Notice sur Héricourt

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Notice sur
HERICOURT
précédée d’un petit aperçu sur l’Enseignement de la Géographie dans
les écoles primaires
Par C. CANEL
Instituteur à Héricourt ( Hte Saône )
N° 3
Auteur : M. Charles CANET, instituteur à Héricourt ( Haute Saône )
Cahier relié – 102 pages- 7 cartes ou plans
Ce mémoire ne répond nullement aux questions qui font l’objet du concours. L’auteur le reconnaît luimême et on s’en rend compte en examinant de près son travail.
Il avait fait, sans doute avant l’ouverture du concours, une Notice historique sur Héricourt en remontant
aux temps les plus anciens, et l’a fait précéder d’un petit aperçu sur l’enseignement de la Géographie dans les
écoles primaires. C’est ce qu’il est facile de constater par l’inspection matérielle du cahier relié : les deux
premières feuilles ont été placées après coup.
On trouve dans les quatre pages et demie de ce petit aperçu des indications fort sommaires sur la
marche qu’il convient de suivre pour enseigner la Géographie dans les écoles primaires. M. Canel veut qu’on
aille du connu à l’inconnu, qu’on parte de la Commune pour passer au Canton, à l’arrondissement, au
département et enfin à la France. C’est là ce que Pestalozzi faisait déjà à Yverdon, dit-il. Mais il croit qu’on peut
adopter aussi une marche contraire ; partir d’un point de vue d’ensemble et faire connaître en détail les
différentes contrées de la terre, leurs climats, leurs productions, leur industrie, leur commerce, leurs mœurs, leur
culte, etc….
Il ne veut point qu’on procède par des leçons répétées machinalement comme les patrenôtres mais
qu’on habitue l’élève à dessiner des cartes au tableau noir. Cependant quelques lignes plus loin il défie qu’on
réussisse autrement que par la mémoire à faire apprendre les chefs-lieux, sous-préfectures et villes principales
des départements.
On ne voit pas là une méthode bien déterminée, mais de simples vues. D’ailleurs il fallait passer à
l’application et c’est ce que l’auteur ne fait pas.
Héricourt n’est pas présenté sous le point de vue géographique, mais bien dans la suite de son histoire.
Il faut aller aux cinq dernières pages du mémoire ( 98 à 101 ) pour trouver sous ce titre La Luzienne, une
description du cours d’eau qui arrose Héricourt. La partie économique domine même la partie topographique
dans cette étude.
Dans la partie historique, l’unité fait défaut. Il y a de nombreuses digressions, presque de plaidoyers ici
contre les institutions du Moyen –âge, là sur les avantages de la Réforme religieuse. Il y a même un chapitre sur
la principauté de Montbéliard depuis 1700 jusqu’à 1793.
M. Canel cite longuement les documents et quelquefois il respecte trop peu l’enfance à laquelle il s’adresse .
En résumé, le mémoire n’est pas du tout dans la question. Il ne fait que de l’histoire et sur un plan qui ne saurait
convenir à l’école primaire. Il doit être écarté.
Paris, le 11 janvier 1878.
Berger
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Petit aperçu
Sur l’Enseignement de la Géographie dans les Ecoles primaires
L’Enseignement de la Géographie est de date récente dans les écoles primaires. Ce n’est que depuis les
dernières années du second empire qu’il est devenu obligatoire et que, comme tel, il est inscrit sur les
programmes ; mais de là à l’application complète, il y a loin ; et il n’a fallu rien moins que nos dernières
calamités pour le faire entrer réellement dans la pratique ; c’est seulement depuis ces temps douloureux qu’il a
pris l’allure d’une science qui marche, se développe et progresse.
On a généralement compris que cette étude ne devait pas uniquement être l’apanage de quelques rares
personnalités : chefs d’armées ou voyageurs en quête d’aventures, mais qu’utile à tous, à divers titres, elle devait
être mise à la portée de tous. C’est ainsi que des établissements secondaires, où depuis de longues années déjà,
elle était inscrite sur les programmes et exigée aux examens, elle est descendue dans nos écoles primaires. Et
l’on peut dire que dès le premier jour, elle a été la bienvenue, amenant avec elle tout un cortège de choses
aimables, attrayantes, instructives ; aussi c’est bien à elle que l’on peut appliquer l’adage « utile et agréable ».
Cet enseignement est par conséquent nouveau dans la plupart de nos écoles primaires : il n’est donc pas
étonnant qu’il s’y soit manifesté çà et là quelques hésitations et que généralement partout, on ait fait fausse
route : comme pour toute chose nouvelle, il y a un apprentissage à faire.
Comment s’y est-on pris pour commencer ? La plupart n’ont vu dans la géographie qu’une matière à
confier à la mémoire comme le catéchisme ou la grammaire ; un manuel fut placé entre les mains de l’élève, et la
récitation par cœur fit tous les frais de cette étude : l’enfant récitait aujourd’hui, demain et toujours. Tout,
assurément, n’est pas à condamner dans ce procédé et nous dirons plus loin quelle part il convient de réserver à
l’action directe de la mémoire. Ce manuel s’appelait ou Moissas, ou Gautier, ou Ansart. L’ouvrage, de petit
format et embrassant toutes les parties du globe, ne pouvait offrir qu’une sèche et stérile nomenclature- pour me
servir de la phrase consacrée.
Mais cette méthode ne pouvait satisfaire aux exigences des esprits avides de progrès ; on reconnut
bientôt l’importance d’un procédé qui n’apprenait que des noms aux enfants. Les Suisses et les Allemands nous
devancèrent dans cette voie. les premiers, en ce qui les concerne, modifièrent ou plutôt transformèrent
complètement cet enseignement ; c’est ainsi que l’on vit les élèves du célèbre institut d’Yverdon apprendre les
premières notions de géographie dans des promenades, dans lesquelles on faisait observer aux enfants tous les
accidents du terrain, les ruisseaux, les vallons, et on allait même jusqu’à y joindre les notions géologiques de la
contrée.
On ne saurait le nier, c’est une méthode fort rationnelle, et personne n’a jamais contesté que la meilleure
et la plus sûre manière d’apprendre la géographie d’un pays était de le parcourir en tous sens. Mais ce procédé,
praticable avec un petit nombre d’élèves du même âge, ne l’est plus lorsqu’il s’agit de l’employer dans une école
nombreuse et à plusieurs divisions, et c’est ce qu’ont compris nos géographes actuels ; aussi reprenant l’idée des
disciples de Pestalozzi, ils l’ont modifiée dans certaines parties et l’ont appropriée aux besoins et aux exigences
de l’enseignement primaire.
Que l’on conseille Levasseur, ou les ouvrages de Cortambert, de Pigeonneau on y trouvera le même
plan, le même enchaînement d’idées, le même point de départ. L’étude de la rue, de la commune, du canton, du
département, de la France, de l’Europe, etc…, la manière de s’orienter, la connaissance des quatre points
cardinaux occupent les premières leçons. Puis la reconnaissance de la carte de la commune, du département que
le maître doit dessiner et faire dessiner à ses élèves. A cet égard, il est bon de remarquer que, lorsque cet
enseignement sera plus avancé, les cartes seront muettes autant que possible, afin d’obliger l’enfant à retenir les
noms, ce qu’il ne fait pas lorsqu’il est assuré de les retrouver au besoin dans son atlas.
Telle est la marche synthétique que l’expérience a déjà consacrée et que des maîtres autorisés nous
proposent : aller du simple au composé, du coin de rue que l’on habite à la surface entière du globe.
Ces premières connaissances une fois acquises- et on y parvient assez vite- on peut adopter une marche
contraire : partir d’un point de vue d’ensemble et faire connaître en détail les différentes contrées de la terre,
leurs climats, leurs productions, leur industrie, leur commerce, leurs mœurs, leur culte, etc… rien ne contribuera
plus à donner de la vie à cet enseignement que les récits de voyages, les aventures des explorateurs anciens et
modernes, les publications hebdomadaires ou mensuelles à l’usage de la jeunesse, publications qu’il est inutile
de nommer : tout le monde les connaît…..de nom, malheureusement pour un trop grand nombre. Heureux qui
peut les posséder ! Ses élèves après lui, y trouveront une source de jouissances pures, d’utiles et instructives
récréations. Ce sera la géographie politique. J’aurais voulu la présenter avec plus de détails, mais le cadre qui
nous est imposé ne me permet pas de plus longs développements.
Nous ne terminerons pas toutefois ce court exposé de l’enseignement géographique sans dire un mot de
la cosmographie qui en est le complément indispensable ; on peut même dire que certaines parties sont tellement
liées entre elles qu’on ne saurait les séparer ; telles sont les notions générales sur la sphère : forme de la terre,
axe, pôle, rotondité de la terre, équateur, cercles, méridiens, l’étude des zones, de la longitude et de la latitude,
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etc… Toute cette nomenclature doit marcher de front avec la géographie et ne peut être bien apprise qu’à l’aide
d’une sphère en carton qui devrait faire partie du mobilier de chaque école.
Nous l’avons dit plus haut, ce n’est point par des leçons récitées machinalement comme les
« patrenôtres » que doit s’apprendre la géographie, nous répétons donc, après tant d’autres que le procédé le plus
efficace et le plus attrayant tout à la fois, car il récrée l’enfant plus qu’il ne le fatigue est « d’habituer l’élève à
dessiner au tableau noir, à tenir, rédiger dans de petits albums, des cartes dont chacune soit l’expression de la
leçon donnée, d’y joindre des tableaux qui disent ce que ne peut dire la carte : climat, aspect du pays,
monuments, évènements, mœurs, gouvernement, industrie, etc… »
Cependant il ne faudrait pas non plus tomber dans l’excès contraire et brûler ce qu’on a adoré en
délaissant complètement le rôle si important, pour certaines choses, de la mémoire du texte. Plusieurs parties de
la géographie ne sauraient être apprises et ne peuvent « se retenir » que par ce moyen, et que pour n’en citer
qu’un exemple, je défie qu’on réussisse autrement à confier à la mémoire, rapidement et bien, de manière à le
garder longtemps et toujours, les chefs-lieux, sous-préfectures et villes principales des départements. Que chacun
se rappelle ses souvenirs ! Et combien d’autres choses encore. Non, ne mettons pas la mémoire de côté !
utilisons-la modérément ; sachons surtout distinguer ce qui doit être confié par le moyen du texte, ce qui peut
l’être par le moyen des yeux.
Avertissement
Je n’ai pas la prétention d’avoir fait une histoire d’Héricourt ; c’eût été de la présomption de ma part :
mon but, plus modeste, a été de réunir et de choisir par ordre chronologique tous les faits relatifs à notre petite
localité.
Je tiens à dire que je me suis servi presque uniquement de l’ouvrage si rempli, malgré ses défauts des
Ephémérides du Comté de Montbéliard de Ch. DUVERNOY ; je me suis occupé à donner de la suite aux
évènements morcelés, semés à travers cet important volume auquel on reviendra toujours lorsqu’on s’occupera
de notre histoire locale, et d’où a été tiré, à peu de choses près, tout ce qu’on a publié sur ce sujet jusqu’à ce jour,
bien que les différents auteurs qui y ont puisé à plusieurs mains n’ont pas toujours eu le soin et la délicatesse
d’en indiquer la source ; le dictionnaire des communes de Mr Suchaux et le Manuel à l’usage de l’habitant du
département de la Haute- Saône, cet ouvrage si complet et varié dans ses détails par Ed. Thirrier, m’ont fourni de
précieuses indications. De l’Histoire de la maison de Bourgogne par de Barante, j’ai emprunté le récit de la
bataille d’Héricourt en 1474, bataille dont l’emplacement n’a pu encore être déterminé jusqu’aujourd’hui d’une
manière positive ; et enfin lorsqu’il s’est agi d’administration et de législation du moyen-âge, je me suis adressé
à Mr Tuefferd juge au tribunal de Montbéliard.
Nous avons laissé le récit de cette courte notice au moment de l’incorporation définitive de notre pays à
la France, c’est à dire à l’époque de la Révolution française. Dans la seconde partie, après avoir présenté
l’historique de nos diverses industries et leur développement, nous nous occuperons d’en poursuivre le récit
jusqu’à nos jours, de raconter les principaux évènements de l’occupation allemande et surtout des journées des
15 et 16 janvier 1870, autrement dit de la bataille d’Héricourt, alors que tous les faits saillants, les épisodes
divers sont encore présents à la mémoire des assistants de ce long, douloureux et humiliant spectacle.
Signé : Ch Canel
Héricourt le 31/10/1877
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Notice
Sur
HERICOURT
La Gaule et la Séquanie
Mes petits amis, je vous ai promis, lorsque nous nous sommes occupés de la Géographie d’Héricourt, de
vous raconter quelque jour son histoire. Je tiens aujourd’hui ma promesse, et viens vous exposer brièvement tout
ce que j’ai pu recueillir concernant notre petite localité.
Vous savez tous qu’anciennement notre pays s’appelait la Gaule, et les plus grands parmi vous pourront
me dire que la province que nous habitons était autrefois nommée la Séquanie ; ce nom vient d’un mot latin :
sequana qui veut dire Seine.
La Seine traverse-t-elle en entier ou même en partie notre pays ?….Nullement. Alors pourquoi ce nom ?
serait-ce parce qu’il touche aux provinces qu’arrose ce fleuve ? C’est possible, car en effet, il borne le bassin de
Seine au S.E.
Les peuples voisins des Séquanais étaient : au N.E., les Latobriges, peuplade germaine, les Triboques et
les Leuques ; au N., appartenant aux Belges, les Lingons et les Eduens ; à l’O. peuplades celtiques ; au S. les
Allobroges, et à l’E., au delà du Jura , les Helvètes. Tels étaient nos voisins un demi-siècle environ avant la
naissance de J.C.
C’est à cette époque que la Gaule fut envahie par un de ces hommes extraordinaires qui laissent dans la
postérité un mémorable sillon de leur passage ici-bas : Jules César, qui sous prétexte de secourir les Helvètes
attaqués par les Allemands, s’empara de leur pays, entra dans les Gaules, et après dix années de luttes, de
combats, de mutilations barbares, de massacres, écrasa les derniers défenseurs de l’indépendance gauloise à
Alésia ( Alise Ste Reine ) chez les Mandubiens, à quelque distance de Dijon actuellement. Vercingétorix, le
glorieux vaincu, fut jeté dans les humides cachots de Rome, et après cinq années de captivité, il servit à orner le
triomphe de son impitoyable vainqueur. Quelques jours après, on le faisait mourir en l’égorgeant honteusement.
Dès lors, la Séquanie devint une province romaine, sous la domination de consuls ou proconsuls d’audelà des Apennins, dont le premier fut Labiénus, l’un des plus fameux lieutenants de Jules César.
Pendant les cinq siècles que dura l’occupation romaine en Gaule, il n’est nulle part question de notre
petite localité ; peut-on en conclure qu’elle n’existait pas ? ce serait trop avancer car les vestiges de constructions
que l’on rencontrait il y a quelque temps dans les environs et surtout dans les endroits élevés prouvent qu’au
contraire, le pays devait être habité depuis fort longtemps.
Le Retranchement du Mont-Vaudois
Et à ce sujet, la plupart d’entre vous se rappellent et ont pu voir qu’à la place qu’occupe le fort en
construction de notre Mont Vaudois, on remarquait des travaux relativement considérables, des ouvrages de
défense faits d’une manière toute primitive, c’est à dire sans art, en terre et en pierres, mais qui n’en attestent pas
moins la main de l’homme
Quelle était leur destination ?
On a voulu y voir un poste d’observation, un lieu de refuge contre les attaques des bêtes et des
hommes ! vous le savez, il consistait en un vaste espace découvert, situé au sommet du Mont-Vaudois,
comprenant tout le terrain sur lequel le fort s’élève, protégé au N. par une ligne de rochers à pic qui dominent les
villages de Luze, Chagey et Echenans ; à l’E et au S c’est à dire sur le versant qui regarde Héricourt, par un fort
talus de 2 à 3 mètres d’élévation et de vingt mètres à sa base. C’est un emplacement admirablemement situé
parce qu’il permet d’embrasser dans un coup d’œil tout le pays qui s’étend des Vosges au Jura et du col de
Valdieu ou la trouée de Belfort aux sommets qui dominent Besançon. Il représentait assez exactement un vaste
triangle rectangle avec son grand côté formant talus, légèrement convexe et ayant un développement de 300
mètres environ ; la ligne de rochers avait 270 mètres de longueur.
A quelle époque fallait-il faire remonter ces constructions ? C’est ici que les doutes s’élevaient et que
les hypothèses les plus hardies peuvent se donner carrière.
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Les uns, s’appuyant sur le nom de Vaudois voulaient y voir le souvenir d’une occupation passagère par
ces énergiques populations du XIIème et XIIIème siècle, si tourmentées, si persécutées pour leur foi, qui furent
les précurseurs des Albigeois, des Protestants d’Allemagne et des Réformés de France.
Ainsi que les Vaudois, ces derniers devaient errer dans les bois, fuyant la colère du grand roi qui ne
pouvait admettre qu’aucun de ses sujets eût la hardiesse et la témérité de penser autrement que lui. Epoque
sombre, sanglante, mes amis, pour nos ancêtres en la foi.
D’autres, dans doute pour faire preuve de connaissances archéologiques, prétendaient qu’il fallait
remonter plus haut, que c’était un camp romain servant de poste de station ou d’observation, que le talus était un
valum et que l’ensemble formait un castra …
Chez les Romains, en effet, leurs camps étaient appelés suivant leur destination et l’époque de leur
occupation : castra stativa, castra oestiva, castra hiberna, leurs forteresses ou châteaux forts, castellum, les
villes fortifiées castrum, et leurs places très fortes, les grandes villes, oppidum .
Les fouilles qu’on avait faites à différentes reprises - mais fort superficiellement il est vrai – n’avaient
jamais amené la découverte d’aucun objet pouvant établir avec quelque certitude l’origine et la date de ces
travaux que les buissons et les ronces recouvraient dans leurs enlacements inextricables. Il a fallu nos récents
désastres pour que la pioche du génie militaire vint bouleverser ces antiques et vénérables témoins d’un autre
âge, et mettre au jour ce que ces constructions recélaient dans leur sein et cachaient à la curiosité des savants.
Ne semblait-il pas qu’après ces travaux et ces recherches on eût du être plus avancé dans la solution de
cette question d’histoire ?
Eh bien ! non, on n’a rien trouvé, ou plutôt ce que l’on a trouvé appartient à une époque bien autrement
reculée que celle à laquelle on pensait. Sans parler des Vaudois (1) qui n’ont rien laissé pouvant établir avec
certitude leur présence en ce lieu, bien qu’à la rigueur on pût soutenir cette opinion, l’occupation romaine - que
nous ne nierons pas davantage – ne s’y est trouvée représentée par aucun de ses objets habituels, tels que débris
d’armes, de vases ou de poterie ; pas un objet en fer ni en bronze, pas la moindre petite médaille « qui eût si bien
fait l’affaire », pas la plus petite pièce de monnaie, en un mot, rien ( Rectifions, on vient de recueillir récemment
deux pièces de monnaie, une d’argent et l’autre de bronze qu’on dit appartenir à l’époque romaine mais cette
découverte ne saurait renverser l’hypothèse parfaitement justifiée d’une époque plus reculée) qui rappelât les
Romains, il faut donc remonter à une époque beaucoup plus ancienne et tellement reculée que les savants qui,
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pourtant expliquent bien des choses, ne sauraient lui assigner de date ; aussi l’appellent-ils préhistorique, c’est à
dire avant l’histoire.
**************
(1) Nous empruntons la note suivante aux « Ephémérides de Mr Duvernoy – 1212 – Commencement des
persécutions contre les Vaudois et les Albigeois qui avaient gardé la pure doctrine de l’Evangile. On en brûla
quatre vingts à Strasbourg en 1214. Il est vraisemblable que leurs opinions avaient trouvé des partisans dans nos
contrées. Et plus loin, une autre de Mr S.F. Fallot, avocat à Montbéliard : « Les Vaudois d’Alsace envoyaient
étudier dans les vallées ceux qu’ils voulaient consacrer au saint ministère. Une petite montagne près de la ville
d’Héricourt, où sans doute plusieurs d’entre eux s’étaient retirés dans les temps de persécutions porte encore
aujourd’hui le nom de Mont Vaudois.
C’est peut être aussi des Vaudois que les paysans du pays de Montbéliard ont retenu l’usage de faire une espèce
de fromage appelé séré, du même nom que lui donnent aussi ces religionnaires dans leurs vallées du Piémont.
***************
Ce qu’on a trouvé, ce sont – à côté de squelettes d’hommes, qui n’étaient pas des géants, comme on le racontait à
l’époque des travaux du fort (1875) et dont la taille ne devait pas dépasser de beaucoup celle des hommes de nos
jours – ce sont, dis-je, des outils et des armes en pierre polie : haches, pointes de lances et de flèches, des
grattoirs et couteaux en silex, des poinçons que la plupart d’entre vous ont pu voir, mais que l’on a
précieusement conservés pour aller grossir les collections de nos musées.
Ces différents objets appartenant à l’âge de la pierre polie ont été recueillis par Mr Ribeaucourt,
capitaine du Génie chargé de la direction des travaux du fort et Mr Voulot, le savant archéologue de notre pays
qui les a classés.
Ce dernier estime qu’en raison du grand nombre de sarcophages que l’on a découverts, cet emplacement
servait probablement de lieu de sépulture à des populations d’un autre âge.
Nous ne le contredirons pas.
Prieuré de Saint Valbert.
