Depuis des mois, des rumeurs persistantes laissaient entendre que Pékin allait prendre une initiative en vue de la
réunification. Selon un article récent du Sydney Morning Herald, qui reprenait les conclusions des services de
renseignement américains, la Chine était en train de préparer un blocus de Kaoshiung, le plus grand port de
Taiwan, pour le mois de septembre (4). Après la rétrocession de Macao, l'île est en effet la dernière portion du
territoire chinois qui échappe encore à la souveraineté de Pékin. A la lecture du Livre blanc, on comprenait
qu'en l'absence de progrès sur ce dossier brûlant, une date limite pourrait être fixée. En fait, l'idée de forcer la
marche vers la réunification avait germé dans l'esprit des dirigeants chinois après le coup d'éclat de Lee sur les
«relations d'Etat à Etat». Le problème, c'est qu'il fallait alors envisager l'option militaire qui, compte tenu de
l'équilibre des forces en présence, paraît hautement problématique et extrêmement risquée pour la Chine
continentale. Pékin est confronté à un dilemme, que l'on pourrait appeler le «paradoxe du temps»: d'un côté, il
faut faire vite car l'émergence d'une identité taiwanaise lui fait craindre que les perspectives de réunification ne
s'éloignent au-delà du point de non-retour; d'un autre côté, le temps joue en sa faveur car, sur le plan militaire,
ce n'est que vers la fin de la décennie que le rapport des forces cessera de favoriser Taiwan. C'est dire combien
la situation est délicate pour la Chine. Fixer une date limite qu'elle ne pourrait pas tenir ne pourrait que
discréditer le Parti communiste et fragiliser le régime actuel qui apparaîtrait comme un tigre de papier. Le Livre
blanc reflète cette tendance à l'escalade verbale dont nombre d'analystes américains redoutent qu'elle ne
conduise Pékin à se mettre, par inadvertance, au pied du mur.
Equilibre des forces, scénarios de crise
Si un nouveau modus vivendi entre les deux rives du détroit n'est pas trouvé d'ici les prochains mois, la Chine
pourrait estimer qu'elle n'a pas d'autre choix que l'option militaire - et cela en dépit de tous les inconvénients
qu'elle comporte, qu'elle se solde par un succès (réaction internationale à une action militaire unilatérale) ou par
un échec. Mais quel est réellement l'état de l'armée chinoise et quelles sont les différentes possibilités qui
s'offrent à elle?
Depuis la fin des années 80, les plans de défense chinois sont passés de la guerre «totale», sur une grande
échelle, à la guerre «locale», menée avec des moyens technologiques sophistiqués sur des terrains d'opération
restreints, dans le détroit de Formose ou en mer de Chine du Sud (5). Mais les capacités de projection des forces
chinoises hors de leurs frontières restent très limitées. L'APL ne dispose ni de moyens amphibies suffisamment
robustes ni de la puissance aérienne adéquate pour conduire avec succès une invasion de Taiwan. L'emploi, par
les Américains, d'armes conventionnelles équipées de systèmes de guidage de précision pendant la guerre du
Golfe puis contre la Serbie a incité les Chinois à accélérer leur programme de modernisation. En 1999 et 2000,
les dépenses de défense ont crû plus vite que les 12% de hausse constatés au cours des dix années précédentes,
et l'accent a été mis sur la «guerre asymétrique» (la guerre électronique, les missiles de croisière perfectionnés,
le développement des armes laser). Il est vrai que le mode de calcul des dépenses militaires chinoises laisse la
plupart des experts perplexes. Officiellement, Pékin les évalue à 12 milliards de dollars (chiffres 1999). Mais si
l'on réintègre dans le budget toute une série d'activités annexes, on parvient à un montant d'environ 30-35
milliards de dollars par an (6).
Il ne suffit pas de comparer, catégorie par catégorie, les équipements militaires de Pékin et de Taiwan pour se
faire une idée exacte des forces en présence. Des facteurs aussi fondamentaux que la géographie, la topographie,
l'aptitude à lancer une attaque-surprise ou les capacités opérationnelles entrent également en ligne de compte. Il
convient aussi d'évaluer les capacités offensives par rapport aux capacités défensives (le ratio est de 3 à 1 pour
les forces terrestres). En la matière, la qualité prime sur la quantité, qu'il s'agisse des plates-formes aériennes et
navales de dernière génération ou des capacités opérationnelles et organisationnelles (commandement et
contrôle, renseignement, reconnaissance, interopérabilité des forces terrestres, aériennes et navales) (7).