’est le frottement des impatiences…….).
Ceci explique qu’à toutes les époques on se plaint
que les nouvelles générations ne valent rien. Dans
ces conditions, il semblerait que le processus
d’éducation ne puisse faire l’économie du conflit.
Tout ceci nous explique pourquoi il faut des
spécialistes en matière d’éducation (par exemple,
des professeurs…).
Ceux-ci auront à s’interposer entre les parents et les
enfants pour asseoir l’éducation sur des bases
rationnelles,
c’est-à-dire
pour
éviter
les
tâtonnements
d’une
éducation
simplement
empirique.
C’est pourquoi Socrate n’en finit pas de montrer qu’il
n’y a d’autorité véritable que là où il y a
compétence.
Par conséquent, si Socrate est le père du
rationalisme, c’est parce qu’il dénonce les idées
reçues, issues de la tradition, en matière
d’éducation. En d’autres termes, l’autorité de la
compétence s’oppose à celle de la tradition.
Remarque.
Mais, du coup, on peut se demander si chacun ne
pourrait pas trouver en lui-même les ressources qui
le dispenseraient d’avoir recours à une aide
extérieure. Après tout, pourquoi des professeurs ? Ne
peut-on pas être autodidacte?
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- L’apologie de Socrate -
En effet, la raison est cette faculté qui rend possible
l’« autonomie ». En d’autres termes, l’idéal d’une
raison achevée serait celui d’un parfait adulte qui
n’aurait d’autre savoir que celui qu’il s’est donné à
lui-même (comme cela est suggéré dans la doctrine
platonicienne de la réminiscence.............).
Du coup, on peut comprendre que des jeunes gens
aient pris plaisir à imiter Socrate en appliquant sa
méthode de l’interrogation rationnelle. Car nulle
autorité ne résiste à sa redoutable efficacité……
On comprend donc en quoi la philosophie, dans son
effort pour dégager une raison « autonome », met en
danger les traditions dans lesquelles une société
puise sa cohésion.
En d’autres termes, l’autorité de la raison semble
contester celle des hiérarchies en place, ce qui est
le comble du scandale pour beaucoup d’Athéniens,
particulier les plus conservateurs…….
b) L’impiété
« Tu ne reconnaîtras plus aucune divinité sauf la
Trinité que nous admettons : le Vide que voici, et les
Nuées et la Langue » déclare le Socrate
d’Aristophane.
Cette accusation d’impiété à l’encontre des
philosophes n’était pas rare à Athènes à cette
époque. Il y a donc eu des précédents. Mais si
beaucoup ont eu à répondre de l’accusation
d’athéisme, aucun n’a été pour autant condamné à
mort.
Ainsi, comme pour la corruption de la jeunesse, cette
suspicion d’incroyance ne s’abat pas par hasard
sur Socrate. Comment l’expliquer ?
C’est que donner la primauté à la raison, c’est aussi
donner la primauté à la liberté. En d’autres termes, à
travers le dialogue rationnel, chacun est libre de
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- L’apologie de Socrate rendre compte de ce qu’il pense et de ce qu’il croit.
C’est pourquoi le projet rationaliste de « libre
examen » (ou d’examen critique……) ne peut que
heurter l’attitude religieuse. Essayons de voir
pourquoi…….
En effet, toute religion s’enracine dans une parole
qui dépasse la parole individuelle. Il s’agit d’une
parole sacrée qui ne peut être discutée. Et cette parole
demande à être « transmise » plus qu’à être
« examinée ».
Nous avons vu que l’autorité de la tradition en
matière d’éducation faisait difficulté pour la raison.
Combien plus la religion qui en appelle au
surnaturel pour fonder des obligations, des rites
(souvent absurdes….) et des convictions.
Ce qui s’esquisse ici, c’est donc la question du
rapport entre foi et raison. En quoi la raison peut-elle
justifier la foi ? Ou, au contraire, ne sont-elles pas
inconciliables ?
On découvre déjà cette problématique dans un autre
dialogue, Eutyphron, au cours duquel Socrate
rencontre un pieux citoyen, Eutyphron, qui s’apprête
devant la maison de l’archonte à déposer une
plainte….. pour impiété !….. Plainte par laquelle
Eutyphron dénonce son propre père !
Voilà qui est bien étrange : comment peut-on être
pieux et dénoncer son propre père…..... pour
impiété ???!!!??? ?
Il y a donc lieu de se demander : qu’est-ce que la
piété ? On admettra que c’est le fait de savoir ce qui
plaît aux dieux…….
D’où cette question (que Socrate adresse à Eutyphron):
« Ce qui est pieux est-il approuvé par les dieux parce
que cela est pieux, ou bien cela est-il pieux parce
que les dieux l’approuvent ? ».
Cela signifie que même si une loi est voulue par les
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- L’apologie de Socrate dieux on peut en vérifier le bien-fondé. Elle n’est pas
juste parce que divine, elle est divine par ce que juste.
Et c’est pourquoi elle ne saurait pas non plus être
arbitraire. En d’autres termes, les dieux auraient à
répondre de la raison commune (comme les
hommes eux-mêmes……).
Dans ces conditions, la raison serait la véritable source
de la volonté divine. A partir de là, on peut admettre
que la raison est au-dessus des dieux euxmêmes……..
Remarque.
Cette idée nous paraît peut-être naturelle mais à
l’époque elle ne va pas de soi. En effet, la religion
chrétienne nous a accoutumés à l’idée d’une
religion universelle, c’est-à-dire indépendante des
appartenances nationales, sociales ou culturelles.
Or, du temps de Socrate, la religion est celle de la
Cité. Parce qu’Athènes a été fondée et protégée par
« ses » dieux, le devoir religieux est inséparable
d’un devoir civique, exprimé à travers des rites
collectifs qui ont une fonction essentiellement politique.
Dans ce contexte, l’universalisme rationaliste d’un
Socrate semble contredire les rites civiques issus
de la tradition (rites particuliers, c’est-à-dire locaux….).
Par conséquent, le refus de certaines croyances
religieuses constituerait une forme d’incivisme.