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L’emplacement où se trouvaient jadis les bâtiments de cette maison de religieux porte encore le nom de
Couvent ( Ils n’existent plus depuis la fin du XVIème siècle).
Ce prieuré de l’ordre de St Benoit dépendait de l’abbaye de Luxeuil. Sécularisé lors de l’introduction de
la Réforme dans la Seigneurie d’Héricourt, ses biens et ses revenus furent cependant laissés en jouissance au
cardinal de Grandvelle, abbé de Luxeuil en 1565. A sa mort en 1586, les comtes élevèrent des prétentions sur les
biens du prieuré ; les religieux de Luxeuil opposèrent leur possession ; ces contestations durèrent jusqu’au 9
février 1702, date à laquelle fut rendu un arrêt du parlement de Besançon qui les adjugea définitivement à ces
derniers.
L’origine du prieuré de St Valbert, dit Ch. Duvernoy, était fort ancienne. On lit dans les actes de St
Valbert, que « le monastère dont il avait été abbé ( Luxeuil) possédait des biens entre Montbéliard et
Champagney ». Ces biens étaient probablement ceux qui ont formé le domaine du prieuré dont une charte de
1123 atteste l’antique existence.
Le Seigneur d’Héricourt en était gardien et haut justicier. Ses principales terres et ses dimes étaient à St
Valbert, Luze et Chagey. Le prieur avait le patronage des églises de Chagey, Héricourt et Béthoncourt.
Renaud de Bourgogne, comte de Montbéliard, avait obtenu de Thiébaud de Faucogney, abbé de Luxeuil en
1292, la jouissance viagère des biens du prieuré, pour la somme une fois payée de …livres. Il en fournit le
dénombrement en 1301. ces mêmes biens se trouvaient en 1344 dans les mains de Jacques de Vy, abbé de Lure,
qui, par un acte sous cette date, manifesta son intention qu’ils retournassent après sa mort au monastère de
Luxeuil.
En 1508, Jacques de Chatillon, prieur de St Valbert amodia pour trois ans les produits de son bénéfice
moyennant la rente de 160 francs et « sous la réserve à son bénéfice des échutes mainmortables, du droit de
sceau et du droit de patronage ». Après la mort du cardinal de Grandvelle, qui jouissait en sa qualité d’abbé de
Luxeuil des revenus de St Valbert, ce prieuré fut sécularisé par le prince de Montbéliard qui le vendit deux ans
après, sous la réserve du fief à Ulric Heckle de Steineck, son bailli d’Héricourt, pour la somme de 2130 francs
forts. Alors, il produisait 400 francs par an. Il fut racheté en 1626 pour 3000 francs forts et 100 écus d’épingles,
et réuni à la recette des églises d’Héricourt.
En 1622 les religieux de Luxeuil avaient cédé au même prince de Montbéliard tous leurs droits sur la
dotation de St Valbert, moyennant la somme de 12 000 francs de Bourgogne ; mais l’arrangement ne fut pas
ratifié par le pape ; et comme le prince de Montbéliard, qui n’avait pas eu à livrer les 12 000 francs, avait
néanmoins tout gardé, prix et possession des biens et droits cédés en 1622, les religieux réclamèrent lorsque la
seigneurie d’Héricourt fut occupée par les Français.
Le parlement de Franche-Comté leur vint en aide, et par son arrêt du 9 février 1702, il leur adjugea la
propriété de tous les biens et revenus de l’ancien prieuré de St Valbert, qui demeurèrent dès lors réunis à la
mense capitulaire.
Ancien hameau de Danin.
Ce hameau mentionné dans une bulle du pape Clément III de l’an 1196 était situé au sud-ouest d’Héricourt,
vraisemblablement sur le versant ouest de la forêt appelé aujourd’hui le Mont Danin. On ne sait à quelle époque
il a disparu. On pense que c’est vers le milieu du 14ème siècle, mais c’est sans preuve certaine.
Invasions dans l’Empire romain.
Le vaste empire romain devait peu à peu s’écrouler sous les attaques incessantes des Barbares - vous
vous rappelez qu’on appelait barbares tout ce qui ne faisait pas partie de l’Empire romain.
En 413, les Burgondes, venus des bords de la Vistule et de l’Oder, après avoir franchi le Rhin, se
rendent maîtres de la Séquanie et s’y établissent sous leur chef Gondacaire.
« C’étaient, disent les historiens, un peuple doux et le plus civilisé de tous les Barbares, exerçant le métier de
charpentiers et de forgerons ». Ils se convertirent de bonne heure au christianisme, mais ils embrassèrent
l’Arianisme, secte chrétienne, ainsi nommée de son fondateur Arius ( 312) qui combattait la Trinité et niait la
divinité de J.C. De nos jours, Arius trouverait encore des disciples.
Le christianisme avait pénétré dans la Séquanie vers la fin du 2 ème siècle. L’évêque de Lyon , Irénée, y
avait envoyé Ferréol et Ferjeux, qui y répandirent la doctrine chrétienne et y obtinrent la palme du martyre en
211. L’église les a mis au rang des Saints.
Vaincus par Clovis en 500, les Burgondes que l’on commençait aussi à appeler Bourguignons, devront
lui payer un tribut, et après une série de vicissitudes qu’il serait trop long d’énumérer, la Bourgogne fut réunie en
771 à la monarchie carolingienne sous le sceptre de Charlemagne.
Ensuite, elle fit successivement partie des Royaumes d’Italie, de Provence et de Bourgogne cis et
transjurand. Et ce fut en 1032 que cette province, érigée en comté fut réunie à l’Empire d’Allemagne par Conrad
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de Salique, dont elle devint un fief appelé indistinctement Comté de Bourgogne ou Franche-Comté, ce parce
qu’aucun impôt n’était payé régulièrement par les habitants.
Lorsque les Comtes avaient besoin d’argent pour le souverain ou pour eux-mêmes, ils s’adressaient, avant 1389
aux barons ou aux bourgeois des villes, et après cette époque, aux Etats de la province pour obtenir des subsides
ou des dons plus ou moins considérables que les Comtes appliquaient à l’usage pour lequel ils avaient été
demandés.
C’était cette exemption de tout impôt permanent qui a fait donner à notre province, le nom de Franche-Comté » Thirria –
Les châteaux- forts.
C’est sans doute vers cette époque qu’il faut faire remonter la construction des nombreux châteaux-forts
dont le pays était couvert. Tous les sommets élevés commandant les vallées et les voies de communication en
étaient couronnés ; nous pouvons encore aujourd’hui admirer les vestiges d’un grand nombre ; les plus
importants même nous présentent encore des souvenirs qui excitent l’admiration.
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Château de Bournevesin.
Notre Mont Vaudois possédait aussi son château, celui de Bournevesin du nom du seigneur qui l’aurait
élevé : Thomas Bournevesin, gentilhomme de l’évêché de Bâle, fut autorisé à le bâtir vers l’an 1360, sous la
mouvance de la seigneurie d’Héricourt, peu de temps après qu’il eût acheté de cette princesse la portion du
village d’Echenans qui était du ressort de la Seigneurie. Le château de Bournevesin n’existait déjà plus au
seizième siècle.
Il ne nous reste aucun renseignement concernant cette construction et il serait difficile de retrouver son
emplacement. Il n’est plus possible maintenant de le supposer au sommet du Mont Vaudois ; les travaux qui s’y
exécutent en ce moment ont démontré l’erreur de cette hypothèse. Il faut plutôt le chercher dans le voisinage du
chemin d’Héricourt à Echenans, au sommet du plateau où les Prussiens en 1871 avaient établi cette terrible
batterie de gros canons qui causa tant de ravages dans les positions qu’occupaient les Français sur les hauteurs de
Vyans, Tavey et Byans pendant les fatales journées des 15 et 16 janvier 1871. Quoi qu’il en soit, sa destruction
doit remonter à une époque fort éloignée.
Quant au château que l’on voit encore dans la partie Nord de la ville, il est de construction plus récente
et ne doit pas remonter au delà du XIème ou XIIème siècle. Ce devait être dans l’origine une masse très
imposante et capable de résister aux attaques d’un siège d’alors, comme on le verra plus loin.
On dit que ce fut à la suite d’une invasion de Hongrois qui dévastèrent les rives de la Saône et
saccagèrent le pays d’alentour – la ville de Lure fut complètement détruite – que les seigneurs, afin d’éviter le
retour de pareilles calamités, édifièrent ces châteaux qui devaient être pendant une longue suite de siècles « le
refuge de la tyrannie et de l’opression ». D’un autre côté, il est probable que les seigneurs en mettant en avant
l’intérêt général, prenaient aussi des précautions pour l’avenir en élevant des obstacles contre l’ambition ou la
rapacité de voisins qui auraient été tentés de s’agrandir ou de les piller.
Il faudra vous rappeler, mes jeunes amis, qu’à cette époque la France était loin de présenter un tout
compact et uni dans le même sentiment patriotique que de nos jours ; elle était au contraire divisée en une foule
de petits états séparés, vivant, agissant à part, dans son son intérêt, chacun pour soi, comme le parfait égoïste,
n’ayant aucune idée de l’esprit national moderne ; les différentes provinces de la France avaient été distribuées
aux principaux chefs d’alors qui secouèrent peu à peu le joug et l’autorité royale. C’est le système féodal avec
ses fiefs et ses vassaux qui apparaît et va se développant, pour atteindre son apogée avec l’institution de la
Chevalerie.
Les seigneurs devenus souverains dans leurs provinces tiennent à s’en assurer la possession ; comme ils
redoutent également les empiètements de leurs voisins et ceux de la royauté, ils construisent ces redoutables
châteaux forts qui devaient les protéger pendant leur vie et conserver à leurs descendants ces beaux domaines
qu’ils tenaient de la munificence et de la faiblesse des derniers Carolingiens.
La Seigneurie d’Héricourt.
Ses premiers seigneurs.
Nous allons laisser de côté l’histoire générale de notre province et ne nous attacher qu’aux évènements
qui ont trait à notre petite localité.
La France-Comté va faire retour à la France et devenir par son annexion à la Maison de Bourgogne, un fief de la
dynastie capétienne ; pendant ce temps, nous serons successivement Allemands ou Bourguignons, pour redevenir
Allemands suivant les caprices de la naissance et des alliances ou la fortune des armes. Cet état de choses durera
jusqu’à la Révolution de 1789 qui nous a réunis définitivement à la nation française.
A l’époque où nous sommes arrivés, il a été fait mention plus d’une fois d’Héricourt , une charte de l’an
1173 le désigne sous le nom d’Oriécourt et une bulle du pape Célestin III de l’an 1196 , sous le nom d’Oricourt.
Ces deux dates, comme vous le voyez, lui donnent une origine passablement reculée et tout semble indiquer qu’il
existait déjà avant cette époque. On trouve en effet à la date de 970 , « un diplôme de Lothaire, roi de France et
de Lorraine, au profit de l’abbaye de Lure, à laquelle il donne trois églises avec dix collonges dans chacun des
lieus de Roie, Ravelus ou Tavel et Dominus Benignus ( Dambelin ou Dambenois ). Ces deux derniers villages
dépendaient de l’ancien Comté de Montbéliard (Eph. Comté de Montbéliard p. XXII). D’après cela on est fondé
à supposer qu’Héricourt qui se trouve à un kilomètre et demi de Tavey, existait à la même époque.
Les amateurs d’étymologie qui se sont attachés à définir le nom d’Oriecourt ont trouvé dans ce mot
l’explication suivante : Oriecourt, dérivant du latin Orae, à l’orée, à l’entée, à la frontière, et de court, curtis,
habitation ; ce qui lui donnerait la signification de « habitation à la frontière ». Héricourt, en effet, était placé à
la frontière de la Bourgogne ( Suchaux, Dictionnaire des communes de la Haute-Saône ).
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Remarque : l’orée, terme qui vieillit : le bord, la lisière d’un bois. On le trouve encore dans Bernardin de St
Pierre : « Cependant à l’orée des bois, on voit déjà fleurir la primevère » et Chateaubriand : « Nous
débarquâmes à l’orée d’une plaine circulaire ».
Héricourt étant autrefois une seigneurie, un fief, une dépendance, n’a point d’histoire ou plutôt son histoire se
trouve mêlée à celle du Comté de Montbéliard dont elle dépendait. Aussi bien, chaque fois que les
renseignements concernant directement Héricourt nous feront défaut, nous raconterons tout ce qui se rapporte à
la ville suzeraine, certain d’indiquer ainsi les évènements qu’elle a eu à traverser ou les faits qui se sont déroulés
dans sa modeste sphère d’action.
On cite parmi les plus anciens seigneurs d’Héricourt dont l’histoire nous ait conservé les noms :Wallon
de Oriécourt qui vivait en 1173 et Pierre d’Héricourt en 1300. Nous n’avons rien trouvé concernant ces deux
personnages.
Ce fut sans doute à cette époque que les Comtes de Montbéliard firent l’acquisition de la seigneurie
d’Héricourt, et la réunirent à leur domaine dans le commencement du XIVème siècle.
Comtes de Montbéliard depuis la réunion
du Royaume de Bourgogne à l’Allemagne.
1033
Les Comtes de Montbéliard depuis l’annexion du cinquième et dernier royaume de Bourgogne à
l’Allemagne par Conrad le Salique en 1033 sont :
Louis IV, neveu par sa femme de Henri III empereur d’Allemagne ; il éleva des prétentions sur une
partie de la succession de ce monarque et pour mieux les appuyer, comme il était puissant ( il possédait le Comté
de Ferrette, les seigneuries de Belfort, de Delle, de Porrentruy, le comté de Montbéliard, compris Héricourt,
Blamont, Clémont, Châtelot, Etobon, celui de la Roche-St Hippolyte, la baronie de Granges, la seigneurie de
Passavant, différentes terres de la Basse Alsace, et enfin les comtés de Mousson, Bar et Verdun ), il assemble
une nombreuse armée mais l’empereur le repousse et ravage le Comté de Montbéliard. Il fit sa soumission, car
dix ans plus tard, on le retrouve à la tête des armées impériales, chargé de repousser et de réduire les rebelles de
Bourgogne qui s’étaient soulevés en 1043/1045. Pendant que Louis rassemble ses troupes, Gérard et Renaud de
Bourgogne viennent assiéger le château de Montbéliard.
Louis, quoique inférieur en nombre, les attaque, met leurs troupes en déroute, fait lever le siège de la
capitale et les oblige à se rendre à Soleure où ils font leur soumission à l’Empereur.
1102
Thierry, son fils, lui succède ; il laisse 9 enfants qui se partagent ses états.
1125
Thierry II obtient dans la succession paternelle, le comté de Montbéliard. En 1156, il assiste à la diète
de Wurtzbourg et au mariage qui y fut célébré de l’empereur Frédéric Barberousse avec Beatrix de Chalons, fille
unique et héritière de Renaud III comte de Bourgogne. Il n’est qu’un fils appelé Thierry, mort avant son père et
deux filles Agnès et Ermentrude ; Agnès épousa Richard II seigneur de Montfaucon.
1163
Leur fils, le comte Amédée succède à Thierry II son aïeul ; il eut une fille nommée Bonne et deux fils :
Gauthier et Richard qui lui succéda en 1188. Ses deux fils prirent part aux croisades en 1201. Gauthier s’arrêta
dans l’île de Chypre où il épousa Bourgogne, fille d’Amaury de Lusignan, roi de cette île et devint comte de
Jérusalem. Bonne épousa Pierre de Scey, dont les descendants s’attribuèrent le surnom de Montbéliard, à cause
de la naissance illustre de leur mère. ( Je ne rappelle ces détails que parce que les Scey de Montbéliard subsistent
encore, dit-on en Franche-Comté).
1233
Thierry III dit le Grand Baron succède à son père au Comté de Montbéliard et à toutes ses
dépendances. Thierry III a trois enfants : Richard, son fils, meurt avant son père ; Sybille, l’aînée de ses filles,
épouse Raoul IV de Neufchâtel en Suisse. De cette union naquit le comte Amédée, mari de Jordane d’Arberg qui
fut père de Guillaumette.
1282
Guillaumette et son époux Renaud, comte palatin de Bourgogne succédèrent conjointement à Thierry
III. Renaud se distingait, dit-on, par ses vertus guerrières. Le séjour d’Héricourt lui paraissait sans doute
agréable, car il en avait fait sa résidence habituelle.
Il se plaisait, dit-on, beaucoup au château ; lequel ? le château de Beurnevesin ou le château actuel ? les
historiens qui rapportent ce fait ont oublié de préciser ce point. Ont-ils de Conrart « imité le silence prudent » ?
C’est possible ! Donc, nous en ferons tout autant.
Quoi qu’il en soit, c’est à Héricourt qu’il testa et mourut en 1321. par son testament, il établit son frère
Hugues de Bourgogne, tuteur et curateur de son fils le comte Othenin, jeune prince faible d’esprit et la mine
« imbécile » ajoute-t-on, pour régir sa succession pendant cinq ans, à partir du jour de sa mort ; passé ce terme, si
Othenin « n’est point en état déhu pour gouverner ses terres ses seigneuries, elles seront partagées entre ses
quatre filles, savoir : Jeanne, Agnès, Alix et Marguerite. La princesse Jeanne eut de son premier époux Ulric de
Ferrette, une fille nommée Jeanne qui épousa Albert duc d’Autriche. Les historiens accusent cette princesse
d’avoir empoisonné l’empereur Louis V en 1347, dans un breuvage qu’elle lui offrit à la chasse.
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D’après les stipulations, Jeanne, Comtesse de Ferrette, Agnès Dame de Montfaucon, les deux aînées, auront le
Comté de Montbéliard et les seigneuries de Belfort et Héricourt ; Alix et Marguerite, les terres en aval de
Besançon.
1326
Cinq ans après, par un nouveau traité conclu à la Bretenière ( Jura ) entre Hugues de Bourgogne en
qualité de tuteur et curateur d’Othenin de Montbéliard, son neveu, Jeanne de Montbéliard, veuve d’Ulric de
Ferrette, mariée en secondes noces à Raoul Hesse ou Hetz, marquis de Bade, et Agnès, femme de Henri, sire de
Montfacon, sœurs d’Othenin, confirmant le partage éventuel du testament de Renaud. Le 3 mai 1332, survint un
partage définitif qui déterminait exactement les droits des héritiers.
La Seigneurie d’Héricourt
sous les marquis de Bade.
Il ne faut pas confondre le grand duché de ce nom avec le marquisat de Bade dont les limites étaient
bien différentes. Le margravat, noyau du grand duché actuel de Bade avait très peu d’étendue et ne comprenait
qu’un petit territoire, situé dans la partie où le Rhin forme son coude à angle droit, et prend la direction du Nord.
Il était borné à l’Est et au Nord Est par le Brisgau, et au Nord par la Haute Alsace, à l’Ouest par le Suntgau, au
Sud Ouest et au Sud par le Comté de Ferrette et le Jura septentrional.
Un des plus anciens chefs de cette maison fut Berthold de Zaeringen qui épousa en secondes noces Béatrix fille
de Louis IV, comte de Montbéliard ; de cette union naquit Hermann de Zaeringen et de Carinthie en 1074, qui
devint la souche des marquis de Bade.
La maison de Bade et celle de Montbéliard étaient par conséquent assez près parents ; de nouvelles alliances
devaient resserrer les liens qui les unissaient.
26 août 1347
Jeanne de Montbéliard, veuve en secondes noces de Raoul d’Hetz, épouse le Comte de
Catzenelnbogen et vient habiter l’Alsace. Elle laisse quatre filles, et par un partage fait à Altkirch le 26 août
1347, Marguerite de Bade, sa fille qui avait épousé Frédéric de Bade, obtient la seigneurie d’Héricourt.
16 mars 1361
Cette princesse prit le nom de Dame d’Héricourt ; elle fixa sa résidence dans cette seigneurie,
et se montra très bonne pour les habitants de la ville et terre de ce nom qu’elle affranchit de la mainmorte, et leur
accorda en outre différents privilèges très importants.
La Seigneurie d’Héricourt, indépendamment de son chef-lieu, comprenait alors 16 villages : Chagey, Luze,
Brevilliers, Chenebier, Eschavannes, Byans, Vyans, Verlans, Mandrevillars, Coisevaux, Tremoins, Bussurel,
Echenans, Tavel, Aibre et Laire, ces deux derniers dans le Doubs.
Les neuf premiers de ces villages appartenaient en entier à la Seigneurie d’Héricourt, les huit derniers ne lui
appartenaient qu’en partie. Dans sept de ceux-ci, savoir : Coisevaux, Tremoins, Champey, Bussurel, Echenans,
Aibre et Laire, le Comte de Montbéliard exerçait la suzeraineté. Une partie de Tavel appartenait à l’abbé de
Lure.
A cette date, le 9/9/1360, Marguerite d’Héricourt, marquise de Bade, lègue par testament, à sa fille de même
nom, mariée au Comte Geoffroi de Limange, la Seigneurie d’Héricourt.
Le Comté de Limange, dépendance de l’empire d’Allemagne, situé entre le Bas-Palatinat et les évêchés
de Spire et de Worms, avait pour capitale Durkheim et comprenait les seigneuries de Landeck, Dabo, Durkheim,
Grünstäed, etc….
A partir de cette époque la Seigneurie d’Héricourt passe aux mains de princes autrichiens.
La Seigneurie d’Héricourt
sous la domination des ducs autrichiens.
17 février 1374 De la maison de Bade, la Seigneurie d’Héricourt passe aux provinces d’Autriche, car ce fut
vers ce temps que les ducs Albert et Léopold en devinrent les souverains.
