LES RESEAUX DE SANTE ET DE SOINS EN ALCOOLOGIE CE QUI EST ET CE QUI DEVRAIT ÊTRE Prof. I. PELC ULB – CHU Brugmann SFA : 7 juin 2007. Paris La nécessité de travailler en réseau de santé et de soins dans le domaine de l’alcoologie n’est évidemment plus à démontrer. Il en va ainsi dans l’ensemble du domaine de la santé mentale, en particulier en ce qui concerne les assuétudes et tout particulièrement en alcoologie. Les raisons en sont simples : la prise en charge d’un patient ayant des problèmes liés à l’alcool nécessite la prise en compte de multiples pathologies qui, aujourd’hui, dans nos pays en tous cas, sont du ressort, soit du médecin de famille, soit d’autres spécialités médicales, et bien évidemment, des professionnels de la santé mentale. Relevons d’emblée qu’il y a aussi lieu d’avoir une politique d’implication d’autres secteurs que celui de la santé, tels par exemple, l’éducation, la justice, la famille et tout le réseau social. Au cours du temps de la prise en charge d’un patient, on assiste souvent à un défilé d’intervenants spécialisés différents pour s’occuper de tel ou tel autre problème présenté par le patient. Enfin, il est banal de relever que le patient est, un moment, admis dans telle institution et, à d’autres moments, dans d’autres institutions, qu’elles soient ambulatoires ou résidentielles. Chaque intervenant a sa place, son rôle, ses missions spécifiques et doit aussi travailler en bonne intelligence avec les autres. Si chacun de ces intervenants possède un bagage acquis de connaissances et de compétences spécifiques, le travail en équipe et en réseau de soins nécessite que les uns et les autres apprennent, peu ou prou, ce que les autres de l’équipe ont acquis comme formation spécifique. Ceci n’est pas toujours aisé, car il se fait que l’acquisition de ces compétences propres, souvent pointues, oblitère les connaissances des collègues que l’on fréquente dans un réseau de soins. En tout état de cause, dans le domaine de l’alcoologie, équipe de soins de première ligne, représentée surtout par le médecin généraliste et par la famille, d’une part, et équipe spécialisée en alcoologie, d’autre part, doivent pouvoir travailler en bonne intelligence et en étroite collaboration. Ceci est plus vite dit que facilement fait, pour de multiples raisons. En tout état de cause, selon le niveau de compétence, d’expérience, et surtout de motivation personnelle des uns – première ligne – et des autres – spécialistes – on se partagera le travail dans le cadre de ce que l’on appelle le « partage des soins ». Personnellement, je ne pense pas qu’il faille toujours légiférer pour définir ce qui est du ressort des uns et ce qui est du ressort 1 des autres. Dans tel cas, un médecin généraliste alcoologue aura acquis une large expérience dans les divers domaines de la prise en charge du patient alcoolique et pourra effectivement et efficacement faire une bonne partie du travail. Dans d’autres cas, le psychiatre, le psychothérapeute ou un autre professionnel de la santé mentale fera l’essentiel du travail aux côtés d’un médecin généraliste qui fera, lui, uniquement, le premier accueil et l’orientation vers les spécialistes. La disposition personnelle particulière et la disponibilité que cela requiert ne s’acquièrent pas tout à fait sur les bancs d’une Ecole de Médecine, mais est plus le fait d’un tempérament, d’une inclinaison, d’un intérêt à la prise en charge du patient présentant des problèmes liés à l’alcool, dans ses divers aspects. En tout état de cause, il faut faire l’inventaire des offres de soins diversifiées que requiert la prise en charge de patients alcooliques, elles sont bien connues : la crise et l’urgence ; les cures de sevrage en milieu ambulatoire ou résidentiel ; l’admission dans un délai raisonnable en cas de rechute et, si possible, au sein de la même équipe de soins ; bien évidemment, des possibilités de liens entre spécialistes et première ligne ; enfin, la nécessité d’effectuer de façon adéquate des bilans, tant sur le plan biologique que sur le plan psychologique et le plan social, pour ne citer que quelques-uns des aspects les plus importants. En conséquence de cela, on envisagera la mise en place de telle ou telle autre thérapeutique prévalente, dans le domaine pharmacologique, de la psychothérapie ou de l’accompagnement social. Il faut malheureusement constater que dans bon nombre de cas, lorsque ce dispositif diversifié existe dans une région, ce dispositif est souvent peu connu des praticiens, peu connu des intervenants du réseau, d’un accès difficile et d’une disponibilité, ne fut-ce que de contactpas toujours simple. Dans ce sens, il est utile de pouvoir disposer – et ceci est valable pour l’entièreté du domaine de