III. Le déroulement du procès
Les accusateurs de Socrate sont : Anytos, un riche
marchand, Mélétos, un poète et Lycon, un orateur.
Voici donc un échantillon de ceux qu’il s’est mis à dos
par ses perpétuelles questions : commerçants et
artisans, poètes et politiques. Bref, des notables……..
A noter qu’Anytos fut effectivement un homme
d’influence. Etant un des principaux représentants des
démocrates, il fut exilé par les Trente et participa
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- L’apologie de Socrate activement à leur remplacement.
C’est donc un citoyen de bonne renommée, victime
des tyrans et libérateur de la Cité, qui a eu l’initiative
du procès. Mais on ignore s’il avait des raisons
personnelles pour en vouloir à Socrate.
Cependant, le premier discours, en dépit des
protestations d’ignorance en matière judiciaire, est très
habile. Cela peut expliquer qu’il ne soit reconnu
coupable qu’à une très faible majorité.
Dans le deuxième discours, où il s’agit de discuter la
sentence, Socrate se montre insolent et ironique.
Visiblement, il ne souhaite pas négocier sa peine. Si
l’innocent est reconnu coupable, il ne lui reste d’autre
honneur que de mourir. Ainsi se trouve-t-il condamné à
mort par une majorité plus forte que pour le
jugement sur sa culpabilité.
A l’époque, boire la ciguë était une peine noble,
réservée aux seuls citoyens. Dans le Criton, Platon
rapporte que Socrate aurait pu se dérober à cette
mort puisque ses amis avaient préparé son évasion.
En refusant de s’évader, Socrate montre qu’il ne
conteste pas la légalité du jugement. Par conséquent,
la soumission aux lois est une manière paradoxale
d’affirmer son indépendance d’esprit. Nous y
reviendrons……….
Remarque.
Dans son Apologie de Socrate, Xénophon suggère
que Socrate recherchait la mort (il était déjà âgé à
cette époque et peut-être las de vivre).
IV.
La structure de l’œuvre
L’apologie de Socrate est composée de trois
discours. Cette construction est dictée par la
procédure elle-même.
L’apologie présente donc le discours dans lequel
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- L’apologie de Socrate Socrate présente son innocence, celui dans lequel il
refuse de discuter de sa peine puisque la Cité serait
plus avisée de le récompenser, enfin un troisième
discours bref et émouvant, où il fait part de ses
pensées quant au sort des âmes après la mort.
A travers ces trois discours, se dessine une
progression dramatique qui laisse apparaître le sens
de la mission de Socrate.
A. Premier discours : le plaidoyer de Socrate
a) Prologue
17a-18a (qu’est-ce que bien parler ?)
Le premier discours débute par un lieu commun sur
l’art oratoire. Socrate se dit mauvais orateur et
demande qu’on veuille bien excuser ses maladresses.
En effet, à plus de soixante-dix ans, c’est la première
fois qu’il est accusé.
Au moment même où il se présente comme ignorant
des mœurs du prétoire, Socrate en adopte
implicitement les conventions. Car c’est presque un
lieu commun de commencer un discours en déclarant
qu’on ne sait pas parler. Il y a là une sorte de
coquetterie oratoire……..
Toutefois dans la bouche de Socrate, ce lieu commun
prend une signification nouvelle. Nouvelle parce
qu’ironique. En somme, Socrate pose ironiquement la
question : qu’est-ce que « bien parler » ?
Est-ce dire la vérité ? Ou bien est-ce employer un
langage virtuose et éblouissant, c’est-à-dire « tout
enjolivé de noms et de verbes élégants et savamment
agencés » ?
Socrate esquisse donc une opposition entre une
rhétorique sophistique (la mauvaise rhétorique,
pourrait-on dire, qui vise essentiellement à tromper) et
une rhétorique philosophique, que l’on appelle
« dialectique » et qui tend à la vérité…….
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- L’apologie de Socrate Dans ces conditions, si Socrate se dit mauvais
orateur, c’est que contrairement au rhéteur, il ne
s’adresse pas à une foule. Il ne « harangue » pas
mais, au contraire, il « dialogue » !………
Cela signifie qu’il n’a jamais voulu d’autre
interlocuteur que celui qui devient son ami…. .....
En d’autres termes, dialoguer avec Socrate, c’est
s’engager.
C’est
travailler
à
une
oeuvre
commune.......... C’est consentir à une recherche
commune de la vérité.
C’est pourquoi le ton amical du dialogue avec Mélétos
n’est pas feint. En effet, le philosophe n’a pas
d’ennemi privé.
La démarche philosophique suppose un dialogue où
chacun s’expose (c’est-à-dire prend des risques…..).
Elle tout le contraire d’une communication de masse,
laquelle suppose des rapports de force et induit des
effets de manipulation.
b) Les anciennes accusations
18a-19a (l’affaire Aristophane)
Avant de répondre aux accusations, Socrate s’efforce
de dissiper les malentendus nés de l’opinion. C’est
à cette opinion qu’est due l’image défavorable que les
juges ont de Socrate. Cette opinion publique hostile,
Socrate la fait remonter aux Nuées d’Aristophane.
En effet, c’est cette opinion, anonyme et collective,
qui est le véritable adversaire du philosophe. C’est
parce qu’elle est anonyme (un « on »…..), c’est-à-dire
insaisissable et tyrannique, qu’elle intimide par
avance toute réflexion.
Socrate dit qu’elle est faite d’ « ombres » auxquelles
« on ne peut poser aucune question ». Or, le but du
dialogue est précisément de faire sortir l’interlocuteur
de ce « on ». C’est lui donner une consistance, le faire
accéder à un « tu » avec lequel il pourra échanger de
manière vraie.
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- L’apologie de Socrate -
Par conséquent, Socrate veut trouver à « qui »
parler. Désigner Aristophane, c’est donner un corps à
ces ombres qui accusent Socrate.
Or, depuis les caricatures d’Aristophane, l’image de
Socrate est brouillée. Ce portrait de penseur obscur
et prétentieux (qui lui a été imposé….) tient à deux
confusions : Socrate est pris à la fois pour un
physicien et pour un sophiste.