Comment ce domaine arrive-t-il en leur pouvoir ? S’en sont-ils emparé de vive force ou l’ont-ils obtenu
par voie d’héritage, de donation ou d’acquisition ? les sources où nous avons puisé ces renseignements ne
contiennent rien de précis à cet égard. Nous inclinons à croire, contrairement à l’opinion émise par le
Dictionnaire des communes qu’ils en sont devenus les légitimes propriétaires par voie de succession, ces princes
étant les neveux de Marguerite de Bade comtesse de Limange qui n’a point laissé d’enfants.
Quoi qu’il en soit, les habitants d’Héricourt n’eurent qu’à se louer de leurs nouveaux maîtres. Les franchises de
la mainmorte, récemment accordées par Marguerite leur furent non seulement confirmées mais ils y ajoutèrent
de nouvelles concessions également importantes par une charte du 16 mars 1374.
25 novembre 1368 : ils eurent à soutenir une guerre que leur fit Enguerrand de Coucy, comte de Soissons et de
Belfort qui leur réclamait la dot de sa mère, fille de Léopold d’Autriche.
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Coucy était un personnage important alors et jouissait d’une grande considération à la cour de France,
où on le voit refuser la dignité de connétable à la mort de Duguesclin.
En vue de cette guerre, il avait fait alliance avec le comte Etienne de Montbéliard : moyennant la
somme de 21 000 francs, celui-ci s’engageait à l’aider dans la lutte qu’il allait entreprendre contre ses cousins
d’Autriche, les ducs Albert et Léopold. Les détails de cette expédition nous manquent, nous ne savons pas à
l’avantage de qui se termina cette lutte.
Enguerrand de Coucy a joué un rôle important dans l’histoire de son temps : c’était un négociateur et un
guerrier. Il prit part à toutes les guerres de son époque ; on le trouve en Italie, en Allemagne, en Hongrie où il fut
pris par Bajazet à la terrible bataille de Nicopolis en 1396 ; il mourut peu de jours après dans les bras du duc de
Nevers ( Jean sans Peur) sans laisser d’enfants mâles. Coucy avait épousé en premières noces la fille d’Edouard
III roi d’Angleterre.
C’est dans cette expédition contre les Turcs, conduite par le Comte de Nevers ( depuis, Jean sans Peur)
pour porter secours à l’empereur Sigismond menacé par les Turcs, que périrent plusieurs princes appartenant à
l’est de la France, entre autres : Henri, seigneur d’Orbe et fils du Comte de Montbéliard, et deux fils du nouveau
seigneur d’Héricourt, Thiébaud VII de Neufchâtel.
Les historiens nous racontent que cette expédition, cette croisade nouvelle, mais défensive cette fois, qui
s’était réunie à Dijon, traversa Montbéliard ; le duc de Nevers et une foule de seigneurs de sa suite s’y arrêtèrent
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plusieurs jours où de brillantes fêtes, un tournoi, en un mot une magnifique hospitalité les attendait. Toute cette
brillante noblesse préludait ainsi à des combats qui allaient être beaucoup plus dangereux.
Novembre 1372 Les princes de la maison d’Autriche ne gardèrent pas longtemps la seigneurie d’Héricourt, car
au mois de novembre 1372, nous voyons Thiébaud de Neufchâtel qui en fait l’acquisition pour la somme de 12
000 florins ( le florin d’or valait 4 livres tournois, la livre tournois valait 20 sols, le sol 12 pites ; la pite 4 niquets.
Une monnaie, celle qui était presque la seule en usage dans l’ancien duché de Bourgogne avant le 14 ème siècle
était la livre estevenante ou estevenoise, ainsi nommée de St Etienne, l’un des patrons du diocèse de Besançon ;
elle se divisait aussi en sols, pites et niquets, mais elle ne valait que 14 sols 9 deniers monnaie de France. Le gros
valait 15 1/3 deniers, le niquet 1 ½ denier.)
On pouvait craindre que, dans cette succession si rapide de nouveaux maîtres, dans ce va-et-vient
incessant de princes appartenant à des pays si différents, on pourrait craindre, dis-je, pour les libertés déjà si
faibles alors ; mais il ne paraît pas qu’elles eussent à en souffrir, les nouveaux seigneurs confirmant les
franchises précédemment accordées. C’est d’ailleurs d’une politique tout élémentaire que celle qui consiste à ne
pas s’aliéner l’esprit de ses sujets par des mesures restrictives, il semblerait au contraire, qu’ils auraient dû faire
précéder leur prise de possession de leur nouveau domaine par l’abandon de de tel ou tel droit au moyen
desquels ils tenaient à assujettir les malheureuses populations d’alors ; mais nous savons que le souffle de
l’esprit libéral a rarement fait sentir sa bienfaisante et vivifiante influence dans la France du moyen-âge et que
ces libertés qu’on avait l’air d’accorder, n’étaient bien souvent, hélas !qu’arrachées. L’histoire des libertés et des
franchises communales est là pour attester ce fait.
Hâtons-nous de dire, après cette petite digression, et ceci tout à l’avantage des seigneurs de Neufchâtel,
que les habitants de la seigneurie d’Héricourt n’eurent point à se plaindre de leurs nouveaux maîtres.
Serfs, Mainmortables, Tenanciers libres,
Tailles, Corvées. Etat des habitants des campagnes.
Jusqu’ici il n’a été question que des princes, des seigneurs, des nobles, en un mot, de ceux que le hasard
de la naissance ou des circonstances heureuses ont placés à la tête des peuples, de ceux qui gouvernent,
commandent, punissent, oppriment sans s’inquiéter s’il y avait des êtres à côté ou au-dessous d’eux.
Eh bien ! n’oublions pas qu’à la base de l’échelle sociale, il y a une foule dont le sort est bien digne de
fixer l’attention et d’arrêter les regards ; rappelons-nous qu’il y a aussi des êtres déshérités qui s’agitent
péniblement, dont l’existence est triste et misérable, l’avenir incertain, redoutable et sans espoir d’améliorer, icibas, une condition à l’égal de la bête. Et cependant ce sont des hommes ! Mais on n’a pas l’air de s’en douter, et
il faudra attendre bien des siècles encore avant de voir la moindre marque de sympathie en faveur du sort des
malheureuses populations.
Reprenons les choses d’un peu loin. Aux IXème et Xème siècle, les sujets que comprenait une
seigneurie ou tout autre état d’alors, étaient divisés généralement en trois catégories : les serfs, les
mainmortables, les tenanciers libres appelés aussi vilains, manants ou roturiers, dénominations qui marquaient
tout à la fois la dépendance et le mépris dans lesquels on les tenait.
Les serfs. Les serfs dont le nom signifie homme de la terre, étaient attachés à la terre, la glèbe, et livrés à
l’entière discrétion du seigneur et maître : c’était son bétail humain. Si le serf guidait la charrue que traînait le
bœuf, il n’avait ni plus ni moins de droit que son robuste compagnon encorné. « Comme lui, on le vendait avec
le champ, avec les instruments de travail, lui-même instrument de travail et rien autre chose » G. Ducoudray.
Cette condition dégradante, reste de l’esclavage antique, le servage, devait disparaître peu à peu, grâce à
l’influence du christianisme, et à l’époque où nous sommes arrivés de notre histoire locale, il est à peu près
aboli : tous les sujets étaient mainmortables ou vilains.
Les Mainmortables. C’est le second degré de la condition humaine. La personne du mainmortable est libre ; ses
biens ne le sont pas. « Le seigneur, dit Beaumanoir, juriste du Beauvaisis, ne leur peut rien demander s’ils ne
meffont, fors leur cens, leurs rentes et leurs redevances qu’ils ont accoutumé à payer. Seulement, il ne peut se
marier sans le consentement du seigneur, et s’il prend une femme franche ou née hors de la seigneurie, il
convient qu’il livre ( finance) à la volonté du seigneur ; c’est le droit de formariage, le droit de se marier hors de
la seigneurie. Il peut acquérir ; on respectait sa propriété, mais à sa mort, son héritage revenait au seigneur.
Le sire hérite partout de son serf.
Il naissait libre, a-t-on justement dit et mourait esclave. Les enfants n’entraient en possession de la succession
paternelle qu’en rachetant ses biens. C’est le droit de mainmorte.
Ce mot vient, dit-on, de l’usage odieux et barbare de couper la main droite du mort que l’on présentait au
seigneur pour lui apprendre qu’il pouvait disposer biens de son serf » (Ducoudray)
Les tenanciers libres. Puis venaient les tenanciers libres, appelés vilains, manants ou roturiers. C’est le degré
supérieur ; aussi, grande est la distance entre le servage et la roture ; ceux-ci ont sauvé leur liberté que les serfs
ne possédaient pas.
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Ainsi que l’indique leur nom, les tenanciers, tenaient, moyennant une rente annuelle et des corvées, les
terres que leur sire leur avait accordées et qu’ils pouvaient transmettre à leurs descendants. Voilà la supériorité
de sa condition : pouvoir léguer à ses enfants. Combien ce droit nous paraît légitime et naturel ! au premier
aspect, cette concession nous semble très grande et elle l’était en effet pour l’époque, mais n’oublions pas que si
le seigneur donnait d’une main, il retenait de l’autre en frappant de nouveaux droits, lourds, écrasants parfois.
Et cet affranchissement de la mainmorte fut – à n’en pas douter – un acte d’humanité mais dont il fut le
premier à profiter. Intéressé directement à la production de la terre, le roturier n’apporta plus à son entretien des
soins qu’il trouvait trop lourds et la stupide indifférence du bœuf ; au contraire, son activité se multiplia, l’esprit
d’initiative pénétra pour la première fois dans ce cerveau qui paraissait fermé ; devenant sa propriété, ce champ
fut mieux cultivé, il eut tout intérêt à le faire produire davantage et de là, il fut naturellement conduit à réfléchir,
à s’ingénier pour améliorer, en un mot à perfectionner sa culture. D’ailleurs, l’expérience et la raison nous
démontrent que le propriétaire cultive mieux la terre que le fermier.
Mais voyons quelles conditions le seigneur a mises à l’abandon de ce droit, car nous savons qu’il n’est
pas homme à donner quelque chose pour rien ; quelles sont les nouvelles obligations qu’il impose ?
D’abord : la taille, c’ est-à-dire l’impôt seigneurial qui consistait en provisions de blé, de bétail, de volaille, de
cire, etc… ou à faire des travaux particuliers pour le compte du seigneur : les corvées dans les vignes, pour la
construction du château ou le curage des fossés, pour la réparation des routes ou la confection des meubles ou
des ustensiles, fers de cheval, socs de charrue, voitures, etc…
De là est venue l’expression « taillable et corvéable à merci ». c’est là un faible aperçu des droits seigneuriaux ;
nous n’entreprendrons pas de les énumérer tous, ce serait fastidieux, il suffira de vous rappeler qu’ils avaient
droit absolu « du ciel à la terre et sous terre…sur cou et sur tête, sur eau, vents et prairies ». La loi féodale
disait : « Entre toi, seigneur, et toi, vilain, il n’y a juge fors Dieu ».
Mais cette faible esquisse de l’histoire de nos pères serait encore incomplète si je ne vous présentais le
tableau de sa vie domestique et privée. Examinons l’homme de la campagne dans son intérieur, disons plutôt
dans sa hutte, car on ne saurait appeler son misérable réduit une maison, voire même une cabane. C’étaient de
pauvres constructions faites avec du sable, des cailloux, de la paille, recouvertes avec du chaume, des roseaux,
de la terre : une seule entrée y donnait accès, par où pénétraient l’homme et le bétail, car tout était commun ;
l’hiver on l’éclairait au moyen du foyer.
Dans nos contrées tempérées, l’usage de l’huile resta ignoré jusqu’aux XVème et XVIème siècles ; la
cire était chère, le Château et l’Eglise en enlevaient la plus grande partie en redevances et en dimes.
Tout est triste et misérable dans ce réduit bas et humide, de méchants escabeaux, une table, et dans un
coin sombre, un lit, et quel lit !… une caisse remplie de paille sur laquelle on s’enroule tant bien que mal dans
les lambeaux d’une misérable couverture ; tel était l’ameublement.
Et quelle alimentation !… Des mets grossiers et mal préparés, de l’eau chaude en guise de soupe, où
flottaient des tranches d’un pain noir et amer, fait d’avoine, de maïs ou de pois. ( Oh ! que n’ont-ils eu notre
rustique et démocratique pomme de terre ! )
Le blé n’était pas pour lui, et dans sa stupide ignorance, il eût cru s’attirer la colère du ciel s’il eût osé le
faire servir à son avantage.
Cette idée a traversé les siècles et il n’y a pas bien longtemps encore que notre paysan, pour la même
raison, n’aurait pas consenti à manger son blé pur de tout mélange. De nos jours, il se montre moins naïvement
crédule et son bien-être a profité de tout ce que sa foi a perdu.
Cette situation fut bien des siècles avant de s’améliorer, il y a à peine deux cents ans que leur état était
presqu’au même point si l’on doit croire le triste tableau que nous en présente un de nos célèbres moralistes, La
Bruyère : « L’on voit certains animaux farouches, répandus par la campagne, noirs, livides et tout brûlés du
soleil, attachés à la terre qu’ils fouillent et qu’ils remuent avec une opiniâtreté invincible ; ils ont comme une
voix articulée, et quand ils se lèvent sur leurs pieds, ils montrent une face humaine, et en effet, ils sont des
hommes. Ils se retirent la nuit dans leurs tanières où ils vivent de pain noir, d’eau et de racines ; ils épargnent aux
autres hommes la peine de semer, de labourer et de recueillir pour vivre, et ils méritent ainsi de ne pas manquer
de ce pain qu’ils ont semé ».
Abrogation des tailles et corvées. Toutes ces redevances, tailles et corvées que le moyen-âge avait établies et
qui tenaient le vilain courbé sur son pénible sillon, furent abrogées dans la seigneurie d’Héricourt par une charte
du 17 février 1374. Les habitants furent affranchis de toutes tailles et corvées sans rien exiger que le paiement
annuel de douze deniers par toise de leurs maisons. Ces princes ajoutèrent à ces franchises celle d’élire un
magistrat.
Administration. Magistrat . Justice.
A partir de 1374, l’administration de la ville d’Héricourt fut confiée à un corps élu par les habitants,
appelé Magistrat. Il était composé de neuf membres dont les deux premiers prenaient le nom de Maître
Bourgeois de la ville – nous les appelons aujourd’hui adjoints – et présidé par un bailli. Indépendamment de ses
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fonctions administratives, ce corps était aussi chargé de rendre la justice, mais « exclusivement » dans la ville
d’Héricourt ; alors il prenait le nom de Tribunal de la Mairie, et son président celui de Maire.
« Les populations rurales étaient jugées par la prévôté ». la même administration administrative et judiciaire
existait dans la ville et les campagnes du pays de Montbéliard. Le Bailli d’Héricourt connaissait toutes les
affaires concernant les habitants de la seigneurie du Châtelot. ( E Tuefferd)
Le bailli, c’est à dire le chef de la municipalité, du magistrat, du conseil municipal d’alors, était, avonsnous vu, en même temps revêtu des fonctions de président de la Justice de la Mairie, nous n’avons trouvé, en
effet, nulle part la preuve qu’un bailli ne fût le chef de la justice ; nos pères étaient des gens trop pacifiques pour
faire un choix qui pût déplaire à leur gracieux seigneur, mais le fait pouvait se produire et le cas d’un conflit
avait été prévu par le droit que les seigneurs s’étaient réservé pour eux et leurs successeurs d’établir un maire
chargé de présider la justice et de recevoir leurs droits seigneuriaux.
Justice de la prévôté.
Les habitants des campagnes étaient jugés par la prévôté. Etablie à Héricourt où elle avait son siège, elle
se composait de cinq membres choisis parmi les maires des communes de la Seigneurie et se réunissait
seulement pour les cas graves sous la présidence d’un prévôt qui n’avait que voix consultative.
Les appels de la prévôté étaient portés devant le tribunal du bailliage de la seigneurie.
A côté de ces deux corps de justice, il existait, mais seulement pour le besoin des villes un troisième
corps appelé Justice Inférieure, ne s’occupant que des petits délits, et chargé surtout de maintenir la police ; elle
était tenue par les sept derniers membres du Magistrat.
Mais en 1620, elle fut modifiée, ainsi qu’un grand nombre de justices inférieures provenant des
établissements ecclésiastiques supprimés ou des vassaux dont les fiefs avaient fait retour au domaine du prince.
A partir de cette époque les appels des tribunaux de première instance étaient portés devant le Conseil de
Régence jugeant en dernier ressort et qui prenait le nom de Cour et Chancellerie lorsqu’il connaissait des affaires
jugées en premier ressort par les tribunaux du Comté, et de Souverain Buffet pour celles provenant des justices
des seigneuries.
Législation. Sévérité des lois pénales.
Les lois civiles qui régissaient la principauté de Montbéliard étaient : les us et coutumes du pays, les lois
fondamentales de l’Empire Germanique, les ordonnances des comtes de Montbéliard, et enfin le droit romain,
lorsque ces diverses lois étaient muettes sur une question litigieuse.
La législation criminelle était celle de l’Empire, modifiée par de nombreuses ordonnances ou coutumes
locales. Les lois pénales étaient d’une rigueur inouïe. En 1539, un homme qui avait parcouru les rues de
Montbéliard en costume de femme « fut mis es mains du maître de la haute justice pour être placé sur une
échelle avec deux quenouilles es côtés, puis fustigé et banni des terres et seigneuries de son excellence ». On
plongeait trois fois dans l’eau les maraudeurs, après les avoir exposés dans une cage une heure à la risée du
public. L’adultère par seconde récidive entraînait la décollation pour l’homme qui s’en était rendu coupable, et
sa complice était noyée. Les banqueroutiers subissaient la peine du carcan et du bannissement. On marquait au
front et à la joue ceux qui se mêlaient d’arts divinatoires. Les paillards subissaient la peine du fouet, puis étaient
bannis du pays. Les faux-monnayeurs étaient roués ; les infanticides étaient noyés. Le 13 mai 1645, une fille
convaincue d’infanticide, subit le dernier supplice devant le grand pont de Montbéliard. Elle reçut quatre coups
de tenailles ardentes, un à chaque mamelle et un à chaque bras ; ensuite l’exécuteur lui coupa la main droite et la
mit dans un sac qui fut jeté au plus profond de la rivière, pour être noyée et suffoquée en icelle.
Les sorciers et sorcières étaient condamnés au bûcher. La dernière sentence de mort prononcée pour le prétendu
crime de sorcellerie fut exécutée le 11 avril 1660 contre une malheureuse femme d’Allanjoie. Condamnée,
suivant l’usage, à être brûlée vive, elle fut, par grâce, décapitée devant le grand pont ; son corps fut jeté dans les
flammes et réduit en cendres. Plus de cinquante victimes de l’ignorance et de la barbarie de nos ancêtres ont
ainsi péri du dernier supplice tant à Montbéliard qu’à Blamont et surtout à Héricourt, depuis l’année 1481
jusqu’au milieu du XVIIème siècle.
Au mois de septembre 1697, le prévôt de Montbéliard fit une information contre Sara MARION, bergère au
village du Vernoy : elle était accusée d’avoir, par sortilèges et maléfices, introduit deux diables dans le corps
d’un garçon de 14 ans. Le ministre de la paroisse, Jean-Georges PARROT, adoptant aveuglément la prévention,
avait pratiqué des exorcismes auxquels les esprits malins et diaboliques résistèrent, quoique le nom de Dieu eût
été invoqué et réitéré plusieurs fois. Ce ne fut qu’à la faveur d’une bouillie, appelée paipai, que ces diables
demandèrent, et qu’on leur donna par l’organe de la bouche du garçon, que l’on parvint à les expulser ; ce paipai
fut composé de farine blanche et de cinq œufs pondus par une poule noire et trouvés dans le ratelier du bétail.
Après leur sortie qui fut précédée de sifflements que tous les assistants ouïrent très bien, l’enfant fut aussitôt
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guéri et put de nouveau se livrer à ses occupations. Nous ignorons si la sorcière fut emprisonnée et poursuivie ;
nous aimons à croire, pour l’honneur des juges que l’affaire en resta là.
La plupart des malheureuses accusées du prétendu crime de sorcellerie ou genaulcherie, confessaient
ingénûment qu’elles avaient fait un pacte avec le démon, qu’elles étaient allées au sabbat et avaient usé de leur
pouvoir magique pour grever bêtes et gens et jeter sur elles un mauvais sort. Toutefois, ces aveux devaient être
confirmés par le sceau du diable, marque ou empreinte sur une partie quelconque du corps, qui montrait
clairement que la sorcière s’était tout à fait donnée à lui et l’avait pris pour son maître, quittant Dieu. Là où se
trouvait cette marque, on enfonçait des aiguilles : si le patient n’éprouvait aucun sentiment de douleur, la preuve
de son crime était acquise, et le juge, dupe de son aveuglement et de ses préjugés, n’hésitait plus à prononcer la
peine de mort.
On coupait la langue ou les oreilles aux blasphémateurs et aux calomniateurs.
Les suicidés étaient traînés sur la claie et enterrés au pied du gibet. Les cadavres des individus tués en
duel demeuraient pendant trois heures suspendus par les pieds à la potence, sous laquelle ils étaient ensuite
inhumés. Enfin, toute exécution capitale était précédée de la torture ; jamais elle ne fut abrogée ; mais dans le
seconde moitié du XVIIIème siècle, on cessa d’avoir recours à ce moyen barbare d’obtenir l’aveu d’un crime ou
la dénonciation des complices.