la santé mentale, mais paraît aussi fort utile en alcoologie – d’un help desk téléphonique dans une région, help desk au bout duquel il n’y a non pas des opérateurs téléphoniques, mais des thérapeutes ayant une bonne connaissance des dispositifs existants et ayant connaissance en temps réel de la disponibilité de ce réseau : y a-t-il des places ? Y a-t-il des modalités d’entrée ? Comment joindre la ou les personne(s) responsable(s) de l’admission dans ces diverses institutions, etc. Ceci est d’un apport fantastique en terme de soutien et d’aide à l’orientation pour les divers intervenants d’un réseau de soins. Ainsi, en Région Bruxelloise, nous disposons depuis près de cinq ans maintenant, d’un tel help desk téléphonique (Eole) pour l’ensemble de la santé mentale et on constate que près de troisquarts des appels concernent des problèmes d’assuétudes et, en majorité, des problèmes de boisson nécessitant une intervention. Si l’on ne dispose pas de cet outil, les thérapeutes 2 adressent invariablement les patients à ce qui est ouvert jour et nuit, c’est-à-dire, les gardes et les services d’urgence des hôpitaux généraux. Un élément essentiel en réseau de soins alcoologiques est, en plus du partage des soins, le partage des connaissances, le partage de l’expérience, le partage de l’apprentissage dans une discipline en évolution. Il y a donc nécessité de disposer d’un lieu de discussion de cas, d’apprentissage des techniques d’intervention d’aide, tant dans le domaine pharmacologique que psychosocial et psychothérapeutique. En effet, l’alcoologie est un domaine où les connaissances sont en développement, où les pratiques sont perpétuellement en devenir et où aussi l’analyse et les discussions autour de cas cliniques isolés sont d’une importance majeure pour conforter les plus jeunes, les moins expérimentés et aussi les moins spécialisés, qu’ils peuvent faire œuvre utile lorsqu’ils s’inscrivent dans un réseau de soins. Toute ceci, bien évidemment, nécessite un temps disponible minimum, temps qu’il y a lieu bien évidemment de financer raisonnablement. Même si la conviction des administrateurs de la santé n’est pas facile à entraîner pour disposer d’un peu plus de temps que prévu et d’un peu plus d’argent, cela commence quand même à devenir une évidence à travers les évidences ressortissant des inventaires multiples auxquels on nous demande de participer régulièrement, pour encoder les actes réalisés. En Belgique, depuis une dizaine d’années, nous utilisons le Résumé Psychiatrique Minimum (RPM), valable pour l’alcoologie également, et l’ensemble des assuétudes et de là – bien évidemment - est sortie une amélioration notable du financement de la santé mentale et de l’alcoologie en particulier, bien qu’il reste encore beaucoup de chemin à faire. Si l’on prend le temps d’expliquer aux administrateurs et gestionnaires de la santé que créer une relation d’aide, évaluer les ressources et les motivations du patient, contacter le réseau pour s’y inscrire au nom de l’un ou l’autre patient, demande évidemment un temps certain, on arrive avec le temps à obtenir des résultats non négligeables. Je puis en témoigner personnellement car j’ai pris l’option de consacrer une partie de mon temps académique aux problèmes de l’organisation des soins de santé mentale et je dois dire qu’au terme, aujourd’hui, après une quarantaine d’années d’exercice, j’estime que des résultats notables ont eu lieu. Il faut peut-être regretter que dans le domaine de la santé mentale et des assuétudes en particulier, trop peu de nos collègues prennent une option santé publique, ce qui évidemment déforce la défense de ce secteur. En terme de travail en réseau, de nombreuses évidences existent, bien qu’existent encore deçi-delà quelques réticences à ce sujet : ainsi, il est bien établi que la prise en charge d’un patient alcoolique nécessite une large expertise, tant biologique et pharmacologique qu’au niveau de l’intervention psychosociale et psychothérapeutique. Ceci est, aujourd’hui, bien acquis. Sont de plus en plus rares ceux qui, 3 aujourd’hui, continuent à penser qu’un état de dépendance avéré envers l’alcool ne doit pas se traiter par une cure de sevrage en bonne et due forme avec l’appui d’agents pharmacologiques de substitution. Sont également de plus en plus rares, ceux qui estiment que le suivi d’un patient après une cure, se fait avec quelques bonnes paroles, sans un encadrement psychosocial de qualité, sans des interventions psychothérapeutiques spécialisées vu les caractéristiques des problématiques sous-jacentes à l’alcool et aussi, avec des traitements pharmacologiques - lorsqu’ils existent – à la fois, pour le maintien de l’abstinence, et à la fois, pour une meilleure résolution