19a-20c (Socrate n’est pas un physicien)
Il est vrai que les penseurs qui ont précédé Socrate
(ceux qu’on appelle aujourd’hui les « présocratiques »)
sont plus physiciens que philosophes.
Leurs traités ont pour titre « De la Nature » (qui se dit
« physis » en grec). Ce sont, pour la plupart, des
astronomes et ils s’efforcent de trouver un principe
d’explication de la matière.
Ce sont aussi des penseurs matérialistes,
précurseurs de la démarche scientifique. C’est
pourquoi ils remettent en cause les récits
mythologiques.
Effectivement, Socrate reconnaît dans d’autres
dialogues s’être intéressé à leurs opinions mais il
déclare aussi avoir été déçu par eux. Pourquoi ?
C’est que nous sommes dans les balbutiements de la
science. Les « physiciens » de l’époque de Socrate ne
le sont pas au sens où nous l’entendrions aujourd’hui.
C’est pourquoi ils promettent bien plus qu’ils ne
peuvent tenir. En d’autres termes, leurs principes
sont trop vagues, trop abstraits, et surtout trop
éloignés des préoccupations humaines.
D’où cette formule très forte : « je n’ai aucune part à
ces savoirs, Athéniens ! » (19d). En d’autres termes,
cette assimilation de Socrate à un physicien tient
du plus pur ragot.
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- L’apologie de Socrate Remarque
En fait, si Socrate n’est pas un physicien, c’est qu’il
s’intéresse davantage à l’homme qu’à la nature. En
effet, vouloir connaître le monde est inutile tant qu’on
n’a pas répondu à une recommandation beaucoup plus
essentielle : « connais-toi toi-même » (formule gravée
au fronton du temple d’Apollon à Delphes...........).
Par conséquent, philosopher, c’est « se » connaître
afin de bien choisir la vie que l’on mène et afin de
servir en conséquence la Cité……. La philosophie est
donc avant tout un savoir « sur » l’homme……
Comme chez Kant, elle correspond à un projet
« anthropologique »............
19e-20d (Socrate n’est pas un sophiste)
Par ailleurs, Socrate doit dissiper la confusion qui
l’assimile à un sophiste. A l’époque, les sophistes
attiraient à eux une jeunesse fortunée et oisive, qui
prenait plaisir à leurs beaux discours. Apprécier la
sophistique correspond donc à une forme de
distinction.
Ainsi, Socrate admet que la confusion est possible
puisque lui aussi attire une jeunesse brillante. C’est
pourquoi sa méthode est confondue avec le jeu
destructeur des sophistes, ces virtuoses dans l’art de
faire passer le vrai pour le faux, et le faux pour le vrai.
Pour dissiper ce malentendu, Socrate aura recours tout
au long de l’œuvre à un argument de poids : sa
pauvreté « en fait de témoin, j’en produis un, moi, qui
atteste assez que je dis vrai : c’est ma pauvreté » (31c)
Socrate est pauvre. Et volontairement pauvre!....... Il
a renoncé à poursuivre le métier de son père pour
mieux se consacrer à la recherche de la vérité.
Deux remarques.
a)
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- L’apologie de Socrate Or, être pauvre dans une société riche, c’est-à-dire
fondée sur l’argent (car Athènes est une cité
marchande), peut être considéré comme une forme
de contestation. C’est, dans tous les cas, une manière
de cultiver sa marginalité.
b)
Mais surtout, cela prouve qu’on ne peut pas acheter
Socrate. En effet, son enseignement est entièrement
gratuit. Par conséquent, sa pauvreté est bien la
garantie de sa « liberté » de parole (ce qu’il
revendique d’ailleurs avec un certain orgueil……).
Mais, du coup, cette question de la pauvreté nous
renvoie à la teneur même de l’enseignement de
Socrate…… Car, pourquoi Socrate se ferait-il payer,
puisqu’il n’a « rien » à transmettre?……
20d-24a (l’oracle de Delphes).
Chacun sait que la méthode de Socrate consiste à
interroger. Mais d’où et comment lui est venue cette
méthode? C’est ce que nous allons voir maintenant…..
En effet, Socrate admet qu’il a mauvaise réputation.
Et cette mauvaise réputation, il la doit à une « sorte
de sagesse » qui est aussi une « sagesse
d’homme ». Car si d’autres revendiquent une sagesse
supérieure, Socrate quant à lui n’a qu’une sagesse
humaine.
Or, celui qui lui reconnaît cette sagesse-là n’est autre
que le dieu de Delphes. En d’autres termes, Socrate
cite pour contrer ses accusateurs un témoin de taille
puisqu’il s’agit ni plus ni moins d’un dieu (ce qui est
tout de même assez piquant pour quelqu’un qui est
accusé d’impiété !….).
En effet, l’oracle de Delphes l’a présenté comme
l’homme le plus sage de son temps. Mais que
signifie cet hommage que Socrate fait semblant de ne
pas comprendre ?
- 17 -
16/04/17
- L’apologie de Socrate On sait que le dieu a coutume de parler par
énigmes. Par ailleurs, il ne saurait mentir. « La loi
divine l’interdit » (31b). Il s’agit donc d’« interpréter »
l’oracle
en allant interroger tous ceux qui
paraissent plus savants que Socrate: c’est-à-dire les
hommes politiques, les poètes, etc.
Voilà donc « pourquoi » Socrate interroge. Précisément
pour évaluer sa propre sagesse, pour la comparer à
la sagesse des gens établis et donc pour comprendre
l’hommage paradoxal que lui a rendu le dieu.
Or, à force de questionner, Socrate a fini par découvrir
que la sagesse des « sages » se réduit en fait à une
pseudo-sagesse, une sagesse de l’apparence. « Ils
ne savent rien de ce qu’ils disent » (22c).
C’est pourquoi en constatant que ceux qu’il interroge
sont incapables de répondre à ses questions, il
découvre le sens de la véritable sagesse.