A chaque exécution capitale, les pères et les mères y faisaient assister leurs enfants, et afin de mieux
imprimer dans ces âmes encore tendres l’horreur et le souvenir du crime, ils les fustigeaient sur le lieu même du
supplice. Les pasteurs de la ville, le maire et le procureur général, les neuf maîtres-bourgeois et les quatre chasez
ou notables adjoints au tribunal de la mairie, assistaient à toute exécution à mort qui avait lieu à Montbéliard.
Les peines contre les contrebandiers étaient excessivement rigoureuses. D’après l’ordonnance sur les
forêts du 1er août 1595, les tireurs de venaison trouvés pour la première fois étaient punis d’une amende de 40
livres et d’un mois de prison ; leur arbalète était confisquée et ils étaient privés du droit de porter une arquebuse
ou d’autres armes. Ils devaient en outre dire ce qu’ils avaient tiré et dénoncer leurs complices s’ils en avaient ;
sinon, ils étaient mis à la question, et avant d’être élargis, ils devaient prendre l’engagement de ne plus
commettre de délits de chasse. En cas de récidive, on leur mettait un collier où était suspendue une corne de cerf
en fer afin qu’ils puissent être reconnus. Ils étaient, en outre, emprisonnés pendant huit jours, et leur arquebuse
était confisquée. S’ils enlevaient la corne de cerf qu’ils portaient au cou, ils étaient condamnés à la peine
capitale.
L’ordonnance sur les forêts du 8 février 1779 était un peu moins sévère. Les braconniers, sujets du
prince étaient condamnés à un mois de prison, et au bannissement en cas de récidive. S’ils commettaient des
voies de fait envers les agents forestiers, ils pouvaient être condamnés à une peine afflictive et même à mort. Les
braconniers étrangers au pays, s’ils étaient surpris commettant un délit, n’étant pas plus de deux, étaient
condamnés à 50 livres d’amende, et obligés de rester en prison jusqu’au parfait paiement de la dite somme et des
frais de poursuite et de détention. S’ils étaient trouvés en troupe, ou masqués ou déguisés, ou s’ils avaient opposé
de la résistance, ils étaient poursuivis extraordinairement, punis même corporellement et leurs armes
confisquées.
Les délits de moindre importance, qui n’étaient passibles que de l’amende ou de la prison, étaient punis
arbitrairement par le juge. Le corps ecclésiastique avait le droit, en ce qui concernait les infractions aux mœurs
ou à la religion, d’appliquer, sous le nom de calange, une remontrance publique pendant le service divin aux
coupables qui, à cet effet étaient placés en évidence dans le chœur de l’église, et qui étaient ensuite exclus de la
communion pendant un temps plus ou moins long.
Héricourt sous les seigneurs de Neufchâtel.
La principauté de Neufchâtel qui renfermait au N.O. le comté de Vallangin, était bornée au S.E. par le
lac de ce nom, à l’O. par le Jura et le comté de Montbéliard et au N. par l’évêché de Bâle. Elle est de date fort
ancienne. Ses princes devinrent possesseurs de la seigneurie d’Héricourt dans le courant du XIVème siècle par
suite de l’acquisition qu’ils en firent des ducs d’Autriche.
Nous n’avons aucun fait important à signaler qui se soit passé sous le gouvernement des seigneurs
suisses. Thiébaud de Neufchâtel laissa deux fils qui se partagèrent la seigneurie d’Héricourt, savoir : Humbert de
Neufchâtel , évêque de Bâle et Thiébaud de Neufchâtel, le septième du nom qui fut tué à la bataille de Nicopolis,
précédemment citée.
Le fils de ce dernier, Thiébaud VIII, hérita de son père sa part de la seigneurie d’Héricourt et dans la suite en
devint le seul propriétaire par suite de la vente que lui en fit son oncle le prélat le 9 novembre 1413, mais sous
condition de réachat. Cette clause devait devenir la source de terribles calamités pour la ville et les habitants
d’Héricourt.
En effet, dix ans s’étaient à peine écoulés que le successeur de l’évêque de Bâle : Jean de Fleckenheim,
fait offrir à Thiébaud VIII de lui rembourser les sommes nécessaires pour rentrer en possession de la seigneurie
d’Héricourt. Le sire de Neufchâtel refuse ; de là une guerre terrible, guerre de dévastation entre lui et le
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belliqueux prélat. Les Bâlois, avec plusieurs alliés, le comte de Thierstein, le seigneur de Montjoie, etc… vinrent
mettre le siège devant Héricourt. Quelle fut la conduite des habitants de la ville dans cette horrible occurrence ?
nous l’ignorons ; toujours est-il qu’ils ne purent repousser les attaques de leur impitoyable ennemi, et que le 11
novembre 1425, le château tomba au pouvoir des assiégeants qui livrent la ville au pillage et la réduisent en
cendres.
La paix fut conclue en 1427 ; la seigneurie d’Héricourt demeura cependant au sire de Neufchâtel, mais
qui se vit contraint de subir les dures conditions du vainqueur. Les états furent diminués ; il dut céder des terres
du côté du duché de Bâle.
Après cette terrible calamité, succèda une période de calme, pendant laquelle Héricourt put se relever de
ses ruines, sous les princes Thiébaud VIII et Thiébaud IX, fils du précédent. Ce fut sous le gouvernement d’un
de ces seigneurs que les bourgeois furent affranchis de l’obligation où ils étaient de cuire leur pain dans son four
banal. Il est bon d’ajouter que cette nouvelle faveur ne leur fut accordée que sous la réserve de la livraison
annuelle dans ses greniers de deux quartes de froment par feu et ménage et du paiement annuel, en fait de
communauté, de quatre livres de cire.
C’est sans doute à cette époque de tranquillité que l’on peut faire remonter la construction du château
actuel duquel il ne nous est donné de contempler que la tour principale et une aile.
Les écorcheurs 1435 – 1444.
En 1444, notre pays, de même qu’un grand nombre des principales provinces de la France, fut éprouvé
par des calamités qui rappelèrent les souffrances qu’eurent à supporter les anciens habitants de la Gaule à
l’époque des invasions barbares.
Elles furent occasionnées par la présence des écorcheurs ou Armagnacs, en Franche-Comté et
notamment comté de Montbéliard. On nommait ainsi des bandes armées qui parcouraient le pays répandant
partout l’épouvante et semant la dévastation.
Ces hordes sanguinaires, ces brigands enrégimentés s’étaient donné une espèce d’organisation militaire
et obéissaient à des chefs qui les conduisaient au pillage. Ils se répandaient dans une province, et non moins bons
soldats que bandits avides de rapines, ils s’en rendaient facilement les maîtres, s’y établissaient en dominateurs
et y exerçaient toutes les exactions imaginables ; après l’avoir complètement épuisée, enlevant également les
épargnes des laboureurs et les trésors des moines, ils l’abandonnaient en proie à toutes les horreurs de la famine
pour se porter sur une autre province où ils renouvelaient les mêmes scènes de cruautés et de dévastations. On
remplirait des volumes du récit de leurs atrocités, et c’est à juste titre que les historiens de l’époque les ont
sévèrement qualifiés du nom significatif d’Ecorcheurs. Pour bien comprendre et expliquer la présence de ces
sinistres routiers, il est nécessaire de jeter un coup d’œil sur l’état de la France dans la première moitié du
XVème siècle.
Après le Traité d’Arras en 1435 qui fut le prélude de la fin de l’occupation anglaise, on vit tout à coup
surgir ces bandes d’aventuriers qui se déchaînèrent sur notre sol, et mirent successivement au pillage la
Bourgogne, l’Alsace et la Lorraine. D’où venaient-elles, d’où sortaient-elles ? c’étaient les débris des troupes au
service de la France, ou de qui les soudoyait, le duc de Bourgogne, par exemple, et que la paix venait
brusquement surprendre et rendre à leur liberté. Mais ce ramassis de gens de guerre n’ayant jamais vécu que de
pillage et de la libre vie des camps, ne pouvait s’accoutumer aux douceurs de la paix ; d’ailleurs, où trouver un
foyer, un refuge, et comment vivre après, eux qui, pour la plupart étaient nés sur les champs de bataille, ou
étaient étrangers au pays, car on y trouvait des Brabançons, des Allemands, des Italiens ? « Aussi les vit-on
bientôt se réunir, se grouper et former une association en vue du pillage, qui fut pour le XVème siècle ce que les
Grandes Compagnies furent pour le siècle précédent, avec cette différence que les excès de toute nature commis
par les Ecorcheurs effacèrent tous les exploits de leurs devanciers, et laissèrent un souvenir impérissable dans
l’esprit des populations épouvantées devant tant d’horreurs ».( A. Cudey, Archiviste aux Archives Nationales :
Les écorcheurs sous Charles VII )
Quel sombre tableau que celui de leurs dépradations ! c’est le pillage sous toutes ses formes les plus
variées, les désordres, les excès contre les personnes avec toutes les turpitudes de la licence effrénée des gens de
guerre dont les passions brutales et les instincts féroces se donnent libre carrière. Ces misérables bandits
mettaient tout à prix : les femmes, les enfants, même les enfants au berceau.
Tel était l’état de la France après la paix d’Arras ; Charles VII, heureusement, vit le danger d’une telle
situation et essaya par tous les moyens possibles de remédier au désordre de ces gens de guerre, qui, durant dix
années semèrent la désolation dans les plus fertiles provinces de la France. Ce fut pour mener à bonne fin cette
entreprise qu’il prit part à la guerre que l’Autriche faisait aux Cantons Suisses révoltés et qui se termina par la
fameuse bataille de St Jacques sur la Besse le 26 août 1444.
Le Dauphin, qui fut Louis XI, commandait cette armée d’écorcheurs ou d’Armagnacs – car ils sont
désignés sous ces deux noms. Voici son itinéraire, tel qu’il est rapporté dans l’ouvrage si intéressant de Mr A.
Cudey : « Les troupes partirent de Langres le 20 juillet 1444, traversèrent Bourbonne-les-Bains le 5 août,
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entrèrent dans la Haute-Saône par Jouvelle- sur- Saône le 26, arrivèrent à Luxeuil le 8, elles y séjournèrent 2
jours. Lure les vit le 12, puis de là ils se dirigèrent sur Dampierre- sur- le- Doubs et y arrivèrent le 17 août 1444.
Le Dauphin y négocie avec les officiers du comte de Vurtemberg la reddition de Montbéliard qui capitula sans
opposer aucune résistance. On rapporte qu’à son entrée le 19 dans la forteresse il aurait dû dire : « il fallait
pendre un châtelain qui avait pu rendre une place défendue par une telle citadelle » voulant parler du château
dont les tours se dressent menaçantes au-dessus de la ville .
De Montbéliard, il se dirige sur Bâle le 25 ; il passa tout l’hiver en Alsace. Ses troupes livrent le 26 août
la sanglante bataille de St Jacques, tandis que lui est au château de Valtighoffen.
Le 7 janvier de l’année suivante, il revient à Montbéliard et retourne à Nancy en passant à Lure ; mais
les habitants font des démonstrations hostiles, et imitant en partie l’exemple de ceux de Granges qui lui avaient
fermé leurs portes, ils ne consentent à lui accorder un gîte que pour dix personnes, laissant toute sa suite « se
morfondre dans les champs sans vouloir même fournir de vivres pour or ni pour argent ».
Tous ces détails établissent d’une manière irréfutable la présence de ces bandits dont le passage était
marqué par la dévastation.
Heureuses les populations qui furent préservées des Ecorcheurs ! La Franche-Comté les vit à deux
reprises : les terres de Faucogney et de Luxeuil une première fois en 1437, la seconde lors du retour d’Alsace du
Dauphin, et chaque fois les mêmes scènes de violences se renouvelèrent.
Héricourt, paraîtrait-il, n’eut pas trop à souffrir des troupes du Dauphin, grâce aux mesures prises par
Thiébaud de Neufchâtel, maréchal de Bourgogne qui fit occuper militairement les places fortes situées autour de
Montbéliard ( aucune n’avait été comprise dans l’acte de reddition de cette dernière).
C’est afin de garantir le Comté de Borgogne des incursions des Ecorcheurs que ces places furent
pourvues de garnisons, elles formaient un demi-cercle dont les extrêmités du diamètre seraient, à l’est Blamont,
et Héricourt au nord ; quatre de ces places, c’est-à-dire Blamont, Vaucluse, Passavant et Belvoir étaient toutes
situées du côté de la montagne ; Clerval et l’Isle se trouvent sur le Doubs, et dans la Haute-Saône on rencontre
Rougemont, Granges, Héricourt et Etobon.
Le capitaine de la ville d’Héricourt, qui commandait la place, nommé par Thiébaud, s’appelait Etienne
de la Rosière.
La seigneurie d’Héricourt pendant la guerre de Charles le Téméraire
contre l’archiduc Sigismond d’Autriche.
Les motifs de cette lutte sont connus de tout le monde. Charles avait peu d’amis et la nature de son
caractère hautain, irascible, despote, n’était pas faite pour lui attirer de nombreux alliés. Un de ses favoris devait
faire éclater l’orage. Pierre de Hagenbach, nommé pour le compte de la Bourgogne gouverneur des comtés de
Ferrette, de Sungau et d’Alsace, abusa de son autorité et rendit le nom de son maître allemand tellement odieux
que les populations maltraitées se soulevèrent : Brisach donna le signal de la révolte, et tout aussitôt, il se forma
une coalition contre la maison de Bourgogne entre l’archiduc Sigismond d’Autriche, la Suisse, le Palatinat et le
roi de France, Louis XI qui était l’âme de la ligue.
Les riches villes de Strasbourg et de Bâle prétêrent au duc Sigismond, avec la caution de Louis XI,
l’argent nécessaire pour payer sa dette au duc Charles. Sigismond offrit le remboursement au duc de Bourgogne,
mais les Alsaciens n’attendirent pas la réponse pour s’insurger. Les Bourguignons furent chassés de toutes les
places, et le gouvernement Hagenbach, traduit devant un tribunal formé des députés de la noblesse et des villes
libres, fut condamné à mort et décapité à Brisach le 9 mai 1474 .
Pendant ce temps, Charles était occupé au siège de Neuss. Quand il apprit la mort du sire de Hagenbach
« qu’il aimait par-dessus tous ses autres serviteurs, il entra dans une colère aveugle et insensée ».
Etienne de Hagenbach s’était rendu près de lui pour demander vengeance de son frère. Charles la lui
promit pleine et entière et mit aussitôt des troupes à ses ordres pour commencer la guerre en Alsace. Ce fut une
faute, le danger qui le menaçait du côté de l’est pouvait être facilement conjuré, car il avait un fort parti chez les
Suisses qui ne s’engageaient qu’à regret dans une alliance avec l’Autriche. Mais les ravages commis dans le
Comté de Ferrette et la Haute Alsace, les indignèrent tellement qu’ils n’hésitèrent plus à attaquer le terrible duc,
jusqu’alors leur allié.
Le duc Charles donna en même temps une marque de sa grande fureur. Henri de Wurtemberg fils du
duc régnant, Ulrich de Wurtemberg, était en ce moment à Luxembourg ; quoiqu’ayant passé ses jeunes années à
la cour de Bourgogne et élevé par les soins du duc, celui-ci fit prendre ce jeune prince et déclara qu’il ne le
rendrait que lorsque Montbéliard lui serait remise. ( Il est à remarquer que la possession de cette ville qui joignait
aux Etats de Bourgogne et de Franche Comté avec la Haute Alsace, lui aurait été d’une très grande importance
pour la guerre qu’il allait entreprendre.)
Henri promit tout ce qu’on lui demandait et immédiatement, les sires Pierre de Neufchâtel et Olivier de
la Marche vinrent pour se faire ouvrir les portes de Montbéliard. Mais la garnison dont le capitaine était le sire de
Stein s’y refusa et tout aussitôt « les Bourguignons firent venir le comte Henri et l’emmenèrent enchaîné devant
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les murailles en criant qu’il serait mis à mort si les portes restaient fermées. Nulle réponse ne fut faite. Pour lors,
on déploya un tapis de velours, le jeune prince fut contraint de se mettre à genoux, le bourreau leva son épée nue
et la sommation fut répétée. « C’est contre tout droit et toute loyauté, fit crier le gouverneur que Monseigneur est
entre vos mains, vous pouvez bien le tuer mais non pas avec lui la maison de Wurtemberg. Mon devoir est
envers tous ceux de cette noble maison, ils vengeront celui que vous voulez mettre à mort ». Cependant les
Bourguignons s’en tinrent à la menace, le comte Henri fut ramené à Luxembourg et resta encore longtemps en
prison » .
Pendant ce temps, Etienne de Hagenbach et le comte de Blamont ravageaient la Haute Alsace. « Jamais
pays n’avait été plus cruellement traité ; plus de cinquante villages entre Porrentruy et Delle furent saccagés ou
brûlés ; les habitants étaient massacrés ; les cavaliers lombards accrochaient les paysans aux arbres, outrageaient
les femmes et les filles, emportaient les petits enfants suspendus à la selle de leur cheval, comme des agneaux
qu’on emmène à la boucherie. Le couvent d’Oldemboug fut pillé ; les religieuses ne furent pas plus respectées
que les paysannes ; l’église fut dépouillée de ses richesses et de ses ornements, les vases sacrés furent pris et les
saintes hosties foulées aux pieds ».
Lorsque le récit de ces scènes de dévastation et de cruautés parvint en Suisse, « Laisserons-nous
détruire, disait-on, cet excellent pays d’Alsace qui nous fournit abondamment du vin et du blé ? »
Dès ce jour, il fut décidé de porter secours le plus tôt possible au Comté de Ferrette et de déclarer la
guerre au duc de Bourgogne. Ce fut le 26 octobre 1474 que tout fut arrêté et réglé à Lucerne. Les cantons suisses
remirent leur déclaration de guerre au comte de Blamont ; celle de l’archiduc Sigismond et de ses alliés des
bords du Rhin fut envoyée au Duc par Gaspard Huster, héraut de l’Empire.
L’effet suivit de près la menace. A la fin d’octobre, Nicolas de Scharnachtal, avoyer et Petermann de
Wabbern, à la tête de trois mille hommes de Berne, de Fribourg, de Soleure, de Bienne, de Bâle, entrèrent dans
le Comté de Bourgogne du côté de Montbéliard ; ils furent suivis de troupes venant de la Forêt Noire, des quatre
villes forestières, de Schaffouse, de Zurich, de Schwitz, d’Uri, de Zug, de Glaris, de St Gall, de Lucerne,
d’Appenzel, tous habillés de même couleur aux frais des bourgeois et commandés par Barenfels , des milices de
Strasbourg, de Colmar, des bords du Rhin. C’était une armée de dix huit mille hommes environ, dont les Suisses
formaient presque la moitié. Toute l’armée portait un signe d’union : la croix blanche.
Les alliés arrivèrent devant Héricourt : c’était une forteresse appartenant au comte de Blamont. On en
commença le siège. Bien que le duc de Sigismond eût envoyé de l’artillerie, et que les gens de Strasbourg
eussent amené deux grandes couleuvrines, la brèche s’ouvrit lentement. Le temps était froid ; les Suisses
n’avaient pas fait grande provision de vivres ; ils demandèrent l’assaut à grands cris.
Le 13 novembre, un peu avant le jour, un écuyer de Strasbourg nommé de Haag, qui était allé au
fourrage tomba dans les postes avancés d’une armée ennemie. Il rentra promptement au camp et avertit que les
Bourguignons approchaient. Bientôt on aperçut la lueur de leurs feux et de l’incendie d’un village qu’ils
brûlaient. C’était le maréchal de Bourgogne qui arrivait avec environ cinq mille combattants. Le Comte de
Romont ne tarda pas à le joindre avec huit mille hommes d’infanterie et douze mille cavaliers, descendant par les
passages de montagnes qui séparent le pays de Vaud de la Franche Comté.
Le Comte de Romont avait espéré surprendre l’armée assiégeante ; mais les Suisses connaissaient la
guerre mieux qu’aucun autre peuple et ne manquaient pas de vigilance. C’étaient les gens de Zurich qui se
trouvaient en avant sur la route par où l’ennemi arrivait. Ils se replièrent après avoir perdu cinq des leurs. Les
chefs s’assemblèrent pour régler l’ordre de la bataille. Les Alsaciens furent laissés à la garde du camp pour
arrêter les sorties de la garnison d’Héricourt que commandait Etienne de Hagenbach qui avait quitté
précipitamment la Haute Alsace pour combattre l’armée des coalisés ; mais trop faible pour résister à leur
nombre, il s’était enfermé dans la forteresse d’Héricourt.
Le reste de l’armée fut divisé en deux parts, l’une sous les ordres de Félix Keller, de Zurich, s’avança au
devant de l’ennemi. Le Comte de Romont avait placé son armée dans une forte position. Un étang était à sa
droite, un bois à sa gauche. Ainsi, il ne pouvait être attaqué par les flancs, il fallait venir le combattre en face.
Les alliés avançaient en silence avec leurs longues piques, ou leurs hallebardes. Derrière eux, leur cavalerie, bien
moins nombreuse que celle des Bourguignons, restait en réserve.
