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« Des comptes en or et vermeil : la dimension économique des rituels
et des temples à Taiwan »
Fiorella Allio (CNRS), IrAsia, Aix-Marseille
Séminaire F. Gipouloux, « Aux origines de la mondialisation : histoire économique
comparée Asie Europe, 1500-2000 », EHESS Paris
19 avril 2016
Les échanges commerciaux que Taiwan entreprend à une échelle planétaire, sa
production technologique de pointe tournée vers l’innovation et, plus largement, la rationalité
de sa stratégie de développement économique n’ont pas effacé la place du religieux dans le
paysage social de l’île. Ce champ est en majeure partie occupé par la religion populaire, legs des
migrants chinois venus il y a plusieurs siècles du Fujian et du nord Guangdong. L’omniprésence
des lieux de cultes et les dimensions imposantes du bâti tempulaire, la récurrence et la vivacité
des activités religieuses, la large mobilisation et participation des locaux pour financer la
construction des temples et célébrer des rituels collectifs de grande envergure, tout cela nous
indiquent avec force qu’une part du monde taiwanais reste « enchanté », pour reprendre un
concept cher à M. Gauchet.
En partant de ce double constat, cette présentation vise, dans un premier temps, à
pénétrer plus intimement dans la gestion des temples et de l’économie religieuse. Mais surtout,
en reprenant les termes d’une discussion anthropologique portant sur ce que l’on a usage de
désigner par « économie du don » (gift economy), établie de longue date par B. Malinowski et
M. Mauss, puis notamment élargie par C. A. Gregory, M. Godelier, A. Weiner, J. Godbout et A.
Caillé, cette présentation se propose d’examiner dans le détail, à partir de l’exemple des
temples du sud de Taiwan et du cas privilégié du rituel inter-villageois de Saikang (Tainan),
comment les phénomènes d’échanges qui s’y déroulent —entre communautés socioreligieuses
d’une part, et entre humains et entités surnaturelles d’autre part— ne peuvent être réduits à
un processus d’économie marchande, mais témoignent plutôt d’un système oblatif englobant,
dont il conviendra ici d’analyser les pourtours et les modalités, et par lequel la société locale sur
les plans social et symbolique, régule les dangers qui la menace, se positionne dans son rapport
au monde et tente de maîtriser son devenir.
Les points forts de la participation et de l’investissement des locaux dans le rituel inter-
villageois de Saikang sont la procession qui dure quatre jours et le culte dédié à un Bateau, dit
Bateau des Rois, ong-chun. Cette jonque construite durant de longs mois par un officiant
charpentier, dont la forme est équivalente à celles utilisées par les anciens marchands qui
sillonnaient les Mers de Chine, représente aussi un Roi Dragon, maître de la pluie et des eaux,
substance indispensable à l’agriculture. A la fin du rituel, le Bateau/Dragon sacré, dont la panse
renferme tout ce qui est nécessaire à la survie des êtres dans leur condition humaine, est brûlé
sur un bûcher de papiers monnaies d’offrande. Il est ainsi transformé, hoa, pour devenir réel
dans une autre dimension, et assurer l’abondance, en développant, multipliant, hoat, la
cargaison. La procession, koah-hiun, quant à elle, délimite physiquement la sphère de l’échange
et met en ordre de marche tous les partenaires de l’échange, représentés par les délégations
villageoises qui portent les effigies de leurs divinités protectrices en palanquins et figurent ainsi
une grande assemblée des dieux locaux. Le déroulement lui-même de la procession est