Ce que le dieu a voulu signifier par son oracle se
réduirait donc à la constatation suivante : « le plus
savant est celui qui sait, comme Socrate, qu’en fin
de compte son savoir est nul » (23b).
Ainsi s’expliquent les accusations portées contre
Socrate. Elles tiennent au ressentiment, à l’hostilité
accumulée de tous les faux savants ainsi
démasqués.
c) Réponse à l’acte d’accusation
24a-26a (dialogue avec Mélétos : réponse à l’acte
d’accusation, la question de l’éducation)
Après avoir répondu aux accusations anciennes et
montré qu’elles sont autant de ragots, Socrate
s’intéresse aux accusateurs qui se trouvent en face
de lui.
Or, dans un procès, la preuve revient toujours à
l’accusation. En effet, ce n’est pas à l’accusé de
prouver son innocence, mais à l’accusateur
d’apporter les preuves matérielles des charges par lui
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16/04/17
- L’apologie de Socrate portées.
Nous savons que, d’après Mélétos, Socrate corrompt
la jeunesse. Cela signifie qu’il serait un « mauvais »
éducateur. Dans ces conditions, on est en droit de se
demander : où sont donc les « bons » éducateurs ?
Il s’agit donc de savoir : qui a « vocation » à
éduquer ?
La réponse de Mélétos semble singulièrement
embrouillée. Il explique que ce sont les lois, puis ceux
qui les appliquent, c’est-à-dire les juges……. Et, en fin
de compte, ceux qui élisent les juges, c’est-à-dire
tout le monde (rappelons que nous sommes en
démocratie et que Mélétos appartient, selon toute
vraisemblance, au parti démocrate !.........).
Dans ces conditions, n’importe qui aurait vocation à
éduquer…….. N’importe qui...... sauf Socrate !!! Ce
qui est évidemment absurde……… Car comment
peut-on affirmer qu’il n’y en aurait qu’un seul qui
corrompt la jeunesse?
Socrate force donc Mélétos à admettre qu’il n’y
connaît rien en matière d’éducation et que, par
conséquent, son accusation est entièrement fabriquée.
A tout cela, Socrate
supplémentaires.
ajoute
deux
arguments
a)
Quel intérêt aurait-il à corrompre la jeunesse, au
contact de laquelle il vit au quotidien ? Car, s’il la
corrompt, ne sera-t-il pas corrompu par elle en
retour?
b)
Mais, d’autre part,
involontairement ?
peut-être
la
corrompt-il
Mais, dans ces conditions, c’est Socrate lui-même qui
devrait être instruit, c’est-à-dire éduqué......... Et non
pas accusé !!! En effet, si Socrate était ignorant en
- 19 -
16/04/17
- L’apologie de Socrate matière d’éducation, le punir ne servirait strictement à
rien.
Du coup, en convoquant Socrate devant un tribunal,
Mélétos apporte une preuve supplémentaire que
lui-même n’est pas un éducateur et que, par
conséquent, il est le dernier à pouvoir accuser Socrate.
28b-28a (dialogue avec Mélétos, suite : la question de
l’impiété)
Passons maintenant à l’accusation d’athéisme qui est
autrement plus sérieuse. Socrate partagerait l’opinion
des physiciens qui font des astres non pas des
dieux, mais des objets (« le soleil est un pierre et la
lune une terre » 26d).
Or, là aussi, Socrate va montrer que cette accusation
est contradictoire. Car comment Socrate peut-il être
accusé à la fois de ne pas croire aux dieux et d’en
introduire de nouveaux?
En effet, dans tous ses discours, Socrate invoque
continuellement son « démon », c’est-à-dire ce dieu
intérieur dont il prétend suivre les commandements (et
dans lequel on pourrait reconnaître une figure de la
conscience morale).
Effectivement, outre leurs dieux traditionnels, les Grecs
ménageaient une place à ceux qu’ils appelaient des
« démons ». Il s’agit d’un terme très vague qui
s’applique aussi bien à des dieux qu’à des génies,
c’est-à-dire à des être surnaturels mais d’un rang
inférieur.
Remarque.
Tout ceci nous donne une idée de leur grande
imagination créatrice en matière de dévotion. Ainsi,
le polythéisme grec admettait donc toutes sortes de
croyances individuelles, pourvu qu’elles ne troublent
pas l’ordre public.
d) Le philosophe et la cité
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16/04/17
- L’apologie de Socrate -
28a-31c (la mission de Socrate)
Socrate considère qu’il en a fini avec l’accusation (« Le
peu que j’ai dit suffit » 28a). Il ne s’agit plus
maintenant de réfuter son adversaire mais de se
justifier.
Socrate rappelle une fois de plus qu’il est victime d’une
cabale entretenue par des ragots. Or, dans une telle
situation, il faut ne pas se laisser intimider. « Il faut
se tenir ferme et affronter le danger, en ne prenant rien
en compte, ni la mort ni rien d’autre, au regard du
déshonneur » (28d).
En d’autres termes, il faut savoir tenir son rang, c’està-dire garder sa place comme l’exigerait…… un dieu
lui-même. Ainsi, Socrate se réclame de ce demi-dieu
qu’est Achille, le héros de l’Iliade….. Ce qui démontre
une fois de plus que l’accusation d’athéisme est
malvenue.
Dans ce contexte, Socrate rappelle qu’il a été un bon
soldat, c’est-à-dire qu’il a affronté la mort, obéissant
aux chefs désignés par la cité. C’est pourquoi il ne
craint pas la mort. Suit un développement intéressant
sur la question de la mort (29b).
« Craindre la mort n’est rien d’autre que croire être
sage tout en ne l’étant pas ; car c’est croire qu’on sait
ce qu’on ne sait pas ».
Il s’agit d’interpréter ce passage. Il signifie que, ne
sachant rien de ce qu’est la mort, on ne peut pas
non plus affirmer qu’elle est un mal. Par conséquent,
on ne peut pas craindre ce qu’on ne connaît pas.