L’attaque n’était pas encore engagée, et toute l’attention du comte de Romont et de ses capitaines était
tournée vers ce corps de bataille qui marchait serré et à pas lents, quand, tout à coup, il entendit à son aile gauche
le cri de guerre des Bernois : « Berne et Saint Vincent ! ». Et aussitôt l’artillerie commença à tonner. De ce côté
étaient les gens de Berne, de Lucerne, de Soleure et de Bienne, qui, sous la conduite de l’avoyer Scharnachtal,
avaient suivi un chemin à travers le bois. Leur choc fut terrible, les Lombards, les Flamands, les Picards et les
Bourguignons étaient assurément vaillants et avaient l’expérience de la guerre. Toutefois, ils n’avaient jamais
rien vu de pareil à cet élan furieux des Suisses. Ces cris épouvantables, cette ardeur à s’exciter, à se surpasser les
uns les autres, cette impétuosité irrésistible, eurent bientôt jeté l’effroi parmi l’armée du Comte de Romont. Son
infanterie fut rompue. La cavalerie essaya de l’appuyer et d’arrêter la marche des Suisses. Les longues piques ne
laissèrent point avancer les chevaux. Le nombre des assaillants semblait s’accroître à chaque moment et leur
attaque devenait plus vive.
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Le combat ne dura guère. Le désordre et le désespoir se mirent parmi les Bourguignons. Leur cavalerie
prit la fuite comme leur infanterie. « Nous ne pouvons les atteindre, à vous maintenant ! » criaient les Suisses
aux cavaliers de l’armée, qui n’avaient encore pris aucune part au combat.
Pour lors les hommes d’armes autrichiens et les nobles de Souabe commencèrent à se lancer à la
poursuite des fuyards. « Chevauchez hardiment chers seigneurs, leur criaient les Suisses, nous sommes là pour
vous soutenir ».
La déroute fut complète et sanglante ; la cavalerie des alliés n’éprouva aucune résistance et arriva
jusqu’à Passavant où, la veille, s’était réunie l’armée du Comte de Romont. Les bagages et les munitions furent
pillés ; le feu fut mis au village ; l’avoyer Scharnachtal sauva les chariots d’artillerie et une grosse couleuvrine
qui fut menée en triomphe à Berne. Benoit Conrad, de Soleure, rapporta la bannière du seigneur de Liesle, qu’il
avait prise de sa main. Le carnage avait été grand, plus de deux mille hommes restèrent sur le champ de bataille ;
de huit cents habitants de Faucogney, qui passaient pour les plus vaillants de la Comté, il n’en revint qu’un sur
dix. Les Suisses accoutumés à leurs cruelles guerres contre les Autrichiens n’avaient jamais su ce que c’était que
mettre à rançon, ils n’accordaient merci à personne et murmuraient beaucoup pour une soixantaine de
prisonniers qu’avaient faits les hommes d’armes. Ce fut à grand peine qu’ils consentirent à laisser les
Bourguignons, les Picards et les Savoyards racheter leur vie. Quant aux Lombards, il n’y eut nul moyen de les
sauver. C’était à eux qu’étaient imputées toutes les horreurs commises dans le pays de Ferrette. Les habitants
avaient pris une haine extrême pour cette race étrangère ; dix huit, qui se trouvaient parmi les prisonniers furent
remis à Bâle.
Un mois après, on procéda contre eux comme contre des hérétiques ayant pillé des vases sacrés, profané
les saintes hosties, outragé les femmes, et commis par violence les plus infâmes débauches. Ils furent donc
condamnés à être brûlés vifs et solennellement exécutés
La forteresse d’Héricourt, n’espérant plus de secours fut contrainte de se rendre ; c’était Etienne de Hagenbach
qui y commandait ; il obtint de se retirer avec la garnison. L’hiver s’avançait ; les vivres étaient rares, les
maladies commençaient à se déclarer dans l’armée des alliés ; les cadavres qu’on avait négligé d’enterrer après la
bataille, répandaient une odeur pestilentielle. L’armée des Bourguignons était dissipée, l’Alsace délivrée ; le but
de la guerre semblait donc atteint. Les Alliés se retirèrent chacun chez eux ; une garnison prussienne fut mise
dans Héricourt ; pendant tout l’hiver, elle fit les courses les plus cruelles dans tout le pays d’alentour.
L’Archiduc Sigismond fit don de la Seigneurie d’Héricourt à Ulrich et à Henri de Ramegh frères, gentilhommes
attachés à sa personne, sous la réserve de foi et hommage.
Mais peu de temps après, le 30 juin 1480, sur les instances de Claude de Neufchâtel, il restitua les
seigneuries de l’Isle, d’Héricourt et de Châtelet. De son côté, l’évêque de Bâle lui fait aussi remise de Blamont et
Clémont que la même guerre de Bourgogne et le traité de Zurich lui avaient accordées ( d’après de Barante ).
Cette restitution fut confirmée par l’Empereur Maximilien et son fils Philippe, archiduc d’Autriche, le 6
décembre 1483.
Succession des Seigneurs de Neufchâtel.
Long procès concernant la Seigneurie d’Héricourt.
Héricourt redevient dépendance du Comté de Montbéliard.
A la mort de Claude de Neufchâtel arrivée en avril 1505, comme il ne laissait point d’héritiers mâles, sa
succession passa à son frère Guillaume de Neufchâtel qui mourut aussi la même année sans laisser de
descendants. D’après la loi salique, cette « grasse et belle succession » devait échoir aux seigneurs Ferdinand et
Jean de Neufchâtel, cousins des précédents, mais cela était loin de satisfaire les gendres du feu seigneur Claude
de Neufchâtel ; aussi Guillaume de Furstemberg et Félix de Werdemberg qui avaient épousé, le premier Bonne
de Neufchâtel, et le second Elisabeth de Neufchâtel, toutes deux filles de Claude, tentèrent-ils d’entrer en
possession de l’héritage de leur beau-père et de leur oncle Guillaume et parvinrent à s’y maintenir par la force. A
peine en possession de ces états, ils en firent partage et la seigneurie d’Héricourt échut à Guillaume de
Furstemberg. La maison de Furstemberg habitait le village et le territoire du même nom dans la Forêt Noire,
grand-duché de Bade.
Mais cette usurpation violente leur fut contestée et dès l’année 1505, nous voyons les princes de
Neufchâtel intenter, par devant le parlement de Franche Comté, un procès aux comtes de Furstemberg et de
Werdemberg pour leur opposer leurs droits et les faire condamner à déguerpir des terres qu’ils avaient usurpées.
Ce procès, qui allait durer de longues années, devait avoir plusieurs phases que nous allons indiquer
successivement.
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4 mars 1506
Dès le début, les princes de Neufchâtel, autant pour se débarrasser d’une mauvaise
affaire que pour opposer à leurs adversaires quelqu’un de plus puissant et en tout cas de mieux placé pour suivre
ce procès, vendirent au prince de Montbéliard, Ulrich de Wurtemberg, pour la somme de 6000 florins d’or, tous
leurs droits sur les seigneuries d’Héricourt, Blamont, Clémont, à charge par lui de les recouvrir à ses propres
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frais ; et le 4 septembre 1507, Claude, Marc et Ermenfroy de Cusance, alliés de la maison de Neufchâtel, cèdent
aussi à Ulrich de Wurtemberg tous leurs droits sur ces mêmes terres pour la somme de 4000 florins.
Une partie de cette importante acquisition était déjà de fait en son pouvoir ; car, dès la mort de Guillaume de
Neufchâtel, voyant les gendres de Claude entrer dans la seigneurie d’Héricourt, il s’était emparé de la seigneurie
de Blamont : cette usurpation déplut à l’empereur Maximilien qui, par un mandement à la date du 6 avril 1506,
avait donné ordre à son procureur général près le bailliage d’Amont « de mettre la main, réellement et de fait sur
la place, terre et seigneurie de Blamont comme un fief, attendu qu’Ulric en a pris la possession réelle sans son
consentement ».
Revenons à notre procès qui se poursuit par devant la Cour de Dôle : de nouveaux acteurs vont entrer en
scène.
La Seigneurie d’Héricourt devient momentanément
la possession de Ferdinand, frère de Charles Quint.
Dans cette cause mémorable, le parlement de Franche-Comté rendit deux arrêts qui condamnaient les
comtes de Furstemberg et de Werdemberg à la restitution des terres usurpées, et à une amende de 3000 marcs
d’argent ; et, en cas de désobéissance, à la confiscation de toutes leurs provinces en Franche-Comté ; le second
arrêt en date du 28 mars 1522 confirmait le précédent.
Battus sur le terrain juridique, les princes badois pouvaient encore soutenir leurs prétentions par la force des
armes et ils avaient donné des preuves de leur puissance pendant les vingt années qu’ils s’étaient maintenus dans
la Seigneurie d’Héricourt, en infligeant de sévères corrections à leur voisin Ulrich qui, vaincu le 3 juin 1519,
s’était vu enlever Magny d’Anigon ; les villages de Couthenans, Belverne et Clairegoutte furent pillés et un
grand nombre de leurs habitants emmenés prisonniers. A la même époque, le château d’Etobon fut incendié, il
n’a pas été reconstruit depuis.
Mais, fatigués sans doute de toutes ces luttes et pour donner un redoutable voisinage au prince de
Montbéliard, ils vendirent, le 15 mars 1524, pour la somme de 20 000 florins, la terre d’Héricourt et ses
dépendances à Ferdinand, archiduc d’Autriche, roi de Bohème et de Hongrie et frère de Charles-Quint. Ce
dernier, qui avait à s’occuper d’intérêts plus grands que ceux d’une minuscule seigneurie, n’avait consenti à
l’acheter que pour tirer d’une mauvaise affaire les princes badois ; aussi, l’année suivante, le 20 avril 1525, il
revendit les quatre seigneuries qu’il avait acquises pour la somme de 35 000 florins à Gabriel de Salamanque,
comte d’Ortemberg, son grand trésorier.
Troisième phase du procès.
Ulric de Montbéliard maintient toujours ses droits. Gabriel de Salamanque meurt et laisse ses biens à ses deux
fils mineurs ; Jean et Bernard, Comtes d’Ortemberg.
Le prince de Montbéliard est actif ; il provoque des conférences pour exposer ses titres, l’une à
Rothenburg sur le Neckar en 1535 et l’autre à Heidelberg, conférences qui n’amenèrent aucun résultat. Entre
temps, les agressions à main armée suivaient leur cours avec les alternatives de revers et de succès.
Pour mieux préserver les intérêts de leurs pupilles, les tuteurs des comtes d’Ortemberg s’adressèrent à
Charles-Quint qui prit, le 6 juin 1545, sous sa protection et « spéciale sauvegarde », les villes, châteaux et
seigneuries d’Héricourt, Châtelot et Clémont, qui faisaient l’objet de la contestation.
Que va faire Ulric en face de ce puissant et redoutable adversaire ? Taira-t-il ses réclamations ? Pas le
moins du monde. Il les maintient et se fait écouter par Charles qui propose un arbitrage auquel il se soumet.
C’est Frédéric II, l’électeur palatin, qui doit prononcer sur le différend, et nul doute qu’il n’eût tout arrangé si la
mort du prince de Montbéliard, en 1550 , ne fut venue tout suspendre et tout remettre en question.
En effet, son fils Christophe de Wurtemberg soutient le procès et fait valoir ses droits en même temps, à
la chambre impériale de Spier et devant la cour de Dôle. Le comte Georges, qui par suite d’arrangement avec son
neveu Christophe est devenu propriétaire de la principauté de Montbéliard et de ses dépendances et prétentions,
plaide encore lorsque, le 15 mars 1561, un coup de main sur la Seigneurie d’Héricourt vient changer la face des
choses et hâte le dénouement de ce procès interminable.
Héricourt pris par surprise.
Claude François de Rye, qui descendait par sa mère de la maison de Neufchâtel, s’empare par surprise
de la ville d’Héricourt possédée par les comtes d’Ortembourg. Voici comment ce fait est rapporté par Duvernoy
dans ses Ephémérides.
« Saqueney, commandant d’Héricourt, s’était rendu au marché de Montbéliard pour acheter la provision de
beurre de sa garnison. Claude de Rye en étant instruit, s’embusqua avec quinze cavaliers armés à la lisière de la
forêt dite le Bois des Bourgeois qui borde la route que Saqueney devait suivre à son retour. Menacé d’une
prompte mort, s’il ne procure à Rye et à ses complices l’entrée immédiate d’Héricourt, Saqueney promet tout et
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consent à ce que son valet, qui montait un cheval chargé de provisions, prenne les devants sous l’escorte de deux
cavaliers. Arrivés à la porte de la ville, les gardes l’entr’ouvrent pour laisser passer le domestique de Saqueney ;
mais son cheval avec sa charge reste embarrassé entre les deux ailes. Les cavaliers qui l’avaient accompagné
profitent de cette circonstance pour se saisir de la porte, tuent les soldats de garde, et ayant été rejoints par leurs
compagnons se rendent maîtres de la ville et du château.
Claude de Rye y met une garnison suffisante, pourvue de vivres et de munitions ».
Cette occupation, à la suite d’un véritable guet-apens, par un troisième larron ne fut, on le comprend, ni du goût
du prince de Montbéliard, ni des princes allemands. Les contestants oublièrent un instant leurs querelles, unirent
leurs efforts pour chasser cet intrus. Ni les sommations, ni les menaces, ni même l’intervention de Philippe II qui
signifie à de Rye d’avoir à évacuer Héricourt, et de le remettre aux comtes d’Ortemberg, ne firent rien ; il fallut
avoir recours aux armes.
Alors, l’empereur Ferdinand, les cantons suisses et Montbéliard envoyèrent un corps de troupes de 4000
hommes de pied et de 200 chevaux, sous les ordres du baron de Hoeven, gouverneur de Montbéliard, qui
investissent la place. Elle ouvre ses portes après un bombardement de quelques heures : la garnison se rend
prisonnière de guerre le 15 juin 1561.
Dès lors, la seigneurie d’Héricourt et celles de Châtelet et de Clémont redevinrent une dépendance du comté de
Montbéliard. Héricourt en avait été détaché au commencement du XIVème siècle.
Population.
A cette époque, la ville d’Héricourt comptait 102 chefs de famille, et toute la seigneurie, 384 ; celle de Châtelot
281 ; en 1704, la population d’Héricourt s’élevait à 652 habitants qui occupaient 126 maisons. En 1748, elle se
composait de 170 familles protestantes et de 26 familles catholiques.
Introduction de la Réforme dans le pays de Montbéliard
et les seigneuries qui en dépendent.
Le seizième siècle est l’époque des grandes transformations. Les arts, les sciences, les lettres, l’état
social, même les institutions religieuses se modifient, se renouvellent et prennent un éclat inaccoutumé.
Le moyen-âge disparaît et entraîne avec lui tout un monde d’idées surannées qui font place à d’autres
idées vivaces, fécondes, ayant hâte de faire leur apparition, et appelées à régénérer le monde. Rappelons en
quelques mots, les grands traits de cette époque, en ce qui concerne surtout la religion.
C’est à la fin de l’année 1517 que Luther commença la lutte avec Rome. Plusieurs des souverains de
l’Allemagne embrassèrent les nouvelles doctrines du hardi réformateur : l’électeur de Saxe, le Landgrave de
Hesse-Cassel, les ducs de Mecklembourg, de Poméranie.
Ulric de Wurtemberg les adopta plus tard, vers 1525.
Il est à remarquer que ce fut parmi les lettrés que les nouvelles opinions recrutèrent d’abord leurs
adhérents. Voyez ce qui se passait en France : une partie de la Cour y penchait : Louise de Savoie les écoutait
volontiers, sa fille Marguerite de Navarre se déclarait ouvertement en faveur des réformateurs allemands.
Lefebvre d’Etaples, Louis Berquin, le poète Clément Marot, soutenaient des thèses en leur faveur, et ce dernier
traduisait les psaumes pour « les réformés de Paris qui allaient les chanter au Pré aux Clercs ». Les mêmes
transformations, plus en harmonie avec l’état des esprits, s’opéraient chez les autres nations. Erasme de
Rotterdam, par ses attaques contre les moines était accusé d’avoir préparé les voies à Luther .
C’était, on le voit, parmi l’élite des esprits que l’on rencontra les premiers partisans de la Réforme.
C’était là surtout ce qui devait assurer son succès, aussi est-ce à cela que l’on reconnaît la force vitale de toute
œuvre naissante, de toute doctrine nouvelle ; d’ailleurs, il est à remarquer que Luther eût complètement échoué
s’il se fût adressé aux masses : il lui fallait l’appui des princes capables de résister aux abus de la force que
n’eussent pas manqué d’employer les puissants dignitaires de l’Eglise, pour faire rentrer dans l’obéissance ceux
qui se seraient permis d’adorer Dieu autrement qu’eux.
Et que pouvait le peuple ? Rien, son initiative était nulle alors. Il était l’objet, la chose de son toutpuissant seigneur et rien d’autre… Obéir et se taire, voilà son rôle. Penser ? d’autres s’en chargaient pour lui.
Courbé sur son sillon, il ne pouvait que gémir ; c’est là toute son histoire pendant tout le moyen-âge et jusqu’à
notre immortelle Révolution de 1789.
Aussi dans ce grand mouvement religieux, il ne fut pas appelé à se prononcer, du moins dans notre
pays ; on décida pour lui dans quelle forme il serait instruit des vérités de sa foi. Il fut protestant, là où les
seigneurs le devinrent ; ailleurs, il demeura catholique parce que des maîtres, plus par politique que par
conviction, n’embrassèrent pas la nouvelle doctrine. Nous citerons comme preuve à l’appui de ce fait, le village
de Tavey, qui, lors de l’introduction de la réformation dans le pays, appartenait en partie à l’abbaye de Lure, et
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l’autre à la Seigneurie d’Héricourt ; les sujets de la terre d’Héricourt devinrent protestants et ceux de l’abbé de
Lure restèrent catholiques.
Les populations acceptèrent, paraît-il, sans trop de résistance la Réforme. Avaient-elles une vague
conscience des éminents bienfaits que ce puissant et fortifiant souffle de liberté devait apporter dans l’état de la
société tout entière ? car, enfin on ne saurait sans témérité nier l’influence bienfaisante de l’esprit de la Réforme
dans tous les rangs de la société et même jusqu’au sein de l’Eglise catholique. Nous n’oserions l’affirmer, disons
non plutôt : il n’était pas dans sa nature d’avoir de ces regards prophétiques. Son intelligence bornée le ramenait
toujours aux choses présentes. Il était satisfait d’en avoir fini avec ces gens d’Eglise qui le dimaient sans trêve ni
merci, et il pouvait espérer que ses nouveaux conducteurs spirituels se montreraient moins rapaces. C’est ce qui
devait effectivement arriver.
D’un autre côté, le plus ou moins d’affection que les populations portaient à leur seigneur doit être pris en
sérieuse considération, surtout dans ces questions de foi. A-t-il pu se faire chérir ? ses sujets le prennent pour leur
oracle : en toute chose, il sera suivi, écouté, obéi. Ce fut sans doute le cas.
17 novembre 1538
Les ducs de Wurtemberg introduisirent la réforme religieuse dans le Comté de
Montbéliard et les seigneuries d’Etobon et de Blamont en 1538. Ce fut le comte Georges, agissant au nom de son
souverain le duc Ulric, qui fut chargé de cette importante mission. Par son ordre, la messe et toutes les
cérémonies de l’Eglise catholique furent abolies ; on abattit dans tous les lieux du culte « les images, idoles et
autels de l’idolâtrie ». Pierre TOUSSAINT, le 6 avril 1539, sous le nom de surintendant, devint le chef du
ministère évangélique. Il jouissait, paraît-il d’une grande influence auprès du comte Georges et du souverain de
Stuttgard, le duc Ulric, et il est fort probable qu’il fut le promoteur de ces mesures de rigueur ; mais cet esprit
dominateur devait dans la suite s’aliéner même ses ouailles et les princes, ses maîtres, qui se virent obligés de le
remercier..
A l’égard de l’édit du prince Georges, le Magistrat de Montbéliard s’éleva contre les mesures qui y
étaient contenues, en invoquant les franchises de la ville qui assuraient aux habitants la liberté des
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communications avec le voisinage ; il députa même deux de ses membres à Stuttgard, mais ils ne purent obtenir
le rappel de l’ordonnance ecclésiastique.
Voici comment le surintendant Pierre Toussaint appréciait et les bourgeois et leurs franchises : « les
bourgeois s’arrêtent ainsi à leurs franchises, ils en ont plus grand soin que de la vie éternelle » et, ajoutant des
conseils à cet élan que son zèle pour la religion évangélique lui avait inspiré, il disait : « que s’ils ne veulent se
ranger à la douceur, après tant de temps qu’on les a preschés et admonestés, que s’ils veulent, abusant de leurs
franchises, supprimer la parole de Dieu, entretenir tous vices et péchés, et continuer à vivre comme des chiens
sans loi et sans religion quelconque, et que pendant que les autres seraient au sermon, ces galans-là fussent au jeu
ou à la taverne, ou par les rues ( près les femmes ou les filles de leur prochain) ; mon dit seigneur devrait plutôt
souffrir que la ville et tout le pays fût écrasé, que d’endurer telles méchancetés ».
Deux ans après, et à la place des curés que l’on avait remerciés, on procédait à l’installation des treize
premiers prédicants ( c’était le nom des pasteurs d’alors), la plupart français, savoyards ou suisses. Voici leurs
noms ;
Firmin DOMINIQUE
à Abbévilliers
Jean de BETHONCOURT
à Allanjoie
Michel DOUBTE
à Exincourt
Thomas CUCUEL
à Bavans
Pierre FORET
à Blamont
Vincent ORTIN
à Etobon et Clairegoutte
Girard GUILLEMIN
à Désandans
Pierre DIMAY
à Dampierre et Etupes
Jacques GETTE
à Roches
Raimond de LOUVRE
à Seloncourt
Etienne NOEL
à St Julien
Léonard CAMUSET
à Valentigney
Pierre Toussaint et Nicolas de la Garenne, étaient proposés à l’Eglise française de Montbéliard, et Jean
VOGLER prédicant de langue allemande était aumônier du Comte Georges.
