Document 9 :
Dos au mur, les dirigeants européens ont accepté un saut qualitatif dans l'intégration, à travers la mise en place d'un mécanisme
de solidarité entre Etats. L'Euro et l'Europe sont cependant encore loin d'être sortis d'affaire.
Solidarité financière entre Etats membres, endettement public au niveau de l'Union… En l'espace de quelques mois les spéculateurs ont
obligé l'Union européenne à opérer un saut qualitatif dans l'intégration que vingt ans de débats institutionnels récurrents - depuis le traité
de Maastricht au début des années 1990 - n'avaient pas permis de faire avancer… En effet, sous leur pression, plusieurs tabous
importants ont été transgressés le week-end dernier. Mais les problèmes posés par la faible croissance européenne et cette nouvelle
donne institutionnelle sont encore loin d'être résolus.
Tout d'abord, la Banque centrale européenne (BCE) a accepté d'acheter sur le marché secondaire des titres de dette des Etats, ce qu'elle
se refusait à faire jusque-là, contrairement notamment à la Banque d'Angleterre et à la Réserve fédérale américaine. Cela revient,
indirectement, à accepter de financer les Etats, même s'il n'est toujours pas question pour elle d'acheter directement leurs titres de dette
au moment où ils sont émis. En assurant la liquidité des marchés des titres de dette, elle aide à débloquer le crédit interbancaire, de
nouveau bloqué du fait de l'incertitude sur la solidité financière des établissements qui détenaient trop de dettes grecque ou portugaise.
Ceci dit, les mesures « non conventionnelles » massives prises par la Banque centrale européenne depuis le début de la crise (elles ont
consisté à ce que ce que la BCE crée elle-même de la monnaie au lieu de se contenter d'aider les banques commerciales à le faire comme
c'est le cas en temps normal) avaient déjà en pratique pour résultat de faciliter grandement le financement des déficits publics, même si
jusqu'ici la BCE se refusait à acheter directement des titres de dette des Etats.
Le principal tabou qui a sauté concerne la capacité d'endettement de l'Union et le pouvoir qui lui est accordé d'aider les pays membres.
Les ministres des Finances de la zone euro ont en effet acté la mise en place d'un fonds, qui serait autorisé à emprunter sur les marchés
financiers, avec la garantie des Etats membres, jusqu'à 440 milliards d'euros. Ils viendront s'ajouter à 60 milliards d'euros mis à
disposition par la Commission elle-même (ainsi que par ailleurs 250 milliards d'euros fournis par le Fonds monétaire international). Cela
afin d'apporter des prêts aux Etats qui se retrouveraient en difficulté pour financer leur dette publique, comme la Grèce et le Portugal ces
derniers jours. Une forme d'aide qui avait déjà été mise en œuvre, pour des montants faibles, au profit de la Hongrie, mais qui était
catégoriquement refusée jusqu'ici au sein de la zone euro, notamment par le gouvernement allemand.
Ce type de mécanisme peut en effet avoir pour résultat de déresponsabiliser les Etats de la zone en matière de gestion budgétaire. 500
milliards d'euros, mobilisés ensemble par les européens cela représente 6 % du produit intérieur brut (PIB) de la zone euro. Or jusqu'ici,
la règle était que seuls les Etats membres avaient le droit de s'endetter. L'Union devait non seulement se contenter d'un budget très
faible, 1 % du PIB, mais en plus ce budget devait être en permanence strictement équilibré, le privant du coup de toute fonction
macroéconomique contracyclique. Même si le budget européen reste encore de taille ridicule et si cet endettement reste garanti par les
Etats membres et non par la création d'un impôt européen, le fait d'autoriser l'Union à s'endetter à des niveaux macroéconomiquement
significatifs change donc substantiellement la donne.
Cela suffira-t-il cette fois à juguler la spéculation ? Dans l'immédiat, on peut raisonnablement l'espérer compte tenu de l'ampleur des
mesures annoncées. Mais de nombreux problèmes restent non résolus tandis que ces mesures elles-mêmes en posent de nouveaux,
particulièrement complexes. Tout d'abord dans la gestion politique du processus d'aide annoncé : quelles contreparties seront demandées
aux Etats qui feront appel à ce fonds, qui gèrera et contrôlera ce qui ressemble fort à une mise sous tutelle de tel ou tel Etat membre ?
Au-delà, quelles conséquences seront tirées de cette nouvelle donne en termes d'architecture de la zone, de règles concernant la politique
économique des Etats membres dont il faudra du coup renforcer la coordination ? Sur tous ces sujets les négociations - complexes
comme toujours - sont loin d'être finalisées, et leurs dérapages peuvent relancer la spéculation comme cela a déjà été le cas à plusieurs
reprises au cours des derniers mois.
Mais ce qui continue surtout à nourrir l'inquiétude pour l'avenir, c'est la politique de rigueur accrue annoncée dans toute la zone. En
effet, les pays les plus directement menacés (Grèce, Irlande, Portugal, Espagne) sont durablement engagés dans des politiques d'austérité
de fer, mais si dans le même temps la France et l'Allemagne serrent à leur tour les boulons, la zone euro va retomber dans la récession et
les problèmes de dette publique de tous ses membres vont encore s'aggraver… Or, suite aux événements récents, le gouvernement
français, loin de s'engager à continuer à soutenir l'activité, promet au contraire une rigueur inédite dès les prochains mois. Cette réaction,
inadaptée à la situation économique, n'est pas de nature à rassurer les investisseurs, mais plutôt à accroître les inquiétudes pour l'avenir
de la zone et à relancer à terme la spéculation contre l'euro.
Guillaume Duval, Article web sur le site d’Alternatives économiques, 10 mai 2010
Questions :
1- Rappelez qui décide de la politique monétaire d’une part et de la politique budgétaire de l’autre en Europe.
2- Comparez la situation financière de la Grèce à celle du Japon, des Etats Unis ou du Royaume Uni. (pour cela vous
devez faire une recherche)
3- Les dirigeants européens avaient-ils la possibilité de faire d’autre(s) choix que celui de renforcer la coordination
au sein de la zone ?
4- Quel changement a été décidé pour la politique monétaire ?
5- Quel autre mécanisme d’aide a été mis en place ?
6- Quel est le projet de changement en ce qui concerne la politique budgétaire ?
7- Quels sont les effets positifs attendus de la réduction des déficits publics des pays européens ?
8- La réduction des déficits publics est-elle sans risque dans le contexte actuel ?