La mort n’est donc pas un mal, puisqu’on ne peut
rien en dire. Par contre, il se pourrait bien qu’elle fût
un bien…… Dans ces conditions, il y a un mal pire que
ce mal imaginaire qu’est la mort : le mal véritable ce
serait de « désobéir à un meilleur que soi », ici en
l’occurrence le dieu..........
On peut donc en déduire que Socrate se déclare prêt
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16/04/17
- L’apologie de Socrate à affronter la mort. Pourquoi cette évocation de la
mort à ce moment précis?
C’est que Socrate se sent investi d’une mission. Et
cette mission, il entend l’accomplir jusqu’au bout.
De quelle mission s’agit-il ?
C’est une mission qui lui a été confiée par le dieu et
à laquelle il ne saurait se dérober. Elle consiste à
« éduquer » la cité, c’est-à-dire lui enseigner la vertu
(« vous persuader, jeunes ou vieux, de ne vous
préoccuper de vos corps et de l’argent ni prioritairement
ni même avec un zèle égal au soin de perfectionner
votre âme » 30b).
Il en résulte que, en plaidant son innocence, Socrate
ne fait que défendre la cité elle-même (« c’est pour
vous que je plaide » 30d). Cela signifie que Socrate
serait un présent fait par le dieu à la cité, cela dans
le but de sa sauvegarde.
Suit une image célèbre et surtout ironique. La Cité est
comparée à un cheval « grand et de bonne race,
mais un peu lourd ». Socrate est le taon qui
l’empêche de s’endormir. Que signifie-t-elle ?
Que Socrate agace....... ce qui explique que la
tentation est grande de le tuer « sans
réflexion ».........
Une dernière objection : qu’est-ce qui prouve que
Socrate a bien été envoyé par le dieu? Précisément
sa pauvreté. Une fois de plus, la pauvreté, c’est-à-dire
son choix de l’ascétisme, est le témoin privilégié qui
atteste que Socrate dit la vérité.
31c-35d (Socrate et la politique)
Du coup, et avec un certain orgueil, Socrate admet
qu’il joue un rôle éminent dans la cité. Est-ce à dire
cependant que ce rôle soit un rôle simplement
politique ?
Socrate s’en défend. En effet, son démon lui a
toujours interdit de se mêler de politique. Pourquoi ?
- 22 -
16/04/17
- L’apologie de Socrate -
C’est que celui qui se mêlerait de moraliser la vie
publique finirait par se laisser corrompre ou serait
promis à la mort.
Cela explique que les fonctions publiques qu’a
exercées Socrate ont toutes été modestes. Cela ne
veut pas dire pour autant qu’il n’ait pas su faire preuve
à l’occasion de courage.
Ainsi, il évoque deux affaires au cours desquelles il a
montré un indéniable courage politique.
La première remonte au temps de la démocratie. Alors
qu’il était « bouleute », les autres magistrats ont
essayé de le rendre complice d’un abus de pouvoir.
Or, en dépit des pressions, il a su rester fidèle à la loi.
L’autre épisode se situe pendant la tyrannie des Trente,
où il a refusé de livrer un citoyen à la mort. L’attitude
de Socrate a donc été une attitude de résistance
passive. Pourquoi ces deux anecdotes ?
Socrate entend marquer par là que, tout en obéissant à
ce que lui dicte sa conscience, il refuse d’opter pour
un parti plutôt que pour un autre. Il serait donc « audessus » des partis..........
Mais surtout, nous voyons que lorsqu’il lui est arrivé de
faire de la politique, Socrate n’a jamais transigé sur
l’idée qu’il se faisait de la justice (cf. 33a : « j’ai été
exactement le même, n’accordant jamais à qui que ce
soit rien qui soit contraire à la justice »).
L’idéal de Socrate consiste donc à être juste avec
tous. Et c’est bien pour cela qu’il n’est le « maître de
personne ». Il n’est le maître de personne dans la
mesure où précisément son discours s’adresse à
tous.
Remarque.
La parole de Socrate est donc une parole
« publique » au sens le plus noble du terme. Et son
caractère publique tient au fait qu’il ne la marchande
- 23 -
16/04/17
- L’apologie de Socrate pas : c’est une parole gratuite, ainsi que le lui a
prescrit le dieu.
En d’autres termes, la parole socratique est une parole
libre et non pas une parole mercenaire.
De cela peuvent rendre témoignage tous ceux qui ont
écouté Socrate : écouté et « vraiment » écouté.
Socrate les énumère d’ailleurs, et dans leurs rangs
figure Platon.
Or, ce ne sont pas ceux qui ont écouté Socrate qui
l’accusent. Bien au contraire, les attaques viennent de
ceux qui ne connaissent ses discours que par ouï-dire.
Socrate termine sa plaidoirie (ce qu’on appelle une
« exorde ») par une adresse pleine de fierté à ses
juges. Il ne sollicitera pas leur pitié (par exemple en
faisant intercéder ses proches en sa faveur……). « Il
ne me parait pas juste non plus ni de supplier le juge, ni
d’être acquitté pour des supplications, mais ce qui est
juste, c’est d’instruire et de persuader ».
En d’autres termes, la suprême impiété consisterait
à supplier les juges afin qu’ils soient cléments, c’està-dire à circonvenir la justice, à se contenter
d’arguments de circonstances (les pleurs, les
sentiments…..) et donc à être infidèle à la vérité.
Il en résulte que l’attachement de Socrate à la justice
et à la vérité, c’est-à-dire son intransigeance, est une
preuve supplémentaire de sa piété. « Je crois aux
dieux, Athéniens, comme aucun de mes accusateurs ».
B. Deuxième discours : le repas au Prytanée ou la
ciguë ?
Les juges ont voté : Socrate est bien coupable de
corrompre la jeunesse et de ne pas respecter les dieux
de la cité.
S’il n’a pas pu convaincre ses juges, la faute en est
- 24 -
16/04/17
- L’apologie de Socrate peut-être au manque de temps (le procès a été instruit
et plaidé en un jour…. Cf. 37b). Il s’agit maintenant de
déterminer la peine.
Or, Socrate est persuadé de bien servir la Cité. Il se
refuse donc à toute négociation pour réparer une
faute qu’il considère n’avoir pas commise.