La réforme religieuse ne fut introduite dans la seigneurie d’Héricourt que 25 ans plus tard, le 16 mars
1652. Les pasteurs de Montbéliard et Blamont voyaient avec peine, paraît-il la messe se célébrer si près d’eux ;
aussi, animés d’un saint zèle, avaient-ils supplié le duc Christophe de Wurtemberg d’abolir le culte catholique
dans tous ses états.
En même temps, un ordre partait de Stuttgard décrétant l’établissement du culte réformé dans les
seigneuries d’Héricourt, de Clémont et de Châtelot. Le premier pasteur de l’Eglise protestante d’Héricourt fut
Jean LARCHER ( en latin Arquérius ) le 22 juillet 1563. Né à Bordeaux vers 1516, il fut d’abord pasteur dans le
Comté de Neufchâtel, puis à Berne ; il se retira à Bâle et c’est de cette ville que les théologiens le
recommandirent au gouvernement de Montbéliard. Il était très instruit et se fit connaître par la publication
d’ouvrages estimés à cette époque : « Les canons de tous les Conciles 1553, et un Dictionnaire théologique »,
ouvrages écrits en latin et imprimés à Bâle. On le représente comme un homme passionné, violent.
On lira avec intérêt les renseignements qu’il donna de la situation morale de sa nouvelle paroisse
quelque temps après son entrée en fonctions. A la date du 10 février 1564, il rend compte à son ami Jean
BRENTZ, prévôt de l’Eglise de Stuttgard de l’état de celle qui a été confiée à son zèle depuis environ huit mois.
S’il n’y a point d’exagérations dans ses plaintes, il faut convenir que rien n’a été plus salutaire que la
Réformation pour le fonctionnement moral et intellectuel de l’humanité.
Le lecteur en jugera par les fragments suivants : « Il me reste maintenant à faire la description des
peuples d’Héricourt, car je le connais intimement, et - comme on dit d’habitude – des pieds à la tête. Pour
commencer, c’est un peuple ignorant, grossier, barbare – je fais pourtant quelques exceptions – plongé dans la
débauche, l’ivrognerie, le libertinage, la paresse ; c’est là ce qui les rend plus pauvres que Codrus, car tu sais
bien que la paresse est mère de la pauvreté et de presque tous les maux. Quant à ce qui concerne la volonté de
Dieu, il n’en a aucune connaissance. Tout ce que Dieu défend comme l’adoration et le culte des images,
l’invocation des saints et des saintes, l’audition de la messe, les jurements, les blasphèmes, les malédictions des
uns contre les autres, faire aux autres ce qu’il ne voudrait pas qu’on lui fît à lui-même, tout cela, il le fait sans
aucune crainte de Dieu. En un mot, il ne craint ni Dieu ni diable, ni les hommes et il s’imagine qu’aucune loi n’a
été faite pour lui. Par sa conduite, il déclare ouvertement qu’il ne croit pas plus à l’existence de l’enfer quà celle
du paradis. Tous, depuis les plus petits jusqu’aux plus grands, ont l’habitude de jurer, par exemple, très souvent
par la mort, par le sang, par la peste, par le ventre, par la vertu de Dieu et du Christ, et ils se damnent, corps et
âme par mille imprécations. Hélas. Je frémis et je suis rempli d’horreur en rapportant une telle conduite, et pour
en finir, c’est le peuple de Sodome et Gomorrhe contre lequel Dieu est enflammé d’une colère terrible ».
( Traduit du latin par M. Herr, lycéen de Belfort)
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Vingt ans après, la situation morale s’était peu améliorée, les progrès moraux sont lents à se développer.
Voici l’opinion qu’il a de ses paroissiens en 1584. « Ils jurent toujours par le nom de Dieu, dit-il dans un rapport
adressé à la Régence de Montbéliard, et penser que J.C. fasse bien à un tel peuple est une bêtise. Touchant la
chanterie des psaumes, elle est en grand mépris à Héricourt, ils n’y veulent assister ni au commencement ni à la
fin, et les enfants suivent l’exemple des garnds. Ils savent bien des chansons du diable, mais des bonnes, ils n’en
veulent point savoir ». Eph. Duvernoy le 10 février 1584
Cette transformation religieuse ne fut complète qu’au bout de quelques années ; de tels changements, on
le comprend, ne s’opèrent pas aussi facilement qu’un commandement militaire s’exécute ; pour cela, il fallait
avoir sous la main un personnel suffisant de pasteurs, et il est probable, et afin de ne pas laisser les populations
sans la célébration d’aucun culte, que le curé conserva ses fonctions jusqu’au moment où l’on fut en état de le
remplacer ; mais le 7 avril 1565, les différentes paroisses furent pourvues de prédicants, ainsi qu’il paraît résulter
d’une ordonnance ecclésiastique émanant des tuteurs du Comte Frédéric, portant abolition de la messe et de
toutes les cérémonies catholiques ; elle enjoignait en même temps aux sujets d’assister avec régularité à la
prédication de la parole de Dieu.
Cette ordonnance ne s’accomplit pas sans soulever de nombreuses réclamations de la part des prêtres
qui se voyaient dépossédés de leurs charges, mais il est assez probable qu’avant de les expulser on leur laissa la
liberté de choisir entre les deux formes du culte ; et ce qui semble confirmer cette opinion, c’est la requête que le
curé de Brevilliers, Jean RECEVEUR, présente au bailli d’Héricourt, déclarant « qu’il ne peut accepter la
vocation de prêcher l’évangile selon la forme, la manière contenues aus ordres de la régence de Montbéliard,
n’ayant ni études suffisantes pour enseigner ( 1), et à cause de son âge, ne pourrait bonnement se mettre à l’étude
et qu’on se moquerait de lui, de commencer à étudier en sa vieillesse, comme à un vieux chien, apprendre la
chasse ». Comparaison qui rappelle l’esprit gaulois avec sa crudité !
( 1) Ces Messieurs – dit un chroniqueur montbéliardais – qui n’avaient études suffisantes pour enseigner, n’en
manquaient pas pour supporter et exiger de leurs paroissiens les droits d’un casuel très varié et fort abondant
dans lequel n’étaient omis « ni le sol ou la geline, pour la bénédiction du lit des nouveaux époux, ni le dîner du
jour ni du lendemain des noces, accompagné de quatre blancs et d’un pain et d’une pinte de vin ; ou le pain et la
chandelle pour trois dimanches après l’inhumation du décédé, pour marmotter avec croix et eau bénite, quelques
orémus autour de sa fosse ; ni le prix des charmeries et processions à l’entour des maisons, avec je ne sais
quelles barboteries ! cierge, eau bénite pour garder gens et bétail toute l’année de leurs maux et inconvénients, ni
celui des exorcismes pour chasser le malin esprit d’un corps de gens qui en sont possédé. »
Tous les autres curés refusèrent pareillement « d’abandonner leur état de prêtresse » et sollicitèrent
vainement une indemnité ; ils furent congédiés et remplacés par des pasteurs dont les noms suivent.
Antoine DUC
à Vyans
André FLAMONARD
à Brévilliers
Jean TAVIGNON
à Chagey
Jean ARANS
à Trémoins
Jean GUIDON
à Longevelle
Claude ALIX
à St Maurice
Léger GRIMAULT
à Montécheroux
**************************
Pasteurs de l’Eglise d’Héricourt depuis l’introduction de la Réforme
le 22 juillet 1563 jusqu’à nos jours.
Jean LARCHER
Jacques MACLER
Antoine DELORAY
Nicolas SCHÖN
Ogier CUCUEL
Adam LOUYS
Jacques CUNITZ
Charles DUVERNOY
Jehan BARTHOL
Jean Christophe STOFFL
Pierre CUCUEL
Georges Eberhaerd MEQUILLET
Jean Georges SURLEAU
Georges Frédéric MEQUILLET fils
1563
1581
1583
1593
1601
1623
1636
1637
1671
1674
1687
1752
1783
1786
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Frédéric LODS
Auguste MACLER
1823
Quelques années après l’installation des pasteurs dans leurs paroisses, presque tous les sujets de la
Seigneurie d’Héricourt et du comté de Montbéliard avaient embrassé la Réforme.
Cet important événement eut lieu, nous le répétons et après en avoir donné plus haut les raisons
probables, sans rencontrer de sérieuses difficultés ; et si l’on en doit croire un rapport du conseil de régence de
Montbéliard, il nous montre au contraire les populations toutes disposées à accueillir favorablement le culte
luthérien. Quoi qu’il en soit, ce qui suffirait à démontrer que la Réforme, subie peut-être dans l’origine, fut plus
tard acceptée avec faveur, c’est la complète uniformité du culte, d’idée religieuse que présentait la totalité des
villages de la Seigneurie d’Héricourt à l’époque de la Révolution française, alors que depuis près d’un siècle, les
populations eussent pu rentrer dans le giron de l’Eglise catholique si leur foi et leur tendance religieuse les y
eussent appelées, il est même permis de supposer que des sollicitations étrangères et intéressées à ce but ne
manquèrent pas de se produire mais sans résultat.
A l’exception des deux localités d’Héricourt et Chagey dont une partie de la population, loin d’être
stable et attachée au sol comme dans les communes purement agricoles, s’est renouvelée, modifiée constamment
selon les nécessités de l’industrie, on retrouve encore de nos jours le même esprit et la même situation religieuse,
d’où il est permis de conclure que l’esprit de prosélytisme a disparu de nos mœurs, si tant est qu’il ait jamais
existé individuellement qu’à titre d’exception.
1581
La peste ravage la seigneurie d’Héricourt ; les villages de Brevilliers, Chagey, Mandrevillars sont plus
spécialement atteints par ce fléau. Quelques pasteurs abandonnent leur paroisse ; ce délaissement excite la juste
indignation du comte Frédéric qui leur ordonne d’y rentrer sous peine de destitution immédiate.
Héricourt sous le comte Frédéric.
4 janvier 1588 Depuis la fin de ce malheureux procès de trois quarts de siècle qui bouleversa tant de fois la
seigneurie d’Héricourt, le pays jouit pendant 25 ans environ des bienfaits de la paix, alors que le reste de la
France était douloureusement déchiré par des discordes civiles qu’avaient enfantées les haines religieuses.
Vassy, la Saint Barthélémy, avaient donné le signal de ces luttes sanglantes et fratricides. Seul, le comté
de Montbéliard vivait dans une tranquillité parfaite. Mais la sympathie que le prince Frédéric portait à la cause
des protestants français, ses coreligionnaires, les secours en argent qu’il leur fournissait et surtout l’amitié qu’il
témoignait à Henri de Bourbon, roi de Navarre ( depuis, Henri IV) dont il se déclarait le partisan, irritèrent
tellement la Ligue que les Guise envoyèrent un corps d’armée sous les ordres de Pont et d’Erard de Reinach qui
ravagea le comté de Montbéliard !
L’armée des Guise ou Albanais sous les ordres de Henri, marquis de Pont-à-Mousson, fils du duc
Charles II de Lorraine, venant de la poursuite des Reitres, envahit par le comté de Bourgogne, celui de
Montbéliard et les seigneuries qui en dépendaient, sans déclaration préalable d’hostilités. A son approche le
comte Frédéric et sa famille se retirent au château d’Horbourg, et de là, en Allemagne.
Cette armée forte de douze mille hommes, était entrée par Neuvie et le Pont de Roide, et se retira par
les seigneuries de Granges et de Villersexel « faisant mille pilleries et larcins ». Son chef était alors âgé de 24
ans ; en succédant à son père, il reçut le surnom de Bon.
Pendant les trois semaines de l’occupation, cette armée qu’exaltaient le fanatisme religieux et le besoin
du mal, couvrit le pays de deuil et de ruines. Aucune condition, aucun âge, aucun sexe ne furent épargnés ; des
enfants, des vieillards infirmes ou décrépits subirent les tortures dont le récit soulève l’âme ; non contents de
décimer la population par le fer, ils promenèrent leurs torches incendiaires dans les campagnes ouvertes et sans
défense et détruisirent tout ce qui avait échappé aux flammes ou ce que leurs mains avides ne pouvaient
emporter ; les sépulcres même furent ouverts, et les cadavres à demi consumés, jetés à la voirie. Quatre temples
( Dampierre-les-Bois, Etupes, Glay et Roches ), quinze presbytères (les maisons de cure d’Abbevillers,
Allanjoie, Bavans, Clairegoutte, Dampierre, Désandans, Exincourt, Montécheroux, Roche, Saint Julien,
Seloncourt, Valentigney, Vandoncourt, Villers les Blamont ), dix usines, huit fermes ou métairies appartenant au
domaine et sept cent neuf maisons de particuliers furent incendiés, cent quarante neuf villages pillés.
Parmi le butin on compta 2184 chevaux, 2034 vaches, 1280 moutons, 1938 porcs, 80520
quartes de froment, 94896 quartes de seigle, 3974 voitures de foin, 1180 voitures de paille…etc..
La perte totale qu’éprouva le pays fut estimée à 3 millions 300 000 francs, le duché de
Wurtemberg et quelques cantons de la Suisse fournirent d’abondants secours en argent pour aider aux premiers
besoins d’une population qui se trouvait dénuée de toute espèce de ressources.
Héricourt, dont la garnison n’était que de 120 hommes, jugea inutile de soutenir un siège ; elle se rendit
à la sommation d’Erard de Reinach ; mais huit jours après, elle fut reprise par les bourgeois de Montbéliard.
« Le Comte Frédéric, irrité d’une telle conduite en fit abattre les portes, rasa les murailles et obligea les
habitants à travailler eux-mêmes à cette démolition ; en même temps, et afin d’ajouter un châtiment que, selon
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lui ils avaient bien mérité pour s’être rendus sans combat, il les priva de leurs franchises et de leurs revenus
municipaux. Sept d’entre eux réputés coupables furent à la suite d’un jugement très sommaire, pendus à un
cerisier près de la ville et plusieurs autres conduits dans les prisons de Montbéliard ».
« Le comte Frédéric, assisté d’une partie des membres de son conseil, de plusieurs des officiers attachés
à sa cour, se fait remettre sur la place, devant le château d’Héricourt, les originaux des franchises de la ville, il
les lacère et les jetant par terre en présence des habitants assemblés : ce n’est pas à vous autres rebelles, s’écrie-til, d’avoir des privilèges, mais à mes bourgeois de Montbéliard qui les ont mieux mérités que vous ».
Toutes les instances que firent les habitants pour les recouvrer, de même que l’administration de leurs
revenus communaux, et la faculté de faire rétablir leurs murailles et portes de la ville, ne purent fléchir le comte
Frédéric.
Cette situation très dure et plus encore humiliante, dura pendant tout son règne et malgré de nombreuses
sollicitations, Héricourt n’eut pas une condition meilleure que le plus chétif village. « Ce que nous avons acquis
par droit de conquête, nous ne le restituerons jamais ». Telle fut la réponse hautaine de l’inflexible et impitoyable
comte. Ils attendirent patiemment sa mort, et le 14 février 1609, son successeur Jean Frédéric, restitua aux
bourgeois d’Héricourt « l’entière et libre jouissance de tous leurs droits, franchises et revenus », ainsi que
l’autorisation de relever leurs murailles et les portes de la ville.
Héricourt pendant la guerre de 30 ans.
On appelle de ce nom la lutte qui signala le commencement du 17 ème siècle ( de 1618 à 1648) entre les
princes réformés d’Allemagne, l’Empereur et les princes catholiques, et à laquelle la France prit part seulement
dans la dernière période qu’on appellera « la période française ». Richelieu qui écrasait les protestants en France,
soutenait leur cause en Allemagne. Etranges effets de la politique ! Il paraît qu’elle admet de telles
inconséquences.
De 1633 à 1635, Héricourt devait ressentir les effets désastreux de cette terrible guerre. Richelieu qui,
depuis longtemps convoitait la Franche-Comté « comme un joyau précieux » à attacher à la couronne de France,
s’alliait secrètement avec la Hollande, les princes protestants allemands et le fameux Gustave Adolphe, contre
l’ empereur d’Allemagne et le roi d’Espagne. Déjà au commencement de 1632, des troupes sous la conduite du
rhingrave Othon-Louis, s’étaient emparées de l’Alsace, et cantonnées dans le voisinage de Belfort d’où elles se
répandaient dans le comté de Montbéliard et la seigneurie d’Héricourt. A la même époque, plusieurs compagnies
d’infanterie et de cavalerie au service de l’Empereur d’Allemagne, sous les ordres de Gallas et de Montecuculli
repoussèrent les troupes d’Othon-Louis, se répandirent dans tout le comté de Montbéliard, la seigneurie
d’Etobon et d’Héricourt, qu’elles dévastèrent complètement, elles s’emparèrent du château de Granges, pillèrent
le village d’Echavannes et s’avancèrent jusqu’à Lure.
Un autre corps d’armée impériale commandé par Charles IV duc de Lorraine, entra dans le comté de
Montbéliard et y commit aussi toutes sortes de dépradations.
Non contents d’exiger de l’argent et des denrées pour l’entretien de leurs troupes, les chefs laissaient
commettre à celles-ci les plus graves désordres. Alors, en présence d’une situation devenue intolérable et qui
menaçait de s’éterniser, et fatigués d’exactions qui se renouvelaient sans cesse, le conseil de régence du jeune
comte Léopold Frédéric dépêcha au roi Louis XIII alors devant Nancy qu’il assiégeait, trois députés ( Pierre
VESSAUX, Benjamin PONNIER et Jérémie DUVERNOY, pour réclamer la protection de la France.
Richelieu s’empressa de satisfaire à cette demande et au mois de septembre suivant, des détachements
de troupes françaises occupèrent les places de Montbéliard, Héricourt et Blamont. Le duc de Bourbonne arrive à
Montbéliard en qualité de gouverneur pour le roi de France en suite du traité de protection conclu verbalement
au camp devant Nancy. Tous les bourgeois se portent à sa rencontre en armes et avec enseignes déployées,
l’artillerie des remparts se fait entendre. Il est accompagné d’un certain nombre de troupes, infanterie et cavalerie
qui prennent possession des châteaux, de la citadelle et des ponts de la ville ; lui-même occupe dans l’enceinte
du château, le bâtiment appelé la vieille chancellerie. Il envoie immédiatement des garnisons dans les places de
Blamont et d’Héricourt.
On trouve ce qui suit dans la dédicace au prince Léopold Frédéric, d’un livre intitulé « La journée
sainte » par Charles DUVERNOY, ministre à Héricourt. « Nos villes et places fortes ont été chrétiennement
conservées sous votre domination par le roi très chrétien ; mais la longue main du roi n’eût pu les garder, si Dieu
n’eût joint à icelle la force de son bras ; selon même que par une misérable rencontre nous en avons été
divinement avertis. Car lorsqu’en notre ville de Montbéliard on reçut les premières nouvelles de la venue des
troupes de ce roi, on y était au temple pour la prière ordinaire, où l’entresuite des psaumes nous avait justement
amenés au chant du verset du psaume 89 où il est dit :
Le roi qui nous défend, n’a force m’adresse
Que du saint d’Israël, qui ce bien nous adresse.
J’ai depuis, souvent ruminé sur cette fortuite conjoncture et permis qu’elle m’ait servi de bon augure,
lors même que le changement des affaires faisant branler l’Etat.
29
Le duc de Lorraine s’était retiré devant les troupes françaises, mais en avril 1635, il vint de nouveau
occuper la principauté de Montbéliard avec une armée de 15000 Autrichiens. Héricourt, Montbéliard et le
château de Magny d’Anigon furent investis, mais tinrent bon. Découragé par cet échec et abandonné par une
partie de ses soldats, le duc s’en dédommagea en ravageant les campagnes et en y commettant d’horribles excès
pendant six semaines. Il ne se retira que devant le corps d’armée du marquis Caumont de la Force, maréchal de
France, qui vint au secours d’Héricourt avec 20000 hommes ; le duc Charles se porta avec ses troupes sur
Besançon. Pendant leur séjour dans la seigneurie d’Héricourt, les soldats du marquis de La Force, le 10 mai
1635, mangèrent les blés et les autres vivres qui ne furent pas détruites, de manière que l’on peut dire qu’il ne
laissa rien « qu’une rude peste et mortalité ».
Et, en effet, la peste fit son apparition dans le comté de Montbéliard, et dura jusqu’au mois de novembre
suivant. Elle fut causée par le grand nombre de malades militaires qui y étaient accumulés, par la multitude
d’habitants des campagnes et d’étrangers qui étaient venus chercher un asile, et par la rareté des denrées
alimentaires. Ce fléau s’abattit principalement sur la seigneurie d’Héricourt et en moissonna les deux tiers de la
population.
113 mariages furent dissous à Héricourt, il ne resta que 40 chefs de famille.
La France déclare la guerre à l’Espagne et à l’Allemagne.
Ce fut au mois de mai 1636 que la France déclara officiellement la guerre à l’Espagne et à l’empereut
Ferdinand II. Condé, à la tête d’une armée de 50000 hommes, entra en Franche-Comté, traversa la Saône et
marcha sur Dôle dont les habitants se défendirent énergiquement : il en fit le siège pendant trois mois sans
pouvoir s’en emparer.
« A la fin de la même année, l’empereur Ferdinand II envoya au secours de la Franche-Comté qui
repoussait l’occupation française, une armée de 30000 hommes sous les ordres du feld-maréchal, comte de
Gallas, qui reprit Jonelle aux Français et vint fixer ses quartiers d’hiver à Jussey pendant que son lieutenant
Picolomini ravageait le pays d’alentour, et notamment Saponcourt, Echavanne, Frédéric-Fontaine » ( Thirria) .
Singulière manière de défendre un pays !