des co-morbidités, qu’elles soient somatiques ou psychiatriques. Dans une étude qui date d’il y a quelques années déjà, l’étude CAPRICIO. « Campral Primary care with psychosocial support », nous avons pu montrer que des patients alcooliques correctement sevrés, bénéficiant d’un suivi avec administration d’Acamprosate, aidant au maintien de l’abstinence, voyaient une évolution nettement plus favorable lorsqu’ils étaient, en plus, aidés par des interventions d’encadrement psychosocial chaque fois que nécessaire, de façon pro-active, et aussi par des interventions brèves psychothérapeutiques. Dans le premier cas de patients non suivis sans cet accompagnement, seuls 14 % des cas avaient au cours des six mois une abstinence totale de tous les jours, alors que c’était le cas pour 32 % des patients, lorsqu’ils étaient suivis avec cet accompagnement. Aujourd’hui, plus personne ne mettra en doute l’importance et l’intérêt thérapeutique de la mise en synergie de l’ensemble des ressources disponibles sur le plan pharmacologique, psychosocial et psychothérapeutique, bien évidemment, adaptée à chaque cas particulier. Enfin, il faut aussi mentionner qu’il doit exister dans les réseaux d’alcoologie fonctionnant correctement, l’une ou l’autre équipe particulièrement compétente pour des problèmes spécifiques à des problématiques particulières, ou encore, à des groupes cibles de patients particuliers. Je veux citer le problème d’actualité qu’est celui de jeunes et le « binge drinking », jeunes avalant en un temps record une quantité importante d’alcool, souvent de très haut degré alcoolisé, avant de se rendre dans des lieux festifs ; je veux parler de jeunes femmes qui doivent être parfaitement bien informées en consultation prénatale, du risque qu’elles courent à continuer à boire pendant la grossesse, et tout particulièrement pendant les premiers mois, du problème particulier des personnes âgées – et souvent très âgées – et isolées et grandes consommatrices d’alcool, vu leur état dépressif permanent ; je veux aussi citer les femmes isolées, exclues, seules ou en ménage, mais qui remplissent leur temps disponible par de la boisson, ou encore, au contraire, l’homme ou la femme en entreprise, soumis à une demande de grande performance de travail, de stress et en conséquence 4 d’alcoolisation répétée. Toutes ces situations spécifiques demandent des réponses particulières. Ceci doit pouvoir exister aussi dans un réseau. Enfin, pour réfléchir, évaluer, orienter, programmer régulièrement l’ensemble de ce dispositif, l’ensemble de ces ressources disponibles et améliorer constamment la qualité des soins, il doit exister une plateforme de concertation – qu’on l’appelle ainsi ou autrement – dédicacée particulièrement aux assuétudes, plus spécifiquement à l’alcool. Elle peut ou elle peut ne pas être intégrée dans la santé mentale, cela dépend des sensibilités locales et culturelles, mais les problèmes liés à l’alcool doivent y être évoqués régulièrement afin d’orienter les priorités de politique de santé en Alcoologie. Les partenaires de cette plateforme doivent évidemment être, en priorité, les Autorités, mais aussi, des experts scientifiques, des personnes du terrain, des représentants de groupes d’entraide, et aussi, d’usagers de soins. Ceux-ci doivent aussi, bien sûr, participer aux discussions, dans le cadre des réseaux de santé et de soins. Voici, chers collègues, un bref aperçu – plutôt un survol – des ingrédients, des fonctionnalités qui doivent exister dans le Cadre des Réseaux de Soins en Alcoologie. Aujourd’hui et à ce stade, en Belgique, pour les problèmes d’alcool, il n’existe pas de réseaux formalisés structurellement dans le cadre de dispositions légales ou administratives, mais bien évidemment, il existe une série de réseaux, ex-officio, qu’ont créé les diverses institutions spécialisées confrontées à une réalité incontournable qui est celle de la nécessité du Travail en Réseaux. Les thérapeutes appartenant à des centres, soit généralistes,soit spécialisés ont, au cours des années, pu bénéficier, des Autorités de la santé, d’appoints pour pouvoir mettre un peu plus d’huile dans les rouages, un peu plus de ciment autour des briques, pour que l’édifice du Réseau tienne un peu mieux, ceci à travers des projets pilotes. Certains sont intégrés dans une politique globale de santé mentale ; d’autres sont intégrés dans une politique d’intérêts prioritaires pour la première ligne de soins ; d’autres encore dans ce que l’on appelle « les bassins de soins », c’est-à-dire, la coordination régionale entre plusieurs institutions. Ainsi, le paysage se développe progressivement, en y associant les plus motivés des intervenants. Merci de votre attention Prof. I. PELC 5