Mais ce n’est pas tout !.............
Non seulement il récuse toute idée de peine, mais il
estime avoir mérité, pour services rendus à la Cité,
une récompense : celle d’être nourri au Prytanée.
Remarque.
En effet, Athènes accordait à certains citoyens
(athlètes, stratèges), pour les honorer, le privilège
d’être nourris aux frais de la Cité dans une maison
commune.
La proposition de Socrate est donc un défi adressé
aux juges, qui devaient s’attendre à une attitude
beaucoup plus modeste.
Toutefois, Socrate se défend d’être arrogant. Car
peut-on demander à un innocent de déterminer la
peine qui lui revient ?
En effet, pour qui se réclame de la vérité, il n’y a pas
de négociation possible....... Et Socrate ne saurait
transiger avec cette exigence. Face à la mort, le souci
sans concession de la vérité accule à une logique
du tout ou rien.
Car on pourrait s’attendre à ce que Socrate réclame
l’exil plutôt que la mort. On pourrait aussi imaginer un
compromis par lequel il accepterait de se taire, afin
de sauver sa vie. Pourquoi refuse-t-il ce compromis ?
C’est que, en l’acceptant, il trahirait la mission à lui
confiée par le dieu auprès de la Cité……. Et là serait
la « véritable » impiété !…….
- 25 -
16/04/17
- L’apologie de Socrate En effet, comment pourrait-il enseigner aux Athéniens
que la droiture de la conscience est un bien
supérieur à la vie si lui-même consentait à s’exiler afin
de sauver sa peau ?
En d’autres termes, si Socrate incarne la
philosophie, c’est parce qu’il a vécu jusqu’au bout
cette exigence de cohérence qui est celle-là même
de la raison.
C’est pourquoi Socrate ne peut pas se taire. En effet,
« c’est pour l’homme le plus grand des biens, que de
parler chaque jour de la vertu » (38a). Ainsi, « une vie
où l’on ne pourrait pas interroger n’est pas
vivable ».
C. Troisième discours : vers les vrais juges
Socrate vient d’être condamné à mort. Dans une
dernière allocution, il s’adresse aux juges qui l’ont
condamné (38c-39d) puis à ceux qui l’ont acquitté
(39d-42a)
38c-39d : à ceux qui l’ont condamné
Pour commencer, Socrate déclare très solennellement
qu’en le faisant mourir, ses juges font le jeu des
ennemis de la Cité.
Ironiquement, il ajoute que cette condamnation est
d’autant plus inutile qu’au vu de son âge, il lui restait
très peu de temps à vivre. Par conséquent, les
Athéniens auraient pu s’épargner un tel crime.
Puis il déclare qu’il ne regrette pas sa tactique de
défense, même si elle s’est avérée peu payante. « Ni
en justice ni à la guerre nous ne devons, ni moi ni un
autre, faire n’importe quoi pour échapper à la mort ».
Cela signifie que la justice est un combat et que, en
tant que combat, elle implique le risque de la mort.
Par conséquent, la justice vaut bien que l’on meurt
pour elle !......... Car, au fond, mourir n’est pas si
difficile........
- 26 -
16/04/17
- L’apologie de Socrate -
Au contraire, le plus difficile, c’est d’échapper à la
lâcheté, laquelle « court plus vite que la mort ». Et si
Socrate, parce qu’il est « lent et vieux », n’échappe
pas à la mort, il se félicite de ce qu’il échappe
néanmoins à la lâcheté. Il y a là un étrange paradoxe.
On se sépare. « Nous nous en allons aujourd’hui, moi
condamné par vous à la mort, eux condamnés par
la vérité pour leur dépravation et pour leur injustice ».
Si Socrate est condamné par la justice des hommes,
ses accusateurs sont condamnés par la vérité.
Par conséquent, il y a bien une justice véritable, plus
haute que la justice des hommes, et qui est du côté
de la vérité.
C’est pourquoi Socrate adresse à ceux qui l’ont
condamné une malédiction. En effet, une tradition
attribuait à ceux qui allaient mourir des dons de
divination. Il prévoie les pires maux pour les
accusateurs qui ont voulu se débarrasser de lui.
Or, il ne s’agit pas là de ressentiment. Car si les
méchants s’attirent le malheur, c’est qu’ils n’auront
pas accepté de se corriger. En d’autres termes, le
méchant se fait l’agent de sa propre punition.
Cela ne signifie pas pour autant qu’il ne faille pas
dénoncer la violence des méchants (et Socrate ne
se prive pas de le faire !……). « Cette façon-là de
délivrer n’est ni très aisée ni très belle, mais la plus
belle et la plus facile, c’est non pas d’écharper les
autres, mais de se préparer soi-même à être le
meilleur possible » (39d). Que signifie ce passage?
Il pose implicitement une question: pourquoi cette
haine et cette violence contre Socrate ? C’est qu’elle
permet de détourner l’attention : elle permet d’éviter
aux accusateurs de voir leurs propres fautes en
dénonçant chez un autre des fautes imaginaires.
En d’autres termes, accuser le juste est une
technique de « défausse » (on se défausse sur l’autre
de ses propres responsabilités).
- 27 -
16/04/17
- L’apologie de Socrate -
Il en résulte que la véritable justice ne consiste pas à
se croire plus juste que l’autre (pour faire de lui
éventuellement un bouc émissaire….....) mais bien à
essayer modestement de corriger ses propres
défauts.
39d-42a : à ceux qui l’ont acquitté
A ceux qui l’ont acquitté et qu’il peut tenir pour ses
amis, Socrate va prodiguer consolations et
encouragements. Cela est étonnant dans la mesure où
c’est plutôt le condamné qui a besoin du soutien de ses
proches.
Tout d’abord, il leur rend hommage (« j’aurais eu
plaisir à dialoguer avec vous »), puis leur demande de
rester car il désire encore deviser avec eux. Nous
voyons que, jusqu’au bout, Socrate reste fidèle aux
siens.