Gallas fut chassé de Jussey par le vicomte de Turenne qui détruisit ses ouvrages de défense et mit le feu
à la ville pour l’empêcher d’y revenir.
Le 14 octobre 1634, pendant que le gros de l’armée occupait la partie N de la Haute Saône, un corps de
cavalerie commandé par le colonel Solis s’empare des moulins de la ville d’Héricourt, et fait sommer la ville de
se rendre.
La garnison se composait de deux compagnies françaises, sous les ordres du capitaine de Lalande ; le
refus de ce dernier fut suivi de l’attaque des Moulins dont il délogea l’ennemi qui disparut avec quelque perte et
notamment celle du colonel, tué de deux coups de hallebarde.
Siège de la ville d’Héricourt
décembre 1636 et janvier 1637.
20 décembre 1636 : chassé par Turenne, le comte de Gallas entra dans la seigneurie d’Héricourt. Il y
commit d’épouvantables excès ; par ses ordres, plusieurs villes furent livrées aux flammes et les habitants
contraints d’errer sans asile avec le peu de bétail qui leur restait. Au 20 décembre, 6000 hommes détachés de son
armée vinrent mettre le siège devant Héricourt. Voici la sommation que le baron de Suys qui servait sous les
ordres de Gallas et dont le quartier général se trouvait à Coisevaux, envoya au capitaine Lalande, commandant
de la place d’Héricourt :
« Monsieur, vous voyez les forces qui sont devant vos murailles et le voisinage ; le reste de l’armée de
S.M.I, mon seigneur et maître, ne logera guère loin d’ici aujourd’hui. Si vous voulez vous résoudre à me céder
cette place devant que la brèche soit faite, je vous ferai bonne et honorable composition, et par conséquent aux
bourgeois d’icelle. Mais si vous attendez l’extrêmité et ne voulez pas vous soumettre à la raison, comme je ne
doute pas que vous le ferez, estant cavalier et soldat de longues années et sans espérer de secours, je ne pourrais
plus après vous tenir ce que je vous offre maintenant. J’attendrai donc votre réponse, me disant, hors du service
de mon maître, Monsieur, votre bien humble serviteur ».
Mais cette fois, les habitants firent bonne contenance. Se souvinrent-ils de l’humiliation dont une autre
génération fut abreuvée après sa honteuse capitulation du 4 janvier 1588 ? Il est probable.
Les assiégeants, après plusieurs assauts infructueux et ayant perdu plus de huit cents hommes, tant tués
que morts de froid, levèrent le siège dans la nuit du 16 janvier 1637.
Voici la description détaillée et fort curieuse de ce siège qu’en a donnée M. Charles Duvernoy, alors
pasteur à Manoseux.
« Le 14 octobre les sieurs de Berri, Lorrain et le colonel Solis, espagnol, sommèrent la ville, par un
trompette, de se rendre. Nous n’avions alors que deux compagnies de troupes françaises. Monsieur de Lalande,
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capitaine et Nicolaï, son lieutenant, commandaient la première de ces compagnies ; Monsieur du Breuil
Charandos et Vienot son lieutenant commandaient la seconde. Malgré ce petit secours, on refusa de leur ouvrir
les portes de la ville parce que l’on savait qu’ils n’étaient pas en état de former un siège. Sur ce refus, les
ennemis firent avancer leur cavalerie et quelques compagnies de dragons. Ils s’emparèrent du moulin et y
laissèrent 27 soldats avec le colonel Solis pour le défendre. Mais deux heures après, quarante hommes, tant
bourgeois que soldats, sortirent secrètement par la porte de fer de Monsieur le Bailly ou du petit château, sous la
conduite des deux braves lieutenants Nicolaï et Vienot, pénétrèrent dans le moulin, à travers les vergers pour
n’être point vus, tuèrent dix sept soldats ennemis et chassèrent les autres. Nicolaï dans cette rencontre, se battit
longtemps avec le colonel Solis ; il le renversa enfin de deux coups de hallebarde et le laissa mort sur la place.
Ce coup diminua beaucoup le courage des ennemis.
Le 20 décembre, l’armée impériale, conduite par le général Gallas, fut obligée de retourner en
Allemagne, après avoir attaqué sans succès les forteresses de France. Une partie prit sa route par notre pays, et y
laissa un corps de 6000 hommes avec des canons et d’autres munitions de guerre. Ce renfort considérable fit ses
approches du côté de Tremoins. Monsieur de Lalande en ayant eu avis, ne perdit point de temps, marcha du côté
de l’étang de Brans, rencontra un corps de 15 cavaliers qui venaient pour reconnaître le terrain, tua le capitaine
d’un coup de fusil, et fit même prisonnier un page nommé Merci, qui fut conduit à Montbéliard.
Le 21 du même mois, les ennemis se portèrent avec des canons du côté de Moignit ; d’autres
compagnies passèrent par St Valbert et notre petite ville se vit bientôt serrée de près ; six pièces de canon, dont
les plus grandes portaient un boulet de 24 livres, battirent longtemps la muraille qui est entre la porte de St
Valbert et l’une des tours du château, mais avec peu d’effet, car rien ne fut abattu ce jour-là qu’un petit coin du
parapet d’une tour qui est à présent démolie ! Ils dressèrent la nuit suivante leurs batteries plus près de la ville
dans les champs situés sur le bord de la rivière.
Leurs pièces jouèrent dès le matin, et firent une brèche de 18 pieds. Fiers de ce succès, ils sommèrent la
ville au nom de l’empereur de se rendre, mais Mr de Lalande, de concert avec les bourgeois, déclara qu’ils
voulaient se battre jusqu’à la dernière goutte de leur sang. Les bourgeois demandaient qu’on leur permît de
paraître à la brèche dans les premiers rangs, mais ils en furent heureusement dispensés.
Pendant la nuit, on travailla avec tant d’activité et de zèle à réparer le mal que l’ennemi avait fait, que
tout fut achevé le lendemain.
Il n’y eut parmi les nôtres, ni tués, ni blessés, tandis que les ennemis eurent un capitaine, un sergent et
cinq soldats de tués ; le capitaine fut atteint au front, d’une pièce de campagne depuis la ville. L’ennemi se retira
alors à Trémoins avec les canons.
Le 24, il passa la rivière à St Valbert, s’avança du côté du petit château et y construisit un retranchement
à la distance de 300 pas, dans les vergers voisins. On y laissa ensuite une garde de 100 hommes. Dans ce
nouveau danger, on envoye demander du secours au baron Dannevon qui était alors avec son régiment en
garnison à Montbéliard.
Le 26, cers les quatre heures du matin, ce généreux guerrier parut aux portes de la ville avec 250
hommes de pied et 50 cavaliers. De concert avec notre petite garnison, il attaqua les ennemis avec tant de
courage dans leurs retranchements, qu’il n’en réchappa que quatre ou cinq seulement. Mais comme on n’eut pas
la précaution de démolir entièrement leur fort, ils y rentrèrent aussitôt après, s’y fortifièrent de nouveau et se
préparèerent à une attaque plus vigoureuse, ayant fait venir pour cela des canons, les mortiers, des bombes, des
grenades et autres munitions de guerre.
Le 1er janvier 1627, ils avancèrent des gabions, pour dresser une nouvelle batterie, directement entre le
petit château. On les inquiéta beaucoup depuis la ville dans ce travail. Ce ne fut que dans la nuit du 3 janvier,
comme il faisait très obscur, que leur ouvrage fut achevé. Ils avaient de ce côté six grandes pièces de canon ; sur
la hauteur des champs du côté de St Valbert, à l’opposite de la plate-forme du château, ils placèrent aussi trois
pièces de canon, et dans Le Chesnoy, derrière la Tuilerie, ils établirent encore deux mortiers propres à tirer des
bombes de 100 à 125 livres. Ainsi, voilà notre petite ville attaquée de trois côtés différents : au petit château, où
étaient 6 pièces de canon, au grand château où il y en avait 3 , et du côté des Tuileries où étaient placés deux
mortiers.
Le 4 fut un jour de deuil pour les habitants : depuis les 4 heures du matin jusqu’à 2 heures de l’aprèsmidi, on n’entendit que coups de canon, et l’on ne voyait pleuvoir que bombes et grenades dans la ville. Les
ennemis, cependant, nous firent peu de mal dans cette attaque vigoureuse ; 200 coups de canon de la grande
batterie entre la muraille qui va du grand au petit château, ne firent qu’abattre un parapet et émietter quelques
pierres ; 47, tant grenades que bombes, tuèrent deux filles et quelques bétails, et brûlèrent trois maisons avec une
grange.
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Les bourgeois ne se tinrent point cachés ; tandis qu’une partie faisait des prières à l’Etre Suprême,
l’autre était sur les murailles, tirant sans cesse sur l’ennemi. Sur les onze heures du matin, on somma de nouveau
la ville de se rendre. Mr de Lalande tint un conseil de guerre pour voir ce qu’on devait répondre. Les bourgeois
qui furent appelés à ce conseil déclaraient qu’ils aimaient mieux mourir que de se rendre. Mr de Lalande
applaudit à leur résolution et en fit répondre à l’ennemi que jamais on ne se rendrait. Quelques officiers de la
garnison proposèrent d’aller détruire la grande batterie. Les chefs y consentirent. Nicolaï et Vienot se disputèrent
l’honneur de cette périlleuse entreprise. Nicolaï l’emporta, il s’arma d’une cuirasse, d’une hallebarde, d’un
pistolet et d’un sabre. Il s’avance avec 30 hommes par un chemin creux jusque vis-à-vis la batterie, attend là que
la décharge soit faite, se précipite à travers la fumée sur l’ennemi qui prit aussitôt la fuite, et tint ferme avec ses
gens, tandis que Christophe MONNIER de Trémoins enclouait les canons pour les mettre hors d’usage. De six
pièces de canon, il n’y en eût que deux qui restèrent aux ennemis sans être endommagées, faute de clous assez
grands.
L’alarme se donna parmi les ennemis ; ils firent avancer leur monde, mais de tous côtés ils trouvèrent
une égale résistance. Nicolaï surtout les tint toujours en respect derrière le fort, et se retira ensuite avec sa petite
troupe, couvert de gloire, sans avoir perdu un seul des siens. Lorsqu’il fut rentré par la petite porte de fer,
l’ennemi battit encore les murailles avec les deux pièces qui lui restaient, jusqu’à la nuit. Alors il se retira à
Coisevaux dans son quartier général.
Le 5 janvier, nos gens n’entendant plus rien, jugèrent que le fort était abandonné tout à fait. Mr du
Breuil monta à cheval vers neuf heures du matin, alla droit à la batterie, découvrit encore quelques soldats, tira
sur eux un coup de fusil et les fit rentrer dans le fort. Aux cris triomphants de du Breuil, quantité d’hommes
sortirent de la ville, les uns avec des armes à feu, les autres avec des haches. Tous marchaient avec gaieté pour
détruire les ouvrages des ennemis ; les femmes même voulurent y prendre part, et tout fut bientôt renversé.
Ensuite, pleins de courage, ils allèrent droit au fort, et y répandirent une telle terreur par une grenade qu’y jeta le
lieutenant Viénot, que 200 hommes prirent la fuite. Nicolaï et Vienot pénétrèrent alors avec leur troupe dans le
fort même, y tuèrent 18 hommes et firent 2 prisonniers.
Mais les 200 hommes qui avaient pris la fuite ne tardèrent pas longtemps à reparaître, secondés par un
escadron de cavalerie. On leur tint cependant tête jusqu’à ce qu’on eût ruiné toute la batterie et même une bonne
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partie du fort. Le nombre des ennemis s’accroissant toujours de plus en plus, nos gens se retirèrent enfin en bon
ordre. Ils n’eurent qu’un homme de blessé.
Ces différents échecs n’abattirent cependant pas le courage des ennemis. Les 6, 7 et 8 du même mois, ils
entreprirent de construire un nouveau fort à 300 pas du premier, du côté de la porte de Brevilliers. Le 9, ils
posèrent encore un corps d’observation de 45 cavaliers sous le bois de Salomon, afin d’empêcher toute
communication avec Montbéliard.
Le 10, on donna avis au baron Dannevon de ces nouvelles manœuvres de nos ennemis. Toujours prêt à
nous tendre la main, le baron partit le 11 de Montbéliard avec 80 chevaux et 150 fantassins, passa par Brevilliers,
surprit les ennemis sous le Solamon, les chargea vigoureusement, en tua 7 et fit 8 prisonniers, parmi lesquels se
trouvaient un lieutenant et une cornette.
Pendant que notre défenseur travaillait si bien, ceux de la ville attaquèrent le nouveau fort, mais la trop
prompte retraite du baron les obligea de rentrer sans avoir pu rien faire.
Le 15 et 16, les ennemis continuèrent leurs fortifications, mais considérant toutes les pertes qu’ils
avaient déjà faites, se voyant de plus en plus harassés de froid et de fatigue dans le plus fort de l’hiver et privés
de munitions nécessaires, ils levèrent enfin le siège la nuit du 16 janvier 1637. Leur retraite fut si précipitée que
Mr le Baron Danneron et le comte de Grancey, gouverneur pour le roi à Montbéliard, qui étaient partis le même
jour avec 500 fantassins et 100 cavaliers, pour enlever leur quartier général, furent obligés de s’en retourner sans
avoir pu les atteindre.
La présente relation a été composée par Mr Charles DUVERNOY, ministre du St Evangile à Mandeure
de 1635 à 1638, à Héricourt de 1638 à 1671 et à Montbéliard dès 1671. Cette relation fut imprimée en 1700.
Les officiers de la ville d’Héricourt étaient alors :
Jean Jacques BERDOT
maire
Gaspard RICHARDOT
maître bourgeois
Jacques BELOD
maître bourgeois
Thiébaud ROSSELOT
maître bourgeois
Nicolas RAYOT
juré
David CRESMET
juré
Thiébaud VUILLAMIER
juré
Abraham LARCHER
juré
Antoine RICHARDOT
greffier.
La Franche-Comté s’oppose énergiquement à l’occupation française.
1637 - Richelieu voulant terminer cette conquête le plus promptement possible, appelle Bernard de Saxe
Weimar qui, en vertu d’un traité se mettait à la disposition du fougueux prélat avec un corps d’armée de 12000
fantassins et 600 cavaliers, moyennant quatre millions par an. Veymar était un habile général formé à l’école de
Gustave Adolphe, et qui avait pris le commandement de l’armée suédoise après la mort de son immortel chef à la
bataille de Lutzen en 1632.
L’armée de Veymar n’était composée que de soldats allemands ; mais la plupart de ses officiers étaient
suédois et c’est à cause de cela que l’histoire a conservé le nom de Suédois aux soldats de Veymar.
Ils entrèrent en Franche-Comté par la route qu’ont suivie toutes les armées allemandes qui ont envahi
cette contrée : la trouée de Belfort, et le lendemain on les voyait dans nos campagnes. C’est grâce à notre
situation géographique que nous devons d’avoir été si souvent visités par toutes les armées qui ont foulé l’est de
la France. Il ne paraît pas que Veymar s’attardait devant Héricourt, où il avait perdu du monde sans rencontrer
gloire ni butin ; mais il pilla Chalonvillars, l’église dont il enleva les cloches, dévasta le village de Couthenans,
puis se dirigea sur Ronchamp, Lure, Granges-le-Bourg, Luxeuil et toute la partie N.O. de notre département fut
saccagée et nombre de villages incendiés antre autres Plancher-Bas. Ces soldats, bandes de loups affamés,
enlevaient tout sur leur passage, ils se livrèrent à tant d’excès et de cruautés que l’horrible souvenir des Suédois
s’est perpétué dans les populations franc-comtoises jusqu’à nos jours.
Cette campagne de la Franche-Comté devait être la dernière pour Veymar ; ayant reçu l’ordre de
Richelieu de se porter en Alsace, il y mourut enlevé par la fièvre, d’autres disent par le poison, à l’âge de 36 ans.
La peste reparut au mois de juillet 1637 et dura quatre mois, couvrit de deuil toute la Franche-Comté.
Des prières furent dites dans toutes les églises pour obtenir la cessation du fléau, et comme si la peste et la guerre
n’eussent pas suffi à dépeupler le pays, l’horrible famine causée par la dévastation de la guerre fit mourir un
nombre considérable de personnes dans le printemps de l’année 1638.
La garnison française de Montbéliard se soulève contre les bourgeois à l’occasion de la disette du pain.
La misère était à son comble, beaucoup d’habitants se retirèrent en Suisse.
Tous ces malheurs qui se succèdent ne cessèrent qu’à la fin des hostilités, c’est-à-dire en juin 1644.
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En ce moment, la France avait d’autres guerres à soutenir et Mazarin renonça momentanément à la
conquête de la Franche Comté.
Cette guerre en Franche-Comté avait duré 10 ans, et pendant ce temps, cette province souffrit autant des
exigences des troupes françaises venues à son secours que des attaques et des dépradations des Français et de
leurs alliés. Les marches, les contre marches, les rencontres sanglantes des troupes comtoises, espagnoles,
allemandes, lorraines et françaises, l’avaient couverte de ruines et épuisée pour une longue suite d’années. (
Thirria)
Depuis l’époque où le prince du comté de Montbéliard fit appel à la protection de la France, jusqu’à la
paix de Westphalie en 1648, Héricourt, Montbéliard et Blamont furent occupées par des troupes françaises. Par
suite de l’exécution de ce traité, ces dernières évacuèrent ces garnisons le 11 juillet 1650 ; elles y avaient
séjourné dix sept ans « durant lequel temps la bourgeoisie a souffert de grandes incommodités et surcharges à
cause du logement des soldats, comme aussi des frais inestimables par cet égard ».
Traité de paix entre l’empereur, l’empire, la Suède et la France, conclu dans la ville d’Osnabruck,
Westphalie.
La restitution du comté de Montbéliard et de ses dépendances y est stipulée en faveur de la ligne
Wurtemberg-Montbéliard, avec tous les droits de souveraineté et autres, tels qu’elle les exerçait avant la guerre.
Ce traité signé au nom du duc Léopold Frédéric par Conrad Varenbuhler, l’un des plénipotentiaires du
duc Edouard III de Wurtemberg-Stuttgard, amena la fin des maux sous le poids desquels le pays avait gémi
pendant près de 20 ans.
Voici ce que le duc Georges lui-même disait des désastres de cette guerre :
« Pendant la protection du roi, les capitaines y ont sans cesse forcé et débauché les filles et les femmes,
volé sur les chemins les chariots des princes et ceux du pays, pillé les bestiaux des bourgeois, mis des impots sur
les chemins quand bon leur semblait, bruslé les châteaux, tué les bourgeois, mis la main sur les officiers des
princes dans la ville même pour les assassiner, affiché des satires devant le logis des ministres de Jésus-Christ,
traité avec les Bourguignons, les ennemis communs pour aller, les uns de çà, les autres de là, et laisser les
bourgeois à la merci des Comtois qui les ont rançonnés, et partagé peu après la rançon avec ces hachesetc… ».
Ce prince dit encore ailleurs « La seule protection de Dieu a assisté ce pays que l’on voulait engloutir, et dont M.
de Reinach se mocquait (quoique vassal) quand son prince lui répartit à Basle que David avait coupé la tête à
Goliath, osant dire par raillerie, que le vieux Testament ne valait plus rien, mais qui dit après : les anges tiennent
avec des chaînes d’or les quatre bouts de Montbéliard liés au ciel »
Le Château d’Héricourt.
A la date du 1er août 1663, on lit ce qui suit : La duchesse Sybille, douairière de Léopold Frédéric, va
occuper le château d’Héricourt. Elle est reçue par les bourgeois en armes, aux acclamations du peuple et au bruit
de l’artillerie. Dans cette retraite, elle se livra alternativement à l’étude de l’histoire qu’elle affectionnait, et à ses
goûts pour la peinture et la musique.
Le château actuel d’Héricourt ne paraît pas remonter avant le quinzième siècle ( On lit en effet à la date
du 9 novembre 1413, concernant le château : « Humbert de Neufchâtel, évâque de Bale, engage à Thiébaud de
Neufchâtel, son neveu, la moitié des châtel et ville d’Héricourt, et la moitié de la terre et appartenances, jusqu’à
ce qu’il lui ait payé les six cents florins qu’il lui doit » ).
Il était flanqué de tours, ceint de murs et défendu par un fossé rempli d’eau ; les tours portaient le nom
de Tour d’Espagne, Tour Bigotte, Tour de la Lanterne et Grosse Tour ; elles ont été détruites, ainsi que les
murailles en 1676. la grosse Tour, précédée d’un pont-levis, formait l’entrée du château qui se compose d’un
rez-de-chaussée et de plusieurs étages ; il renferme des salles très spacieuses ; un petit édifice attenant, construit
par la duchesse Sybille devait servir de chapelle ; l’intérieur était divisé en deux pièces, dont l’une, avec un
plafond en forme de dôme, était ornée de portraits de princes de Wurtemberg Montbéliard et des armoiries de
leurs vassaux ; un caveau établi sous cette chapelle, reçut en 1735, le corps d’Anne Sabine, comtesse de Sponeck
née Hedwiger, qui avait résidé dans le château depuis 1721.
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La Franche-Comté et la paix de Westphalie.
De 1648 à 1668, la Franche-Comté vécut en paix, la seigneurie d’Héricourt put alors réparer les
désastres de ses longues années d’épreuves, occasionnés par la guerre, la peste et la famine.
Pendant une période de 20 années, on ne vit qu’une seule fois ces deux derniers fléaux, ce fut en 1661,
et c’était peu à cette époque où ils étaient si fréquents. La prospérité renaissait partout, lorsque de nouveaux
bruits de guerre vinrent troubler la tranquillité et faire trembler les populations. C’était la France avec son jeune
roi qui faisait retentir la trompette guerrière.
