2. Cause (non nécessaire) ou conséquence ?
a) un facteur ni nécessaire, ni suffisant
Pour Carré, Dubois et Malinvaud, la croissance démographique n’explique qu’un demi
point sur les 5 de la croissance annuelle française durant les Trente Glorieuses. De plus, la
croissance démographique ne coexiste pas forcément avec la croissance économique, ainsi
que l’a montré l’exemple de l’Irlande, à la fécondité historiquement très élevée (ICF de 3,85
enfants par femme en 1970, soit un indice bien supérieur à ceux qu’ont connus les autres
PDEM au plus fort du baby-boom), mais qui n’a véritablement entamé le décollage qui lui
vaudra le surnom de « Tigre Celtique » qu’après son entrée dans l’Union européenne en 1973.
L’Irlande affiche aujourd’hui, en même temps qu’une croissance du PIB de 6,9% pour 2002,
un ICF de 1,97 enfant par femme, supérieur certes à la moyenne de l’UE, mais qui ne saurait
être qualifié d’élevé. En effet une véritable croissance économique doit être intensive,
reposant sur le progrès technique et les gains de productivité, plus qu’extensive –sans que les
deux dimensions s’excluent l’une l’autre : à cette condition seulement elle correspond à la
définition que donne Simon Kuznets de la croissance et s’inscrit dans un processus durable et
autoentretenu. A évolution démographique semblable, deux pays ont, comme le Portugal et
l’Irlande depuis 1945, pu connaître des destins économiques très différents : la démographie
n’a un effet autre que quantitatif (c’est-à-dire a priori instable et réversible en cas de
renversement de tendances, comme le montrent les observations de Malthus) que lorsqu’elle
est compatible avec les structures d’une économie ; aussi le « surplus » de population de
l’Irlande a-t-il longtemps été absorbé par les flux d’émigration avant que son économie soit à
même d’y faire face.
b) la croissance, facteur des changements démographiques (urbanisation, modèles
familiaux), et réciproquement ?
De surcroît, c’est précisément lorsque le boom économique semble permettre à
l’économie d’absorber une population active sans cesse croissante que commence à baisser
l’indicateur de fécondité : avec la croissance vient le développement, qui historiquement se
traduit par l’achèvement de la transition démographique – dans les PDEM, par la baisse du
taux de natalité. Les évolutions économiques ont souvent des conséquences démographiques :
ainsi le baby-boom en France est le résultat non seulement de la guerre, mais aussi de
politiques natalistes lancées dès les années 1930 face au déficit de naissances, donc de main-
d’œuvre potentielle. C’est également la croissance économique, à travers notamment la
« révolution agricole » des années 1950, permettant un déversement de la main-d’œuvre entre
les différentes branches, qui stimule le phénomène de tertiarisation de la population active
amorcé au XIXe siècle et l’urbanisation de la population des PDEM, laquelle à son tour
engendre de nouveaux besoins (en termes de logement, transports,…) et possibilités (création
de pôles dynamiques de croissance et formation de réseaux). La relation entre démographie et
croissance est complexe et indirecte, qualitative autant que qualitative : ainsi la féminisation
de la population active a permis une hausse de l’offre de travail et des revenus distribués,
favorisant la croissance ; mais elle s’est aussi traduite par une diminution de la fécondité qui
peut handicaper l’avenir économique – du moins l’influencer fortement. [Modèle du cycle
démographique d’Easterlin.]
c) une influence sur le mode de croissance – Allemagne, fondée sur l’exportation + csq
dans le temps
Ainsi de l’Allemagne : l’inexistence de baby-boom à la fin de la guerre, en réaction
sans doute aux politiques natalistes du nazisme, s’est avérée déterminante pour la mise en
place du modèle de capitalisme rhénan. L’économie allemande s’est en effet tournée très
rapidement vers une croissance fondée sur la compétitivité hors prix, donc le progrès
technique – moteur de croissance intensive par excellence- et le rôle majeur des exportations.
Le Japon a connu la même évolution à partir des années 1960, après avoir rattrapé le retard dû