Et voici ce qu’il leur dit. Il est arrivé cette chose
extraordinaire que pour la première fois tout au long
de cette journée, son démon s’est tu. Son démon,
c’est-à-dire cette voix intérieure « qui lui fait obstacle
dans les plus minces occasions s’il est sur le point
d’agir sans droiture ».
Voilà donc une preuve supplémentaire que tout au
long de son procès Socrate a agi et parlé de manière
juste. Dans ces conditions, et si la mort est le prix de la
justice, cela signifie que la mort est elle-même peutêtre un bien (« il y espoir que la mort soit un bien »
40c).
C’est pourquoi ce discours sur la vocation du
philosophe qu’est l’Apologie de Socrate va se
terminer par une méditation sur la mort. L’enjeu est
de comprendre pourquoi il est légitime d’affronter
la mort au nom de la vérité.
En d’autres termes, il s’agit de comprendre en quoi la
mort n’a rien de redoutable, en tout cas pour le sage.
Car cette question de la mort nous place face à une
alternative très simple.
- 28 -
16/04/17
- L’apologie de Socrate -
En effet, soit elle est un pur néant. Dans ces
conditions, elle n’est pas à craindre précisément
parce qu’elle est absence de perception.
Car on ne peut pas se percevoir…… mort ! La mort
serait donc comme un sommeil sans rêve, c’est-à-dire
un sommeil…… parfait ! Et qui pourrait se plaindre
d’avoir parfaitement dormi ?……. Ainsi représentée,
la mort ne peut être qu’un « gain » (40e).
L’autre interprétation de la mort serait d’y voir une
« migration » de l’âme. Or, c’est sur cette
interprétation que s’accordent les différentes
traditions, qu’elles soient mystiques ou religieuses.
Ainsi, toutes ces traditions tombent d’accord pour
affirmer que dans l’au-delà, c’est-à-dire au séjour des
morts, les âmes comparaissent devant des juges
qui sont des juges véritables parce que divins.
Remarque.
Ainsi, dans la mythologie grecque, siégeaient aux
Enfers trois juges réputés pour leur impartialité
exemplaire : Minos, Rhadamante et Eaque. Ceux-ci
procédaient
à
une
pesée
des
âmes
(« psychostasie ») au terme de laquelle chacun était
récompensé ou puni de manière équitable, c’est-àdire en fonction de ses actes passés et de ses
vertus réelles.
Socrate affirme donc sa confiance dans ses futurs
juges pour corriger l’iniquité dont il a été victime. Et il
espère comme récompense de pouvoir rencontrer
dans l’au-delà ceux qui, comme lui, ont eu une
existence juste : les poètes, les héros, etc..
A défaut d’être certain de ce qu’il y a après la mort (« si
ce qu’on raconte est vrai » 40c), le sage est
néanmoins en mesure d’espérer un bonheur infini.
Remarque.
- 29 -
16/04/17
- L’apologie de Socrate Ce
texte
a
donc
aussi
une
portée
« eschatologique »......... Il traite des fins dernières de
l’humanité.
Dans ces conditions, et au terme de cette analyse du
sens de la mort, on peut comprendre pourquoi le sage
ne peut être touché par le mal, et qui plus est par ce
mal absolu que semble être la mort. « Il n’y a pas de
mal possible pour un homme de bien, vivant ou mort »
(41c).
En effet, soit la mort n’est ni un bien ni un mal parce
qu’elle est un pur néant. Soit elle est une promesse
de survie, donc de jugement équitable et de
récompense, et par conséquent elle est un bien.........
mais pour l’homme juste seulement !!!..........
Par ces propos, Socrate s’efforce de fortifier la foi de
ses amis et de ses disciples. Le discours se termine
donc par une sorte de « transmission du flambeau ».
Socrate invite ses disciples à continuer de dénoncer
la corruption et la méchanceté, comme lui-même l’a
toujours fait.
« Mais voici l’heure de nous en aller, moi pour mourir,
vous pour vivre ». Chacun doit suivre son destin,
puisqu’il a été fixé par le dieu, qui seul voit clair dans
nos pensées et dans nos vies.
Par conséquent, il n’y a pas lieu de se plaindre ni de
se révolter. En mettant toute sa confiance dans le
dieu, Socrate accepte son sort avec un fatalisme qui
force l’admiration.
Remarque.
Or, c’est une évocation du dieu qui constitue le point
d’orgue de toute l’œuvre. Elle contredit évidemment
l’accusation d’impiété.
V. Intérêt philosophique du texte
Nous conclurons en abordant une fois de plus la
- 30 -
16/04/17
- L’apologie de Socrate question de l’éducation……
1)
En effet, la question essentielle de l’Apologie demeure
la suivante : peut-on amener un homme à prendre
soin de soi ? Peut-on l’amener à devenir meilleur ? Et
comment éduquer par temps de crise ?
Or, à l’heure actuelle, la question de l’éducation n’est
toujours pas résolue, chaque génération se plaignant
de l’autre. Bizarrement, Socrate ne répond jamais à
cette question. En tout cas pas directement. …..
Et pourtant, il est impossible qu’une telle question
reste sans réponse. En effet, la laisser sans réponse,
ce serait ôter tout crédit à la philosophie.
Rappelons que cette question se double d’une autre
question : qui est en mesure d’éduquer ? On se
souvient de la réponse apportée Mélétos. N’importe
qui est en mesure d’éduquer. Il n’y a pas de
compétence, innée ou acquise, qui donnerait plus
d’autorité à un homme plutôt qu’à un autre.
Or, cette réponse scandalise Socrate. Il s’indigne de
ce qu’on prenne plus de soin des chevaux que des
hommes. Son analogie favorite est celle du navire :
demande-t-on aux passagers d’élire le candidat qui
parle le mieux pour piloter un navire ?
Par conséquent nous voyons que Socrate n’est pas
un démocrate. Dans ces conditions, la réponse
socratique à la question de l’éducation tient en deux
idées contradictoires.
Oui, la vertu s’enseigne, car elle est une science.
Non, elle ne s’enseigne pas comme on transmet un
savoir ou un savoir-faire.