Mazarin reprenait la politique de Richelieu. Il voulait annexer la Franche-Comté à la couronne royale.
Cette fois, on la revendiquait comme faisant partie de la dot de Marie-Thérèse.
Le 1er février 1668, une première campagne sous les ordres de Condé et de Louis XIV en fit la
soumission en trois semaines. Toutefois il ne paraît pas que dans cette rapide et brillante expédition, Héricourt et
Montbéliard virent les troupes françaises. L’Europe, alarmée, s’émut de cette conquête et forma la triple alliance
qui arrêta Louis XIV et le força à signer le traité d’Aix la Chapelle, le 2 mai 1668.
En 1674, une deuxième campagne en Franche-Comté fut plus pénible que la première. La conquête
exigea six mois, et le roi de France ne fut reconnu souverain sur tous les points de la province, qu’à la fin d’août
1674. mais la principauté de Montbéliard avec ses seigneuries échappait encore à la domination du roi-soleil qui
en ambitionnait la possession.
Le 9 novembre 1675, il veut déjà s’emparer de Montbéliard, mais à la suite d’une conférence tenue à
Belfort entre le grand Condé, le duc de Duras et le sieur Barbant de Florimont, ce dernier originaire de Héricourt,
Louis XIV renonça au projet qu’il avait formé de s’emparer des Etats du prince Georges, sous le vain motif que
celui-ci avait traité avec les confédérés.
C’est pourqoi, le 10 novembre 1676, il le fit occuper par un corps d’armée sous les ordres du maréchal
de Luxembourg qui mit une garnison française à Héricourt. Depuis lors, la souveraineté de notre seigneurie sera
perdue de fait pour les princes de Montbéliard qui en conserveront le Domaine utile jusqu’en 1790, époque où
les droits féodaux furent abolis en France.
Montbéliard et ses quatre seigneuries à la Paix de Nimègue.
Le 17 septembre 1678, à la paix de Nimègue, conclue entre la France, l’Espagne, la Hollande et
l’Empire, par laquelle la France acquérait définitivement la Franche-Comté, le prince Georges de Montbéliard
parvint à retirer du naufrage sa petite principauté avec ses dépendances. Cette restitution en souveraineté est
explicitement stipulée dans le traité de paix.
Mais la France ne tarda pas à élever des prétentions imaginaires sur Montbéliard et ses quatre
seigneuries.
Ce pays, détaché de l’ancienne Franche-Comté lui semblait un viol fait à ses conquêtes ; elle le
revendiquait malgré les récents traités, malgré surtout un arrêté émané le 22 septembre 1612 du Parlement de
Grenoble, reconnaissant que la souveraineté appartenait à la maison Wurtemberg-Montbéliard, arrêté qu’elle fait
casser par le conseil d’état du roi et qu’elle renvoie devant le parlement de Besançon, le 5 février 1680.
Ce parlement rendit, en effet à la date du 31 août 1680, un nouivel arrêté qui déclarait que le Comté de
Montbéliard dépendait de la souveraineté de Bourgogne, et ordonnant au duc Georges d’en faire « les foi et
hommage dans le terme de six semaines, sous peine de commise ».
Les dispositions de ce traité devaient durer jusqu’au traité de Ryswick le 30 octobre 1697.
Au mois d’octobre suivant, le commandant en Franche-Comté, le marquis de Montauban, de la Tour, et
l’intendant Louis de Chauvelin, arrivent à Montbéliard à la tête de 100 chevaux et prennent possession au nom
du roi de France de la souveraineté de ce Comté.
Le lendemain, ils faisaient prêter au conseil de Régence, au ministère ecclésiastique, au Magistrat et à la
Bourgeoisie de Montbéliard, le serment de fidélité au roi de France. Que faisait le duc Georges, alors qu’on le
dépossédait de ses états ? Hélas ! que pouvait-il faire contre la France Triomphante ? Retiré dans son château, il
faisait remettre, contre cet acte, une protestation, sa seule arme, dans laquelle il applique avec assez de justesse
plusieurs passages de l’Ecriture Sainte, entre autres celui tiré de Jérémie VII-II « Cette maison-ci sur laquelle
mon nom est réclamé devant vos yeux, n’est-elle pas devenue une caverne de voleurs ? ». Après cette
protestation toute platonique, il quittait Montbéliard le lendemain, et se retirait avec sa famille à Riquevir, puis
en Allemagne où il vint exposer sa triste situation.
Le 15 décembre 1680, la Diète de l’Empire se réunissait à Ratisbonne ; Frédéric-Charles, administrateur
du Wurtemberg, fait connaître la nécessité où il se trouve, dans l’intérêt de sa maison comme dans celui des
habitants du comté de Montbéliard, de faire au roi de France acte de « foi et hommage » comme l’exige l’arrêt
du parlement de Franche-Comté, « afin de conserver du moins la possession du domaine utile de ce pays » ( le
domaine utile, c’est-à-dire les fruits, les revenus d’une terre ).
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Le 20 décembre 1680, le Conseiller Widt est envoyé par le prince Frédéric Charles auprès du roi Louis
XIV. Il obtint de ce prince, le 5 janvier 1681, l’autorisation pour son souverain de prendre l’administration du
Comté de Montbéliard au nom du jeune Léopold Eberard, fils du prince Georges, et d’y établir une régence.
Cet état de choses dura jusqu’au Traité de Ryswick, conclu entre l’empereur, l’empire et la France, le
30 octobre 1697. Le Comté de Montbéliard et les seigneuries qui en dépendaient étaient restituées au comte
Georges sur le même pied qu’il les possédait avant la guerre, c’est-à-dire en toute souveraineté. Les pertes du
domaine et celles des sujets pendant l’occupation française qui avait duré 21 ans s’étaient élevées à 3 664 476
livres tournois.
Héricourt depuis 1700 jusqu’en 1793.
Les stipulations du traité de Ryswick concernant les seigneuries du comté de Montbéliard, Héricourt,
Blamont, etc… ne furent aux yeux de la France qu’une simple expression et non point un fait. Louis XIV les
revendiqua peu de temps après comme fiefs du duché de Bourgogne ; aussi les fit-il occuper militairement, et
nous voyons à la date du 6 juin 1700, une garnison française à Héricourt. Depuis ce temps, on peut considérer
Héricourt comme définitivement rattachée à la France.
Cette réunion toutefois ne fut officiellement consacrée que le 10 mai 1748 par la Convention signée à
Paris, en vertu de laquelle le duc Charles de Wurtemberg renonce pour lui et ses successeurs, en faveur de la
France, à toutes les prétentions sur la souveraineté des seigneuries d’Héricourt, Blamont, Clémont, Châtelot,
Riquewir et Horbourgn dont le domaine utile séquestré depuis la mort de Léopold Eberard en 1723, lui est
restitué et garanti. Ce fut le baron de Keller qui négocia ce traité.
Ainsi donc, voilà un fait accompli : Héricourt cesse d’être une seigneurie pour être perdue dans ce garnd
tout qui s’appelle la France. Elle aura toujours jusqu’en 1793, des rapports d’intérêts avec la métropole de la
principauté de Montbéliard, mais pour toute autre chose, elle sera soumise aux lois françaises.
Comment la population accepta-t-elle ses nouveaux maîtres ? Positivement, sans doute, les peuples
vaincus doivent se taire pour ne pas aggraver leur malheureux sort. Nous voudrions pouvoir ajouter que l’idée
d’appartenir à une grande nation leur sourit, mais nous savons que les mesures de rigueur contre le culte, et le
souvenir des persécutions de leurs coreligionnaires, n’étaient pas de nature à faire naître cette décevante illusion.
Le 6 juin 1700, le culte catholique est introduit de vive force dans l’église d’Héricourt : la ville
d’Héricourt est occupée par des troupes françaises en suite des prétentions formées par Louis XIV. Des sodats
français ayant à leur tête des officiers civils, se saisissent de l’église d’Héricourt où le culte simultané est
introduit.
Des vexations nombreuses accompagnent cette voie de fait, qui était la suite des prétentions, que rien ne
justifiait, élevées par la France sur la souveraineté des quatre seigneuries.
Le 16 mai 1684, l’église de Tavel dans la seigneurie d’Héricourt, jusqu’alors commune aux deux cultes
est attribuée exclusivement aux catholiques du village par arrêt du parlement de Besançon.
Ce n’était pas en introduisant par la force le culte simultané dans leur église alors qu’il y avait un
nombre insignifiant de catholiques, ni en les contraignant de célébrer les fêtes religieuses du culte ennemi qu’on
pouvait espérer s’attacher les populations, l’affection ne s’acquiert pas par de tels procédés. Ces mesures à
l’égard des protestants devinrent générales : commencées en Alsace, elles s’étendirent sur tout le Comté de
Montbéliard et ses anciennes seigneuries.
Le 9 juillet 1707, Louis XIV par lettres patentes ( lettres qui ne sont pas cachetées et qui confèrent en
titre, un privilège ) adressées au parlement de Franche-Comté, réduit, il faut lui savoir gré de cette douceur qui
ne lui était pas habituelle, à une simple tolérance, les droits acquis des protestants sur leur sol antique et
héréditaire ; mais, sous son successeur, les églises seront enlevées aux fidèles et les pasteurs remplacés par des
prêtres ; toutefois on poussait la condescendance jusqu’à attendre la mort du prédicant évangélique !
Cet acte d’intolérance, adressé une première fois par le garde des sceaux d’Angervillers le 2 mars 1735
à l’intendant de Franche-Comté, fut de nouveau présenté le 12 juillet 1740, par le baron de Breteuil, alors
ministre de la guerre. Cet acte portait que sa Majesté « toujours disposée d’user des voies de douceur pour
ramener ses sujets des quatre seigneuries à une religion qu’ils n’avaient abandonnée que par autorité, veut bien
ne pas faire tout d’un coup un changement général ; mais ordonne seulement qu’à mesure qu’un ministre viendra
à manquer, il soit remplacé par un curé ». Ce moyen qui avait pour but d’éteindre peu à peu la religion
protestante dans ces terres, priva pendant cinquante ans la majeure partie des paroissiens de leurs églises et de
leurs pasteurs ; mais elle fortifia en même temps les fidèles dans l’attachement qu’ils avaient voué aux principes
religieux que leur avaient transmis leurs pères. Cette mesure fur rigoureusement appliquée, aussi, à l’époque de
1789, il ne restait plus que 2 ministres dans la seigneurie d’Héricourt, et autant dans celle de Blamont. Châtelot
et Clémont en étaient privés depuis longtemps.
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La Principauté de Montbéliard depuis 1700
jusqu’à réunion définitive à la France.
On comprendra facilement qu’après qu’il a été si souvent question de la principauté de Montbéliard,
nous indiquions ici comment et quand notre métropole a cessé d’exister comme Etat indépendant.
La principauté de Montbéliard, sous le gouvernement du duc Léopold Eberard, fut moins agitée que ses
seigneuries ; mais l’inconduite de ce prince qui ne devait point laisser d’héritiers légitimes, prépara des troubles
dont ses ennemis profitèrent pour tenter de s’emparer de ses Etats qu’ils convoitaient.
A sa mort, arrivée en 1723, le duc Eberard Louis de Wurtemberg lui succéda en suite du traité de
Wildbad du 18 mai 1715, qui réglait la question de la succession éventuelle de Léopold Eberard. Il y était déclaré
qu’à défaut d’enfants inhabiles à lui succéder, cette succession appartiendrait au duc de Wurtemberg, à la charge
par lui de servir une pension alimentaire aux enfants illégitimes du prince défunt, savoir les Hedwiger et les
Curie, créés les uns, et les autres barons de Sponeck et de l’Espérance. L’aîné des Sponeck, Georges Léopold, à
la mort de son père, essaya vainement de se faire reconnaître successeur de Léopold Eberard, par les
représentants de la bourgeoisie de Montbéliard. Ceux-ci s’y refusèrent ; de là, des troubles. La France saisit avec
empressement cette occasion et sous prétexte d’agitations, elle retint sous séquestre ( état s’une chose en litige
remise en main tierce, jusqu’à ce qu’il soit réglé à qui elle appartiendra), toutes les seigneuries de cette
principauté. En 1734 Louis XIV prenait possession de tout ce pays.
C’était la troisième fois que la France s’en emparait ; mais comme précédemment et par suite
d’interventions étrangères, elle le rendait deux ans après en 1736, au duc Charles Alexandre.
Enfin, le 10 octobre 1793, le gouvernement de la République française s’établissait dans toute la
principauté qui fut alors incorporée à la France d’une manière définitive.
Il sera intéressant de lire comment les choses se passèrent alors.
« Bernard de Saintes, membre de la Convention nationale, arrive à Montbéliard à la tête d’un bataillon
de première réquisition de Dôle et de quelque cavalerie qui escortait des pièces de canon. Il supprime le conseil
de régence, toutes les administrations inférieures ainsi que le Magistrat de Montbéliard, et établit dans la ville et
le comté, les lois et les institutions françaises. Tout le ressort forme un district qui est réuni au département de la
Haute-Saône. Les propriétés du domaine sont confisquées et plus tard mises aux enchères. Une société populaire,
formée dès les premiers jours, vient tenir ses séances dans le temple du château ; les monuments et les tombeaux
des princes qu’ils renfernaient sont brisés et jetés à la voierie. On dépouille la plupart des églises de leurs vases
sacrés en argent et en vermeil ainsi que de leurs cloches ; on fait payer une contribution de 250 000 francs en
numéraire à ceux des habitants que l’on présume être le plus dans l’aisance, enfin une guillotine est dressée sur
l’une des places de Montbéliard, afin sans doute d’attacher plus promptement et plus étroitement la population
aux douceurs du régime républicain ». ( Eph. Du comté de Montbéliard par Ch Duvernoy ).
La Luzienne.
La Luzienne ou Lisaine prend sa source dans le territoire de Belfort à La-Chapelle-Sous-Chaux. Ce
n’est d’abord qu’un petit ruisseau appelé le Loméchien qui passe sous le chemin de fer de Belfort à Paris, à
environ 2 kilomètres et demi de l’entrée est du runnel de Noirmonchot, traverse les fermes des Granges-Godey,
reçoit à gauche une partie des eaux de Bas-Evette, et toutes celles du hameau de la Curotte.
A partir de là jusqu’à Frahier, il prend le nom de Ruisseau des Savoyards et se grossit de trois autres
petits affluents qui lui apportent le faible tribut des eaux des fermes de Grattery et de Noirmonchot, mais il est à
noter qu’aucun de ces trois filets d’eau ne se trouve coupé par le tunnel ainsi qu’on le répète généralement à
Héricourt dans la vallée de la Luzine.
Dans les prés situés entre Echavannes et Frahier, le Ruisseau des Noriandes, coulant de l’O. à l’E. , lui
apporte les eaux venant de Chérimont. C’est à partir de là que commence véritablement la Luzienne.
Elle coule du N. au S. , arrose Chenebier, Chagey, Luze, Chevret, Héricourt, Bussurel, Bethoncourt et
Montbéliard où elle se jette dans l’Allaine, après un cours de 30 kilomètres.
Elle reçoit, à gauche vis-à-vis de Chenebier où se trouve le moulin Lods, le ruisseau de Chatebier, entre
Chagey et Luze, celui de Genechier grossi des sources venant de Mandrevillars et d’Echanans, et le ruisseau de
Brevilliers, au-dessous d’Héricourt.
A droite, le ruisseau de Chenebier, celui de Champey qui est son principal affluent et enfin celui de
Byans à l’entrée d’Héricourt.
Tous ces petits affluents forment la modeste Luzienne aux eaux tranquilles « qu’un géant altéré boirait
tout d’une haleine ». Jamais on n’avait parlé d’elle avant le 15 janvier 1871 ; on se le rappelle, ce jour-là elle
servit de ligne de séparation entre les armées françaises et allemandes que commandaient Bourbaki et Werder, et
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qui ne put être franchie par nos troupes dans ces journées désastreuses des 15 et 16, que l’on appelle bataille
d’Héricourt.
Le cours de la Luzienne dépasse 30 kilomètres ; elle coule à sa source par 403 mètres d’altitude, elle
entre après un très petit trajet dans le territoire de Belfort dans le canton de Champagney qu’elle traverse sur une
longueur de 10 kilomètres.
Sa direction est N.E - S.O. ; à partir de Chenebier, elle va du N. au S. Elle coule en moyenne à la
filature Schwob à Héricourt, 2 m3 par seconde de sa source jusqu’au confluent de l’Allaine à Montbéliard,
l’inclinaison est de 80 mètres.
Le volume des eaux a vraisemblablement diminué : autrefois les grandes forêts de Chagey, d’Etobon, de
Clairegoutte se flottaient sur la Luzine jusqu’à Montbéliard ; aujourd’hui le flottage serait impraticable d’abord
par suite des différentes usines qui se sont établies sur ses rives, mais surtout par son faible débit.
D’où provient cet appauvrissement ? on a voulu dans ces derniers temps en chercher la cause dans
l’établissement du chemin de fer de Belfort à Champagney qui aurait détourné une de ses sources les plus
abondantes dans le percement du tunnel de Noirmonchot, mais c’est une erreur, les petits ruisseaux qui venaient
du côté de Noirmonchot en 1850 sont encore là et n’apportent ni plus ni moins d’eau qu’auparavant. Voilà la
vérité. Les véritables causes sont ailleurs ; elles sont les mêmes pour la Luzine que pour le Doubs qui, lui-même,
du temps des Romains, d’après le témoignage du géographe Straton, était navigable depuis Mandeure, et pour
toutes les rivières et tous les fleuves de notre continent.
C’est le déboisement à outrance depuis plusieurs siècles, qui amoindrit le volume des eaux fluviales ;
c’est le curage et le redressement incessants du lit de la rivière qui facilitaient l’écoulement rapide des eaux, ne
leur permettent plus qu’un séjour de peu de durée dans les campagnes, en sorte que peu d’heures après le dernier
orage et la dernière pluie elles ont complètement disparu et sont emportées au loin ; autrefois les forêts
descendaient fourrées et touffues jusque sur les bords de la rivière ; les eaux, retenues par mille obstacles,
mettaient plus de temps à se rendre dans la partie inférieure de leur bassin, elles s’épanchaient dans une
multitude de petits étangs qui étaient autant de réservoirs pour les temps de sécheresse. Tout cela s’en va et tend
à disparaître entièrement par suite de cet amour exgéré de la ligne droite qui supprime du coup « les gracieux
méandres » de la rivière si chers au poète, les étangs poissonneux qu’ombragent les forêts. Même les diverses
administrations forestières contribuent inconsciemment à cet appauvrissement qui, dans la suite peut devenir très
préjudiciable à toute une contrée, par l’assèchement des parties basses et humides de leurs bois, et le soin
méticuleux qu’elles apportent à l’établissement de chemins larges comme des avenues, de fossés profonds
comme des ruisseaux, par où les eaux dévalent des hauteurs avec force, se précipitent en torrent dans les terres
labourables qu’elles ravinent profondémént à travers leurs forêts, entraînant tout sur leur passage et jetant dans
les prairies un mélange de terre et de gravier qui leur nuit plutôt que de les fertiliser. Ne séjournant que peu de
temps sur le sol, les eaux ne sauraient pénétrer dans les profondeurs de la terre et alimenter suffisamment les
sources de nos vallées qui de jour en jour perdent en abondance.
Toutes ces causes réunies servent à elles seules à expliquer l’appauvrissement de tous les cours d’eau et
de la Luzine en particulier. Ajoutez à cela, le débit de nos rivières mieux réglé qu’autrefois, des écluses bien
entretenues munies de vannes mobiles qui, levées à temps préviennent ces inondations parfois redoutables qui
revenaient périodiquement avec la saison des pluies et l’on aura tous les éléments possibles pour expliquer un
fait, au lieu de répéter des on-dit, que ceux qui les ont avancés de bonne foi sans doute, n’ont jamais vérifiés.
A la fin du siècle dernier, les eaux de la Luzienne, étaient déjà utilisées comme force motrice et
faisaient tourner les moulins de Frahier, Chénebier, de Chagey, de Luze, Chevret, St Valbert, Héricourt, Bussurel
et Montbéliard.
Depuis l’industrie, cette puissance créatrice, à transformé plusieurs de ces modestes établissements. Au
tictac monotone du moulin a succédé le bruit moins éclatant, mais plus sourd des engrenages en fer ; la mouture
a cédé le pas aux filés at aux tissus et la teinte grisâtre des moulins a été remplacée par la teinte noirâtre qui
décèle la présence de la houille.
Chevret devait se transformer en fabrique noire, taillanderie, avant de devenir l’important établissement
de filature et tissage d’aujourd’hui. Les moulins d’Héricourt, aujourd’hui filature Schwob, allaient aussi
renverser leurs murs, s’agrandir et transformer le coton en tissus.
Dans les chapitres suivants, en traitant de la question économique d’Héricourt, nous exposerons tout au
long les transformations successives des diverses industries et les modifications profondes qu’elles ont apportées
dans les conditions d’existence des populations du pays d’Héricourt. Dans cet exposé, nous ferons entrer le
tableau comparé de la situation agricole, industrielle et commerciale des 25 dernières années avec la fin du
XVIIIème siècle, situation qu’il n’est pas inutile d’établir afin de montrer la supériorité au point de vue matériel,
de notre époque sur toutes celles qui l’ont précédée et qui constatera, comme corollaire, les immenses bienfaits
des changements qu’a apporté l’immortelle révolution de 1789.
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