2)
La vertu est une science. Socrate est un rationaliste.
Cela signifie qu’il a confiance dans la philosophie
(c’est-à-dire dans le pouvoir de la pensée……) pour
- 31 -
16/04/17
- L’apologie de Socrate rendre les hommes meilleurs.
C’est pourquoi l’enseignement de Socrate a pu être
résumé de la manière suivante : « nul n’est méchant
volontairement » (Ethique à Nicomaque, 1145 b).
C’est pourquoi, dans le dialogue avec Mélétos, lorsque
Socrate fait semblant d’admettre qu’il a corrompu la
jeunesse sans le vouloir et sans le savoir, il ajoute que
celui qui fait erreur ou est ignorant, il faut l’éclairer.
Le punir ne servirait à rien.
« …. Car il y a tout lieu de croire, qu’ainsi éclairé, je ne
ferai plus ce que je fais sans le vouloir » (26a). Cela
signifie que personne ne ferait le mal s’il le
connaissait pour tel.
Car, en effet, le mal ne nuit pas qu’aux autres, il nuit
au méchant lui-même. Ainsi, un homme qui voudrait
corrompre la jeunesse en sachant qu’il la corrompt,
voudrait donc être entouré d’êtres malfaisants et de
scélérats.
Par conséquent, vouloir le mal, ce serait vouloir son
propre malheur et cela, nul ne le veut. Il est donc
évident que tout homme veut le bien.
On comprend donc qu’il n’y a de mal que par
ignorance ou erreur. Tel est bien l’optimisme
rationaliste qui caractérise Socrate : une conscience
instruite ne saurait être mauvaise. Et si le mal est
ignorance, la vertu est bien science: précisément
science du Bien.
3)
Mais si la vertu est science, celle-ci peut-elle
s’enseigner? Et comment ?….. Cette question est
abordée dans un autre dialogue, le Ménon. Et ce n’est
pas un hasard si Anytos y prend part à la conversation.
Il s’agit d’un dialogue complexe. On peut néanmoins en
résumer l’acquis. Il est paradoxal : certes, la vertu peut
s’enseigner, mais de manière purement intérieure
et non pas extérieure. Qu’est-ce que cela signifie ?
- 32 -
16/04/17
- L’apologie de Socrate -
Tout simplement que la véritable science est ce que
chacun retrouve en soi, sans qu’il ait à passer par un
maître. En d’autres termes, la vertu serait ce savoir
oublié qui nous vient de l’époque où l’âme n’était pas
encore prisonnière du corps.
Car, en matière de morale, chacun sait bien au fond
de lui ce qu’il a à faire. La vertu n’est donc pas une
connaissance extérieure mais bien quelque chose
qu’il convient de se réapproprier de l’intérieur.
Ainsi s’explique (une fois de plus….) la méthode de
Socrate, qui consiste à interroger chacun. En effet, lui
qui est ignorant peut néanmoins aider son
interlocuteur à enfanter l’idée du bien qu’il porte en
lui.
Par conséquent, c’est sous l’effet de l’étonnement
provoqué par la question que chacun retrouve cette
vertu cachée, oubliée. Dans ces conditions, si la vertu
est science du bien, c’est d’abord parce qu’elle est
science de soi.
Car c’est bien là, la grande leçon de l’Apologie : pour
réformer la Cité, il ne suffit pas de vouloir que les
autres deviennent meilleurs, mais il convient de le
devenir soi-même.
En d’autres termes, Socrate est éducateur par ce
qu’il est celui qui s’éduque d’abord lui-même (ce en
quoi son ignorance prend tout son sens…..). Et c’est en
cela que Socrate est une figure exemplaire.
Remarque.
Albert Schweitzer formule la même idée de manière à
peine différente : « L’exemple n’est pas le meilleur
moyen d’influencer les autres, c’est le seul ».
4)
Mais, du coup, comment expliquer l’échec de
Socrate ?
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- L’apologie de Socrate -
C’est que, ordinairement, les hommes sont habités par
une étrange et fondamentale passion : c’est la
haine. En d’autres termes, ils adorent haïr. Et ce qu’ils
adorent haïr plus que tout, c’est la pensée (c’est-àdire ce qui va à l’encontre de leurs préjugés…...)
Car tel est le grand enjeu de l’Apologie : la haine de la
pensée. Car, aujourd’hui encore, prétendre penser
par soi-même reste la chose la plus scandaleuse
qui soit (ainsi, ce que les élèves attendent de la
philosophie, c’est la confirmation de leurs préjugés
et….. une réussite assurée à l’examen).
C’est pourquoi le procès de Socrate est loin d’être
clos. On pourrait même dire que l’histoire de la
philosophie
est
l’histoire
du
procès
perpétuellement intenté à la philosophie…….
Dans ces conditions, on ne peut apprendre à
philosopher qu’en s’efforçant de désapprendre la
haine……..
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- L’apologie de Socrate -
Introduction
I.
Les circonstances politiques
II.
Les chefs d’accusation
a)
Socrate corrupteur de la jeunesse
b)
L’impiété
III.
Le déroulement du procès
IV. La structure de l’oeuvre
A. Premier discours : le plaidoyer de Socrate
a)
Prologue : 17a-18a (qu’est-ce que bien parler ?)
b)
Les anciennes accusations
18a-19a (l’affaire Aristophane)
19a-19e (Socrate n’est pas un physicien)
19e-20d (Socrate n’est pas un sophiste)
20d-24a (l’oracle de Delphes)
c)
Réponse à l’acte d’accusation
24a-26a (dialogue avec Mélétos : la question de l’éducation)
26b-28a (dialogue avec Mélétos, suite : la question de l’impiété)
d)
Le philosophe et la Cité
28a-31c (la mission de Socrate)
31c-35d (Socrate et la politique)
B. Deuxième discours : le repas au Prytanée ou la ciguë ?
C. Troisième discours : vers les vrais juges
38c-39d : à ceux qui l’ont condamné
39d-42a : à ceux qui l’ont acquitté
V.
Intérêt philosophique
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